Ésaïe 66, 10-14 ; Psaume 66 ; Galates 6, 14-18; Luc 10, 1-20
Luc 10, 1-20
« Je voyais Satan tomber du ciel comme l'éclair ».
Qu’est ce que ce propos ? Le satan serait au ciel jusque là ? Ou bien à l’inverse, s’il y était, n’y serait-il plus depuis la mission des soixante-douze ? Deux idées bizarres… Le satan au ciel ? Bizarre, mais après tout, n’est-ce pas ce que nous dit le Livre de Job parlant de ce satan céleste qui se présente devant Dieu ? On l’y voit dans un rôle de procureur d’une cour de justice où trône Dieu. Le satan y a la fonction « d'accusation » auprès de Dieu, qui est celle du diable dans le Nouveau Testament. Et cela avec toutes les conséquences que cela entraîne : le mal, la culpabilité, une douleur morale récurrente rappelant sans cesse le péché réel ou imaginaire, etc. Bref : Job…
Bon, mais s’il apparaît au ciel de cette façon là, comme accusateur devant Dieu, il n’y serait plus depuis la mission des soixante-douze ? En fait, on le comprend, « l’accusation » des consciences, cette tentation du trouble et du remords (qui n’est pas le repentir !) est toujours actuelle : réalité pénible et permanente...
Alors en quel sens la mission, puisque c’est de cela qu’il s’agit, la prédication missionnaire, a-t-elle fait voir à Jésus le « satan tomber du ciel comme l’éclair » ?
En d’autres termes, quel est, en fait, l’effet de la mission ? Tout d’abord, avant d’aller plus loin, ne négligeons pas la nécessité de l’humilité, rappelée dans la mise en garde de Jésus devant la joie des disciples : attention au glissement vers un désir classique de pouvoir ! — « ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis ».
Il existe une légende, concernant le roi d’Israël Salomon. Selon cette légende, il aurait été donné à ce roi, le plus grand et le plus sage, que les démons lui soient soumis. Légende qui fait référence à sa sagesse, qui commence par la crainte de Dieu. Car n’oublions pas que le mot « démons » ne fait rien d’autre que désigner les divinités inexistantes face au Dieu d’Abraham.
Et voilà à présent que les disciples annoncent plus grand que Salomon, et que les esprits leur sont soumis. Extraordinaire ! — Eh bien, « ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis » ! Là n’est pas le vrai sujet de réjouissance. Humilité. Ce qui nous place aussi, autre mise en garde, face à un aspect tragique de la mission. Chorazin, Bethsaïda et Capharnaüm — pire que Tyr et Sidon, qui ont été ravagées :
Écoutons, sur Tyr et Sidon, la complainte d’Ézéchiel (ch. 28, v. 12-23) :
« Et toi, Capharnaüm, seras-tu élevée jusqu’au ciel ? Tu descendras jusqu’au séjour des morts » comme Tyr et Sidon, pour n’avoir pas entendu — comme elles — la parole de ta délivrance… « Je voyais Satan tomber du ciel comme l'éclair » : voilà le mal vaincu ! Voilà aussi ce qu’évoque le rappel de Tyr et Sidon — avec la menace sur Chorazin, Bethsaïda, et Caphanaüm d’accompagner cette chute. On pense alors aux conquistadors et autres façons de « missionnaires », qui comme les disciples, juste avant cet épisode, sont rabroués par Jésus après avoir parlé de faire tomber le feu du ciel sur les récalcitrants !
À moins que la parole annoncée ne soit entendue (déjà par les envoyés eux-mêmes), et le mal vaincu : c’est l’autre aspect de la dégringolade du satan. Le mal vaincu : c’est l’effet central de la mission ; là est toute l’importance de la mission. Cela a une valeur universelle : rappelons-nous qu’il y a 72 envoyés (ou 70 parfois), chiffres qui symbolisent toutes les nations ; ce qui induit dimension universelle, au-delà des villes du pays visitées alors.
Et si le satan n’est pas vaincu, si le mal n’est pas vaincu, la mission, notre mission risque toujours de devenir ce tragique et sanglant esprit de conquête usant du feu du ciel…
Le mal vaincu via la déchéance du satan. Une illustration de cela est fournie par Luther ; à travers l’image populaire des pactes avec le diable. La tradition en a été recueillie dans le mythe de Faust. L’idée que dans le malheur de sa condition, on pouvait vendre son âme au diable, chose parfois illustrée par un pacte signé de son sang. Cette transaction avait pour propos l’espérance de voir soulager sa misère en ce temps, en échange de l’éternité. On reconnaît le mythe de Faust et Méphistophélès popularisé par le poète Goethe.
Ce genre de légendes circulait déjà à l’époque de Luther.
Et voilà qu’une dame confie son désespoir au réformateur quant à son propre salut : — « mon bon Monsieur Luther, il n’y aucun espoir pour moi quant à votre Évangile : j’ai vendu mon âme au diable. »
Savez-vous ce que lui a répondu Luther ? — « Madame, que diriez-vous si votre voisin vendait votre maison, avec un contrat en bonne et due forme, à l’un de ses parents. » — « Mais ce contrat n’aurait aucune valeur, ma maison ne lui appartient pas ! » — « Eh bien, Madame, votre contrat avec le diable, fût-il signé de votre sang, n’a aucune valeur : votre âme ne vous appartient pas. Vous avez vendu, ou cru pouvoir vendre, la propriété d’un autre, Jésus-Christ. Et non content que votre âme appartienne à Jésus-Christ de toute façon, il l’a, pour que les choses soient bien claires, rachetée par-dessus le marché. »
« Réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux » dit Jésus : c’est cela la vraie victoire sur le mal, malgré ses ravages qui se poursuivent. Et la mission pour laquelle Jésus nous envoie à notre tour, c’est de vivre, et dire cela, partout dans le monde.
Là est l’éviction du satan céleste. Et l’Évangile, bonne nouvelle : être nommé devant Dieu, être connu de lui autrement que comme accusé. Être reconnu dans sa vérité intime qui échappe à tous les regards, et surtout à la malveillance. À ce point passent au second plan même les triomphes passagers sur la calomnie, la soumission des mauvais esprits. La vérité de nos êtres, plus essentielle que les accablements, est ancrée dans l’éternité.
Luc 10, 1-20
1 Après cela, le Seigneur désigna soixante-douze autres disciples et les envoya deux par deux devant lui dans toute ville et localité où il devait aller lui-même.
2 Il leur dit : "La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson.
3 Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups.
4 N’emportez pas de bourse, pas de sac, pas de sandales, et n’échangez de salutations avec personne en chemin.
5 "Dans quelque maison que vous entriez, dites d’abord : Paix à cette maison.
6 Et s’il s’y trouve un homme de paix, votre paix ira reposer sur lui; sinon, elle reviendra sur vous.
7 Demeurez dans cette maison, mangeant et buvant ce qu’on vous donnera, car le travailleur mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison.
8 "Dans quelque ville que vous entriez et où l’on vous accueillera, mangez ce qu’on vous offrira.
9 Guérissez les malades qui s’y trouveront, et dites-leur : Le Règne de Dieu est arrivé jusqu’à vous.
10 Mais dans quelque ville que vous entriez et où l’on ne vous accueillera pas, sortez sur les places et dites :
11 Même la poussière de votre ville qui s’est collée à nos pieds, nous l’essuyons pour vous la rendre. Pourtant, sachez-le : le Règne de Dieu est arrivé.
12 "Je vous le déclare : Ce jour-là, Sodome sera traitée avec moins de rigueur que cette ville-là.
13 Malheureuse es-tu, Chorazin ! Malheureuse es-tu, Bethsaïda ! car si les miracles qui ont eu lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, il y a longtemps qu’elles se seraient converties, vêtues de sacs et assises dans la cendre.
14 Oui, lors du jugement, Tyr et Sidon seront traitées avec moins de rigueur que vous.
15 Et toi, Capharnaüm, seras-tu élevée jusqu’au ciel ? Tu descendras jusqu’au séjour des morts.
16 "Qui vous écoute m’écoute, et qui vous repousse me repousse; mais qui me repousse repousse celui qui m’a envoyé."
17 Les soixante-douze disciples revinrent dans la joie, disant : "Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom."
18 Jésus leur dit : "Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair.
19 Voici, je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds serpents et scorpions, et toute la puissance de l’ennemi, et rien ne pourra vous nuire.
20 Pourtant ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux."
*
« Je voyais Satan tomber du ciel comme l'éclair ».
Qu’est ce que ce propos ? Le satan serait au ciel jusque là ? Ou bien à l’inverse, s’il y était, n’y serait-il plus depuis la mission des soixante-douze ? Deux idées bizarres… Le satan au ciel ? Bizarre, mais après tout, n’est-ce pas ce que nous dit le Livre de Job parlant de ce satan céleste qui se présente devant Dieu ? On l’y voit dans un rôle de procureur d’une cour de justice où trône Dieu. Le satan y a la fonction « d'accusation » auprès de Dieu, qui est celle du diable dans le Nouveau Testament. Et cela avec toutes les conséquences que cela entraîne : le mal, la culpabilité, une douleur morale récurrente rappelant sans cesse le péché réel ou imaginaire, etc. Bref : Job…
Bon, mais s’il apparaît au ciel de cette façon là, comme accusateur devant Dieu, il n’y serait plus depuis la mission des soixante-douze ? En fait, on le comprend, « l’accusation » des consciences, cette tentation du trouble et du remords (qui n’est pas le repentir !) est toujours actuelle : réalité pénible et permanente...
Alors en quel sens la mission, puisque c’est de cela qu’il s’agit, la prédication missionnaire, a-t-elle fait voir à Jésus le « satan tomber du ciel comme l’éclair » ?
*
En d’autres termes, quel est, en fait, l’effet de la mission ? Tout d’abord, avant d’aller plus loin, ne négligeons pas la nécessité de l’humilité, rappelée dans la mise en garde de Jésus devant la joie des disciples : attention au glissement vers un désir classique de pouvoir ! — « ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis ».
Il existe une légende, concernant le roi d’Israël Salomon. Selon cette légende, il aurait été donné à ce roi, le plus grand et le plus sage, que les démons lui soient soumis. Légende qui fait référence à sa sagesse, qui commence par la crainte de Dieu. Car n’oublions pas que le mot « démons » ne fait rien d’autre que désigner les divinités inexistantes face au Dieu d’Abraham.
Et voilà à présent que les disciples annoncent plus grand que Salomon, et que les esprits leur sont soumis. Extraordinaire ! — Eh bien, « ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis » ! Là n’est pas le vrai sujet de réjouissance. Humilité. Ce qui nous place aussi, autre mise en garde, face à un aspect tragique de la mission. Chorazin, Bethsaïda et Capharnaüm — pire que Tyr et Sidon, qui ont été ravagées :
Écoutons, sur Tyr et Sidon, la complainte d’Ézéchiel (ch. 28, v. 12-23) :
12 "Fils d’homme, entonne une complainte sur le roi de Tyr. Tu lui diras : Ainsi parle le Seigneur DIEU : Toi qui scelles la perfection, toi qui es plein de sagesse, parfait en beauté,
13 tu étais en Eden, dans le jardin de Dieu, entouré de murs en pierres précieuses : sardoine, topaze et jaspe, chrysolithe, béryl et onyx, lazulite, escarboucle et émeraude ; et l’or dont sont ouvragés les tambourins et les flûtes, fut préparé le jour de ta création.
14 Toi, le chérubin étincelant, le protecteur, je t’avais établi ; tu étais sur la montagne sainte de Dieu, tu allais et venais au milieu des charbons ardents.
15 Ta conduite fut parfaite depuis le jour de ta création, jusqu’à ce qu’on découvre en toi la perversité :
16 par l’ampleur de ton commerce, tu t’es rempli de violence et tu as péché. Aussi, je te mets au rang de profane loin de la montagne de Dieu ; toi, le chérubin protecteur, je vais t’expulser du milieu des charbons ardents.
17 Tu t’es enorgueilli de ta beauté, tu as laissé ta splendeur corrompre ta sagesse. Je te précipite à terre, je te donne en spectacle aux rois.
18 Par le nombre de tes péchés, par ton commerce criminel, tu as profané ton sanctuaire. Aussi je fais sortir un feu du milieu de toi, il te dévorera, je te réduirai en cendre sur la terre, sous les yeux de tous ceux qui te regardent.
19 Tous ceux d’entre les peuples qui te connaissent seront dans la stupeur à cause de toi ; tu deviendras un objet d’épouvante. Pour toujours tu ne seras plus !"
20 Il y eut une parole du SEIGNEUR pour moi :
21 "Fils d’homme, dirige ton regard vers Sidon, et prononce un oracle contre elle.
22 Tu diras : Ainsi parle le Seigneur DIEU : Je viens contre toi, Sidon, je serai glorifié au milieu de toi, alors on connaîtra que je suis le SEIGNEUR à cause des jugements que j’exécuterai contre elle ; alors, je manifesterai en elle ma sainteté.
23 J’y enverrai la peste, il y aura du sang dans ses rues, les morts tomberont au milieu d’elle à cause de l’épée dressée contre elle de toutes parts. Alors, on connaîtra que je suis le SEIGNEUR.
*
« Et toi, Capharnaüm, seras-tu élevée jusqu’au ciel ? Tu descendras jusqu’au séjour des morts » comme Tyr et Sidon, pour n’avoir pas entendu — comme elles — la parole de ta délivrance… « Je voyais Satan tomber du ciel comme l'éclair » : voilà le mal vaincu ! Voilà aussi ce qu’évoque le rappel de Tyr et Sidon — avec la menace sur Chorazin, Bethsaïda, et Caphanaüm d’accompagner cette chute. On pense alors aux conquistadors et autres façons de « missionnaires », qui comme les disciples, juste avant cet épisode, sont rabroués par Jésus après avoir parlé de faire tomber le feu du ciel sur les récalcitrants !
À moins que la parole annoncée ne soit entendue (déjà par les envoyés eux-mêmes), et le mal vaincu : c’est l’autre aspect de la dégringolade du satan. Le mal vaincu : c’est l’effet central de la mission ; là est toute l’importance de la mission. Cela a une valeur universelle : rappelons-nous qu’il y a 72 envoyés (ou 70 parfois), chiffres qui symbolisent toutes les nations ; ce qui induit dimension universelle, au-delà des villes du pays visitées alors.
Et si le satan n’est pas vaincu, si le mal n’est pas vaincu, la mission, notre mission risque toujours de devenir ce tragique et sanglant esprit de conquête usant du feu du ciel…
*
Le mal vaincu via la déchéance du satan. Une illustration de cela est fournie par Luther ; à travers l’image populaire des pactes avec le diable. La tradition en a été recueillie dans le mythe de Faust. L’idée que dans le malheur de sa condition, on pouvait vendre son âme au diable, chose parfois illustrée par un pacte signé de son sang. Cette transaction avait pour propos l’espérance de voir soulager sa misère en ce temps, en échange de l’éternité. On reconnaît le mythe de Faust et Méphistophélès popularisé par le poète Goethe.
Ce genre de légendes circulait déjà à l’époque de Luther.
Et voilà qu’une dame confie son désespoir au réformateur quant à son propre salut : — « mon bon Monsieur Luther, il n’y aucun espoir pour moi quant à votre Évangile : j’ai vendu mon âme au diable. »
Savez-vous ce que lui a répondu Luther ? — « Madame, que diriez-vous si votre voisin vendait votre maison, avec un contrat en bonne et due forme, à l’un de ses parents. » — « Mais ce contrat n’aurait aucune valeur, ma maison ne lui appartient pas ! » — « Eh bien, Madame, votre contrat avec le diable, fût-il signé de votre sang, n’a aucune valeur : votre âme ne vous appartient pas. Vous avez vendu, ou cru pouvoir vendre, la propriété d’un autre, Jésus-Christ. Et non content que votre âme appartienne à Jésus-Christ de toute façon, il l’a, pour que les choses soient bien claires, rachetée par-dessus le marché. »
« Réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux » dit Jésus : c’est cela la vraie victoire sur le mal, malgré ses ravages qui se poursuivent. Et la mission pour laquelle Jésus nous envoie à notre tour, c’est de vivre, et dire cela, partout dans le monde.
Là est l’éviction du satan céleste. Et l’Évangile, bonne nouvelle : être nommé devant Dieu, être connu de lui autrement que comme accusé. Être reconnu dans sa vérité intime qui échappe à tous les regards, et surtout à la malveillance. À ce point passent au second plan même les triomphes passagers sur la calomnie, la soumission des mauvais esprits. La vérité de nos êtres, plus essentielle que les accablements, est ancrée dans l’éternité.
R.P.,
Poitiers, 07.07.13
Poitiers, 07.07.13
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