Deutéronome 30, 10-14 ; Psaume 19, 8-12 ; Colossiens 1, 15-20 ; Luc 10, 25-37
Luc 10, 25-37
« Le bon samaritain » ou l’enseignement de la reconnaissance. L’histoire se termine par cette parole : « Toi, fais de même » — un appel à la reconnaissance en actes, à la gratitude.
« Qui est mon prochain ? » a demandé le légiste. On croyait recevoir une définition du prochain qui corresponde à une catégorie, du genre : c’est celui qui est proche de moi par l’ethnie, la nation, la foi partagée. Ou alors, le prochain apparaît comme celui qui s’impose à moi par ses besoins. Ainsi, presque jusqu’à la fin de cette histoire racontée par Jésus, on peut penser que le prochain est le blessé au bord de la route, celui, donc, qui a des besoins, celui qui a besoin de mon secours, celui dont la situation, qui pourrait être la mienne, remue mes entrailles, émeut ma compassion, comme elle émeut celle du Samaritain de l’histoire (ce qui certes est très bon).
Mais voilà qu’à la fin, on découvre que c’est l’inverse : le prochain n’est pas celui que l’on catégorise comme tel, ni celui qui serait reconnaissable par ses besoins, serait-ce par ce que ses besoins remuent mes entrailles…
Jésus ne conclut pas son histoire en disant : « le prochain est le blessé, le Samaritain a su s’en rendre compte » — a fortiori ne dit-il pas que c’est celui qui partage ma foi ; Jésus termine par une question : « lequel des trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme ? » La réponse est évidente, c’est celle que donne le légiste : « c’est celui qui a fait preuve de bonté envers lui ». Ce n’est donc pas le blessé, mais celui qui s’en est occupé, le Samaritain. Jésus a inversé la problématique : « lequel s’est montré le prochain ? »
Et Jésus de conclure : « Va et, toi aussi, fais de même. » Cette apparente absence de réponse (puisqu’on n’a toujours pas de définition du prochain !) — nous dit quelque chose d’autre ; nous oriente vers une autre direction. Qui est mon prochain ? C’est celui à qui je dois. Le Samaritain s’est montré le prochain du blessé, en se mettant en situation telle que le blessé lui doit — de la gratitude. Le prochain est celui qui se met en situation telle qu’on lui doive de la reconnaissance. Le blessé ne lui devra rien, au sens comptabilité (le Samaritain ne lui présente pas la facture de l’hôtelier), mais il lui doit tout, au sens de l’état d’esprit.
Savoir à qui l’on doit, et manifester sa gratitude en faisant de même, en se donnant donc des débiteurs (à qui remettre leur dette, comme nous le prions dans le Notre Père), voilà le nœud où se découvre le prochain, que l’on ne peut toujours pas catégoriser.
La problématique apparente est bien inversée : de qui dois-je faire à mon tour un débiteur, celui qui me doit de la reconnaissance (« fais de même ») ? De la gratitude.
Gratitude fondée sur le double commandement que vient de rappeler le légiste et que commente ici Jésus. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée » (Deut 6.5) « et ton prochain comme toi-même » (Lv 19.18). Ce n’est pas Jésus qui vient de donner le cœur de la Loi biblique, c’est le légiste. L’amour de Dieu à qui l’on doit tout trouve l’expression de la gratitude qu’il induit dans ce « fais de même. »
Voilà donc un texte, l’histoire du Samaritain et du blessé au bord de la route, étonnant, derrière ses aspects naïfs. Un texte qui commente le cœur de la Loi, mettant en vraie complicité Jésus et le légiste, qui au départ voulait savoir ce que Jésus avait dans le ventre.
Les deux, Jésus et le légiste, sont d’accord, ne nous y trompons pas. Au cœur de leur accord, en premier lieu le sens de la Loi. Et en second lieu le fait qu’elle ne donne pas de recette.
