Psaume 147, 1-15 ; Deutéronome 8, 1-16 ; 1 Corinthiens 10, 16-17
Jean 6, 51-58
Propos troublant que le propos de Jésus. On comprend la question qu’il suscite : « comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Au fond que veut dire Jésus ? Cela s’inscrit bien sûr dans le discours de ce chapitre ; ça en est le point culminant.
Le propos de tout le discours est le suivant : nourrissons-nous notre vrai désir ? — le connaissons-nous, même : — le désir de Dieu ? C’est la question que nous pose ce texte… En termes apparemment outranciers, certes. En fait en termes qui rendent la question incontournable.
Les gens avaient faim. De pain, apparemment. Jésus leur a donné du pain. Et ils ont à nouveau faim. Et lorsque Jésus veut les entraîner à la question de la vraie nourriture, ils ont bien compris. Ils ont suivi leur catéchisme. Ah oui, le pain du ciel, quoi ! On connaît : c’est l’histoire de manne et de Moïse dans le désert. Car pour le judaïsme, il est traditionnel, comme pour le christianisme, que la manne, via sa fonction nutritive, signifie la nourriture de la Parole de Dieu.
Accord apparent entre Jésus et ses interlocuteurs, jusqu’à ce que les choses se gâtent. Jusqu’à ce que l’on en vienne au cœur des choses, au moment où on bute en se scandalisant — et Jésus ne lésine pas sur les prétextes à scandale : apparemment, il se donne même tort, mettant, pour qui veut s’imaginer qu’il invite au cannibalisme, jusqu’au Lévitique contre lui (17, 10) : tu ne mangeras pas le sang. Tout pour être scandalisé ; à moins que l’on ne capitule, que l’on ne se rende à la foi qui pose un tout autre sens.
Voilà donc les auditeurs de Jésus entre le pain abondant de la veille, dont ils veulent bien remplir à nouveau leur ventre et le pain spirituel qui les renvoie au passé religieux, au temps du désert, au temps glorieux de la religion des ancêtres.
Mais si c’était aujourd’hui qu’ils avaient faim ? Une faim qu’ils ignorent, une faim qu’ils n’ont pas conçue. Et qui pourtant tenaille. Telle est la question de ce texte, la question qu’il nous pose aujourd’hui. Oui, nous aussi, nous aimerions bien n’avoir plus le souci du pain du lendemain ; plus le souci financier du lendemain. Oui, nous aussi avons suivi le catéchisme et savons qu’il y a une vraie nourriture spirituelle qui a de tout temps fondé l’Église.
« Oui, tout cela, on est au courant », ont-ils dit. « Mais toi, ont-ils dit aussi, quel signe fais-tu donc, pour que nous voyions et que nous te croyions ? Quelle est ton œuvre ? Au désert, nos pères ont mangé la manne, ainsi qu’il est écrit : Il leur a donné à manger un pain qui vient du ciel » (v. 30-31). Et si c’était toujours la question ? Donne-nous un signe…
Comme si je ne vous en avais pas assez donné, a répondu, répond Jésus depuis ce jour, en ces termes : « vous avez vu et pourtant vous ne croyez pas ». Les miracles n’ont de toute façon jamais créé la foi ! Pas plus désert qu’aujourd’hui.
N’est-ce pas à nouveau une histoire de cailles que tout cela ? Faudra-t-il encore du dégoût pour que l’on comprenne ? Si c’est du dégoût qu’il vous faut, vous allez être servis… « Celui qui mange ma chair et boit mon sang »… « Celui qui mastique ma chair » pour le dire précisément.
Vous voulez des signes. Comme si vous n’aviez pas assez vu ! Mais qu’ont-ils vu, qu’avons-nous vu, me direz-vous ? Qu’est ce que les yeux qui ne sont pas ceux de la foi ont vu d’autre que du passé ? Notre Dieu produit-il autre chose que du passé ? Hier, avec les concombres d’Égypte, hier encore, la veille, avec la multiplication des pains, nous ne sommes pas morts de faim. Hier aussi, nos pères ont été héroïques, ont eu une foi à renverser des montagnes, ont même fait des miracles.
Oui notre Dieu a produit un passé glorieux. Des Moïse, des Élie. Des prophètes, des Apôtres, des martyrs, des camisards, des résistants,… quand tout semblait perdu. Oui notre Dieu est un puissant producteur de passé. Un passé qui nous porte jusqu’à aujourd’hui.
