dimanche 25 mars 2018

Rameaux — Christ solidaire




Ésaïe 50.4-7 ; Psaume 22 ; Philippiens 2.6-11 ; Marc 11.1-10

Marc 11, 1-10

1 Lorsqu'ils approchent de Jérusalem, près de Bethphagé et de Béthanie, vers le mont des Oliviers, Jésus envoie deux de ses disciples
2 et leur dit : « Allez au village qui est devant vous : dès que vous y entrerez, vous trouverez un ânon attaché que personne n'a encore monté. Détachez-le et amenez-le.
3 Et si quelqu'un vous dit : “Pourquoi faites-vous cela ?” répondez : “Le Seigneur en a besoin et il le renvoie ici tout de suite.” »
4 Ils sont partis et ont trouvé un ânon attaché dehors près d'une porte, dans la rue. Ils le détachent.
5 Quelques-uns de ceux qui se trouvaient là leur dirent : « Qu'avez-vous à détacher cet ânon ? »
6 Eux leur répondirent comme Jésus l'avait dit et on les laissa faire.
7 Ils amènent l'ânon à Jésus ; ils mettent sur lui leurs vêtements et Jésus s'assit dessus.
8 Beaucoup de gens étendirent leurs vêtements sur la route et d'autres des feuillages qu'ils coupaient dans la campagne.
9 Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient : « Hosanna ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient !
10 Béni soit le règne qui vient, le règne de David notre père ! Hosanna au plus haut des cieux ! »

*

Tout commence, avant la procession royale aux Rameaux, par un geste de solidarité de Jésus avec son peuple exilé. Geste posé devant Jean le Baptiste, et auquel Rameaux va donner son éclairage : son baptême :

Marc 1, 7-11
7 Jean prêchait, disant : Il vient après moi celui qui est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de délier, en me baissant, la courroie de ses souliers.
8 Moi, je vous ai baptisés d’eau ; lui, il vous baptisera du Saint-Esprit.
9 En ce temps-là, Jésus vint de Nazareth en Galilée, et il fut baptisé par Jean dans le Jourdain.
10 Au moment où il sortait de l’eau, il vit les cieux s’ouvrir, et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe.
11 Et une voix fit entendre des cieux ces paroles : Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j’ai mis toute mon affection.

Celui dont même un immense prophète, Jean, s’estime indigne, vient partager l’exil du peuple dans la souffrance et la mort, afin de l’en ramener. Aux jours des Rameaux c’est une victoire, victoire sur tout ce qui nous blesse, qui est fêtée.

*

Histoire de Pétoulet 1er, roi de Corso de M. André Blanchard — illustré en couleurs, Avignon, Rullière, 1956 (M. Blanchard était mon instituteur au CP, qui avait offert son livre à ses élèves) —, ou : de la tristesse de la solitude de Pétoulet, son exil au grenier de son oncle, aux eaux sombres de la Fontaine de Vaucluse, puis au corso, défilé en pleine lumière.

Pétoulet est un enfant de L’Île-sur-Sorgue (devenu L’Île-sur-la-Sorgue), tout petit (une pétoule est en provençal une petite crotte de rat). Pétoulet rêve d'être une star du corso qui va bientôt se dérouler dans sa ville.

Le corso est connu en Provence (le mot est d’origine italienne et désigne une promenade publique). À l’origine, c’est une occasion de célébrer ensemble un événement important. Celui-ci, coïncide bien souvent avec l’arrivée du printemps. Temps de Rameaux auquel le corso ressemble, finalement.

Le corso, ou fréquemment corso fleuri, consiste en un défilé de chars fleuris. À L’Île-sur-Sorgue, où se déroule l'histoire de Pétoulet, il s’agit d’un corso nautique, sur la Sorgue, la rivière qui trouve sa source dans la Fontaine de Vaucluse.

La Fontaine de Vaucluse est un des lieux surprenants de la nature. Un gouffre profond au pied d’une falaise, une vallée fermée, vallée clause, qui a donné son nom au département du Vaucluse. En temps normal, au fond de ce gouffre, apparaît comme un petit lac profond, mais d’où jaillit chaque printemps un flot impressionnant d’eau accumulée auparavant, croit-on, dans les profondeurs souterraines des autres montagnes alentour, dont le fameux Mont Ventoux. En naît la Sorgue, une de ces rivières abondantes du Vaucluse, dont celle qui abreuve L’Île-sur-Sorgue, et sur laquelle va se dérouler le corso nautique dont rêve Pétoulet.

Pétoulet rêve de corso, mais son oncle chez qui il demeure l’a puni et enfermé au grenier : pas question de corso pour lui ! Enfermé dans son grenier, Pétoulet rêve. Et voilà que vient à lui un être angélique, pour le sauver de sa tristesse : lui apparaît une fée qui le transporte à la Fontaine de Vaucluse, et le conduit dans le gouffre. Pétoulet plongé dans les eaux mystérieuses pour un baptême qui lui fait rencontrer le poète Pétrarque et sa bien aimée Laure. Pétrarque et Laure ont vraiment existé. Pétrarque était un poète qui vivait au XIVe siècle dans le Vaucluse, et qui s'était réfugié aux bords de la Fontaine de Vaucluse pour y célébrer l’amour de sa bien-aimée, Laure de Noves. M. Blanchard nous apprend que Pétoulet, guidé par sa fée, a retrouvé Pétrarque et Laure demeurant jusqu’aujourd’hui, vivant leur amour sur un îlot dans les profondeurs secrètes de la Fontaine de Vaucluse. Et les voilà qui accueillent Pétoulet, et qui décident de le consoler de sa tristesse : ils lui confectionnent un superbe char avec des fleurs et de grands pétales qui flottent, et l’attellent à des cygnes. Pétoulet prend place sur le char de fleurs, que les cygnes mettent en marche, le tirant jusqu’à Île sur Sorgue, faisant une entrée triomphale à Pétoulet, dès lors sacré roi du corso.

*

« Il est un autre baptême dont je dois être baptisé », annonce Jésus (Luc 12, 50), autre baptême qui se préfigure au jour de son baptême par Jean : cet autre baptême est son engloutissement dans les eaux sombres de la mort où il rejoindra — on ne peut plus totalement — le peuple qu'il rachète… Il nous rejoint jusqu'à la douleur de la mort, en passant par tout ce qui nous constitue, jusqu'aux sinuosités de nos égarements, par quoi il nous garantit que rien ne peut nous séparer de l'amour de Dieu (cf. Ésaïe 54, 10 : « Quand les montagnes s’éloigneraient, Quand les collines chancelleraient, Mon amour ne s’éloignera point de toi, Et mon alliance de paix ne chancellera point, Dit l’Eternel, qui a compassion de toi » ; ou Romains 8, 38-39 : « rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur. »), pas même nos propres tortuosités. Il nous a rejoints, devant Jean, « baptisant en vue du repentir/retour à Dieu », il nous a rejoints jusqu'à nos repentirs et jusqu'à nos prières. Le Christ a fait siennes les prières d’êtres chargés de faiblesses. Il a fait siens les Psaumes, ces Psaumes qui nous ressemblent. Rejoignant chacun dans les faiblesses qui sont les siennes, il nous rejoint par sa mort, dans les eaux de cet autre baptême, qui « lui viennent jusqu’à la gorge » (Psaume 69) :
2 Dieu, sauve-moi : l’eau m’arrive à la gorge.
3 J’enfonce dans la boue, sans pouvoir me tenir ; Je suis tombé dans un gouffre, et les eaux m’inondent.
4 Je m’épuise à crier, mon gosier se dessèche, Mes yeux se consument, tandis que je regarde vers mon Dieu.
5 Ils sont plus nombreux que les cheveux de ma tête, Ceux qui me haïssent sans cause ; Ils sont puissants, ceux qui veulent me perdre, Qui sont à tort mes ennemis. Ce que je n’ai pas volé, il faut que je le restitue.

16 Que les flots ne m’inondent plus, Que l’abîme ne m’engloutisse pas, Et que la fosse ne se ferme pas sur moi !
17 Réponds-moi, Seigneur ! car ta bonté est immense. Dans ta grande bonté, tourne vers moi ton regard,
18 Et ne cache pas ta face à ton serviteur ! Je suis dans la détresse, réponds-moi vite !
19 Approche-toi de ma vie, délivre-la ! Sauve-moi, à cause de mes ennemis !
Il nous rejoint jusqu'à ressentir son engloutissement dans la mort, que préfigure son baptême, comme un véritable abandon — selon le Psaume de ce jour, le Psaume 22 qu’il prie sur la croix, « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » —, cela pour nous faire ressortir du gouffre, avec lui dans la lumière de sa résurrection. C'est ce que préfigure la procession de Rameaux, comme procession de l’entrée dans la Jérusalem promise, dans la Jérusalem future.

C’est cette promesse que nous fêtons à Rameaux, même sans tout en comprendre. Une joie simple, un accueil chantant de celui qui nous rejoint aussi jusque dans nos fêtes, qui donnent quelques moments, quelques jours de lumière dans le temps pourtant sombre qui s’annonce pour Jésus. Quelques moments de lumière annonçant la lumière de Pâques, la lumière de la résurrection.


RP, Poitiers, Rameaux, 25/03/18


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