C’est ce qui ressort de la deuxième question du légiste, en écho à sa première sur la vie éternelle, façon de dire à Jésus : si nous sommes d’accord sur le cœur de la Loi, cela n’a pas répondu tout à fait concrètement à ma question sur la vie éternelle, question qui donc en a appelé une autre : qui est mon prochain ? En d’autres termes : comment est-ce que le double commandement qui résume la Loi biblique, ouvre concrètement sur la vie éternelle. La réponse sera : la grâce, dont l’expression est la gratitude.
Il faut se débarrasser de l’habitude de faire d’un tel texte une lecture qui invaliderait le judaïsme. Pour Jésus, le prêtre et le lévite présentés ici ne sont pas des représentants du judaïsme, mais de ce que précisément il n’est pas — un système à recette, où l’on saurait bien qui est le prochain : d’où, à provocation du légiste le mettant à l’épreuve (v. 25), provocation et demi de Jésus qui met en avant un Samaritain, censé être mal vu.
Le légiste a montré par sa question qu’il est au fond d’accord avec Jésus. Et a contrario, apparaît ce que Dieu attend de quiconque se réclame de lui, à l’égard de quiconque.
Jésus rappelle le destin et la vocation d’Israël, et de l’Église qui en hérite : donner ce que Dieu lui donne, en signe de gratitude. Une lecture d’un tel texte selon laquelle Jésus ferait une leçon de charité plus ou moins hautaine à un peuple légaliste — et à nous par ricochet —, revient tout bonnement à en ruiner le sens.
Gratitude, reconnaissance, envers Dieu, et envers ceux par qui il dispense ses bienfaits : compte les bienfaits de Dieu et ceux par qui il te les dispense…, si tu le peux.
Telle est la réponse à la question du scribe : qui est mon prochain ?… Trouver son prochain ?… C’est se montrer le prochain d’autrui en se constituant des débiteurs, comme a fait le Samaritain. Et leur remettre leurs dettes.
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. » Et qui est mon prochain ? Celui à qui je dois ! Alors à ton tour, accumule les débiteurs à ton égard sans croire pour autant que l’on te doit quoi que ce soit. « Fais de même » que le Samaritain, dit Jésus au légiste : mets-toi en situation telle que l’on te doive, enrichis le monde, en devenant par là-même plus riche.
Luc 10, 25-37
25 Et voici qu’un légiste se leva et lui dit, pour le mettre à l’épreuve : "Maître, que dois-je faire pour recevoir en partage la vie éternelle ?"
26 Jésus lui dit : "Dans la Loi qu’est-il écrit ? Comment lis-tu ?"
27 Il lui répondit : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même."
28 Jésus lui dit : "Tu as bien répondu. Fais cela et tu auras la vie."
29 Mais lui, voulant montrer sa justice, dit à Jésus : "Et qui est mon prochain ?"
30 Jésus reprit : "Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l’ayant dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort.
31 Il se trouva qu’un prêtre descendait par ce chemin ; il vit l’homme et passa à bonne distance.
32 Un lévite de même arriva en ce lieu ; il vit l’homme et passa à bonne distance.
33 Mais un Samaritain qui était en voyage arriva près de l’homme : il le vit et fut pris de pitié.
34 Il s’approcha, banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin, le chargea sur sa propre monture, le conduisit à une auberge et prit soin de lui.
35 Le lendemain, tirant deux pièces d’argent, il les donna à l’aubergiste et lui dit : Prends soin de lui, et si tu dépenses quelque chose de plus, c’est moi qui te le rembourserai quand je repasserai.
36 Lequel des trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme qui était tombé sur les bandits ?"
37 Le légiste répondit : "C’est celui qui a fait preuve de bonté envers lui." Jésus lui dit : "Va et, toi aussi, fais de même."
*
« Le bon samaritain » ou l’enseignement de la reconnaissance. L’histoire se termine par cette parole : « Toi, fais de même » — un appel à la reconnaissance en actes, à la gratitude.
« Qui est mon prochain ? » a demandé le légiste. On croyait recevoir une définition du prochain qui corresponde à une catégorie, du genre : c’est celui qui est proche de moi par l’ethnie, la nation, la foi partagée. Ou alors, le prochain apparaît comme celui qui s’impose à moi par ses besoins. Ainsi, presque jusqu’à la fin de cette histoire racontée par Jésus, on peut penser que le prochain est le blessé au bord de la route, celui, donc, qui a des besoins, celui qui a besoin de mon secours, celui dont la situation, qui pourrait être la mienne, remue mes entrailles, émeut ma compassion, comme elle émeut celle du Samaritain de l’histoire (ce qui certes est très bon).
Mais voilà qu’à la fin, on découvre que c’est l’inverse : le prochain n’est pas celui que l’on catégorise comme tel, ni celui qui serait reconnaissable par ses besoins, serait-ce par ce que ses besoins remuent mes entrailles…
Jésus ne conclut pas son histoire en disant : « le prochain est le blessé, le Samaritain a su s’en rendre compte » — a fortiori ne dit-il pas que c’est celui qui partage ma foi ; Jésus termine par une question : « lequel des trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme ? » La réponse est évidente, c’est celle que donne le légiste : « c’est celui qui a fait preuve de bonté envers lui ». Ce n’est donc pas le blessé, mais celui qui s’en est occupé, le Samaritain. Jésus a inversé la problématique : « lequel s’est montré le prochain ? »
Et Jésus de conclure : « Va et, toi aussi, fais de même. » Cette apparente absence de réponse (puisqu’on n’a toujours pas de définition du prochain !) — nous dit quelque chose d’autre ; nous oriente vers une autre direction. Qui est mon prochain ? C’est celui à qui je dois. Le Samaritain s’est montré le prochain du blessé, en se mettant en situation telle que le blessé lui doit — de la gratitude. Le prochain est celui qui se met en situation telle qu’on lui doive de la reconnaissance. Le blessé ne lui devra rien, au sens comptabilité (le Samaritain ne lui présente pas la facture de l’hôtelier), mais il lui doit tout, au sens de l’état d’esprit.
Savoir à qui l’on doit, et manifester sa gratitude en faisant de même, en se donnant donc des débiteurs (à qui remettre leur dette, comme nous le prions dans le Notre Père), voilà le nœud où se découvre le prochain, que l’on ne peut toujours pas catégoriser.
La problématique apparente est bien inversée : de qui dois-je faire à mon tour un débiteur, celui qui me doit de la reconnaissance (« fais de même ») ? De la gratitude.
Gratitude fondée sur le double commandement que vient de rappeler le légiste et que commente ici Jésus. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée » (Deut 6.5) « et ton prochain comme toi-même » (Lv 19.18). Ce n’est pas Jésus qui vient de donner le cœur de la Loi biblique, c’est le légiste. L’amour de Dieu à qui l’on doit tout trouve l’expression de la gratitude qu’il induit dans ce « fais de même. »
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Voilà donc un texte, l’histoire du Samaritain et du blessé au bord de la route, étonnant, derrière ses aspects naïfs. Un texte qui commente le cœur de la Loi, mettant en vraie complicité Jésus et le légiste, qui au départ voulait savoir ce que Jésus avait dans le ventre.
Les deux, Jésus et le légiste, sont d’accord, ne nous y trompons pas. Au cœur de leur accord, en premier lieu le sens de la Loi. Et en second lieu le fait qu’elle ne donne pas de recette.
C’est ce qui ressort de la deuxième question du légiste, en écho à sa première sur la vie éternelle, façon de dire à Jésus : si nous sommes d’accord sur le cœur de la Loi, cela n’a pas répondu tout à fait concrètement à ma question sur la vie éternelle, question qui donc en a appelé une autre : qui est mon prochain ? En d’autres termes : comment est-ce que le double commandement qui résume la Loi biblique, ouvre concrètement sur la vie éternelle. La réponse sera : la grâce, dont l’expression est la gratitude.
Il faut se débarrasser de l’habitude de faire d’un tel texte une lecture qui invaliderait le judaïsme. Pour Jésus, le prêtre et le lévite présentés ici ne sont pas des représentants du judaïsme, mais de ce que précisément il n’est pas — un système à recette, où l’on saurait bien qui est le prochain : d’où, à provocation du légiste le mettant à l’épreuve (v. 25), provocation et demi de Jésus qui met en avant un Samaritain, censé être mal vu.
Le légiste a montré par sa question qu’il est au fond d’accord avec Jésus. Et a contrario, apparaît ce que Dieu attend de quiconque se réclame de lui, à l’égard de quiconque.
Jésus rappelle le destin et la vocation d’Israël, et de l’Église qui en hérite : donner ce que Dieu lui donne, en signe de gratitude. Une lecture d’un tel texte selon laquelle Jésus ferait une leçon de charité plus ou moins hautaine à un peuple légaliste — et à nous par ricochet —, revient tout bonnement à en ruiner le sens.
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Gratitude, reconnaissance, envers Dieu, et envers ceux par qui il dispense ses bienfaits : compte les bienfaits de Dieu et ceux par qui il te les dispense…, si tu le peux.
Telle est la réponse à la question du scribe : qui est mon prochain ?… Trouver son prochain ?… C’est se montrer le prochain d’autrui en se constituant des débiteurs, comme a fait le Samaritain. Et leur remettre leurs dettes.
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. » Et qui est mon prochain ? Celui à qui je dois ! Alors à ton tour, accumule les débiteurs à ton égard sans croire pour autant que l’on te doit quoi que ce soit. « Fais de même » que le Samaritain, dit Jésus au légiste : mets-toi en situation telle que l’on te doive, enrichis le monde, en devenant par là-même plus riche.
RP,
Poitiers, 14.07.13
Poitiers, 14.07.13
Salut Roland
RépondreSupprimerBien intéressant. Et merci pour ce blog, beau et bon.
Peut-être ici, aurais-je une nuance à proposer. Tu dis "Le prochain est celui qui se met en situation telle qu’on lui doive de la reconnaissance." Je ne suis pas certain que ce soit bon de mettre ainsi l'autre sous le poids d'une dette de reconnaissance, d'ailleurs, il disparait en vitesse, comme pour ne pas faire peser sur l'homme secouru le devoir de dire merci. Je ne pense pas que Jésus propose de se constituer débiteurs les uns des autres, au contraire, c'est de nous libérer de la logique de la dette. Mon prochain est celui qui a eu un geste de gratuité envers moi. Et la gratitude n'est bonne que si elle est pure grâce. C'est alors que l'acte bon est inspirant, créateur. Non ?
Amitiés fraternelles
Marc Pernot
Bonjour Marc,
RépondreSupprimerEt merci pour la nuance que tu introduis, à laquelle je souscris pleinement, "gratitude", reconnaissance" connotant bien sûr "gratuité". C'est en regard du "fais de même" que j'ai parlé de "se faire des débiteurs", non sans avoir précisé quant à son bienfaiteur que "le blessé ne lui devra rien".
C'est, à mon sens, précisément parce qu'il ne nous est rien demandé que nous sommes invités à la gratitude, une "dette" de gratuité !
Mais j'admets volontiers à ta remarque que le mot "débiteur" ait pu prêter à l'interprétation malheureuse contre laquelle tu mets en garde, de l'ordre de la logique du poids de la dette !
Merci fraternel,
Roland
PS en forme de précision : "Débiteur" ici est à rapprocher de la parabole de "l'intendant infidèle", induisant la question : jusqu’à quel point un acte "gratuit" est-il gratuit ?
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