Moïse a donné le pain du ciel. Et hier encore, avec cette multiplication des pains, on n’est pas mort de faim. Mais aujourd’hui, quel signe pour que nous croyions ? « Vous avez vu et pourtant vous ne croyez pas », nous dit encore Jésus, aujourd’hui même.
Remarquez bien que répondant à leur demande d’un signe, Jésus n’a pas dit ce qu’ils ont vu. Évidemment nous pensons automatiquement à la multiplication des pains qui a eu lieu la veille. Ce qui est bien commode : cela limite l’interpellation de Jésus à ses auditeurs immédiats. Nous, nous n’avons pas participé, pensons-nous volontiers, à la multiplication des pains. Bref cela les concerne. Mais nous ?
Il n’a pas dit ce qu’ils ont vu. Il ne dit pas ce que l’on voit. Il nous renvoie chacun à nous-mêmes. « Vous avez vu »… « et pourtant vous ne croyez pas » ?
N’avons-nous pas vu notre désir inassouvi ? Des pains, des concombres, des cailles, qui ne nous ont pas rassasiés. Une histoire héroïque — mais est-elle achevée ? Est-on parvenu au Royaume au lendemain du dernier combat des prédicants du désert ?
Il est là, le signe que nous demandons. Notre foi n’a t-elle pas vu que cette soif, Jésus peut l’assouvir ? « À qui irions-nous ?… tu as les paroles de la vie éternelle… » dira pour nous Pierre à la suite de ces paroles de Jésus (v. 68).
Rappelez-vous le catéchisme. Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain du ciel. Moïse, lui-même a enseigné cela. Ce qui est de l’éternité, Dieu seul peut le donner, à travers le signe que fait Moïse : « mon Père vous donne le vrai pain du ciel. »
Hors cela, on reste dans sa faim, attendant que le faiseur de miracles emplisse encore les ventres, encore et encore, et toujours : les pauvres, vous les aurez toujours avec vous, dira Jésus ; les pauvres vous les serez toujours, à moins que vous ne deveniez pauvres en esprit, connaissant votre vraie faim, votre vrai désir, et qu’ainsi vous l’ayez votre signe, pour trouver celui-là seul qui peut combler votre vraie faim.
… Jusqu’à donner sa vie…
Nous en sommes tous là. Nous voulons voir des signes. Nous les avons reçus, et en abondance. La manne, les pains multipliés, … que sais-je encore ?
Et nous avons le vrai signe : au cœur de notre manque, cette certitude intimement enfouie que celui-ci a les paroles de la vie éternelle. Et, signe puissant s’il en est, il donne sa chair pour la vie du monde ; en d’autres termes, il se dépouille de sa vie… Et il nous appelle à recevoir ce dépouillement, « manger sa chair ». C’est-à-dire recevoir de son dépouillement, la parole, la promesse de notre propre dépouillement.
C’est-à-dire abandonner l’illusion d’un provisoire qu’on a pu croire devoir durer, pour découvrir, dans cet abandon, abandon finalement de sa propre vie, son vrai désir.
Mourir à ses désirs transitoires, mourir au désir d’en faire du définitif, mourir déjà à ce qui mourra ; bref : perdre sa vie. Alors prend place la promesse de la Résurrection. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour ». « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie », expliquera-t-il à ce sujet.
La résurrection prend alors place comme résolution de nos désirs de pains multipliés ; désir illusoire de vie comblée de façon indéfinie. Elle prend place comme récapitulation dans le Christ de ce que nous sommes vraiment, l’ignorerions-nous. Dans la résurrection du Christ, notre résurrection au dernier jour prend place dès aujourd’hui comme présentation de nos êtres vrais devant Dieu. Comme résolution et exaucement de nos désirs, et non pas de pains multipliés qui au fond ne rassasient pas. Elle est résolution et récapitulation de la vérité de nos vies.
C’est là la vérité profonde de la parole ou Jésus mène ses interlocuteurs, où Jésus nous mène : « comme le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mangera vivra par moi ». « Celui qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité ». C’est la parole par laquelle Jésus répond en vérité aujourd’hui à toutes nos demandes.
Jean 6, 51-58
51 "Je suis le pain vivant qui descend du ciel. Celui qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité. Et le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie."
52 Sur quoi, les Judéens se mirent à discuter violemment entre eux : "Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ?"
53 Jésus leur dit alors : "En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas en vous la vie.
54 Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour.
