dimanche 11 novembre 2018

Deux petites pièces




1 Rois 17, 10-16 ; Psaume 146 ; Hébreux 9, 24-28 ; Marc 12, 38-44

1 Rois 17, 10-16
10 [À la parole du Seigneur, Élie] se leva, partit pour Sarepta et parvint à l'entrée de la ville. Il y avait là une femme, une veuve, qui ramassait du bois. Il l'appela et dit : « Va me chercher, je t'en prie, un peu d'eau dans la cruche pour que je boive ! »
11 Elle alla en chercher. Il l'appela et dit : « Va me chercher, je t'en prie, un morceau de pain dans ta main ! »
12 Elle répondit : « Par la vie du Seigneur, ton Dieu ! Je n'ai rien de prêt, j'ai tout juste une poignée de farine dans la cruche et un petit peu d'huile dans la jarre ; quand j'aurai ramassé quelques morceaux de bois, je rentrerai et je préparerai ces aliments pour moi et pour mon fils ; nous les mangerons et puis nous mourrons. »
13 Élie lui dit : « Ne crains pas ! Rentre et fais ce que tu as dit ; seulement, avec ce que tu as, fais-moi d'abord une petite galette et tu me l'apporteras ; tu en feras ensuite pour toi et pour ton fils.
14 Car ainsi parle le Seigneur, le Dieu d'Israël :
Cruche de farine ne se videra, jarre d'huile ne désemplira
jusqu'au jour où le Seigneur donnera la pluie à la surface du sol. »
15 Elle s'en alla et fit comme Élie avait dit ; elle mangea, elle, lui et sa famille pendant des jours.
16 La cruche de farine ne tarit pas, et la jarre d'huile ne désemplit pas, selon la parole que le SEIGNEUR avait dite par l'intermédiaire d'Élie.

Marc 12, 38-44
38 Dans son enseignement, il disait : "Prenez garde aux scribes qui tiennent à déambuler en grandes robes, à être salués sur les places publiques,
39 à occuper les premiers sièges dans les lieux de culte et les premières places dans les dîners.
40 Eux qui dévorent les biens des veuves et affectent de prier longuement, ils subiront la plus rigoureuse condamnation."
41 Assis en face du tronc, Jésus regardait comment la foule mettait de l'argent dans le tronc. De nombreux riches mettaient beaucoup.
42 Vint une veuve pauvre qui mit deux petites pièces, quelques centimes.
43 Appelant ses disciples, Jésus leur dit : "En vérité, je vous le déclare, cette veuve pauvre a mis plus que tous ceux qui mettent dans le tronc.
44 Car tous ont mis en prenant sur leur superflu ; mais elle, elle a pris sur sa misère pour mettre tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre."

*

Une veuve pauvre qui, avec ses deux petites pièces, donne en fait beaucoup (même si ça semble peu), puisque cela empiète sur son nécessaire, son minimum vital (à l’époque, une veuve est sans ressources financières) : « gardez-vous des gens à la piété exemplaire… » (v. 38, 40), vient — en résumé — de dire Jésus. Certes ils font de belles offrandes — c’est qu'ils ont les moyens, contrairement à la veuve — c’est en ce sens qu’ils dévorent les biens des veuves, selon les termes de Jésus — ; certes ils font de belles prières, signe d’une belle aisance qui se voit jusque dans les dîners. Ils ont déjà leur récompense : avoir brillé. D’autant qu’ils brillent au cœur d’une institution devenue injuste… à laquelle la veuve donne quand même… C’est de ce décalage que parle Jésus.

Il faut, pour éclairer le propos, se rappeler le sens précis du mot « aumône » dans la tradition biblique. Le terme traduit ainsi renvoie au mot hébreu signifiant « justice ». L’aumône devient la restitution d’un équilibre qui a été rompu. La richesse, sous l’angle où elle est productrice de déséquilibres, est mal notée par les auteurs bibliques.

Elle devient mauvaise si elle n'est pas purifiée par l’ « aumône », par la justice, qui corrige le déséquilibre qu’elle produit naturellement, puisqu’il est dans sa nature de croître exponentiellement (voir la parabole des talents : « on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance » — Matthieu 25, 29). Et c’est même en cela qu’elle est signe de bénédiction ! Mais à terme cela mène au déséquilibre (« on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a ») ; déséquilibre, injustice, si cela n’est pas purifié par l’ « aumône » qui ne signifie donc rien d’autre que la « justice ».

Ne pas le voir est pour nous tout simplement une façon subtile de nous masquer qu’il est un certain déséquilibre, accepté, jugé normal ou fatal, mais qui relève tout simplement du péché. « Malheur à ceux qui ajoutent champ à champ » criait le prophète (cf. Ésaïe 5, 8) — ce qui est pourtant censé être signe de bénédiction ! Exemple concret, pourtant, de la liberté devenant celle du plus fort d’opprimer le plus faible. Où l’accumulation des uns spolie les autres. Ce que dénonce à nouveau Jésus : « ils dévorent les biens des veuves ».

Et cette question, que pose la Bible à travers la dénonciation de l’accumulation, a pris de nos jours la taille d’un problème qui atteint des proportions internationales aux conséquences considérables, internationales elles aussi.

*

L’Évangile libérant de la peur de manquer, est à même de déboucher la source commune de tous biens, comme la veuve de Sarepta, et comme celle des piécettes du Temple.

La veuve livre sa richesse, ces piécettes, sans calcul, à une institution à vue humaine déplorable qui à l’époque est connue comme déplorable ! Mais qu’importe si elle enseigne encore à donner ! Le don qui libère ! Car qu’est-ce donc que l’holocauste d'un animal, brûlé entièrement, qui se pratique au temple ? Économiquement aberrant ! Sans compter que Dieu n’en a pas besoin ! Une belle leçon de gratuité, sans calcul, comme on offre des fleurs. Sans doute le sens profond de l’offrande, qui s’en prend directement à la peur de manquer. (Outre que la forme sacrificielle enseigne aussi la tragique de la souffrance via la mort d'un animal, qui n’est donc pas cachée, comme dans nos civilisations actuelles plus carnivores que jamais.)

Cette peur de manquer qui signe l’avarice comme captivité, fruit de la peur comme manque de foi. Ce mal, fruit de cette peur, est la cupidité, désir d’argent mentionné explicitement par le Nouveau Testament comme péché-racine — ou péché capital, c’est-à-dire qui en fait essaimer d’autres. 1 Timothée 6, 10 : « l’amour de l’argent est une racine de tous les maux ; et quelques-uns, en étant possédés, se sont égarés loin de la foi, et se sont jetés eux-mêmes dans bien des tourments. »

Cette peur parle en ces termes : « Dieu pourvoira-t-il à mon lendemain ? Alors au cas où, je m’assure moi-même, je thésaurise ». Or, voilà une attitude assez commune. Qui n’a pas été l’attitude des veuves de nos textes. Et donc Jésus loue aussi la rareté de l’attitude de la veuve du Temple : elle n’a pas craint de donner de son nécessaire. Cela contre l’attitude assez commune de thésauriser que l’on pardonne peu aux autres. Car l’avarice, on le sait, suscite peu la compassion, et pourtant elle est souffrance.

C’est ce qui permet de dire que l’Évangile du pardon libérateur est peu passé dans ce domaine. On a peu reçu de pardon sur un domaine où l’on a peu confessé, et où donc on pardonne peu. « Celle à qui il a été beaucoup pardonné a beaucoup aimé », dit ailleurs Jésus, d’une autre femme.

C'est peut-être là la source de l'offrande, du don : recevoir le don, le pardon, de Dieu pour notre manque de foi, qui nous fait — et thésauriser, et être sévères sur la pingrerie des autres, qui n’est jamais qu’une autre captivité qui demande aussi libération !

Où il s’agit de découvrir une autre richesse, juste celle-là : « Apportez la dîme… mettez-moi ainsi à l’épreuve, dit Dieu, et vous verrez si je n’ouvrirai pas pour vous les écluses du ciel, si je ne déverse pas sur vous la bénédiction au-delà de toute mesure » (Malachie 3, 10).

Et la veuve de Sarepta n’a pas manqué !

« Voir s’ouvrir les écluses des cieux » — Ml 3, 10 —, telle est la promesse que Dieu fait à qui ouvre son cœur et ce qui le recouvre… les veuves de nos textes sont alors bien plus riches qu’on ne croit…


R.P. Poitiers, 11.11.18


Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire