Ésaïe 25, 6-9 ; Psaume 23 ; Philippiens 4, 12-20 ; Matthieu 22, 1-14
Ésaïe 25, 6-9
Matthieu 22, 1-14
Un festin pour tous les peuples, tous, indépendamment de toute appartenance, religieuse, nationale, à tel cercle social privilégié ou que sais-je encore — c’est ce dont nous parle Matthieu après Ésaïe.
Festin pour tous, indifféremment des types divers de distinctions sociales, économiques ou religieuses. D’autant plus que ce genre d’impressions d’appartenance plus ou moins privilégiée, ou d’élite, a pour effet de faire regarder de haut — non seulement les autres, mais aussi — le don de Dieu que l’on prend pour un dû. Et l’on garde pour soi, mais pour son quotidien — rien de spécial pour la fête —, les mets d’un banquet offert par Dieu, quitte à entourer la salle d’abondance de barbelés où viennent s’épingler comme des mouches les foules de pauvres et de déshérités.
Et au bout du compte, on méprise carrément le trop plein de bonheur et d’abondance, reçu de toute façon comme un dû ! Et on dédaigne le maître de toutes choses.
Un Proverbe attribué au roi Salomon — qui n’avait rien à apprendre de quiconque en matière de richesse —, ce Proverbe dit : « garde-moi, ô Dieu, de la pauvreté, de peur que je ne me révolte contre toi, garde-moi aussi de la richesse de peur que je ne t’oublie » — de peur que je n’oublie que tout vient de toi et que l’on est mal venu de considérer la fête que tu promets comme quantité négligeable.
Quelqu’un qui serait tous les jours au caviar et au champagne, non seulement n’arrangerait pas son foie, mais ne verrait rien d’extraordinaire à un repas de fête. N’est-ce pas un peu le problème de toute civilisation repue, et de notre civilisation ? Jusqu’au jour où…
Eh bien, au plan spirituel, c’est un peu cela que déplore Jésus. Nous voilà invités à la fête par Dieu, qui a des bienfaits considérables à nous offrir et — du haut de nos longs siècles de christianisme institutionnel — nous croyons pouvoir regarder cela de haut, nous croyons que tous ces bienfaits, sont normaux, un dû, et comme des banqueteurs quotidiens et gavés, nous dédaignons cela.
Allez voir en Asie ou en Afrique la soif d’une parole perçue comme précieuse : les temples sont non seulement pleins, mais trop petits ; il faut les agrandir, faire des cultes à deux ou trois services, et mettre des haut-parleurs à l’extérieur.
Je vous ai invité à la noce, et vous avez méprisé mon appel. Je suis allé appeler ailleurs — ceux que parfois vous avez cru devoir regarder de haut. Car on comprend que la parabole ne parle pas que d’un banquet au sens littéral, mais du banquet de la Parole de Dieu.
Et c’est évidemment de cela que parle Jésus quand il évoque ceux qui sont envoyés pour inviter des convives à la noce et qui se font tuer : il parle évidemment des prophètes assassinés par un peuple qui ne veut plus se laisser interpeller et qui préfère faire taire les voix qui dérangent.
Ça ne concerne que les temps anciens croyez-vous ? Tuer les messagers de Dieu, les annonciateurs du bonheur du banquet offert par Dieu ? Pensez-vous ! Dans l’Antiquité, mais pas nous ! Et le pasteur Martin Luther King, assassiné en 1968 ? Il a lutté aux États-Unis pour abolir la ségrégation et pour créer un monde sans racisme, un monde de véritable fraternité, où « noirs » et « blancs » pourraient vivre, travailler et même prier dans les mêmes lieux. « Si nous n’apprenons pas à vivre ensemble comme des frères, écrivait-il, nous allons périr ensemble comme des imbéciles ».
Son engagement a profondément marqué le cours de notre histoire, mais ses contemporains l’ont bel et bien raté ! Il invitait au banquet du Royaume, non seulement on a dédaigné ce banquet, mais on a tué le messager ! Et il n’est pas un cas isolé au XXe siècle. Et nous, que faisons-nous de l’invitation ? Méfions-nous cela pourrait finir très mal, cela a parfois fini dans le sang ! C’est ce qui s’est passé concertant M.L. King et d’autres, et en tout cas ce qui se passe dans notre parabole.
Les repus qui n’ont rien à faire du don de Dieu, qui succombent sous la violence ? Guerre civile, catastrophe humanitaire, violence terroriste, crise financière généralisée ? En tout cas, dans la parabole, cela finit très mal. Mais, oh ! nous autres n’avons pas assassiné de messagers de Dieu ! Certes… Cela dit, ne sommes nous pas un peu trop occupés, « l’un à son champ, l’autre à son commerce » comme dit Jésus, ou encore à son affaire, — affaire qui vaut quoi finalement… ? Cela jusqu’à trouver inopportun l’appel de Dieu.
Alors l’invitation pourrait très bien s’adresser à d’autres, genre ceux qui sont épinglés sur les barrières, ou noyés dans leur esquifs chavirés loin de notre abondance de biens très palpables, de nourriture, de consommation, mais aussi de biens spirituels.
Car, que ce soit ceux qui refusent l’invitation au Royaume, voire qui persécutent, et même tuent ceux qui la leur apportent ! — ou que ce soit ceux qui prétendent y entrer par leurs propres moyens, — on n’entre pas aisément dans le Royaume de Dieu.
Ce que confirme la deuxième partie de la parabole ; la question de ceux qui en refusent l’invitation et tuent les envoyés semblant entrer dans notre logique — quoique !… Mais pour celui qui est entré sans la tenue correcte exigée, les choses peuvent sembler, du coup, difficiles à saisir !…
D’autant plus que le texte précise que l’invitation vaut pour les méchants comme pour les bons… Mais justement, la réponse est sans doute là : des méchants et des bons, à savoir par la grâce seule : la grâce seule qui ouvre la conversion — la vêture de l’habit de noces —, et en aucun cas revêtu de ses propres prétentions…
Car c’est de cela qu’il s’agit au fond. C’est le deuxième aspect de la parabole. Parmi ceux qui viennent finalement au banquet — ceux auxquels s’est finalement adressé l’appel dédaigné par les repus de spiritualité et de biens en tout genre —, voilà un de ces pauvres, apparemment, qui ne porte pas de vêtements de noce. Qu’est-ce à dire ?
Commençons par la première évidence : on ne va pas à la noce avec la tenue qu’on aurait à un enterrement par exemple — crêpe noir ou veste sombre. On n’y va pas non plus en tenue de travail, en bleu mazouté et en pataugas ! Ce serait témoigner une volonté de provocation dans le premier cas, de dédain ou de manque de convenance dans le second. Dans tous les cas, bien peu de respect pour celui ou celle qui nous invite.
Cela rappelle nos anciens qui parlaient d’habits du dimanche. Oh, je sais bien que Dieu regarde le cœur — mais comme dit Saint-Exupéry par la bouche du renard attendant le petit Prince : avoir des rites, des heures de rendez-vous pour pouvoir savoir à quel moment s’habiller le cœur, n’est pas si insensé. Et c’est probablement ce que voulait signifier le symbole du costume du dimanche.
S’habiller le cœur ! Et bien, ce que reproche le maître du festin de la parabole à l’homme trouvé sans habit de noces, c’est probablement d’avoir négligé, précisément, de s’habiller le cœur. Ce qui revient alors à dire que s’il n’a pas refusé de venir à cette invitation de dernière minute que les privilégiés ont négligée auparavant, il n’en a, pas plus qu’eux, mesuré la portée. Est-il venu pour s’offrir un repas, une soirée dansante, ou que sais-je de ce genre ? Ou autre chose à côté du sens de l’invitation ?
En tout cas, sa tenue montre qu’il n’a pas perçu tout l’honneur que valait la fête de la vie, la fête du Royaume. Il ne s’est pas habillé le cœur ! C’est ce que trahit la parole finale sur les appelés et les élus. L’appel extérieur du messager n’a pas résonné en son cœur…
C’est la parole finale de notre texte : « Il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus ». La théologie voit là la distinction entre la dimension extérieure de l’appel de Dieu et sa réception intérieure ou interne, à savoir intime (on parle le plus souvent de cela pour la vocation — intérieure — au ministère, que l’on distingue de l’appel — extérieur — adressé par l’Église. Cela vaut aussi plus largement que pour le seul ministère ecclésial).
Lorsque j’entends un appel — n’importe quel appel, quelqu’un qui m’appelle dans la rue par exemple, ou pour être plus précis un parent qui appelle un enfant : « à table ! » —, cet appel vient de l’extérieur. Je peux le recevoir ou pas, y répondre ou pas. L’enfant peut le recevoir ou pas. Cela dépend de l’importance qu’a eu cet appel pour moi, ou pour lui. Lorsqu’un appel m’est indifférent, il me reste extérieur, externe.
Lorsque l’appel résonne en moi et produit son effet, et à terme l’obéissance, on parle d’appel interne. Il a résonné en moi, dans mon cœur — au point finalement de produire une obéissance sincère.
Remarquez par exemple qu’à l’appel extérieur « à table ! », l’effet intérieur sera différent s’il s’agit de laisser un jeu passionnant pour manger un plat que l’enfant apprécie peu, ou s’il s’agit d’un goûter d’anniversaire chargé de gâteaux à la crème et au chocolat ! Vous me suivez.
Et bien c’est exactement la distinction entre l’appel de Dieu en sa dimension extérieure et en sa dimension intime. Et c’est le cœur de la distinction entre appelé et élu. Pour celui en qui la parole de l’appel de Dieu résonne vraiment, Jésus ici, que reprend la théologie, parle, concernant cet appel intime, d’élection.
En bref et en clair, est-ce que l’invitation de Dieu à la fête de son Royaume résonne suffisamment en moi, me séduit suffisamment, pour qu’elle vaille que je quitte tout pour cela, que j’habille mon cœur de joie ; ou ai-je mieux à faire, ou est-ce que je ne viens qu’à contrecœur, sans m’habiller le cœur ? Suis-je élu, choisi pour la fête, l’ai-je entendu, cet appel ? Ou est-ce pour moi chose indifférente ?
Si c’est le cas, c’est que je ne sais pas la valeur de ce qui m’est proposé quand Dieu me dit : « à table ! » Si nous savions seulement le millième de la joie qui est dans cet appel, nous laisserions tout avec bonheur et courrions à toutes jambes à l’écoute de cet appel qui a toutes les raisons de bouleverser notre cœur, l’intérieur de nous-mêmes, pour que rien ne soit plus jamais comme avant.
Et si nous l’avons dédaigné, il est toujours temps, maintenant, de faire retour, et de s’habiller le cœur pour la fête du Royaume.
Ésaïe 25, 6-9
6 Le SEIGNEUR, le tout-puissant, va donner sur cette montagne un festin pour tous les peuples, un festin de viandes grasses et de vins vieux, de viandes grasses succulentes et de vins vieux décantés.
7 Il fera disparaître sur cette montagne le voile tendu sur tous les peuples, l’enduit plaqué sur toutes les nations.
8 Il fera disparaître la mort pour toujours. Le Seigneur DIEU essuiera les larmes sur tous les visages et dans tout le pays il enlèvera la honte de son peuple. Il l’a dit, lui, le SEIGNEUR.
9 On dira ce jour-là: C’est lui notre Dieu. Nous avons espéré en lui, et il nous délivre. C’est le SEIGNEUR en qui nous avons espéré. Exultons, jubilons, puisqu’il nous sauve.
Matthieu 22, 1-14
1 Et Jésus se remit à leur parler en paraboles:
2 "Il en va du Royaume des cieux comme d’un roi qui fit un festin de noces pour son fils.