55 Car ma chair est vraie nourriture, et mon sang vraie boisson.
56 Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui.
57 Et comme le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mangera vivra par moi.
58 Tel est le pain qui est descendu du ciel : il est bien différent de celui que vos pères ont mangé ; ils sont morts, eux, mais celui qui mangera du pain que voici vivra pour l’éternité."
*
Propos troublant que le propos de Jésus. On comprend la question qu’il suscite : « comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Au fond que veut dire Jésus ? Cela s’inscrit bien sûr dans le discours de ce chapitre ; ça en est le point culminant.
Le propos de tout le discours est le suivant : nourrissons-nous notre vrai désir ? — le connaissons-nous, même : — le désir de Dieu ? C’est la question que nous pose ce texte… En termes apparemment outranciers, certes. En fait en termes qui rendent la question incontournable.
Les gens avaient faim. De pain, apparemment. Jésus leur a donné du pain. Et ils ont à nouveau faim. Et lorsque Jésus veut les entraîner à la question de la vraie nourriture, ils ont bien compris. Ils ont suivi leur catéchisme. Ah oui, le pain du ciel, quoi ! On connaît : c’est l’histoire de manne et de Moïse dans le désert. Car pour le judaïsme, il est traditionnel, comme pour le christianisme, que la manne, via sa fonction nutritive, signifie la nourriture de la Parole de Dieu.
Accord apparent entre Jésus et ses interlocuteurs, jusqu’à ce que les choses se gâtent. Jusqu’à ce que l’on en vienne au cœur des choses, au moment où on bute en se scandalisant — et Jésus ne lésine pas sur les prétextes à scandale : apparemment, il se donne même tort, mettant, pour qui veut s’imaginer qu’il invite au cannibalisme, jusqu’au Lévitique contre lui (17, 10) : tu ne mangeras pas le sang. Tout pour être scandalisé ; à moins que l’on ne capitule, que l’on ne se rende à la foi qui pose un tout autre sens.
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Voilà donc les auditeurs de Jésus entre le pain abondant de la veille, dont ils veulent bien remplir à nouveau leur ventre et le pain spirituel qui les renvoie au passé religieux, au temps du désert, au temps glorieux de la religion des ancêtres.
Mais si c’était aujourd’hui qu’ils avaient faim ? Une faim qu’ils ignorent, une faim qu’ils n’ont pas conçue. Et qui pourtant tenaille. Telle est la question de ce texte, la question qu’il nous pose aujourd’hui. Oui, nous aussi, nous aimerions bien n’avoir plus le souci du pain du lendemain ; plus le souci financier du lendemain. Oui, nous aussi avons suivi le catéchisme et savons qu’il y a une vraie nourriture spirituelle qui a de tout temps fondé l’Église.
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« Oui, tout cela, on est au courant », ont-ils dit. « Mais toi, ont-ils dit aussi, quel signe fais-tu donc, pour que nous voyions et que nous te croyions ? Quelle est ton œuvre ? Au désert, nos pères ont mangé la manne, ainsi qu’il est écrit : Il leur a donné à manger un pain qui vient du ciel » (v. 30-31). Et si c’était toujours la question ? Donne-nous un signe…
Comme si je ne vous en avais pas assez donné, a répondu, répond Jésus depuis ce jour, en ces termes : « vous avez vu et pourtant vous ne croyez pas ». Les miracles n’ont de toute façon jamais créé la foi ! Pas plus désert qu’aujourd’hui.
N’est-ce pas à nouveau une histoire de cailles que tout cela ? Faudra-t-il encore du dégoût pour que l’on comprenne ? Si c’est du dégoût qu’il vous faut, vous allez être servis… « Celui qui mange ma chair et boit mon sang »… « Celui qui mastique ma chair » pour le dire précisément.
Vous voulez des signes. Comme si vous n’aviez pas assez vu ! Mais qu’ont-ils vu, qu’avons-nous vu, me direz-vous ? Qu’est ce que les yeux qui ne sont pas ceux de la foi ont vu d’autre que du passé ? Notre Dieu produit-il autre chose que du passé ? Hier, avec les concombres d’Égypte, hier encore, la veille, avec la multiplication des pains, nous ne sommes pas morts de faim. Hier aussi, nos pères ont été héroïques, ont eu une foi à renverser des montagnes, ont même fait des miracles.
Oui notre Dieu a produit un passé glorieux. Des Moïse, des Élie. Des prophètes, des Apôtres, des martyrs, des camisards, des résistants,… quand tout semblait perdu. Oui notre Dieu est un puissant producteur de passé. Un passé qui nous porte jusqu’à aujourd’hui.
Moïse a donné le pain du ciel. Et hier encore, avec cette multiplication des pains, on n’est pas mort de faim. Mais aujourd’hui, quel signe pour que nous croyions ? « Vous avez vu et pourtant vous ne croyez pas », nous dit encore Jésus, aujourd’hui même.
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Remarquez bien que répondant à leur demande d’un signe, Jésus n’a pas dit ce qu’ils ont vu. Évidemment nous pensons automatiquement à la multiplication des pains qui a eu lieu la veille. Ce qui est bien commode : cela limite l’interpellation de Jésus à ses auditeurs immédiats. Nous, nous n’avons pas participé, pensons-nous volontiers, à la multiplication des pains. Bref cela les concerne. Mais nous ?
Il n’a pas dit ce qu’ils ont vu. Il ne dit pas ce que l’on voit. Il nous renvoie chacun à nous-mêmes. « Vous avez vu »… « et pourtant vous ne croyez pas » ?
N’avons-nous pas vu notre désir inassouvi ? Des pains, des concombres, des cailles, qui ne nous ont pas rassasiés. Une histoire héroïque — mais est-elle achevée ? Est-on parvenu au Royaume au lendemain du dernier combat des prédicants du désert ?
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Il est là, le signe que nous demandons. Notre foi n’a t-elle pas vu que cette soif, Jésus peut l’assouvir ? « À qui irions-nous ?… tu as les paroles de la vie éternelle… » dira pour nous Pierre à la suite de ces paroles de Jésus (v. 68).
Rappelez-vous le catéchisme. Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain du ciel. Moïse, lui-même a enseigné cela. Ce qui est de l’éternité, Dieu seul peut le donner, à travers le signe que fait Moïse : « mon Père vous donne le vrai pain du ciel. »
Hors cela, on reste dans sa faim, attendant que le faiseur de miracles emplisse encore les ventres, encore et encore, et toujours : les pauvres, vous les aurez toujours avec vous, dira Jésus ; les pauvres vous les serez toujours, à moins que vous ne deveniez pauvres en esprit, connaissant votre vraie faim, votre vrai désir, et qu’ainsi vous l’ayez votre signe, pour trouver celui-là seul qui peut combler votre vraie faim.
… Jusqu’à donner sa vie…
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Nous en sommes tous là. Nous voulons voir des signes. Nous les avons reçus, et en abondance. La manne, les pains multipliés, … que sais-je encore ?
Et nous avons le vrai signe : au cœur de notre manque, cette certitude intimement enfouie que celui-ci a les paroles de la vie éternelle. Et, signe puissant s’il en est, il donne sa chair pour la vie du monde ; en d’autres termes, il se dépouille de sa vie… Et il nous appelle à recevoir ce dépouillement, « manger sa chair ». C’est-à-dire recevoir de son dépouillement, la parole, la promesse de notre propre dépouillement.
C’est-à-dire abandonner l’illusion d’un provisoire qu’on a pu croire devoir durer, pour découvrir, dans cet abandon, abandon finalement de sa propre vie, son vrai désir.
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Mourir à ses désirs transitoires, mourir au désir d’en faire du définitif, mourir déjà à ce qui mourra ; bref : perdre sa vie. Alors prend place la promesse de la Résurrection. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour ». « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie », expliquera-t-il à ce sujet.
La résurrection prend alors place comme résolution de nos désirs de pains multipliés ; désir illusoire de vie comblée de façon indéfinie. Elle prend place comme récapitulation dans le Christ de ce que nous sommes vraiment, l’ignorerions-nous. Dans la résurrection du Christ, notre résurrection au dernier jour prend place dès aujourd’hui comme présentation de nos êtres vrais devant Dieu. Comme résolution et exaucement de nos désirs, et non pas de pains multipliés qui au fond ne rassasient pas. Elle est résolution et récapitulation de la vérité de nos vies.
C’est là la vérité profonde de la parole ou Jésus mène ses interlocuteurs, où Jésus nous mène : « comme le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mangera vivra par moi ». « Celui qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité ». C’est la parole par laquelle Jésus répond en vérité aujourd’hui à toutes nos demandes.
R.P.
Vence, 26.06.11
Vence, 26.06.11
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