dimanche 12 mai 2013

"Comme nous sommes un"




Actes 7, 55-60 ; Psaume 97 ; Apocalypse 22, 12-14 & 16-20 ; Jean 17, 20-26

Jean 17, 20-26
20 "Je ne prie pas seulement pour eux, je prie aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi :
21 que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé.
22 Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un,
23 moi en eux comme toi en moi, pour qu’ils parviennent à l’unité parfaite et qu’ainsi le monde puisse connaître que c’est toi qui m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé.
24 Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu m’as aimé dès avant la fondation du monde.
25 Père juste, tandis que le monde ne t’a pas connu, je t’ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m’as envoyé.
26 Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et moi en eux."

*

Ainsi le Christ a prié non seulement pour les Apôtres mais aussi pour ceux qui croiront par leur parole — c’est-à-dire nous ! Qu’ils soient un comme lui et le Père sont un ! « Qu’ils soient un » ! Question que l’on peut se poser — on le fait parfois : Jésus n’a-t-il donc pas été exaucé ?

... Malgré les signes comme l’invitation qui m’a été faite par votre pasteur, le P. Y.-M. Blanchard que je remercie, à cette rencontre qui tombe aujourd’hui-même en votre cathédrale !… aujourd’hui avec ce texte du jour — « qu’ils soient un comme nous sommes un » — un texte pas prévu par nous lorsque la date de cette invitation a été projetée, avec aussi ce même week-end le premier synode national de l’Église protestante unie de France, signe pour nous tous, pour toutes nos Églises…

On est dans ce texte quelques quarante jours avant le moment liturgique de l’Ascension, qui scelle le départ du Christ. Un départ déjà vécu dans sa mort, donnée comme ascension. Le Christ est « élevé », élevé à la Croix, et, par là, « enlevé » à ses disciples. « Vous ne me verrez plus », annonçait-il. Dans le départ du Christ, c’est une réalité à la fois étonnante et connue concernant le Père qui est exprimée : son retrait, son absence.

Car si Dieu est présent partout, et si le Christ ressuscité est lui-même corporellement présent à tout lieu, il est aussi désormais comme absent, caché, comme l’est aussi le Père — nous ne le voyons plus. Nul n’a jamais vu Dieu. Il semble en être de même de l’unité qui se fonde dans l’unité du Père et du Fils… Et pourtant : c’est « afin que le monde croie » ! Que l’unité se voie !… alors précisément que le Christ est enlevé des yeux du monde par la Croix.

L’absence du Christ, donc déjà par la Croix, est, elle, le signe de sa gloire, de son règne avec le Père avec qui il est un, et de ce que l'on n'a point mainmise sur lui, lui dont le Nom qu’il nous fait connaître est au-dessus de tout Nom. Il se retire, dans le Nom qu’il a fait ainsi tout à nouveau connaître comme le Nom caché. Il se retire… Mais pas pour nous abandonner à notre détresse, à nos vies morcelées, à nos divisions, mais pour officier comme dans un Temple céleste — ainsi que nous l'explique l'Épître aux Hébreux (8, 5) lisant l'Exode (25, 40) — ; un office unifiant le monde, octroyé dès la fondation du monde — « tu m’as aimé dès avant la fondation du monde » — et nous en lui : c’est le cœur de notre unité. Le Christ entre dans son règne en se retirant, voilé dans une nuée. Nous quittant ainsi, il ne nous laisse pas orphelins. C’est l’Esprit saint qu’il envoie qui nous communique son imperceptible présence au-delà de l'absence. Jésus nous laissant la place, nous permet de devenir par l’Esprit ce pourquoi nous sommes créés en lui.

Et cela nous enseigne ce qu'il nous appartient de faire dans le temps de l'absence : devenir ce pour quoi nous sommes faits, en marche vers le Royaume — accomplissement de la création dans l’unité. S’ouvre pour nous à présent une nouvelle étape du projet de Dieu… vers la vie d’éternité.

Pour cela, à travers la prière de Jésus dite au jour de sa Croix, c’est — concrètement — à une dépossession que nous sommes appelés. Et cette dépossession correspond précisément à l'action mystérieuse de Dieu dans la création. On lit dans la Genèse que Dieu est entré dans son repos.

