dimanche 13 décembre 2015

Des Mages à Bethléem




Textes du jour : Sophonie 3, 14-18 ; Esaïe 12 ; Philippiens 4, 4-7 ; Luc 3, 10-18

Du mont Sinaï à la terre entière : suite du trajet de notre paroisse pour l'Avent 2015... Etant partis du Sinaï et du don de la Loi, nous rejoignons à présent les Mages venus à Bethléem, témoins de la signification universelle de l'Alliance. Quand Jean (Luc 3, 10-18 / Mt 3, 1 sq.) appelle à l'accomplissement de la prophétie d'Esaïe (ch. 40 sq.) par la mise en pratique de la justice qu'annonce le prophète, c'est à un texte annonçant l’élargissement de l'Alliance qu'il se réfère, un texte où la tradition a appris à lire l'importance du roi perse Cyrus (Esaïe 42), roi de la dynastie zoroastrienne des Achémédides dont les prêtres sont... les Mages, ancêtres de ceux de Matthieu 2, référant pour sa part à la Bible grecque des LXX pour lire (citant Esaïe 7) l'annonce de l'enfantement d'une vierge - cette même Bible des LXX qui se termine par la version grecque du livre de Daniel (14, 41) qui cite Cyrus disant : "Tu es grand, Dieu de Daniel ! et il n'y a pas d'autre Dieu que toi"... Quelques siècles après, Matthieu nous présente des Mages, à nouveau, prêtres de la religion perse, inscrits, dans la ligne de la proclamation de Cyrus, dans la proximité des traditions juive et perse...

*

Matthieu 2, 1-12
1 Jésus étant né à Bethléhem en Judée, au temps du roi Hérode, voici des Mages d’Orient arrivèrent à Jérusalem,
2 et dirent : Où est le roi des Judéens qui vient de naître ? car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus pour l’adorer.
3 Le roi Hérode, ayant appris cela, fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4 Il assembla tous les principaux sacrificateurs et les scribes du peuple, et il s’informa auprès d’eux où devait naître le Christ.
5 Ils lui dirent : A Bethléhem en Judée ; car voici ce qui a été écrit par le prophète:
6 Et toi, Bethléhem, terre de Juda, Tu n’es certes pas la moindre entre les principales villes de Juda, Car de toi sortira un chef Qui paîtra Israël, mon peuple.
7 Alors Hérode fit appeler en secret les Mages, et s’enquit soigneusement auprès d’eux depuis combien de temps l’étoile brillait.
8 Puis il les envoya à Bethléhem, en disant : Allez, et prenez des informations exactes sur le petit enfant ; quand vous l’aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j’aille aussi moi-même l’adorer.
9 Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici, l’étoile qu’ils avaient vue en Orient marchait devant eux jusqu’à ce qu’étant arrivée au-dessus du lieu où était le petit enfant, elle s’arrêta.
10 Quand ils aperçurent l’étoile, ils furent saisis d’une très grande joie.
11 Ils entrèrent dans la maison, virent le petit enfant avec Marie, sa mère, se prosternèrent et l’adorèrent ; ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

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« Les Mages se mirent en route ; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant. » (Matthieu 2, 9)

Une prophétie de l'Avesta, le livre saint des Mages, prêtres de Ahura Mazda – selon le nom du Dieu unique dans la religion du prophète Zoroastre, en Perse d'où viennent les Mages – ; je cite : « À la fin des siècles, Ahura Mazda [Dieu] engagera une lutte décisive contre Ahriman [Le Mal] et l'emportera grâce à l'archange Sraoscha (l'obéissant), vainqueur du démon Ashéma. Une Vierge concevra alors un Messie, le Victorieux, le second Zoroastre qui fera ressusciter les morts ». En regard de cette prophétie, les Mages d'Iran oriental se recueillaient trois jours par an sur une montagne y guettant « l'étoile du grand roi », devant initier la nouvelle ère.

Matthieu fait bien référence à cette prophétie ! Ses mots l'indiquent : l'étoile « vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant ».

Comme on voit les Mages se rendant selon Matthieu au palais d'Hérode, on peut imaginer entre temps des Mages s'attendant d'abord à une naissance au palais royal de la Perse et ne trouvant rien de ce côté : pas d'héritier royal né en ce temps-là... Puis réfléchissant à leur conviction que le Sauveur, le « Saoshyant », le second Zoroastre, sera roi de tout l’univers, pas seulement de la Perse étant celui qui inaugurera l'ère de la résurrection, on peut élargir les investigations. Or, depuis plusieurs siècles, leurs pères et eux partagent leurs connaissances avec un autre peuple, les juifs, qui comme eux attendent un futur Messie – ils vont donc chez Hérode...

Il s'agit bien dans Matthieu d'un tournant qui a lieu dans les repères des Mages : ce qu'ils reçoivent comme le signe du passage à la nouvelle ère prend fin à ce moment là : l'ère nouvelle, celle de la résurrection, commence et celui qui l'introduit se trouve ici : Jésus. L'astre les a conduits en Judée, à Jérusalem, chez le roi, Hérode, la prophétie biblique les mène à Bethléem. Et quand ils y sont, le phénomène qui les a menés en Judée pour y percevoir la nouvelle ère « s'arrête ».

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Tout le récit s’explique alors. On comprend en passant qu'il ne s'agit pas de l'astrologie des horoscopes modernes. L'organisation du calendrier, le repère des ères, en regard des prophéties de l'Avesta, est d'un autre ordre : on ne décèle pas un destin fixé des individus en fonction de leurs « signes ». On est dans l’ordre du calendrier – cycles très courts : les jours solaires, cycles courts : semaines et nouvelles lunes, grandes ères : la lecture par les Mages du calendrier des constellations les induit à fixer aussi ces grands cycles. Le tout est, en regard de l'astrophysique, aussi arbitraire que la fixation des semaines à sept jours. On est dans le symbolique... Comme le nombre de trois Mages, absent chez Matthieu, viendra ensuite symboliser les « trois continents » d'alors, correspondant aux trois cadeaux de l'évangile... Les Mages de Matthieu eux, cherchent selon leur rite et ses recoupements dans l’influence réciproque avec les juifs, le signe de l'ère nouvelle dans un roi des Judéens.

Le message de Dieu a rompu les frontières : c'est ce qui est au cœur de ce récit : Dieu est manifesté au monde. D'une façon surprenante. Car voilà que face à la recherche de la sagesse, Dieu a opposé la folie de sa présence dans un enfant pauvre ; la foi miraculeuse à la faiblesse d’un enfant. À ce point, c’est à nous d’emboîter le pas des Mages et de leur histoire étrange. Voilà des Mages arrivés dans la ville royale, Jérusalem, s’attendant au palais d’Hérode — et qui se retrouvent dans un village pauvre. Les voilà qui, loin des honneurs royaux, repartent par un autre chemin.

Nous n’avons pas eu les mêmes routes que les Mages. Nous avons eu chacun nos chemins, ceux de nos espérances, de nos étoiles confuses, de nos religiosités, de nos soucis, de nos fardeaux, jusqu’à l’enfant, qui mystérieusement, nous a guidés et accompagnés jusqu'à lui. À présent l’étoile s’arrête, dévoilant l’enfant, nouveau chemin, lumineux, qui commence devant nous...


RP, Poitiers 12-13;12;15


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