dimanche 30 octobre 2011

Réformation - protestants aujourd'hui




Malachie 2:1-10 ; Psaume 131 ; 1 Thessaloniciens 2:1-13

Matthieu 23, 1-12
1 Alors Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples:
2 "Les scribes et les Pharisiens siègent dans la chaire de Moïse:
3 faites donc et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes, car ils disent et ne font pas.
4 Ils lient de pesants fardeaux et les mettent sur les épaules des hommes, alors qu’eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt.
5 Toutes leurs actions, ils les font pour se faire remarquer des hommes. Ils élargissent leurs phylactères et allongent leurs franges.
6 Ils aiment à occuper les premières places dans les dîners et les premiers sièges dans les synagogues,
7 à être salués sur les places publiques et à s’entendre appeler Maître par les hommes.
8 Pour vous, ne vous faites pas appeler Maître, car vous n’avez qu’un seul Maître et vous êtes tous frères.
9 N’appelez personne sur la terre votre Père, car vous n’en avez qu’un seul, le Père céleste.
10 Ne vous faites pas non plus appeler Docteurs, car vous n’avez qu’un seul Docteur, le Christ.
11 Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.
12 Quiconque s’élèvera sera abaissé, et quiconque s’abaissera sera élevé.

*

En ce jour de fête de la Réformation, il est réjouissant de constater que l’Évangile annoncé par Martin Luther a renversé les forteresses — de toute façon. Et même si cela ne se voit pas toujours, et même s’il reste encore du chemin jusqu’au Royaume. Luther a obtenu déjà ce triomphe que de toute façon l’Église s’est réformée. Toute l’Église s’est réformée, fût-ce contre Martin Luther. De l’Église catholique romaine (dont la Réforme a été obligée par Luther de se faire contre Luther — la Contre-réforme est aussi une réforme !) jusqu’aux anabaptistes.

On admet aujourd’hui cela assez communément. Et du coup voilà les hommages qui pleuvent sur les protestants — et nous voilà aux premières places dans les dîners mondains.

Entendons l’hommage rendu unanimement par nos médias à nous autres protestants, à l’occasion du récent centenaire de l’Assemblée du Musée du désert, par exemple : « les protestants ont remis, avec l’Écriture, l’essentiel en honneur ; ils sont des modèles de rigueur morale ; ils ont des professeurs en Sorbonne et des ministres au gouvernement et, chaque année, ils se réunissent en synode pour inviter ces mêmes gouvernements à la sagesse ; ils sont reconnaissables dans la rue ou à la télévision à leur modestie. » (Termes repris à un collègue.) Bel écho à ce que dit Jésus ironiquement des gens remarquables de son temps.

Disons donc que ce soit là précisément, malgré les apparences médiatiques, ce que n’est pas « être protestants aujourd’hui » — selon le thème que vous m’avez proposé — avant de voir ce que c’est.

C’est ici qu’il s’agit tout d’abord de réhabiliter pharisiens et scribes : gens effectivement remarquables. Nous devons déjà à ces fameux scribes la Bible, transmise avec une fidélité inégalable. Paul n'aurait pas été aussi grand s'il n'avait été pharisien. Et quand nous donnerons la dîme de tous nos biens nous pourrons commencer à dresser le début d'un réquisitoire ; quel trésorier n’aimerait pas avoir un peu plus de pharisiens parmi les cotisants et autres donateurs ?!

Vraiment, pharisiens et scribes étaient parés de toutes les vertus. Ce n'est pas leur absence de vertus qui fait problème à Jésus, ça en est la surabondance. On vient d’entendre ce flot de compliments adressés aux protestants, aujourd’hui décernés à l’occasion de tel centenaire dans les magazines et autres premières places des convivialités… Parole irréprochable, moralité réputée, humilité ostensible : voilà le portrait « grands médias » du protestant. Exactement ce que reproche Jésus aux pharisiens !

Tant de vertus reconnues ! Pour ne rien dire d’un courage à toute épreuve et a fortiori de la pluie (cf. les titres de journaux sur tel centenaire pluvieux — sur quoi le journal Echanges a eu le bonheur d’ironiser : « Un centenaire, ça s’arrose »).

Or ce qui importe c’est la vérité des paroles annoncées, que Jésus dans notre texte, reconnaît aux pharisiens : « faites et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire »… La vérité des paroles annoncées et surtout la mise en pratique…

Faites ce qu’ils disent, de toute façon, à défaut de faire ce qu’ils font, dit Jésus de ces bons prédicateurs. Quant aux actes — « … ne vous réglez pas sur leurs actes, car ils disent et ne font pas ».

De quoi s’agit-il donc ? Puisque loin de ne pas en faire, des œuvres, ils en font au contraire au point, donc, que leurs actes sont remarquables ! Et tout le monde les remarque ! Cela leur vaut cette estime commune qu’ils semblent goûter tant.

*

Où l’on doit tenter d’en venir en deçà de la surface, à ce que pourrait être l’héritage commun à mettre en œuvre, héritage remis en honneur par la Réforme : « ne vous laissez pas imposer de fardeaux », ces fardeaux qu’ils ne touchent pas, dit Jésus de certains de ceux qui l’interpellent !

Qu’est-ce à dire ? De quoi est-il question, puisqu’il ne faut pas entendre par là des bonnes œuvres ? — dont ils ne manquent pas : ces fardeaux-là, les bonnes œuvres, ils les touchent, et plus que du doigt, ils en portent vraiment. Il faut donc chercher ailleurs…

Par exemple, justement, être salué sur les places publiques, admiré, etc., quel fardeau pour y parvenir — fardeau dont eux n’ont pas besoin de s’encombrer : ils sont déjà installés dans les meilleurs sièges des repas et des temples !

Mais surtout, plus précisément, lesdits fardeaux consistent à être à la mesure de la vérité qui leur vaut — qui nous vaut, éventuellement — tant d’éloges, et que se gardent bien de pratiquer les flatteurs qui disent tant de bien de vertus, dont on ne saurait, pour s’assurer leur compagnie, que toucher avec modération… « Celui qui mange à la table du roi / du notable ne peut pas dire la vérité au roi / au notable » (proverbe africain). Bref, ces fardeaux-là, ils « se refusent à les remuer du doigt ».

Vous, dit Jésus à ses disciples, ne vous en laissez pas imposer. Faites simplement ce qu’ils disent. C’est aussi, pour qui sait entendre, une bonne nouvelle qui sort de leur bouche, à recevoir par la seule confiance, la foi seule. Entendez-y donc les promesses de la grâce — gratuite mais pas à bon marché comme les indulgences que dénonçait Luther.

Ils élargissent les phylactères pour être mieux appréciés ? Pas pour vous… Du coup on est devenu plus subtil ! Pas de phylactères, pas de franges de prière... On a retenu la leçon de Jésus, et laissé les phylactères visibles... pour d’autres certificats d’humilité, plus discrets ! Cela dit, on a gardé le goût des premières places chez les officiels et aux unes des magazines.

Pour ceux qui veulent être disciples de Jésus de la façon que prône Jésus, remise en honneur par la Réforme, les choses sont appelées à se passer autrement…

Paul avait compris tout ça, qui — rappelons-nous — se félicitait d’être jugé mauvais prédicateur, ou mauvais rhéteur, si l’on préfère (1 Co 1-2). Malaisé à entendre par les chercheurs de prestige médiatique. À ceux qui veulent de belles paroles de sagesse, ou des paroles puissantes et renversantes, il oppose la faiblesse et l’insipide de la croix.

Jésus, avant lui, n’est dupe ni des critiques, ni des compliments, qui sont finalement la même chose, autant de pièges. De sa parole, il n’attend pas en écho des compliments et des échos dans les journaux. « Il a bien parlé », dira-t-on pour se croire dispensé de mettre en pratique sa parole ou de comprendre ce qu’il veut dire concrètement... Lui attend de la mise en pratique qui libère en vérité.

Et puisque, apparemment, il ne cherche pas les compliments, on essaie donc de le déstabiliser en ruinant son audimat par des pièges… ce qui revient au même.

Car s’il n’a peut-être pas les phylactères aussi larges, on lui donne volontiers les titres flatteurs, et il n’a même pas la fausse de humilité de les refuser, remarquez — « un seul est votre docteur, le Christ », souligne-t-il. Ses disciples sont mis en garde, on tentera la même chose pour eux, les flatter, et cela leur plaira, forcément, bien que pour eux ce ne soit peut-être pas aussi mérité, ni exempt de la tentation de s’y complaire. Et ça ne vaut pas que pour les prédicateurs et autres scribes, théologiens et savants.

La vraie valeur est autre. « Quiconque s’élèvera sera abaissé, et quiconque s’abaissera sera élevé ». Celui qui à nos yeux ne compte pas, c’est lui que Dieu exalte ; et c’est bien lui que le Christ a rejoint (Ph 2).

Alors pourquoi pas les rites, par lesquels même la parole de Dieu se fait signe, pourquoi pas les phylactères (Jésus n’a rien dit contre), pourquoi pas les différentes façons de célébrer la sainte Cène ou autres actes pastoraux, à la luthérienne, à la réformée ou autre, pourquoi pas les différentes organisations de l’Église. À l’instar des phylactères, cela a son sens, mais comme tout signe, cela est second, n’a pas fonction d’exalter celui qui en bénéficie, mais de le renvoyer, de nous renvoyer à la vérité de parole de Dieu et à son fruit.

La gloire, ici, est cachée. De sorte que la liberté du chrétien annoncée par Luther est d’abord liberté intérieure, devant Dieu seul. Vivre devant Dieu par la foi seule, c’est cela être héritier de la Réforme, quelle que soit la tradition — luthérienne, réformée ou autre — par laquelle on l’a reçue.

R.P.
Draguignan 30.10.11


Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire