dimanche 23 octobre 2011

Le plus grand commandement




Exode 22, 20-26 ; Psaume 18 ; 1 Thessaloniciens 1, 5-10

Matthieu 22, 34-40
34 Apprenant qu’il avait fermé la bouche aux Sadducéens, les Pharisiens se réunirent.
35 Et l’un d’eux, un légiste, lui demanda pour lui tendre un piège :
36 "Maître, quel est le grand commandement dans la Loi ?"
37 Jésus lui déclara : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée.
38 C’est là le grand, le premier commandement.
39 Un second est aussi important : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
40 De ces deux commandements dépendent toute la Loi et les Prophètes."


*

Voilà un commandement — le plus grand des commandements — qui nous conduit au cœur de la justification par la foi.

Avant d’aller plus loin une question. « Jésus déclara : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C’est là le grand, le premier commandement. Un second est aussi important : Tu aimeras (pour) ton prochain comme (pour) toi-même. » Ainsi le dit Jésus, selon l’évangile. Jésus aurait-il donc inventé ce commandement, ou ces deux commandements, surtout le second, pour contrer un judaïsme qui les aurait ignorés ? Croire cela, comme on l’entend parfois affirmer, est faire preuve d’une belle inculture biblique. Les deux commandements sont non seulement dans la Torah, mais sont considérés par le judaïsme comme le cœur de la Torah. Comme le dit Jésus : « De ces deux commandements dépendent toute la Loi et les Prophètes ». Et il n’y qu’à voir le passage parallèle en Luc, où c’est le légiste qui donne la réponse.

Utiliser Matthieu, réputé auprès des spécialistes comme le plus juif des Évangiles, pour appuyer un préjugé anti-juif, voilà qui est fort de café. Voilà en plus qui est ne rien comprendre au piège que l’on tend à Jésus dans ce texte. Le piège vient de ce qu’on le soupçonne d’être aussi inculte sur la Torah que le sont ceux qui tirent de ce texte un argument anti-juif.

« Lui tendre un piège » : quel est le piège ? La question paraît pourtant simple !... Eh bien : il vient de « fermer la bouche aux sadducéens », précise le texte, qui signale ainsi que le piège est en lien avec un soupçon pharisien de concurrence illégale. « Fermer la bouche aux sadducéens » relève, en quelque sorte, de la responsabilité des pharisiens.

Quel est donc ce paysan, qui vient de Galilée, et qui, avec son accent bizarre et campagnard, coince les sadducéens devant tout le monde, et ô comble, en employant des arguments similaires aux leurs, pharisiens. Car Jésus a employé des arguments que ne renieraient pas les pharisiens, arguments parfaitement talmudiques. Mais que sait-il du cœur de l’enseignement pharisien ? C’est sur cela que porte le piège.

Tout cela rappelle le piège que les prédicateurs officiels du Moyen Age avaient voulu tendre aux vaudois, qui se mêlaient, en toute illégalité, de prêcher l’Évangile contre l’interdiction romaine de la prédication des laïcs. Faisons donc un petit détour par les vaudois et cet épisode les concernant.

Pour l’Église romaine d’alors, ce n’est pas tant leur prédication qui gêne : bientôt François d’Assise obtiendra l’autorisation de faire la même chose qu’eux. C’est pour éviter le renouvellement continuel du problème posé par les vaudois, que, diplomate, la papauté autorisera François d’Assise à prêcher quelques années après.

Les vaudois eux n’ont pas reçu cette autorisation. Alors on cherche à les piéger, en montrant que leur formation est insuffisante. À l’un d’eux qui comparaît à Rome, un clerc romain demande successivement s’il croit en Dieu – oui ; en Jésus-Christ – oui ; en l’Esprit saint –oui. Jusque là tout va bien, et voici le piège : en la Vierge Marie ? – oui, répond naïvement le vaudois qui ne flairait pas le piège dans la question. Et tout l’aréopage des ecclésiastiques romains et savants de s’esclaffer en disant : « et ça prétend prêcher l’Évangile ! »

Où est le problème me direz-vous ? C’est que les savants théologiens savent que si l’on croit en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, on ne croit pas en la Vierge Marie, mais on croit que Marie est vierge. Nuance importante que le vaudois a négligée ce jour-là, se ridiculisant auprès des clercs.

C’est un piège similaire qui est tendu à Jésus, lui qui rabat le caquet des adversaires des pharisiens : de quel droit ?

Alors on va voir s’il est si fort que cela. « Quel est le grand commandement dans la Loi ? » Question difficile : il y en a 613 ! — selon ce nombre traditionnel dont Moïse Maïmonide fera au XIIe siècle l’exposé détaillé. Seules les écoles des pharisiens disent ce qu’il en est du plus grand des commandements.

Et, ô surprise, Jésus répond comme il faut ! Après les sadducéens, ce sont ceux des pharisiens qui doutaient de cela qui doivent se raviser.

Ce qui importe alors, le piège étant déjoué, c’est certes la vérité des paroles annoncées, que Jésus reconnaît aux pharisiens, il vient de dire la même chose qu’eux — mais surtout sa mise en pratique : là il y aurait beaucoup à dire. Quant aux pharisiens peut-être, et puisque la parole de Jésus est encore actuelle, quant à nous.

Car enfin, si l’on a compris, que l’on soit pharisien ou chrétien, que le cœur de la Loi est l’amour de Dieu qui se traduit en amour du prochain, qu’est-il besoin qu’on lui tende ces pièges, à ce prochain, notamment quand il n’a d’autre ambition que de faire ce pourquoi il a été envoyé, prêcher la vérité de Dieu ! Ce n’est pas le premier piège qui est tendu à Jésus par ses auditeurs, à Jésus et à ses successeurs, quant à leur culture.

