Actes 10.34-43 ; Psaume 118.1-20 ; Colossiens 3.1-4 ; Marc 16.1-8
Marc 16, 1-8
1 Quand le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates pour aller l’embaumer.
2 Et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles vont à la tombe, le soleil étant levé.
3 Elles se disaient entre elles : « Qui nous roulera la pierre de l’entrée du tombeau ? »
4 Et, levant les yeux, elles voient que la pierre est roulée ; or, elle était très grande.
5 Entrées dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme, vêtu d’une robe blanche, et elles furent saisies de frayeur.
6 Mais il leur dit : « Ne vous effrayez pas. Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié : il est ressuscité, il n’est pas ici ; voyez l’endroit où on l’avait déposé.
7 Mais allez dire à ses disciples et à Pierre : “Il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit.” »
8 Elles sortirent et s’enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées ; et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur.
*
« Elles sortirent et s'enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées ; et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur. » (Marc 16, 8)
Qu'est-ce que cette frayeur des femmes du dimanche de la résurrection du Christ ? Est-ce que nous ne nous attendrions pas à une autre réaction ? Mais les voilà dans la peur, dans un bouleversement tel qu'il les mure dans le silence…
C’est que la résurrection bouleverse tout. Au-delà des choses habituelles, compréhensibles, généralisables : un être humain, ça naît, ça croît, et ça finit par mourir. C'est la loi simple de la nature, c'est comme ça, ce sera toujours comme ça, et quand il semble que cela se passe autrement, il doit y avoir une explication quelque part qui fasse rentrer les choses dans l'ordre. Dans l'ordre rationnel, dans l'ordre de ce qui peut se reproduire à volonté, éventuellement en laboratoire.
Bref, une place pour chaque chose et chaque chose à sa place. Chose justement : dans le monde généralisable, il n'y a finalement que des choses, gérables, catégorisables, jusqu'au prochain lui-même qui devient catégorisable. Catégorisable en prochain et en lointain, en couleurs de peau et origines géographiques ou familiales, en hommes et femmes, de mon monde et pas de mon monde. Un monde bien carré, bien rangé, où ce qui dérange est insupportable, finit par effrayer…
On naît, on grandit, on vieillit, on meurt, et le corps se décompose, se disent les femmes du dimanche de Pâques. C'est comme ça. C'est ignoble, certes, et c'est pourquoi on va embaumer le mort. Empêcher autant que possible, par des moyens explicables par la chimie, les effets les plus durs de la décomposition. C'est dans cet état d'esprit, on ne peut plus tendre à l'égard du défunt d'ailleurs — l'embaumer, soigner son corps décédé —, que les femmes sont parties ce dimanche matin. Tout est dans l'ordre, cet ordre malheureux : il n'est pas jusqu'à cet ignoble mal au ventre, cette douleur du deuil qui tenaille qui ne soit dans l'ordre des choses. On s'en débarrasserait bien de ce mal au ventre, de cette nausée qui tire les larmes et empêche de manger, de ce voile noir qui leur est tombé sur les yeux, et sous lequel on accomplit les devoirs dus au mort de façon machinale. Tout ici est dans l’ordre, le généralisable. On sait.
Et voila que s'est produit le plus inattendu, l'indicible. Oh ! on pourrait être tenté de se dire que ça va, qu'"on" (cf. Jn 20, 2 & 13-15) a déplacé le cadavre : les Romains ? les autorités judéennes ? voire des disciples un peu en marge ? comme Nicodème ou Joseph d'Arimathée déplaçant le corps sans le dire aux autres (ce que veulent empêcher les autorités, selon Matthieu 27, 62-66 ; ce qu'elles colportent ensuite : Mt 28, 11-15 !). Puis, sur cela, sur cette translation de cadavre, naîtrait pour les disciples le sentiment d'une présence divine dans l'absence… Autant d'hypothèses rassurantes où tout est bien dans l'ordre rationnel. Où la résurrection n'est que l'idée de vie ; et où un fait aléatoire, déplacer le défunt à l'insu des disciples, deviendrait déclencheur d'un merveilleux symbole de plus, mais où s'évanouit la brèche réelle entre les mondes, entre l'éternité et le temps, évanouissement bien rassurant au fond.
Mais voilà, là ce n'est décidément pas ça : et les femmes ont peur ! Là c'est décidément autre chose. Intuition terrible, on pressent l'indicible, effrayant.
Ici jaillit un autre monde, inclassable, le monde de l'existence de chacune et chacun comme être irréductible. Irréductible aux classements et catégories. Aujourd'hui, il va falloir tout reconsidérer, de fond en comble. Et ça effraie, ça laisse silencieux.
La résurrection du Christ marque la naissance de l'Unique irréductible. Et par la promesse qui y est incluse, de chacune et chacun comme unique devant Dieu. L’aboutissement le plus irréfutable des choses généralisables, la mort, par quoi tout finit dans la poussière — cet aboutissement irréfutable est aujourd'hui brisé. Dès lors plus personne n'est classable en généralités puisque tous peuvent recevoir la promesse sortie du tombeau vide. Chacun devient dès à présent une exception, enfant de l'exception inouïe, celle du dimanche de Pâques.
Il est un autre niveau de réalité, celui qui apparaît dans la résurrection. Or nous en sommes aussi, à notre tour, de façon cachée.
Colossiens 3, 1-4
1 Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ;
2 c’est en haut qu’est votre but, non sur la terre.
3 Vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu.
4 Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire.
« Votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu », écrit l’Apôtre (Colossiens 3, 3). Qu’est-ce qui nous constitue, que sommes-nous en réalité ? En réponse à cette question, nous confondons aisément notre être avec ce que nous en concevons, jusqu'à le confondre avec notre enveloppe temporelle, dont nous nous dépouillons déjà, au jour le jour de son vieillissement ; et qu’il faudra quitter comme un vêtement qui a fait son temps.
C’est un autre niveau qu’il s’agit de rechercher, celui qui apparaît dans la résurrection, dont nous participons aussi, à notre tour, de façon cachée. pour y fonder en éternité notre vie et notre comportement dans le provisoire.
Car depuis un dimanche de Pâques, un souffle nous dit : « Votre vie est cachée avec le Christ en Dieu ». « Vous êtes ressuscités avec le Christ » (Col 3, 1). Morts avec le Christ (Col 3, 3), notre vrai être est caché en Dieu, avec lui, selon qu’il a été relevé d’entre les morts !
Jour inouï, effrayant même tant il bouleverse tout, comme pour les femmes du dimanche de Pâques, témoins premières de l’inouï…
Après elles pour nous aussi la brèche réelle entre l'éternité et le temps s'est ouverte de façon irréductible. Mystère d’un relèvement réel du Christ : nos corps mêmes ne sont pas insignifiants. Ils sont la manifestation visible de ce que nous sommes de façon cachée, en haut. Comme le corps que le Christ s’est vu tisser dans le sein de la Vierge Marie manifeste dans notre temps ce qu’il est définitivement devant Dieu, et qui nous apparaît dans sa résurrection.
Qu'est-ce que cette frayeur des femmes du dimanche de la résurrection du Christ ? Est-ce que nous ne nous attendrions pas à une autre réaction ? Mais les voilà dans la peur, dans un bouleversement tel qu'il les mure dans le silence…
C’est que la résurrection bouleverse tout. Au-delà des choses habituelles, compréhensibles, généralisables : un être humain, ça naît, ça croît, et ça finit par mourir. C'est la loi simple de la nature, c'est comme ça, ce sera toujours comme ça, et quand il semble que cela se passe autrement, il doit y avoir une explication quelque part qui fasse rentrer les choses dans l'ordre. Dans l'ordre rationnel, dans l'ordre de ce qui peut se reproduire à volonté, éventuellement en laboratoire.
Bref, une place pour chaque chose et chaque chose à sa place. Chose justement : dans le monde généralisable, il n'y a finalement que des choses, gérables, catégorisables, jusqu'au prochain lui-même qui devient catégorisable. Catégorisable en prochain et en lointain, en couleurs de peau et origines géographiques ou familiales, en hommes et femmes, de mon monde et pas de mon monde. Un monde bien carré, bien rangé, où ce qui dérange est insupportable, finit par effrayer…
On naît, on grandit, on vieillit, on meurt, et le corps se décompose, se disent les femmes du dimanche de Pâques. C'est comme ça. C'est ignoble, certes, et c'est pourquoi on va embaumer le mort. Empêcher autant que possible, par des moyens explicables par la chimie, les effets les plus durs de la décomposition. C'est dans cet état d'esprit, on ne peut plus tendre à l'égard du défunt d'ailleurs — l'embaumer, soigner son corps décédé —, que les femmes sont parties ce dimanche matin. Tout est dans l'ordre, cet ordre malheureux : il n'est pas jusqu'à cet ignoble mal au ventre, cette douleur du deuil qui tenaille qui ne soit dans l'ordre des choses. On s'en débarrasserait bien de ce mal au ventre, de cette nausée qui tire les larmes et empêche de manger, de ce voile noir qui leur est tombé sur les yeux, et sous lequel on accomplit les devoirs dus au mort de façon machinale. Tout ici est dans l’ordre, le généralisable. On sait.
Et voila que s'est produit le plus inattendu, l'indicible. Oh ! on pourrait être tenté de se dire que ça va, qu'"on" (cf. Jn 20, 2 & 13-15) a déplacé le cadavre : les Romains ? les autorités judéennes ? voire des disciples un peu en marge ? comme Nicodème ou Joseph d'Arimathée déplaçant le corps sans le dire aux autres (ce que veulent empêcher les autorités, selon Matthieu 27, 62-66 ; ce qu'elles colportent ensuite : Mt 28, 11-15 !). Puis, sur cela, sur cette translation de cadavre, naîtrait pour les disciples le sentiment d'une présence divine dans l'absence… Autant d'hypothèses rassurantes où tout est bien dans l'ordre rationnel. Où la résurrection n'est que l'idée de vie ; et où un fait aléatoire, déplacer le défunt à l'insu des disciples, deviendrait déclencheur d'un merveilleux symbole de plus, mais où s'évanouit la brèche réelle entre les mondes, entre l'éternité et le temps, évanouissement bien rassurant au fond.
Mais voilà, là ce n'est décidément pas ça : et les femmes ont peur ! Là c'est décidément autre chose. Intuition terrible, on pressent l'indicible, effrayant.
Ici jaillit un autre monde, inclassable, le monde de l'existence de chacune et chacun comme être irréductible. Irréductible aux classements et catégories. Aujourd'hui, il va falloir tout reconsidérer, de fond en comble. Et ça effraie, ça laisse silencieux.
La résurrection du Christ marque la naissance de l'Unique irréductible. Et par la promesse qui y est incluse, de chacune et chacun comme unique devant Dieu. L’aboutissement le plus irréfutable des choses généralisables, la mort, par quoi tout finit dans la poussière — cet aboutissement irréfutable est aujourd'hui brisé. Dès lors plus personne n'est classable en généralités puisque tous peuvent recevoir la promesse sortie du tombeau vide. Chacun devient dès à présent une exception, enfant de l'exception inouïe, celle du dimanche de Pâques.
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Il est un autre niveau de réalité, celui qui apparaît dans la résurrection. Or nous en sommes aussi, à notre tour, de façon cachée.
Colossiens 3, 1-4
1 Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ;
2 c’est en haut qu’est votre but, non sur la terre.
3 Vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu.
4 Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire.
« Votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu », écrit l’Apôtre (Colossiens 3, 3). Qu’est-ce qui nous constitue, que sommes-nous en réalité ? En réponse à cette question, nous confondons aisément notre être avec ce que nous en concevons, jusqu'à le confondre avec notre enveloppe temporelle, dont nous nous dépouillons déjà, au jour le jour de son vieillissement ; et qu’il faudra quitter comme un vêtement qui a fait son temps.
C’est un autre niveau qu’il s’agit de rechercher, celui qui apparaît dans la résurrection, dont nous participons aussi, à notre tour, de façon cachée. pour y fonder en éternité notre vie et notre comportement dans le provisoire.
Car depuis un dimanche de Pâques, un souffle nous dit : « Votre vie est cachée avec le Christ en Dieu ». « Vous êtes ressuscités avec le Christ » (Col 3, 1). Morts avec le Christ (Col 3, 3), notre vrai être est caché en Dieu, avec lui, selon qu’il a été relevé d’entre les morts !
Jour inouï, effrayant même tant il bouleverse tout, comme pour les femmes du dimanche de Pâques, témoins premières de l’inouï…
Après elles pour nous aussi la brèche réelle entre l'éternité et le temps s'est ouverte de façon irréductible. Mystère d’un relèvement réel du Christ : nos corps mêmes ne sont pas insignifiants. Ils sont la manifestation visible de ce que nous sommes de façon cachée, en haut. Comme le corps que le Christ s’est vu tisser dans le sein de la Vierge Marie manifeste dans notre temps ce qu’il est définitivement devant Dieu, et qui nous apparaît dans sa résurrection.
RP, Poitiers, Pâques, 1er avril 2018
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