Dieu s'est retiré pour que nous puissions être, comme le Christ s'en va pour que vienne l'Esprit qui nous fasse advenir nous-mêmes en Dieu. L’Esprit saint emplit de sa force quiconque — dépossédé jusqu’à, comme le Christ à la Croix, en être abattu — en appelle à lui en reconnaissance, du cœur de cet abattement, pour tout ce qu’il nous a octroyé. Et c’est alors, alors que nous nous savons sans force, que tout devient possible. « Ma grâce te suffit car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse », est-il dit à Paul (2 Co 12, 9).

Une promesse appelée à habiter notre sentiment de n’être pas exaucés, comme lorsque Paul reçoit cette parole en échange de sa prière apparemment non-exaucée. Ainsi de l’apparence de n’être pas exaucés, ni nous ni même le Christ, quant à notre unité — apparemment, mais apparemment seulement. « Ma grâce te suffit car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. » Là, tout devient possible. Comme pour les disciples qui à la veille de perdre Jésus, dans une faiblesse immense, sont aussi à la veille de connaître et de partager la gloire de la Croix, la puissance pleine de la seule force de Dieu.

En se retirant, ultime humilité, ultime pudeur à l'image de Dieu, le Christ, Dieu créant le monde, nous laisse la place pour nous devenions, par l'Esprit, par son souffle mystérieux, ce que nous sommes de façon cachée. Devenir ce que nous sommes en Dieu qui s'est retiré pour que nous puissions être, par le Christ qui s’est retiré pour nous faire advenir dans la liberté de l’Esprit saint, suppose que nous nous retirions à notre tour de tout ce que nous concevons de nous-mêmes, de nos identités individuelles ou même ecclésiales.

Le Christ lui-même s'est retiré pour que l'Esprit vienne nous animer — à l'image de Dieu entrant dans son repos pour laisser le monde être. C'est ainsi que se complète notre création à l'image de Dieu, que se constitue notre être de résurrection. Pour le temps en ce monde qui nous est imparti, demeure sa promesse : « Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse » (2 Corinthiens 12, 9).

*

Notre faiblesse assumée dans celle de la croix — elle-même élévation du Christ à gloire. Qu'est ce d'autre que la promesse qui est au cœur de la prière que Jésus adresse à Dieu comme héritage pour ses disciples ?

Jean 12, 23 sq. : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. (24) En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais, s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. […] (32) Et moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi. (33) En parlant ainsi, il indiquait de quelle mort il devait mourir. »

Jésus dans la gloire — « maintenant, le Fils de l'homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui » — la gloire de la Croix qui se profile, Jésus prie : « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu m’as aimé dès avant la fondation du monde » (Jean 17:24). Or cela est aussi déjà donné : « moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un. » Sa prière est bien exaucée.

Là est l’unité déjà donnée : « près de toi dans ta bouche et dans ton cœur » — dans la plus radicale humilité, au cœur de notre faiblesse assumée à la Croix comme élévation à la gloire ; le reste, « qu’ils parviennent à l’unité parfaite », est le chemin de notre « pas encore » vers le « déjà donné ». Des signes en apparaissent comme ce week-end le premier synode l’Église protestante unie de France ! C'est un signe pour l’Église dans toutes ses confessions, un signe que ce qui est déjà donné dans l'unité du Père et du Fils peut prendre forme dans notre pas encore.

Le « déjà » n’est pas fictif : déjà justes en Christ, encore pécheurs en nous-mêmes — c’était déjà le cas dans l’Église primitive ! — ; déjà un en lui, par l’Esprit saint, dans l’unité du Père et du Fils, pas encore quant à la visibilité — nous ne communions pas ensemble à cette heure ; le monde qui nous est confié est encore divisé par d’immense abîmes, d’immenses injustices. Notre unité est toutefois réelle au cœur de notre diversité. Sa mesure, en vue de sa visibilité pour que le monde croie, est celle de notre foi, de notre confiance en celui qui nous l’a déjà donnée pour la déployer jusqu’à son accomplissement. Pour cela ils nous appartient d’être pleinement ce que nous sommes selon l’appel qui nous est adressé en chacune de nos Eglises : au cœur de chacune de nos traditions propres, selon que (je cite l’anglican C.-S. Lewis) si « les pays géographiques se touchent par leurs frontières, les territoires spirituels se touchent pas leur cœur ».


RP
Poitiers cathédrale, 12.05.13


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