3 Il envoya ses serviteurs appeler à la noce les invités. Mais eux ne voulaient pas venir.
4 Il envoya encore d’autres serviteurs chargés de dire aux invités: Voici, j’ai apprêté mon banquet; mes taureaux et mes bêtes grasses sont égorgés, tout est prêt, venez aux noces.
5 Mais eux, sans en tenir compte, s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce;
6 les autres, saisissant les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent.
7 Le roi se mit en colère; il envoya ses troupes, fit périr ces assassins et incendia leur ville.
8 Alors il dit à ses serviteurs: La noce est prête, mais les invités n’en étaient pas dignes.
9 Allez donc aux places d’où partent les chemins et convoquez à la noce tous ceux que vous trouverez.
10 Ces serviteurs s’en allèrent par les chemins et rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, mauvais et bons. Et la salle de noce fut remplie de convives.
11 Entré pour regarder les convives, le roi aperçut là un homme qui ne portait pas de vêtement de noce.
12 Mon ami, lui dit-il, comment es-tu entré ici sans avoir de vêtement de noce? Celui-ci resta muet.
13 Alors le roi dit aux servants: Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres du dehors: là seront les pleurs et les grincements de dents.
14 Certes, la multitude est appelée, mais peu sont élus."
*
Un festin pour tous les peuples, tous, indépendamment de toute appartenance, religieuse, nationale, à tel cercle social privilégié ou que sais-je encore — c’est ce dont nous parle Matthieu après Ésaïe.
Festin pour tous, indifféremment des types divers de distinctions sociales, économiques ou religieuses. D’autant plus que ce genre d’impressions d’appartenance plus ou moins privilégiée, ou d’élite, a pour effet de faire regarder de haut — non seulement les autres, mais aussi — le don de Dieu que l’on prend pour un dû. Et l’on garde pour soi, mais pour son quotidien — rien de spécial pour la fête —, les mets d’un banquet offert par Dieu, quitte à entourer la salle d’abondance de barbelés où viennent s’épingler comme des mouches les foules de pauvres et de déshérités.
Et au bout du compte, on méprise carrément le trop plein de bonheur et d’abondance, reçu de toute façon comme un dû ! Et on dédaigne le maître de toutes choses.
Un Proverbe attribué au roi Salomon — qui n’avait rien à apprendre de quiconque en matière de richesse —, ce Proverbe dit : « garde-moi, ô Dieu, de la pauvreté, de peur que je ne me révolte contre toi, garde-moi aussi de la richesse de peur que je ne t’oublie » — de peur que je n’oublie que tout vient de toi et que l’on est mal venu de considérer la fête que tu promets comme quantité négligeable.
Quelqu’un qui serait tous les jours au caviar et au champagne, non seulement n’arrangerait pas son foie, mais ne verrait rien d’extraordinaire à un repas de fête. N’est-ce pas un peu le problème de toute civilisation repue, et de notre civilisation ? Jusqu’au jour où…
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Eh bien, au plan spirituel, c’est un peu cela que déplore Jésus. Nous voilà invités à la fête par Dieu, qui a des bienfaits considérables à nous offrir et — du haut de nos longs siècles de christianisme institutionnel — nous croyons pouvoir regarder cela de haut, nous croyons que tous ces bienfaits, sont normaux, un dû, et comme des banqueteurs quotidiens et gavés, nous dédaignons cela.
Allez voir en Asie ou en Afrique la soif d’une parole perçue comme précieuse : les temples sont non seulement pleins, mais trop petits ; il faut les agrandir, faire des cultes à deux ou trois services, et mettre des haut-parleurs à l’extérieur.
Je vous ai invité à la noce, et vous avez méprisé mon appel. Je suis allé appeler ailleurs — ceux que parfois vous avez cru devoir regarder de haut. Car on comprend que la parabole ne parle pas que d’un banquet au sens littéral, mais du banquet de la Parole de Dieu.
Et c’est évidemment de cela que parle Jésus quand il évoque ceux qui sont envoyés pour inviter des convives à la noce et qui se font tuer : il parle évidemment des prophètes assassinés par un peuple qui ne veut plus se laisser interpeller et qui préfère faire taire les voix qui dérangent.
Ça ne concerne que les temps anciens croyez-vous ? Tuer les messagers de Dieu, les annonciateurs du bonheur du banquet offert par Dieu ? Pensez-vous ! Dans l’Antiquité, mais pas nous ! Et le pasteur Martin Luther King, assassiné en 1968 ? Il a lutté aux États-Unis pour abolir la ségrégation et pour créer un monde sans racisme, un monde de véritable fraternité, où « noirs » et « blancs » pourraient vivre, travailler et même prier dans les mêmes lieux. « Si nous n’apprenons pas à vivre ensemble comme des frères, écrivait-il, nous allons périr ensemble comme des imbéciles ».
Son engagement a profondément marqué le cours de notre histoire, mais ses contemporains l’ont bel et bien raté ! Il invitait au banquet du Royaume, non seulement on a dédaigné ce banquet, mais on a tué le messager ! Et il n’est pas un cas isolé au XXe siècle. Et nous, que faisons-nous de l’invitation ? Méfions-nous cela pourrait finir très mal, cela a parfois fini dans le sang ! C’est ce qui s’est passé concertant M.L. King et d’autres, et en tout cas ce qui se passe dans notre parabole.
Les repus qui n’ont rien à faire du don de Dieu, qui succombent sous la violence ? Guerre civile, catastrophe humanitaire, violence terroriste, crise financière généralisée ? En tout cas, dans la parabole, cela finit très mal. Mais, oh ! nous autres n’avons pas assassiné de messagers de Dieu ! Certes… Cela dit, ne sommes nous pas un peu trop occupés, « l’un à son champ, l’autre à son commerce » comme dit Jésus, ou encore à son affaire, — affaire qui vaut quoi finalement… ? Cela jusqu’à trouver inopportun l’appel de Dieu.
Alors l’invitation pourrait très bien s’adresser à d’autres, genre ceux qui sont épinglés sur les barrières, ou noyés dans leur esquifs chavirés loin de notre abondance de biens très palpables, de nourriture, de consommation, mais aussi de biens spirituels.
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Car, que ce soit ceux qui refusent l’invitation au Royaume, voire qui persécutent, et même tuent ceux qui la leur apportent ! — ou que ce soit ceux qui prétendent y entrer par leurs propres moyens, — on n’entre pas aisément dans le Royaume de Dieu.
Ce que confirme la deuxième partie de la parabole ; la question de ceux qui en refusent l’invitation et tuent les envoyés semblant entrer dans notre logique — quoique !… Mais pour celui qui est entré sans la tenue correcte exigée, les choses peuvent sembler, du coup, difficiles à saisir !…
D’autant plus que le texte précise que l’invitation vaut pour les méchants comme pour les bons… Mais justement, la réponse est sans doute là : des méchants et des bons, à savoir par la grâce seule : la grâce seule qui ouvre la conversion — la vêture de l’habit de noces —, et en aucun cas revêtu de ses propres prétentions…
*
Car c’est de cela qu’il s’agit au fond. C’est le deuxième aspect de la parabole. Parmi ceux qui viennent finalement au banquet — ceux auxquels s’est finalement adressé l’appel dédaigné par les repus de spiritualité et de biens en tout genre —, voilà un de ces pauvres, apparemment, qui ne porte pas de vêtements de noce. Qu’est-ce à dire ?
Commençons par la première évidence : on ne va pas à la noce avec la tenue qu’on aurait à un enterrement par exemple — crêpe noir ou veste sombre. On n’y va pas non plus en tenue de travail, en bleu mazouté et en pataugas ! Ce serait témoigner une volonté de provocation dans le premier cas, de dédain ou de manque de convenance dans le second. Dans tous les cas, bien peu de respect pour celui ou celle qui nous invite.
Cela rappelle nos anciens qui parlaient d’habits du dimanche. Oh, je sais bien que Dieu regarde le cœur — mais comme dit Saint-Exupéry par la bouche du renard attendant le petit Prince : avoir des rites, des heures de rendez-vous pour pouvoir savoir à quel moment s’habiller le cœur, n’est pas si insensé. Et c’est probablement ce que voulait signifier le symbole du costume du dimanche.
S’habiller le cœur ! Et bien, ce que reproche le maître du festin de la parabole à l’homme trouvé sans habit de noces, c’est probablement d’avoir négligé, précisément, de s’habiller le cœur. Ce qui revient alors à dire que s’il n’a pas refusé de venir à cette invitation de dernière minute que les privilégiés ont négligée auparavant, il n’en a, pas plus qu’eux, mesuré la portée. Est-il venu pour s’offrir un repas, une soirée dansante, ou que sais-je de ce genre ? Ou autre chose à côté du sens de l’invitation ?
En tout cas, sa tenue montre qu’il n’a pas perçu tout l’honneur que valait la fête de la vie, la fête du Royaume. Il ne s’est pas habillé le cœur ! C’est ce que trahit la parole finale sur les appelés et les élus. L’appel extérieur du messager n’a pas résonné en son cœur…
C’est la parole finale de notre texte : « Il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus ». La théologie voit là la distinction entre la dimension extérieure de l’appel de Dieu et sa réception intérieure ou interne, à savoir intime (on parle le plus souvent de cela pour la vocation — intérieure — au ministère, que l’on distingue de l’appel — extérieur — adressé par l’Église. Cela vaut aussi plus largement que pour le seul ministère ecclésial).
Lorsque j’entends un appel — n’importe quel appel, quelqu’un qui m’appelle dans la rue par exemple, ou pour être plus précis un parent qui appelle un enfant : « à table ! » —, cet appel vient de l’extérieur. Je peux le recevoir ou pas, y répondre ou pas. L’enfant peut le recevoir ou pas. Cela dépend de l’importance qu’a eu cet appel pour moi, ou pour lui. Lorsqu’un appel m’est indifférent, il me reste extérieur, externe.
Lorsque l’appel résonne en moi et produit son effet, et à terme l’obéissance, on parle d’appel interne. Il a résonné en moi, dans mon cœur — au point finalement de produire une obéissance sincère.
Remarquez par exemple qu’à l’appel extérieur « à table ! », l’effet intérieur sera différent s’il s’agit de laisser un jeu passionnant pour manger un plat que l’enfant apprécie peu, ou s’il s’agit d’un goûter d’anniversaire chargé de gâteaux à la crème et au chocolat ! Vous me suivez.
Et bien c’est exactement la distinction entre l’appel de Dieu en sa dimension extérieure et en sa dimension intime. Et c’est le cœur de la distinction entre appelé et élu. Pour celui en qui la parole de l’appel de Dieu résonne vraiment, Jésus ici, que reprend la théologie, parle, concernant cet appel intime, d’élection.
En bref et en clair, est-ce que l’invitation de Dieu à la fête de son Royaume résonne suffisamment en moi, me séduit suffisamment, pour qu’elle vaille que je quitte tout pour cela, que j’habille mon cœur de joie ; ou ai-je mieux à faire, ou est-ce que je ne viens qu’à contrecœur, sans m’habiller le cœur ? Suis-je élu, choisi pour la fête, l’ai-je entendu, cet appel ? Ou est-ce pour moi chose indifférente ?
Si c’est le cas, c’est que je ne sais pas la valeur de ce qui m’est proposé quand Dieu me dit : « à table ! » Si nous savions seulement le millième de la joie qui est dans cet appel, nous laisserions tout avec bonheur et courrions à toutes jambes à l’écoute de cet appel qui a toutes les raisons de bouleverser notre cœur, l’intérieur de nous-mêmes, pour que rien ne soit plus jamais comme avant.
Et si nous l’avons dédaigné, il est toujours temps, maintenant, de faire retour, et de s’habiller le cœur pour la fête du Royaume.
R.P.
Vence, 09.10.11
Vence, 09.10.11
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