Actes 4, 8-12 ; Psaume 118, 24-29 ; 1 Jean 3, 1-2 ; Jean 10, 11-18
1 Jean 3, 1-2
Jean 10, 11-18
« Voyez quel amour le Père nous a donné, puisque nous sommes appelés enfants de Dieu. » Comment l’Épître (1 Jean) en arrive-t-elle à une telle affirmation ? — : nous sommes appelés enfants de Dieu — du fait que Dieu nous a aimés, au point que l’Épître pourra dire finalement carrément : « Dieu est amour » (1 Jn 4, 8 & 16).
« Voyez quel amour le Père nous a donné, de quel amour il nous a chéris, puisque nous sommes appelés enfants de Dieu ! Et nous le sommes. Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il ne l’a pas connu. Bien-aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté ; mais nous savons que lorsqu’il sera manifesté, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est. » (1 Jn 3, 1-2)
Mais comment peut-on dire cela, dire que Dieu nous aime, que Dieu est amour ?! Parole incroyable, ou, si on la prend au sérieux, une telle parole — le Père nous a aimés — pose ipso facto une mystérieuse souffrance en Dieu, déjà affirmée par les prophètes de la Bible hébraïque. Et ce qui fonde cette assertion pour le christianisme, c’est qu’ « à ceci, nous avons connu l’amour : c’est qu’il a donné sa vie pour nous », selon ce qu’indique la même épître plus loin (1 Jn 3, 16) ; écho à l’Évangile de ce jour : « le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis ». La croix ! Amour égale, d’une façon ou d’une autre, souffrance.
Et en parallèle, non moins mystérieux, cette souffrance — exprimée à la croix, signe du don de sa vie — cette souffrance dans cet amour, fonde un détachement à l’égard du monde ; le détachement par la croix — « je ne suis plus dans le monde » disait Jésus pour ses disciples à l’approche de sa mort. « Je me dessaisis de ma vie, afin de la reprendre. Personne ne me l’ôte, mais je m’en dessaisis de moi-même ; j’ai le pouvoir de m’en déposséder, et j’ai le pouvoir de la reprendre ».
C’est tout cela que pose notre confession que Jésus est le fils de Dieu, manifestant Dieu comme Dieu-amour, Dieu qui nous chérit — le berger, le bon, le vrai, se dépossédant de sa vie pour nous — ce qui atteste que Dieu nous reçoit comme ses enfants. Voilà qui demande éclaircissement.
Le berger de Dieu se dépossède de sa vie pour nous. Cela parle d’un autre temps, d’où vient le berger. Rappelons-nous qu’il est dès le départ de l’Évangile de Jean présenté comme venant d’auprès de Dieu pour entrer dans ce temps de mort, ce temps qui part de sa naissance et débouche, comme toute vie humaine, sur la mort.
Mais lui, dit-il, se dessaisit librement de sa vie, entre dans ce temps qui débouche sur la mort pour faire accéder ceux qui lui sont confiés, ses brebis, sur le temps éternel dont il a accepté de se déposséder pour un temps : « j’ai le pouvoir de me déposséder de ma vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre : tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père. »
Les brebis, en effet, meurent en ce temps, même après que le berger les a sauvées du loup ou des brigands ou de la négligence des mercenaires — « mercenaire » désigne alors simplement les salariés, pour qui il s'agit d’obtenir un pécule provisoire, le temps d’un emploi temporaire ; contrairement au vrai berger, le mercenaire ne s’en tient qu’à ce qui se voit, au provisoire. Le vrai berger connaît ce qui ne se voit pas a priori, ce qui est unique en chaque brebis, qui dès lors le reconnaît aussi ! Contre le regard en vérité du berger, un regard temporaire comme la vie temporelle, provisoire, des brebis, notre vie…
C’est donc un autre temps qu’il s’agit de percevoir. Un autre temps : celui d’où vient le berger : temps éternel dont il s’est dépossédé pour les brebis de ce temps — les brebis de la bergerie auxquelles il s’adresse alors, mais pas uniquement : il est question aussi d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie-là. Le salut qu’apporte le berger de Dieu s’étend au monde entier. Il est berger… universel. « Un seul troupeau, un seul berger. »
« Berger » : un titre royal, rappelons-le. David berger de brebis avant d’être berger du peuple, roi d’Israël. David qui perçoit sa tâche comme imitation de celle de Dieu, son berger (cf. Psaume 23). Le livre du prophète Ézéchiel, ch. 34, 10-16 (cf. v. 15) précise que Dieu lui-même est le berger d’Israël.