Qu’est-il besoin, au lieu de recevoir la parole de ce Dieu que l’on proclame aimer, de ce comportement superficiel qui voudrait mesurer les envoyés de Dieu et prédicateurs de sa parole à l’aune d’on ne sait quel audimat — que l'on tente de ruiner par un piège ?! Façon de ne pas écouter la parole de Dieu. Car enfin, si, admettons, Jésus n’avait pas répondu à la mesure des justes critères pharisiens de la hiérarchie des commandements, est-ce que cela l’aurait disqualifié, aurait disqualifié la parole de Dieu qui sort de sa bouche ?

Au goût de ces pharisiens en question ici, oui certainement — comme la réponse des vaudois les disqualifiera aux yeux des clercs romains. Ce faisant c’est eux qui risquent, se privant de sa mise en pratique, de se priver ainsi de la parole de ce Dieu dont ils confessent que le plus important est de l’aimer par-dessus tout.

Mais Jésus n’est pas dupe. Sa prédication risque fort de n’être pas aimée. Pour une raison simple : de tout temps, comme il le rappellera, on a toujours encensé les faux prophètes et rejeté les vrais (Luc 6: 22, 23, 26). Les faux prophètes ne dérangent pas. Les vrais portent une parole dont le rôle est de déranger, précisément.

Pour les disqualifier, inconsciemment pour n’être pas dérangé, on leur cherche des poux dans la tête pour s’en débarrasser, ou on tente de les mettre dans sa poche pour n’en être plus dérangés. Voilà comment, sans s’en apercevoir, les interlocuteurs des Jésus se sont eux-mêmes mis en question, par la seule bonne réponse à leur question.

Aimer Dieu et le prochain, et donc s’abstenir de telles manigances. Évidemment, j’y ai déjà fait allusion, ce n’est pas le seul fait de ces pharisiens venus rencontrer Jésus ce jour-là. Et nous, est-ce que la parole de Dieu nous dérange au point que nous voulions la soumettre à l’audimat qui nous dispensera de l’entendre ?

Venons-en à présent au message de ce double commandement sur lequel tous s’accordent donc, Jésus et ses adversaires : aimer Dieu et son prochain : mais commande-t-on d’aimer ? demandera aujourd’hui la sagesse moyenne. Mais voyons, aimer ne se commande pas ! répond cette même sagesse à sa propre question. Eh bien si, dit Jésus avec la Bible et les pharisiens, cela se commande. Signalons que le mot aimer employé ici se traduirait adéquatement par chérir. Et cela se commande ! Qu’est ce qui m’est la plus cher ? Mon travail, ma voiture, mon argent, mes bijoux, mon prestige ? Que sais-je encore ?

Le commandement est alors celui d’une conversion, d’un retour, basé sur le souvenir que Dieu doit passer avant dans nos préoccupations et nos intérêts. Cela s’appelle la méditation. Comment faire pour que Dieu nous soit cher, le plus cher ? Compter ses bienfaits par exemple, et au cœur de ce décompte, découvrir que chacun de nos prochains a pour lui un prix infini.

Apprendre à découvrir le prix, la valeur infinie de Dieu qui nous accueille et la valeur infinie de chacun aux yeux de Dieu. Ce faisant, on est au cœur de la justification par la foi seule, qui seule fonde l’accomplissement de tous les commandements de Dieu, selon Luther. Je le cite dans le Traité de la Liberté du chrétien :

« […] Pour quelles raisons à bon droit on attribue à la foi un pouvoir assez grand pour qu’elle puisse satisfaire aux exigences de tous les commandements et qu’elle nous justifie sans le concours d’aucune bonne œuvre [ ? Parce] qu’elle satisfait aux exigences du premier commandement qui prescrit : « Tu honoreras un seul Dieu. » Quand vous ne seriez que bonnes œuvres des pieds à la tête, vous ne seriez quand même pas juste, vous n’honoreriez encore nullement Dieu et vous ne satisferiez pas aux exigences du tout premier d’entre les commandements. Car il n’est pas possible d’honorer Dieu sans lui reconnaître la véracité et toutes les qualités, comme il les possède d’ailleurs vraiment. C’est ce que ne fait aucune bonne œuvre, mais seule le fait la foi du cœur.
Aussi est-ce en elle seule que l’homme devient juste et satisfait aux exigences de tous les commandements. Car celui qui satisfait aux exigences du premier et du plus important d’entre les commandements satisfera sûrement et aisément aux exigences de tous les autres commandements. Les œuvres, par contre, sont choses mortes, elles ne pourraient honorer ni louer Dieu, encore qu’on puisse y recourir et en user pour l’honneur et la gloire de Dieu, mais nous cherchons ici non pas celui qui est mis en action, comme sont les œuvres, mais celui qui agit par lui-même et le maître d’œuvre qui honore Dieu et accomplit les œuvres. Ce n’est à rien autre qu’à la foi du cœur que nous devons essentiellement et entièrement d’être justes, aussi répand-on une doctrine dangereuse et absurde quand on enseigne que c’est par les œuvres qu’il faut accomplir les commandements, alors qu’avant de pratiquer les œuvres, il faut satisfaire par la foi à ces exigences et les œuvres viendront après l’accomplissement des commandements. »

R.P.
Vence, 23.10.11


Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire