dimanche 25 septembre 2011

Les deux fils. "Non" et "Oui"




Ezéchiel 18, 21-32 ; Ps 25 ; Philippiens 2, 1-11 ; Matthieu 21:28-32

Matthieu 21:28-32
28 Qu’en pensez-vous ? Un homme avait deux fils ; il s’adressa au premier et dit : (Mon) enfant, va travailler aujourd’hui dans ma vigne.
29 Il répondit : Je ne veux pas. Ensuite, il se repentit, et il y alla.
30 Il s’adressa alors au second et donna le même ordre. Celui-ci répondit : Je veux bien, Seigneur, mais il n’y alla pas.
31 Lequel des deux a fait la volonté du père ? Ils répondirent : Le premier. Et Jésus leur dit : En vérité je vous le dis, les péagers et les prostituées vous devanceront dans le royaume de Dieu.
32 Car Jean est venu à vous dans la voie de la justice, et vous n’avez pas cru en lui. Mais les péagers et les prostituées ont cru en lui, et vous, qui avez vu cela, vous ne vous êtes pas ensuite repentis pour croire en lui.
*

Expérience toute quotidienne que celle à laquelle réfère Jésus. On l’imagine ayant observé, ou ayant entendu la plainte, l’agacement, d’un père dont l’un des enfants lui aurait fait faux bond de cette façon, se défilant adroitement à ses demandes. « Va dans ma vigne — oui papa » ; et le père de découvrir à la fin de la journée que rien n’a été fait…

Si l’on tarde encore, encore un faux bond comme cela, et la récolte risque d’en subir les conséquences, voire d’être gâtée !

Et quand ce second fils était le recours après que le premier fils, au début de la journée, lui ait dit carrément « non, je n’y vais pas ! », on conçoit l’agacement du père. De quoi être désabusé !

Heureusement pour la vigne, dans notre parabole, ce premier qui a d’abord refusé, a fini par changer d’avis…

Mais qu’est-ce que signifie cette vigne, puisqu’il s’agit d’une parabole, d’une comparaison ? À quoi compare-t-il cette vigne et ces deux fils ?

La leçon finale de la parabole, « les péagers et les prostituées vous devanceront dans le royaume de Dieu », indique que le travail à la vigne débouche sur le Royaume de Dieu ; qu’il y a donc un rapport entre les deux — la vigne et le Royaume.

Un rapport seulement, puisque la vigne s’apparente aussi à un chemin, à un préalable, à un temps de préparation censé déboucher sur le Royaume. Car en attendant le Royaume, le travail à la vigne est un travail plutôt pénible.

On sait cela dans cette civilisation agricole ; et le fait que l’on puisse être porté à rechigner à y aller, n’en laisse pas de doute pour le lecteur.

Et pourtant, un auditeur de l’époque, instruit dans les livres des prophètes, le savait aussi : il y a un rapport entre cette vigne fatigante et le Royaume des réjouissances ultérieures.

Où apparaît, avec l’obéissance à Dieu et à sa Loi, l’entrée dans la mission qu’il nous confie. Et l’envoi que Jésus adresse à l’Église.

Mais à ce point, puisqu’il est question du projet de Dieu en vue du Royaume, on peut franchir un pas supplémentaire : chose qui n’est pas sans lien avec la mission de l’Église qui entre dans la lignée de celle d’Israël, on a peut-être en vue la Création elle-même. Une interrogation à laquelle nous invite la période de Roch Ha-Shannah, le Nouvel an juif, période dans laquelle nous entrons cette semaine.

Ce qui, en regard de la parabole, pourrait évoquer ce thème, que l’on retrouve dans la spiritualité juive, qui est celui de la réticence à venir à l’être. La spiritualité juive ultérieure le dit en ces termes : lorsque, avant sa venue à l’être, Dieu envoie une âme dans le monde, celle-ci trépigne, résiste, supplie, bref, fait tout pour éviter de s’incarner.

Bref : « va travailler aujourd’hui dans ma vigne. Non ! Je ne veux pas ! » dit le premier fils. Remarquons en passant que cette parabole inverse ce que l’on trouve dans beaucoup d’autres paraboles. Ici, c’est le premier fils, l’aîné, qui a eu au bout du compte le bon comportement. Voilà qui pourrait ressembler à un avertissement à l’Église, qui, jouant régulièrement les seconds fils des autres paraboles, se targue peut-être un peu légèrement de sa spontanéité à répondre « oui » ! Répondre « oui », mais pour quel résultat concret ?

Le « non » qui précède l’acceptation quand même et malgré tout, s’inscrit dans la spiritualité juive en écho au livre de l’Ecclésiaste : « Moi, je déclare les morts plus heureux d’être déjà morts que les vivants d’être encore vivants, mais mieux encore que les uns et les autres celui qui n’a pas encore existé et qui n’a pas vu l’œuvre mauvaise qui se fait sous le soleil. » (Ecc 4, 2-3)

En regard de la sagesse de l’Ecclésiaste, donc, l’autre fils, le second, celui qui dit « oui » d’emblée, serait ou un naïf, ou un inconscient, ou un distrait – quelqu’un qui n’a pas pris la mesure des choses. Pardonnons-lui, car il ne sait pas ce qu’il dit ! – et du coup, son « oui » apparemment enthousiaste, est d’emblée voué à tourner court. Vendangeur dans la vigne, il s’assiéra pour s’endormir sous un cep ; homme de religion, il se contentera de l’extériorité des rites. Il n’avait pas mesuré ce à quoi il disait « oui » !

Et du coup au fond, avait-il vraiment dit oui, ou plutôt, alors, n’aurait-il pas mieux fait de s’abstenir – que de finir ainsi. C’est bien là une des questions que pose notre parabole.

Le « non », lui, est réaliste : la vigne, c’est fatigant, c’est ingrat, c’est dur, et ça dure. Les rangées de cep, au milieu du jour, sous le soleil brûlant, ça prend des allures d’infini. C’est un peu comme l’espérance du Royaume. Il est des temps de l’histoire, de l’individu ou d’un peuple, des temps chargés de douleurs dont on ne voit pas la fin, où l’on se demande.

Et selon la tradition légendaire, l’âme l’a bien pressenti avant de venir au monde et — selon, j’allais dire, notre expérience —, en témoigne dès la naissance : en général l’enfant hurle à ce moment-là (et je ne parle pas de la douleur de sa mère !). L’enfant semble manifester assez peu d’enthousiasme à débarquer dans la vigne !

Or cette tradition, les responsables religieux auxquels s’adresse Jésus la connaissaient.

D’où cette question : et si Jésus leur disait en sous-entendu : au fond, nous dit Jésus, vous le savez bien : qui dit « oui » ? Qui dirait « oui » s’il savait à quoi il s’expose ? La réponse a été donnée par l’Ecclésiaste : en tout cas, pas un sage !

Bref, tout vous avez dit « non », tous nous avons dit « non » – ce pourquoi le texte renvoie à Jean le Baptiste : repentir. Maintenant que nous y sommes de toute façon, eh bien ! il faut faire avec, vers le Royaume.

Tous avons dit « non » ? Une nuance tout de même. Il y en a bien un qui a dit « oui ». Et qui a dit « oui » jusqu’à la croix, dessinée depuis — non pas la crèche — mais l’Éternité : l’agneau de Dieu égorgé depuis la fondation du monde (Apoc 12, 8).

Et c’est ici que tout est renversé, ici que tout devient possible, à commencer pour ceux qui ne se leurrent pas sur la qualité de leur « oui », ce pourquoi « les péagers et les prostituées vous devanceront dans le royaume de Dieu ».

Nous voici donc tous avec notre « non » appelés à un acte de confiance en celui-là seul qui a dit « oui » en connaissance de cause – et qui rend ainsi possible ce retour auquel il invite, le retour à Dieu qu’annonçait Jean le Baptiste.

Certes le travail à la vigne n’est pas facile, mais c’est le chemin du Royaume de toute consolation sur lequel est venu nous précéder, en toute connaissance des faits et du projet de Dieu, celui qui nous y appelle aujourd’hui. Dieu s’est approché. La proximité de Dieu est celle d’aujourd’hui : « Je ne prends pas plaisir à la mort de celui qui meurt — oracle du Seigneur Dieu ; revenez donc et vivez ! » (Ezéchiel 18, 32)

R.P.
Vence, 25.09.11


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