Actes 5, 12-16 ; Psaume 118, 21-29 ; Apocalypse 1, 9-19 ; Jean 20, 19-31
Jean 20, 19-31
Pâques comme sortie du tombeau est la proclamation radicale de notre libération, dont la première grande expression biblique est l’Exode.
Une libération qui se fête non seulement au dimanche de Pâques, mais à chaque repos hebdomadaire. En l’occurrence, concernant l’Exode, il est question du commandement libérateur du Shabbat, signe de la libération divine, qui n’est pas le dimanche, mais auquel le dimanche fait écho.
C'est aussi ce que nous dit l’absence de Thomas au dimanche de Pâques, Thomas qui est présent huit jours après — comme aujourd'hui. Thomas est notre représentant, à nous qui n'avons pas vu et qui sommes appelés à entrer dans la création nouvelle. Heureux ceux qui sans avoir vu ont cru.
Le dimanche fait écho au commandement du Décalogue qui rappelle — selon le Deutéronome — que le Shabbat est ordonné en souvenir et en contrepartie de l’esclavage passé. Une libération qui vaut pour tous, et jusqu’aux animaux ! — au fond, ce que souligne l’événement du dimanche de Pâques, libération de toute la Création de la mort-même. C’est au point que cette parole de libération s’inscrit et s’enracine — selon le livre de l’Exode — dans la Création du monde en imitation de Dieu lui-même venant au terme de son œuvre ! Voilà une parole toute d’actualité à l’heure où l’idolâtrie consumériste voudrait éteindre le commandement divin de la libération signifiée dans le repos hebdomadaire ! Notre Pâque, c’est aussi cette parole-là, celle de la fin de tous nos esclavages. Promesse du Ressuscité : « Recevez l’Esprit Saint ; ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis » (Jn 20, 22-23). Libération de tout esclavage, comme parole de pardon…
… Pardon qui passe par la Croix, autre nuit de la Pâque, pour une grâce à ce coût. C’est ce que nous rappelle l’histoire de Joseph à la fin de la Genèse, qui précède le livre de l'Exode : le pardon précède la libération (Cf. Râbi’a : « Quelqu’un lui dit : "J’ai commis de nombreux péchés et j’ai beaucoup désobéi. Dieu me pardonnera-t-il si je me repens ?" Elle répondit : "Il faut que Dieu te pardonne d’abord. Ensuite tu te repentiras." » — Râbi’a, Propos XXVIII). Le pardon donné par Joseph est d’un prix considérable, pour lui… et pour ses frères qui l’ont vendu ! Pour eux, le prix de l’humiliation. Pour Joseph, le pardon a coûté l’exil, la perte de son père et des siens pendant plusieurs années, avec ce que cela peut compter de troubles, d’amertume, de blessures… Pour lui, le soleil n’aura plus la clarté du temps de l’innocence et de la naïveté, qu’ont brisée ses frères qui lui ont causé tant de torts, y compris parmi ceux-là, ceux qui, soi-disant, n’ont pas fait exprès, n’ont pas osé s’opposer à l’avis des plus forts, etc. Mais il n'y a pas de pardon sans justice. Ce que nous rappelle le fait que le pardon coûte toutes ces blessures. Pourtant Joseph est devenu ce que ces douleurs traversées ont contribué à faire de lui, avec cette vérité à même de fonder tout à nouveau un bonheur à une tout autre mesure : « Vous aviez médité de me faire du mal : Dieu l’a changé en bien » (Gn 50, 20) !
Du pardon, via la justice, naît un monde nouveau. De la Croix à Pâques. Se réalise ce que trois disciples avaient perçu en un éclair, à savoir le Règne de Dieu, lors de la transfiguration de Jésus, ce moment où trois disciples recevaient le privilège de voir lever un instant le secret de la gloire cachée sous l’humilité de celui qui demeure dans l’éternité auprès du Père. Secret qui ne sera pleinement levé pour la foi des croyants qu’au dimanche de Pâques. Message surprenant que ce dévoilement d’un instant, qui nous dit dès lors que l’humanité, que Jésus a assumée, est au-delà de nos capacités de compréhension et a fortiori de vision. Ce dévoilement est là comme un don, pour toute humanité ! — doté d’une valeur qui relève de l’infini… C’est ce qui sera dévoilé au dimanche de Pâques, pour un tout nouveau retentissement de la promesse du Royaume — « quelques–uns de ceux qui sont ici ne mourront point, qu’ils n’aient vu le royaume de Dieu venir avec puissance » disait Jésus à la veille de sa transfiguration (Mc 9, 1).
Ainsi, désormais, « du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ; fondez vos pensées en haut, non sur la terre. Vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu. Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire » (Colossiens 3, 1-4).
Lorsque au matin de Pâques, les femmes ont reçu ce signe : « le corps n’était pas là » ; le signe est chargé de cette promesse — qui retentit jusqu’à nous : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du temps » (Mt 28, 20).
Cela pour un envoi. Jean 20, 21 : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Un envoi, une mission… En lien précis avec la foi à la résurrection du Christ comme moment décisif, inaugural du Royaume : si le Royaume a commencé, il vaut pour toutes les nations, selon la promesse des prophètes. C'est bien le Ressuscité qui envoie les disciples, ici, en Jean, mais aussi chez Matthieu (ch. 28) ou suite à la rencontre du Ressuscité par Paul. Jérusalem, Judée, puis jusqu'aux extrémités de la Terre, pour Luc (Actes 1).
Ce royaume qu'il s’agit de proclamer jusqu'à toutes les nations se fonde sur le pardon, c'est-à-dire la remise des dettes, y compris morales et spirituelles, avec le pouvoir de les remettre, jusqu'au pouvoir sur le mal : « ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur seront soumis », selon une juste compréhension de ce texte qui n'invite pas en sa deuxième partie à retenir les péchés !, mais à en libérer pleinement, en donnant pouvoir sur le péché. On est au cœur de la promesse du Royaume : il n'y a pas d'autre monde nouveau que basé sur la remise des dettes, toutes les dettes, jusqu'aux dettes spirituelles, mais à commencer par les dettes tout court.
« Le pardon est certainement l’une des plus grandes facultés humaines et peut-être la plus audacieuse des actions, dans la mesure où elle tente l’impossible — à savoir défaire ce qui a été — et réussit à inaugurer un nouveau commencement là où tout semblait avoir pris fin. » (Hannah Arendt)
Le ressuscité a rendu cela possible, selon la foi de notre texte d’aujourd’hui : « Jésus leur dit : "La paix soit avec vous. Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie." Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : "Recevez l'Esprit Saint ; ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur seront soumis." »
Thomas l'a cru, car, au deuxième dimanche, en croyant la résurrection de celui qu'il confesse comme son Seigneur et son Dieu, c'est ce pouvoir là qu'il confesse : le pardon est possible, avec le pouvoir sur l’impossibilité de pardonner, car à Dieu tout est possible. Telle est la mission des disciples, et la nôtre après eux.
Jean 20, 19-31
19 Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Judéens, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d'eux et il leur dit : "La paix soit avec vous."
20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie.
21 Alors, à nouveau, Jésus leur dit : "La paix soit avec vous. Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie."
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit: "Recevez l'Esprit Saint ;
23 ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur seront soumis."
24 Cependant Thomas, l'un des Douze, celui qu'on appelle Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint.
25 Les autres disciples lui dirent donc : "Nous avons vu le Seigneur !" Mais il leur répondit : "Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n'enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n'enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas !"
26 Or huit jours plus tard, les disciples étaient à nouveau réunis dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vint, toutes portes verrouillées, il se tint au milieu d'eux et leur dit : "La paix soit avec vous."
27 Ensuite il dit à Thomas : "Avance ton doigt ici et regarde mes mains; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d'être incrédule et deviens un homme de foi."
28 Thomas lui répondit : "Mon Seigneur et mon Dieu."
29 Jésus lui dit : "Parce que tu m’as vu, tu as cru; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru."
30 Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d’autres signes qui ne sont pas rapportés dans ce livre.
31 Ceux-ci l’ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom.
*
Pâques comme sortie du tombeau est la proclamation radicale de notre libération, dont la première grande expression biblique est l’Exode.
Une libération qui se fête non seulement au dimanche de Pâques, mais à chaque repos hebdomadaire. En l’occurrence, concernant l’Exode, il est question du commandement libérateur du Shabbat, signe de la libération divine, qui n’est pas le dimanche, mais auquel le dimanche fait écho.
C'est aussi ce que nous dit l’absence de Thomas au dimanche de Pâques, Thomas qui est présent huit jours après — comme aujourd'hui. Thomas est notre représentant, à nous qui n'avons pas vu et qui sommes appelés à entrer dans la création nouvelle. Heureux ceux qui sans avoir vu ont cru.
Le dimanche fait écho au commandement du Décalogue qui rappelle — selon le Deutéronome — que le Shabbat est ordonné en souvenir et en contrepartie de l’esclavage passé. Une libération qui vaut pour tous, et jusqu’aux animaux ! — au fond, ce que souligne l’événement du dimanche de Pâques, libération de toute la Création de la mort-même. C’est au point que cette parole de libération s’inscrit et s’enracine — selon le livre de l’Exode — dans la Création du monde en imitation de Dieu lui-même venant au terme de son œuvre ! Voilà une parole toute d’actualité à l’heure où l’idolâtrie consumériste voudrait éteindre le commandement divin de la libération signifiée dans le repos hebdomadaire ! Notre Pâque, c’est aussi cette parole-là, celle de la fin de tous nos esclavages. Promesse du Ressuscité : « Recevez l’Esprit Saint ; ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis » (Jn 20, 22-23). Libération de tout esclavage, comme parole de pardon…
… Pardon qui passe par la Croix, autre nuit de la Pâque, pour une grâce à ce coût. C’est ce que nous rappelle l’histoire de Joseph à la fin de la Genèse, qui précède le livre de l'Exode : le pardon précède la libération (Cf. Râbi’a : « Quelqu’un lui dit : "J’ai commis de nombreux péchés et j’ai beaucoup désobéi. Dieu me pardonnera-t-il si je me repens ?" Elle répondit : "Il faut que Dieu te pardonne d’abord. Ensuite tu te repentiras." » — Râbi’a, Propos XXVIII). Le pardon donné par Joseph est d’un prix considérable, pour lui… et pour ses frères qui l’ont vendu ! Pour eux, le prix de l’humiliation. Pour Joseph, le pardon a coûté l’exil, la perte de son père et des siens pendant plusieurs années, avec ce que cela peut compter de troubles, d’amertume, de blessures… Pour lui, le soleil n’aura plus la clarté du temps de l’innocence et de la naïveté, qu’ont brisée ses frères qui lui ont causé tant de torts, y compris parmi ceux-là, ceux qui, soi-disant, n’ont pas fait exprès, n’ont pas osé s’opposer à l’avis des plus forts, etc. Mais il n'y a pas de pardon sans justice. Ce que nous rappelle le fait que le pardon coûte toutes ces blessures. Pourtant Joseph est devenu ce que ces douleurs traversées ont contribué à faire de lui, avec cette vérité à même de fonder tout à nouveau un bonheur à une tout autre mesure : « Vous aviez médité de me faire du mal : Dieu l’a changé en bien » (Gn 50, 20) !
Du pardon, via la justice, naît un monde nouveau. De la Croix à Pâques. Se réalise ce que trois disciples avaient perçu en un éclair, à savoir le Règne de Dieu, lors de la transfiguration de Jésus, ce moment où trois disciples recevaient le privilège de voir lever un instant le secret de la gloire cachée sous l’humilité de celui qui demeure dans l’éternité auprès du Père. Secret qui ne sera pleinement levé pour la foi des croyants qu’au dimanche de Pâques. Message surprenant que ce dévoilement d’un instant, qui nous dit dès lors que l’humanité, que Jésus a assumée, est au-delà de nos capacités de compréhension et a fortiori de vision. Ce dévoilement est là comme un don, pour toute humanité ! — doté d’une valeur qui relève de l’infini… C’est ce qui sera dévoilé au dimanche de Pâques, pour un tout nouveau retentissement de la promesse du Royaume — « quelques–uns de ceux qui sont ici ne mourront point, qu’ils n’aient vu le royaume de Dieu venir avec puissance » disait Jésus à la veille de sa transfiguration (Mc 9, 1).
Ainsi, désormais, « du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ; fondez vos pensées en haut, non sur la terre. Vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu. Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire » (Colossiens 3, 1-4).
Lorsque au matin de Pâques, les femmes ont reçu ce signe : « le corps n’était pas là » ; le signe est chargé de cette promesse — qui retentit jusqu’à nous : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du temps » (Mt 28, 20).
*
Cela pour un envoi. Jean 20, 21 : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Un envoi, une mission… En lien précis avec la foi à la résurrection du Christ comme moment décisif, inaugural du Royaume : si le Royaume a commencé, il vaut pour toutes les nations, selon la promesse des prophètes. C'est bien le Ressuscité qui envoie les disciples, ici, en Jean, mais aussi chez Matthieu (ch. 28) ou suite à la rencontre du Ressuscité par Paul. Jérusalem, Judée, puis jusqu'aux extrémités de la Terre, pour Luc (Actes 1).
Ce royaume qu'il s’agit de proclamer jusqu'à toutes les nations se fonde sur le pardon, c'est-à-dire la remise des dettes, y compris morales et spirituelles, avec le pouvoir de les remettre, jusqu'au pouvoir sur le mal : « ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur seront soumis », selon une juste compréhension de ce texte qui n'invite pas en sa deuxième partie à retenir les péchés !, mais à en libérer pleinement, en donnant pouvoir sur le péché. On est au cœur de la promesse du Royaume : il n'y a pas d'autre monde nouveau que basé sur la remise des dettes, toutes les dettes, jusqu'aux dettes spirituelles, mais à commencer par les dettes tout court.
« Le pardon est certainement l’une des plus grandes facultés humaines et peut-être la plus audacieuse des actions, dans la mesure où elle tente l’impossible — à savoir défaire ce qui a été — et réussit à inaugurer un nouveau commencement là où tout semblait avoir pris fin. » (Hannah Arendt)
Le ressuscité a rendu cela possible, selon la foi de notre texte d’aujourd’hui : « Jésus leur dit : "La paix soit avec vous. Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie." Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : "Recevez l'Esprit Saint ; ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur seront soumis." »
Thomas l'a cru, car, au deuxième dimanche, en croyant la résurrection de celui qu'il confesse comme son Seigneur et son Dieu, c'est ce pouvoir là qu'il confesse : le pardon est possible, avec le pouvoir sur l’impossibilité de pardonner, car à Dieu tout est possible. Telle est la mission des disciples, et la nôtre après eux.
RP, Poitiers, 28.04.2019
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