dimanche 6 décembre 2015

Le Décalogue - suite : quelle observance chrétienne ?




Esaïe 60, 1-11 ; Psaume 120 ; Philippiens 1, 4-11 ; Luc 3, 1-6 - « Préparez le chemin du Seigneur, Aplanissez ses sentiers. Toute vallée sera comblée, Toute montagne et toute colline seront abaissées ; ce qui est tortueux sera redressé, Et les chemins raboteux seront aplanis », prêche Jean (Luc 3, 4-5). Qu'est-ce d'autre qu'un appel au retour aux exigences de la Loi ?...

*
1) Je suis le Seigneur ton Dieu qui t’ai libéré de l’esclavage.
2) Tu n’auras pas d’autres dieux que moi ;
tu ne te feras pas d’images pour te prosterner devant elles
et pour les servir, car je suis le Seigneur ton Dieu.
3) Tu ne prononceras pas à tort le nom du Seigneur ton Dieu.
4) Souviens-toi du jour du repos pour le sanctifier.
5) Honore ton père et ta mère.
6) Tu ne commettras pas de meurtre.
7) Tu ne commettras pas d’adultère.
8) Tu ne commettras pas de vol.
9) Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain.
10) Tu ne convoiteras rien de ce qui appartient à ton prochain.

(d’après Exode 20 – cf. Deutéronome 5)

*

Matthieu 5, 18-19 : « je vous le dis en vérité, tant que le ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu’à ce que tout soit arrivé. — Celui donc qui supprimera l’un de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire de même, sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux ; mais celui qui les observera, et qui enseignera à les observer, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux. »

C’est ce qui suit le propos de Jésus disant « ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes ; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir » (Matthieu 5, 17).

Où il apparaît qu’accomplir la Loi ne l’abolit pas ! Contrairement à la tentation commune qui revient à considérer que Jésus ayant accompli la Loi, il n’y aurait plus à l’observer ! Si l’on ne réintroduit pas subrepticement l’idée d’abolition de fait sous le terme d’accomplissement, si donc on lit le propos jusqu’au bout, une question se pose : Quid de l’observance chrétienne de la Loi de Moïse ?

La réponse la plus connue passe par le Décalogue, qui semble conservé, via une lecture de la Bible hébraïque orientée vers la venue du Christ. Vraiment observés ces « dix commandements » ?

L’observance chrétienne du Décalogue en soi s’avère problématique dès qu’on l’aborde de façon concrète. Quid d’une observance chrétienne du Shabbath, par exemple ?

La difficulté apparaît à travers le débat qui s’est levé dans certains courants du protestantisme anglo-saxon, où l’on s’est attaché à observer le dimanche comme un Shabbath, ce que le dimanche n’est pas. Le débat a débouché pour certains sur la décision d’observer vraiment le Shabbath, et cela le jour du Shabbath, le samedi.

On pourrait aussi mentionner le commandement sur les représentations (« tu ne te feras pas d’images cultuelles »), que plusieurs courants du christianisme historique (courants majoritaires) estiment ne pas concerner les chrétiens et leurs images du Christ et des personnages historiques de la tradition.

Quid donc de l’observance du Décalogue, en tout cas en son aspect cérémoniel. — Je fais par ce mot allusion à des distinctions qui vont apparaître (je vais y venir) entre différents plans (moral et judiciaire) de signification des commandements, outre leur plan cérémoniel, proprement religieux, qui manifestement est peu retenu par le christianisme.

Le rapport chrétien à la Bible est largement de l’ordre de la transposition. Le texte biblique renvoie à une réalité éternelle, ce qui est dans le texte lui-même — cf. Exode 25, 40 : « Regarde, et fais d’après le modèle qui t’est montré sur la montagne ». Cf. la lecture qu’en fait l’Épître parlant du culte biblique comme « image et ombre des choses célestes, selon que Moïse en fut divinement averti lorsqu’il allait construire le tabernacle : Aie soin, lui fut-il dit, de faire tout d’après le modèle qui t’a été montré sur la montagne. » (Hébreux 8, 5)

La question de l’observance de Loi demeure, qui a débouché sur une distinction, formalisée par Calvin et dans sa lignée, en trois aspects de la Loi : l’aspect moral, l’aspect cérémoniel et l’aspect judiciaire.

L’aspect judiciaire est cet aspect de la Loi qui, selon sa primauté par rapport aux pouvoirs, se concrétise dans une vie de la Cité gérée de façon jurisprudentielle, donc souple. Il en ressort que cet aspect est perçu, quant à la lettre de la Loi, comme correspondant à des temps et à une culture donnée : par exemple les formes de gouvernements, qui sont variables selon les lieux.

On en dira la même chose quant à l’aspect cérémoniel (les cérémonies religieuses de la Loi) perçu lui aussi, quant à sa lettre, comme correspondant à un temps et à une culture donnée. Dans cette perspective la pratique varie selon les lieux, les temps et les circonstances. Ainsi, quant à l’aspect cérémoniel, on ne pratique pas aujourd’hui de sacrifices d’animaux dans le Temple de Jérusalem — de toute façon détruit (sacrifices correspondant pourtant à des mitsvoth cérémonielles). Une perspective calviniste considère que cela vaut pour tout commandement en son aspect cérémoniel — lié à des temps, des lieux, des cultures. À l’instar de l’aspect judiciaire.

En revanche l’aspect moral, comme norme idéale, comme visée de perfection, n’est pas sujet aux variations culturelles, même si son application s’adapte aux circonstances. L’aspect moral peut être considéré comme se déployant en vertus, rejoignant la morale naturelle et contribuant à l’établissement d’une morale universelle commune, une éthique partagée par juifs et nations. Une seule citation pour illustrer cela : Paul aux Galates (5, 22) : « le fruit de l’Esprit, c’est l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bénignité, la fidélité », écrit-il. Voilà tout simplement des vertus commune, que l’on retrouve chez les stoïciens, les aristotéliciens, etc. comme vertus dites naturelles — avec cependant cette caractéristique, dans la perspective chrétienne, qui est d’être enracinées dans une nature perçue, en regard de la Torah, comme création, qui trouve écho jusque dans le Décalogue sous son angle cérémoniel : « en six jours le Seigneur a fait les cieux, la terre et la mer, et tout ce qui y est contenu, et il s’est reposé le septième jour : c’est pourquoi le Seigneur a béni le jour du repos et l’a sanctifié » (Exode 20, 11).

La loi naturelle est « corrigée » — en regard de la Loi biblique. Ce qui nous conduit à postuler la nécessité de la pérennité d’Israël pour que l’Église, les Églises, ne soient pas bancales !

L’aspect cérémoniel de la Loi s’avère en effet premier, comme fondement céleste. C’est le sens du culte : dessiner la dimension verticale de nos vies, la dimension de la relation avec Dieu, qui occupe fortement les quatre premières paroles du Décalogue. Car la dimension verticale de nos vies se dessine pour nous via des rites et des cérémonies, que ces rites soient chrétiens, juifs, ou autres. Il se trouve que pour Jésus, ce sont des rites juifs, ceux de la Torah. C’est aussi le cas pour le Nouveau Testament et le rituel chrétien qui en est issu.

Alors quid d'une observance chrétienne de la Loi de Moïse ? Eh bien, son observance pour les chrétiens est le fait d’Israël ! L’observance juive vivante. Le christianisme des nations sans Israël est tout simplement bancal. Cela nous conduit à réaliser la nature relationnelle du christianisme : sa nature est d’être en relation, en vis-à-vis d’Israël.

Quant à sa pratique universelle, Calvin distingue trois usages de la Loi : l’usage pédagogique, l’usage politique et l’usage normatif. Trois usages :

- Selon son usage pédagogique, la Loi produit en l’homme la conscience de son incapacité à accomplir ce qu’elle prescrit ou défend (exemple classique : l’interdit de la convoitise — qui peut dire être exempt de convoitise ? Son interdiction est pourtant un précepte du décalogue). Sous cet angle, la Loi sert de « pédagogue » pour nous conduire à recourir à la grâce de Dieu: reconnaissant n’être pas à la hauteur de ses exigences, j’en appelle à Dieu. Où l’on retrouve le « près de toi » (Deutéronome 30, 14) que Paul lira comme référant à la proximité, la présence, de la parole de Dieu en Jésus.
- Selon son usage politique ou civil, la Loi a pour but de restreindre le mal dans la Cité et de promouvoir la justice. Elle fournit des principes, qui s’appliquent de façon analogique selon les temps et les lieux dans la vie civile et politique.
- Selon son troisième usage, la Loi devient chemin de libération. Notre libération est effectivement mise en œuvre par ce que produit en nous l’injonction de la Loi. Exemple : le commandement donné à Abraham, ou au peuple libéré de l’esclavage : « quitte ton pays », « sors de l’esclavage ». La libération qui est dans le recours à la grâce ne produit son effet que si elle reçue et donc mise en œuvre.

La liberté donnée à la foi seule qui reçoit la grâce — ce seul recours, selon l’usage pédagogique de la Loi — ; cette liberté ne devient effective que lorsque l’exigence de la Loi donnée comme norme suscite, parce qu’elle est entendue, la mise en route obéissante.

Où il faut répondre à une question que la fidélité selon la pratique juive pourrait voir apparaître : mais on ne sache pas que les chrétiens protestants, et calvinistes, pratiquent les mitsvoth — les 613 commandements de la Loi biblique — ?! Pas plus que les autres chrétiens…

Où il faut revenir, à côté de trois usages de la Loi, aux trois aspects de la Loi : l’aspect moral, l’aspect cérémoniel et l’aspect judiciaire.

L’aspect moral, comme norme idéale, comme visée de perfection, devient le fondement d'une transposition analogique pour une observance intégrale de la loi mais de façon transposée, donc, via une reconduction méditée à son fondement éternel dont les textes sont l’expression temporelle, dans un temps donné, un enracinement donné, dont Israël demeure le témoin aussi longtemps que subsistent le ciel et la terre.

Le troisième usage de la Loi, l’usage normatif, apparaît alors comme mise en œuvre de son aspect moral, comme injonction libératrice. Où l’on retrouve les préceptes comme « lève-toi et marche » commandement adressé par Pierre au paralytique ; « sors de ta tombe » ; commandement adressé par Jésus à Lazare, « va pour toi » (Lekh lekha) commandement adressé par Dieu à Abraham — et « tu choisiras la vie », l’injonction libératrice que nous donne Moïse au Deutéronome.

Telle est alors la parole de Dieu donnée comme Loi, parole libératrice, créatrice d’impossible. C’est là le Dieu créateur de la Bible — et non pas une hypothèse en concurrence avec les laboratoires de recherche ! C’est devant un Dieu vivant que nous sommes placés… Dieu vivant et vivificateur par la Parole qui nous fonde comme êtres pour la liberté : « Tu choisiras la vie ».

Alors, « toute chair verra le salut de Dieu » (Luc 3, 6).


RP, Poitiers, 6/12/15 / cf. ici.


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