1 Samuel 1.20-28 ; Psaume 84 ; 1 Jean 3.1-24 ; Luc 2.40-52
Luc 2, 40-52
L’Évangile de Luc poursuit le récit de l’enfance de Jésus, d’accomplissement de rites en accomplissement de rites de la Torah par sa famille, de la circoncision aux relevailles, avec tout ce qui en relève. Nous voici avec ce texte au pèlerinage de la Pâque ; le pèlerinage le plus important du judaïsme. En rapport précis avec la mémoire fondatrice de notre présent — de notre aujourd’hui, et dès lors, de nos lendemains.
Au-delà du souvenir familial, il y a la dimension plus large, concernant tout le peuple, qui fait que l’on monte à la ville centrale du culte, à Jérusalem, au Temple. Pour cela, s’il le faut, on marche longtemps sur les routes poussiéreuses — depuis la Galilée, pour Marie et Joseph, comme on les y a déjà vus pour les rites de la naissance. Depuis la Galilée, aujourd’hui, on part en groupe, on se découvre en route : c’est l’occasion de sceller des liens aussi. Ainsi, au retour de la fête, on a lié connaissance. Les enfants circulent d’un groupe à l’autre. Le voyage est long. On fait halte, on bivouaque ensemble, à l’aller comme au retour.
Sur le chemin du retour, dans cette joyeuse cohue, Jésus, peuvent se dire ses parents, est quelque part avec ses amis, et comme eux, il est sous telle ou telle tente. Rien que de très normal. Puis on découvre qu’il n’est pas là du tout ! Pour que toutefois le lecteur ne se trompe pas sur ce qui se passe, Luc précisera que Jésus « était soumis » à ses parents (Luc 2, 51). Mais pourtant, à présent il est mûr, il a l’âge de la responsabilité devant Dieu, autour de laquelle l’histoire du judaïsme place le rite de la bar-mitsvah.
Dans la tradition biblique, dès les temps les plus anciens, les enfants au tournant par lequel ils deviennent jeunes adultes, sont déclarés responsables devant Dieu — responsables de ce qu’ils ont entendu jusque là. Responsable, c’est-à-dire en capacité de répondre ; de répondre à, de répondre de — notamment répondre de la parole reçue.
C’est là ce que le judaïsme appellera « bar-mitsvah », ce qui signifie « enfant du commandement ». Dans notre enfance, nos parents sont responsables de notre relation avec Dieu. Puis nous accédons au temps où nous-mêmes devenons seuls responsables devant lui. C’est le passage à l’âge de la majorité religieuse.
Jésus aussi est passé par là. Ce jour-là, il se situe devant la parole de Dieu en présence des docteurs de la Loi étonnés. « Du ciel, il t’a fait entendre sa voix pour faire ton éducation » dit le Deutéronome (ch. 4, v. 36). Jésus dévoile qu’il est au cœur de cette relation intime avec Dieu. Ses parents sont montés à Jérusalem pour la Pâque ; dans la suite de tout le début de l’Évangile de Luc les montrant observant la Torah. Scènes ordinaires de la vie religieuse. Ici Jésus, atteignant l’âge de la responsabilité religieuse, va exprimer dans tout son sens ce qu’est devenir adulte devant Dieu, unique devant Dieu, par soi-même et non plus par ses parents.
Cela correspond à sa parole : « il faut que je m’occupe des affaires de mon Père » : une leçon pour ses parents, et aussi pour nous-mêmes — et comme parents et comme enfants. Dépouillé, perdu en regard des siens, pour être unique devant Dieu, Jésus s’occupe des affaires de son Père. Et c’est ce que Dieu nous demande aussi. Tous devons devenir adultes par rapport à ceux que nous recevons comme modèles.
Il s’agit pour nous de vivre dans la lumière, la lumière de la parole de Dieu que l’on a appris à écouter… Comme Jésus. Et pour nous autres, par lui. Jean 8, 12 : « Jésus leur parla de nouveau et dit : Moi, je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. »
Comme Jésus et, pour nous, par lui. Puisque comme l’annonçait Jean 1, 9 & 12-13 : Il est « la véritable lumière qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme. […] À tous ceux qui l’ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom et qui sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. »
C’est ce qui est être éduqué, « conduit hors de » — hors de la captivité rappelle la Pâque — ; et aussi hors de l’enfance, et de l’enfance spirituelle, pour être devant Dieu. Et en parallèle, comme parents, il s’agit de laisser être eux-mêmes, face au commandement qu’ils ont appris à connaître, ceux que nous tendons à maintenir dans notre dépendance, prolongeant leur enfance ; cela vaut concernant tout ce qui peut devenir une chaîne.
Ici, s’opère comme une nouvelle étape avec ceux avec qui nous sommes liés, nos proches, nos parents — et aussi nos maîtres, et tout ce qu’on peut imaginer — ; s’opère comme une séparation, qui vaut jusqu’à nos biens et nos propres vies. C’est qu’il n’est de vie à l’image du Christ, de vie en vérité, que sous le regard de Dieu. Et cela suppose, tôt ou tard, l’abandon de tout autre regard dont notre vie serait censée dépendre, pas seulement le regard des parents, mais ce que peut conférer un statut social, ou une position dans la société ou dans l’Église. Il s’agit désormais de vivre devant Dieu par la foi seule.
C’est de cela que Jésus montre l’exemple dans ce texte qui nous le présente au Temple à douze ans. Il vit dans sa chair cet exemple-là, et dévoile par la même occasion qui il est : le Fils de Dieu. Il est par nature ce que nous sommes tous appelés à devenir par adoption.
Ici les trois jours de sa disparition revêtent un second sens, annonçant sa résurrection : « proclamé Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts », selon les mots de Paul.
Comme Jésus nous en donne l’exemple, devenir enfant de Dieu, c’est-à-dire adulte en Christ, requiert la fin, la mort de toute dépendance, y compris du regard d’autrui, dans la famille et hors de la famille, hors de l’Église et dans l’Église. C’est le départ de la libération par l’Évangile.
Alors, un monde nouveau, annonce des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, devient possible, un monde de relations humaines reconnaissant l’autre pour lui-même, fût-il son enfant, son père ou sa mère, être créé selon l’image de Dieu, manifestée en Christ et non selon mon image ! Un prochain qui n’est pas limité à nos schémas, mais d’une valeur infinie.
Luc 2, 40-52
40 Or l'enfant grandissait et devenait fort ; il était rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.
41 Ses parents allaient chaque année à Jérusalem, pour la fête de la Pâque.
42 Lorsqu’il fut âgé de douze ans, ils y montèrent, selon la coutume de la fête.
43 Puis, quand les jours furent écoulés, et qu’ils s’en retournèrent, l’enfant Jésus resta à Jérusalem. Son père et sa mère ne s’en aperçurent pas.
44 Croyant qu’il était avec leurs compagnons de voyage, ils firent une journée de chemin, et le cherchèrent parmi leurs parents et leurs connaissances.
45 Mais, ne l’ayant pas trouvé, ils retournèrent à Jérusalem pour le chercher.
46 Au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant.
47 Tous ceux qui l’entendaient étaient frappés de son intelligence et de ses réponses.
48 Quand ses parents le virent, ils furent saisis d’étonnement, et sa mère lui dit : Mon enfant, pourquoi as- tu agi de la sorte avec nous ? Voici, ton père et moi, nous te cherchions avec angoisse.
49 Il leur dit : Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il faut que je m’occupe des affaires de mon Père ?
50 Mais ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait.
51 Puis il descendit avec eux à Nazareth ; il leur était soumis. Sa mère retenait toutes ces choses.
52 Et Jésus progressait en sagesse, en stature et en grâce auprès de Dieu et des humains.
*
L’Évangile de Luc poursuit le récit de l’enfance de Jésus, d’accomplissement de rites en accomplissement de rites de la Torah par sa famille, de la circoncision aux relevailles, avec tout ce qui en relève. Nous voici avec ce texte au pèlerinage de la Pâque ; le pèlerinage le plus important du judaïsme. En rapport précis avec la mémoire fondatrice de notre présent — de notre aujourd’hui, et dès lors, de nos lendemains.
Au-delà du souvenir familial, il y a la dimension plus large, concernant tout le peuple, qui fait que l’on monte à la ville centrale du culte, à Jérusalem, au Temple. Pour cela, s’il le faut, on marche longtemps sur les routes poussiéreuses — depuis la Galilée, pour Marie et Joseph, comme on les y a déjà vus pour les rites de la naissance. Depuis la Galilée, aujourd’hui, on part en groupe, on se découvre en route : c’est l’occasion de sceller des liens aussi. Ainsi, au retour de la fête, on a lié connaissance. Les enfants circulent d’un groupe à l’autre. Le voyage est long. On fait halte, on bivouaque ensemble, à l’aller comme au retour.
Sur le chemin du retour, dans cette joyeuse cohue, Jésus, peuvent se dire ses parents, est quelque part avec ses amis, et comme eux, il est sous telle ou telle tente. Rien que de très normal. Puis on découvre qu’il n’est pas là du tout ! Pour que toutefois le lecteur ne se trompe pas sur ce qui se passe, Luc précisera que Jésus « était soumis » à ses parents (Luc 2, 51). Mais pourtant, à présent il est mûr, il a l’âge de la responsabilité devant Dieu, autour de laquelle l’histoire du judaïsme place le rite de la bar-mitsvah.
Dans la tradition biblique, dès les temps les plus anciens, les enfants au tournant par lequel ils deviennent jeunes adultes, sont déclarés responsables devant Dieu — responsables de ce qu’ils ont entendu jusque là. Responsable, c’est-à-dire en capacité de répondre ; de répondre à, de répondre de — notamment répondre de la parole reçue.
C’est là ce que le judaïsme appellera « bar-mitsvah », ce qui signifie « enfant du commandement ». Dans notre enfance, nos parents sont responsables de notre relation avec Dieu. Puis nous accédons au temps où nous-mêmes devenons seuls responsables devant lui. C’est le passage à l’âge de la majorité religieuse.
Jésus aussi est passé par là. Ce jour-là, il se situe devant la parole de Dieu en présence des docteurs de la Loi étonnés. « Du ciel, il t’a fait entendre sa voix pour faire ton éducation » dit le Deutéronome (ch. 4, v. 36). Jésus dévoile qu’il est au cœur de cette relation intime avec Dieu. Ses parents sont montés à Jérusalem pour la Pâque ; dans la suite de tout le début de l’Évangile de Luc les montrant observant la Torah. Scènes ordinaires de la vie religieuse. Ici Jésus, atteignant l’âge de la responsabilité religieuse, va exprimer dans tout son sens ce qu’est devenir adulte devant Dieu, unique devant Dieu, par soi-même et non plus par ses parents.
Cela correspond à sa parole : « il faut que je m’occupe des affaires de mon Père » : une leçon pour ses parents, et aussi pour nous-mêmes — et comme parents et comme enfants. Dépouillé, perdu en regard des siens, pour être unique devant Dieu, Jésus s’occupe des affaires de son Père. Et c’est ce que Dieu nous demande aussi. Tous devons devenir adultes par rapport à ceux que nous recevons comme modèles.
Il s’agit pour nous de vivre dans la lumière, la lumière de la parole de Dieu que l’on a appris à écouter… Comme Jésus. Et pour nous autres, par lui. Jean 8, 12 : « Jésus leur parla de nouveau et dit : Moi, je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. »
Comme Jésus et, pour nous, par lui. Puisque comme l’annonçait Jean 1, 9 & 12-13 : Il est « la véritable lumière qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme. […] À tous ceux qui l’ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom et qui sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. »
C’est ce qui est être éduqué, « conduit hors de » — hors de la captivité rappelle la Pâque — ; et aussi hors de l’enfance, et de l’enfance spirituelle, pour être devant Dieu. Et en parallèle, comme parents, il s’agit de laisser être eux-mêmes, face au commandement qu’ils ont appris à connaître, ceux que nous tendons à maintenir dans notre dépendance, prolongeant leur enfance ; cela vaut concernant tout ce qui peut devenir une chaîne.
Ici, s’opère comme une nouvelle étape avec ceux avec qui nous sommes liés, nos proches, nos parents — et aussi nos maîtres, et tout ce qu’on peut imaginer — ; s’opère comme une séparation, qui vaut jusqu’à nos biens et nos propres vies. C’est qu’il n’est de vie à l’image du Christ, de vie en vérité, que sous le regard de Dieu. Et cela suppose, tôt ou tard, l’abandon de tout autre regard dont notre vie serait censée dépendre, pas seulement le regard des parents, mais ce que peut conférer un statut social, ou une position dans la société ou dans l’Église. Il s’agit désormais de vivre devant Dieu par la foi seule.
C’est de cela que Jésus montre l’exemple dans ce texte qui nous le présente au Temple à douze ans. Il vit dans sa chair cet exemple-là, et dévoile par la même occasion qui il est : le Fils de Dieu. Il est par nature ce que nous sommes tous appelés à devenir par adoption.
Ici les trois jours de sa disparition revêtent un second sens, annonçant sa résurrection : « proclamé Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts », selon les mots de Paul.
Comme Jésus nous en donne l’exemple, devenir enfant de Dieu, c’est-à-dire adulte en Christ, requiert la fin, la mort de toute dépendance, y compris du regard d’autrui, dans la famille et hors de la famille, hors de l’Église et dans l’Église. C’est le départ de la libération par l’Évangile.
Alors, un monde nouveau, annonce des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, devient possible, un monde de relations humaines reconnaissant l’autre pour lui-même, fût-il son enfant, son père ou sa mère, être créé selon l’image de Dieu, manifestée en Christ et non selon mon image ! Un prochain qui n’est pas limité à nos schémas, mais d’une valeur infinie.
RP, Poitiers, 30.12.18
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