Quand Jésus se présente comme berger, il parle de sa relation avec Dieu, et cela en rapport avec ce qu’il se détache de sa vie, par intérêt pour ses brebis — et qu’il se détache jusque de son identité temporelle propre, tandis qu’il se déclare aussi berger d’autres brebis, étendant sa mission jusqu'aux nations.
Il se détache de son identité, de sa vie propre. Ce n’est donc pas d’une protection des brebis dans le temps qu’il s’agit, au sens où le renoncement du berger à sa vie d’éternité sauverait les brebis de la mort temporelle : les brebis vont finir par mourir, elles sont vouées à mourir — les brebis (l’image, à ce point, est troublante), les brebis ne sont-elles pas élevées pour leur laine, leur lait… mais aussi… leur viande ?!, vouées à mourir comme est mort l’agneau de Dieu, qui est aussi le bon berger.
C’est ainsi que Jésus dévoile, en son renoncement à sa vie, que Dieu qui l’envoie depuis l’éternité — « tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père » — nous a aimés de sorte que nous sommes faits enfants de Dieu à son image — réellement, précise l’Épître…, même si cela ne se voit pas, tout comme, au regard de ce que sont les choses, il ne se voit pas que Dieu est amour. Mais Jésus est celui qui ouvre les yeux aveugles (Jn 9 et 10, 21) qui se reconnaissent tels : si vous vous reconnaissiez aveugles vous verriez, vient de dire Jésus (ch. 9, v. 39-41).
C’est de la même façon, donc, que nous sommes enfants de Dieu ; et que cela ne se voit pas, n’est pas encore clairement révélé — « nous sommes maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté ». Chose difficile à exprimer, qui correspond aussi au « pouvoir de devenir enfants de Dieu » du Prologue de cet Évangile de Jean, « pouvoir », c’est-à-dire « pas encore », « pas tout à fait ». En d’autres termes c’est là une réalité déjà avérée — « nous le sommes » —, déjà donnée à la foi au Ressuscité ; mais qui n’extrait pas du monde pour autant — chose déjà vraie, mais pas encore pleinement réalisée, comme la chrysalide par rapport au papillon.
Ici, « enfants de Dieu » ne veut évidemment pas dire simplement créatures, mais parle de filiation intérieure, dans le don de la foi. Il s’agit de participation à la filiation du Ressuscité. En d’autres termes, nous sommes déjà ressuscités, mais tant que persiste ce monde — et tout ce qui fait son cortège de douleurs et de malheurs, qui prospèrent par le péché —, cela ne se voit pas encore, cela n’est pas encore manifesté.
… Jusqu’au jour où « nous deviendrons semblables à lui », où ce que nous sommes réellement sera « clairement révélé » : enfants de Dieu, aimés du Père avant tous les siècles…
1 Jean 3, 1-2
1 Voyez de quel grand amour le Père nous a fait don : nous sommes appelés enfants de Dieu ; et nous le sommes ! Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître : il n’a pas découvert Dieu.
2 Mes bien-aimés, dès à présent nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que, lorsqu’il paraîtra, nous lui serons semblables, puisque nous le verrons tel qu’il est.
Jean 10, 11-18
11 Je suis le bon berger : le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis.
12 Le mercenaire, qui n’est pas vraiment un berger et à qui les brebis n’appartiennent pas, voit-il venir le loup, il abandonne les brebis et prend la fuite ; et le loup s’en empare et les disperse.
13 C’est qu’il est mercenaire et que peu lui importent les brebis.
14 Je suis le bon berger, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent,
15 comme mon Père me connaît et que je connais mon Père ; et je me dessaisis de ma vie pour les brebis.
16 J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos et celles-là aussi, il faut que je les mène ; elles écouteront ma voix et il y aura un seul troupeau et un seul berger.
17 Le Père m’aime parce que je donne ma vie, pour ensuite la recevoir à nouveau.
18 Personne ne me l’enlève, mais je la donne de moi-même ; j’ai le pouvoir de la donner et j’ai le pouvoir de la recevoir à nouveau : tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père.
*
« Voyez quel amour le Père nous a donné, puisque nous sommes appelés enfants de Dieu. » Comment l’Épître (1 Jean) en arrive-t-elle à une telle affirmation ? — : nous sommes appelés enfants de Dieu — du fait que Dieu nous a aimés, au point que l’Épître pourra dire finalement carrément : « Dieu est amour » (1 Jn 4, 8 & 16).
« Voyez quel amour le Père nous a donné, de quel amour il nous a chéris, puisque nous sommes appelés enfants de Dieu ! Et nous le sommes. Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il ne l’a pas connu. Bien-aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté ; mais nous savons que lorsqu’il sera manifesté, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est. » (1 Jn 3, 1-2)
Mais comment peut-on dire cela, dire que Dieu nous aime, que Dieu est amour ?! Parole incroyable, ou, si on la prend au sérieux, une telle parole — le Père nous a aimés — pose ipso facto une mystérieuse souffrance en Dieu, déjà affirmée par les prophètes de la Bible hébraïque. Et ce qui fonde cette assertion pour le christianisme, c’est qu’ « à ceci, nous avons connu l’amour : c’est qu’il a donné sa vie pour nous », selon ce qu’indique la même épître plus loin (1 Jn 3, 16) ; écho à l’Évangile de ce jour : « le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis ». La croix ! Amour égale, d’une façon ou d’une autre, souffrance.
Et en parallèle, non moins mystérieux, cette souffrance — exprimée à la croix, signe du don de sa vie — cette souffrance dans cet amour, fonde un détachement à l’égard du monde ; le détachement par la croix — « je ne suis plus dans le monde » disait Jésus pour ses disciples à l’approche de sa mort. « Je me dessaisis de ma vie, afin de la reprendre. Personne ne me l’ôte, mais je m’en dessaisis de moi-même ; j’ai le pouvoir de m’en déposséder, et j’ai le pouvoir de la reprendre ».
C’est tout cela que pose notre confession que Jésus est le fils de Dieu, manifestant Dieu comme Dieu-amour, Dieu qui nous chérit — le berger, le bon, le vrai, se dépossédant de sa vie pour nous — ce qui atteste que Dieu nous reçoit comme ses enfants. Voilà qui demande éclaircissement.
*
Le berger de Dieu se dépossède de sa vie pour nous. Cela parle d’un autre temps, d’où vient le berger. Rappelons-nous qu’il est dès le départ de l’Évangile de Jean présenté comme venant d’auprès de Dieu pour entrer dans ce temps de mort, ce temps qui part de sa naissance et débouche, comme toute vie humaine, sur la mort.
Mais lui, dit-il, se dessaisit librement de sa vie, entre dans ce temps qui débouche sur la mort pour faire accéder ceux qui lui sont confiés, ses brebis, sur le temps éternel dont il a accepté de se déposséder pour un temps : « j’ai le pouvoir de me déposséder de ma vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre : tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père. »
Les brebis, en effet, meurent en ce temps, même après que le berger les a sauvées du loup ou des brigands ou de la négligence des mercenaires — « mercenaire » désigne alors simplement les salariés, pour qui il s'agit d’obtenir un pécule provisoire, le temps d’un emploi temporaire ; contrairement au vrai berger, le mercenaire ne s’en tient qu’à ce qui se voit, au provisoire. Le vrai berger connaît ce qui ne se voit pas a priori, ce qui est unique en chaque brebis, qui dès lors le reconnaît aussi ! Contre le regard en vérité du berger, un regard temporaire comme la vie temporelle, provisoire, des brebis, notre vie…
C’est donc un autre temps qu’il s’agit de percevoir. Un autre temps : celui d’où vient le berger : temps éternel dont il s’est dépossédé pour les brebis de ce temps — les brebis de la bergerie auxquelles il s’adresse alors, mais pas uniquement : il est question aussi d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie-là. Le salut qu’apporte le berger de Dieu s’étend au monde entier. Il est berger… universel. « Un seul troupeau, un seul berger. »
« Berger » : un titre royal, rappelons-le. David berger de brebis avant d’être berger du peuple, roi d’Israël. David qui perçoit sa tâche comme imitation de celle de Dieu, son berger (cf. Psaume 23). Le livre du prophète Ézéchiel, ch. 34, 10-16 (cf. v. 15) précise que Dieu lui-même est le berger d’Israël.
Quand Jésus se présente comme berger, il parle de sa relation avec Dieu, et cela en rapport avec ce qu’il se détache de sa vie, par intérêt pour ses brebis — et qu’il se détache jusque de son identité temporelle propre, tandis qu’il se déclare aussi berger d’autres brebis, étendant sa mission jusqu'aux nations.
Il se détache de son identité, de sa vie propre. Ce n’est donc pas d’une protection des brebis dans le temps qu’il s’agit, au sens où le renoncement du berger à sa vie d’éternité sauverait les brebis de la mort temporelle : les brebis vont finir par mourir, elles sont vouées à mourir — les brebis (l’image, à ce point, est troublante), les brebis ne sont-elles pas élevées pour leur laine, leur lait… mais aussi… leur viande ?!, vouées à mourir comme est mort l’agneau de Dieu, qui est aussi le bon berger.
*
C’est ainsi que Jésus dévoile, en son renoncement à sa vie, que Dieu qui l’envoie depuis l’éternité — « tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père » — nous a aimés de sorte que nous sommes faits enfants de Dieu à son image — réellement, précise l’Épître…, même si cela ne se voit pas, tout comme, au regard de ce que sont les choses, il ne se voit pas que Dieu est amour. Mais Jésus est celui qui ouvre les yeux aveugles (Jn 9 et 10, 21) qui se reconnaissent tels : si vous vous reconnaissiez aveugles vous verriez, vient de dire Jésus (ch. 9, v. 39-41).
C’est de la même façon, donc, que nous sommes enfants de Dieu ; et que cela ne se voit pas, n’est pas encore clairement révélé — « nous sommes maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté ». Chose difficile à exprimer, qui correspond aussi au « pouvoir de devenir enfants de Dieu » du Prologue de cet Évangile de Jean, « pouvoir », c’est-à-dire « pas encore », « pas tout à fait ». En d’autres termes c’est là une réalité déjà avérée — « nous le sommes » —, déjà donnée à la foi au Ressuscité ; mais qui n’extrait pas du monde pour autant — chose déjà vraie, mais pas encore pleinement réalisée, comme la chrysalide par rapport au papillon.
Ici, « enfants de Dieu » ne veut évidemment pas dire simplement créatures, mais parle de filiation intérieure, dans le don de la foi. Il s’agit de participation à la filiation du Ressuscité. En d’autres termes, nous sommes déjà ressuscités, mais tant que persiste ce monde — et tout ce qui fait son cortège de douleurs et de malheurs, qui prospèrent par le péché —, cela ne se voit pas encore, cela n’est pas encore manifesté.
… Jusqu’au jour où « nous deviendrons semblables à lui », où ce que nous sommes réellement sera « clairement révélé » : enfants de Dieu, aimés du Père avant tous les siècles…
RP, Poitiers, 22/04/18
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire