Actes 5, 27-41 ; Psaume 30 ; Apocalypse 5, 11-14 ; Jean 21, 1-19
Jean 21, 1-19
Ayant bénéficié de la pêche miraculeuse et reçu le repas présenté par le Ressuscité, Pierre, face à Jésus lui demandant pour la troisième fois s'il l'aime, est attristé. Quelle est cette tristesse ? La triple question de Jésus révèle en Pierre celle de la vérité de son amour…
On sait qu'en grec dans notre texte, il y a deux mots différents pour dire aimer. Deux fois Jésus emploie le mot agapè, qui signifie aimer au sens de chérir, et qui implique un comportement actif, et donc en l'occurrence l'obéissance, le service. Et Pierre ne répond jamais avec ce mot-là. Il en emploie un autre, phileo qui n'est pas moins fort, mais qui suppose un état de relation plutôt qu'un engagement. Une relation, très forte en l'occurrence, mais qui semble moins impliquer apparemment. Oui, tu sais que nous sommes en relation d'amitié, que l'amour nous lie — telle est la réponse de Pierre. Pierre, honnête, ne donne pas la parole de l'engagement.
Alors Jésus, lui posant une troisième fois la question, emploie cette fois le mot de Pierre, phileo. Sommes-nous en relation d'amitié, d'amour réciproque ? Et Pierre acquiesce une troisième fois, mais il est triste. Quelle est cette tristesse ? Il n'a pas pu lui dire qu'il l'aimait, au sens d'un engagement de sa part ? Il sait, Jésus sait aussi, qu'ils sont en relation amicale, au sens le plus fort : il y a un véritable amour entre eux. Mais Pierre n'a pas dit la parole, le mot que Jésus a dit.
Cela étant, par là, en reprenant ses mots apparemment moins engageants, Jésus rejoint Pierre. L'amour que je t'ai porté a créé cet état de fait, la relation amicale, relation d'amour maître-disciple, la relation Père-enfant, parce que, par moi, mon Père t'a reconnu comme son enfant, cette relation est là, elle existe, et elle créera en toi l'engagement dont tu sais qu'il est hors de portée.
Jésus rejoint Pierre en le rejoignant dans ses mots, rejoignant la crainte et la tristesse de Pierre dans ce qui est une véritable progression de l'énonciation de l'amour de Jésus.
Il se trouve que cela est confirmé par la version araméenne de ce passage, dans la Bible en araméen, la Peshitta, où le mot pour aimer est les trois fois le même — ce qui change c'est le mot pour brebis, qui indique, lui, une progression. Un mot qui traduit agneau, un autre mouton, un troisième brebis, qui résonnent respectivement avec le mot dire pour le premier, s'engager pour le second, se donner pour le troisième, à savoir la brebis en tant qu'elle est offerte, ce qui renvoie à Jésus lui-même, offert.
La tristesse de Pierre prend alors une connotation très forte : il sait que c'est le don de la vie de son maître, offert à la mort pour l'entrée dans la vie de résurrection qui crée en lui ce que Jésus lui demande.
Pierre entrevoit alors sans doute tout le sens de cette tâche de berger en se souvenant de ce que Jésus disait de lui-même, bon berger, dont la tâche, qu'il confie à présent à ses disciples, est finalement de conduire les brebis dès à présent dans les pâturages auxquels on accède en passant de la mort à la vie.
Jésus y a accédé alors que Pierre ne pouvait pas le suivre — et il le disait par trois fois, par trois reniements, voilà l'écho qui est dans sa tristesse —, et où il le suivra bientôt, alors qu' « un autre le ceindra », Jésus lui-même, qui l'appelle à nouveau par trois fois. Pierre avait décidément raison d'hésiter à répondre — hésitation prophétique. « Prends soin de mes brebis » insistait le Seigneur.
C'est ce qu'implique la suite de l'histoire, où Jésus annonce à Pierre qu'il étendra un jour les bras pour qu'un autre le mène où il ne voulait pas aller.
Pierre jeune fait ce qu'il veut, va où il veut. Ce matin-là encore il se ceint lui-même, pour aller à la rencontre de Jésus (v. 7). Pierre comprendra par les propos de Jésus que c'est source de tristesse. Mais le Père l'a accueilli, et lui apprendra, au prix de sa tristesse, la joie de la confiance, être ceint par un autre.
Un jour, et c'est déjà ce jour, il ne fera plus ce qu'il voudra, il n'ira plus où il voudra. Un jour, et c'est dès à présent, il obéira au-delà de toute crainte. Un autre le ceindra, et le conduira finalement à la suite de son maître, fût-ce à la croix où il n'avait pas suivi son maître. Bien plus douloureux que l'engagement et le service que Jésus lui demande aujourd'hui. Mais ce jour-là, Pierre aura appris cette confiance / obéissance qui vaut mieux que les mots qu'il n'a pas eu l’inconscience de prononcer.
Alors, le sens de ce qui vient de se passer lors de la pêche miraculeuse se dévoile : celui que les disciples n'avaient pas encore reconnu comme le Seigneur, un inconnu pour eux, leur a demandé à manger. Et ils n'ont alors rien, ils n'ont pris aucun poisson. Lorsque ce même inconnu pour eux leur dit : « Jetez le filet du côté droit de la barque et vous trouverez » — du côté du soleil à son zénith quand au devant est l'Est de ce petit matin —, ils le font, soucieux de lui donner à manger : ils le jetèrent et il y eut tant de poissons qu'ils ne pouvaient plus le ramener, dit le texte, donnant ensuite un nombre de poissons, 153, où depuis les pères de l'Eglise, on voit un symbole de la plénitude des peuples.
Et ils le reconnaissent : le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre : « C'est le Seigneur ! » Pierre reconnaîtra le Seigneur ressuscité, et nous tous avec lui, en ceux vers qui il est envoyé ; le Seigneur dont les apparitions cesseront : va, donc, et pais mes brebis. À nouveau ils sont prêts à sortir et à monter dans la barque de celui qui les mènera aux extrémités de la Terre.
Jean 21, 1-19
1 Après cela, Jésus se manifesta de nouveau aux disciples sur les bords de la mer de Tibériade. Voici comment il se manifesta.
2 Simon-Pierre, Thomas qu'on appelle Didyme, Nathanaël de Cana de Galilée, les fils de Zébédée et deux autres disciples se trouvaient ensemble.
3 Simon-Pierre leur dit : « Je vais pêcher. » Ils lui dirent : « Nous allons avec toi. » Ils sortirent et montèrent dans la barque, mais cette nuit-là, ils ne prirent rien.
4 C'était déjà le matin ; Jésus se tint là sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c'était lui.
5 Il leur dit : « Enfants, n'avez-vous pas un peu de poisson ? » — « Non », lui répondirent-ils.
6 Il leur dit : « Jetez le filet du côté droit de la barque et vous trouverez. » Ils le jetèrent et il y eut tant de poissons qu'ils ne pouvaient plus le ramener.
7 Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre : « C'est le Seigneur ! » Dès qu'il eut entendu que c'était le Seigneur, Simon-Pierre ceignit un vêtement, car il était nu, et il se jeta à la mer.
8 Les autres disciples revinrent avec la barque, en tirant le filet plein de poissons : ils n'étaient pas bien loin de la rive, à deux cents coudées environ.
9 Une fois descendus à terre, ils virent un feu de braise sur lequel on avait disposé du poisson et du pain.
10 Jésus leur dit : « Apportez donc ces poissons que vous venez de prendre. »
11 Simon-Pierre remonta donc dans la barque et il tira à terre le filet que remplissaient cent cinquante-trois gros poissons, et quoiqu'il y en eût tant, le filet ne se déchira pas.
12 Jésus leur dit : « Venez déjeuner. » Aucun des disciples n'osait lui poser la question : « Qui es-tu ? » : ils savaient bien que c'était le Seigneur.
13 Alors Jésus vient ; il prend le pain et le leur donne ; il fit de même avec le poisson.
14 Ce fut la troisième fois que Jésus se manifesta à ses disciples depuis qu'il s'était relevé d'entre les morts.
15 Après le repas, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? » Il répondit : « Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime », et Jésus lui dit alors : « Pais mes agneaux. »
16 Une seconde fois, Jésus lui dit : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? » Il répondit : « Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. » Jésus dit : « Sois le berger de mes brebis. »
17 Une troisième fois, il dit : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? » Pierre fut attristé de ce que Jésus lui avait dit une troisième fois : « M'aimes-tu ? », et il reprit : « Seigneur, toi qui connais toutes choses, tu sais bien que je t'aime. » Et Jésus lui dit : « Pais mes brebis.
18 En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais ; lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras les mains et c'est un autre qui nouera ta ceinture et qui te conduira là où tu ne voudrais pas. »
19 Jésus parla ainsi pour indiquer de quelle mort Pierre devait glorifier Dieu ; et après cette parole, il lui dit : « Suis-moi. »
*
Ayant bénéficié de la pêche miraculeuse et reçu le repas présenté par le Ressuscité, Pierre, face à Jésus lui demandant pour la troisième fois s'il l'aime, est attristé. Quelle est cette tristesse ? La triple question de Jésus révèle en Pierre celle de la vérité de son amour…
On sait qu'en grec dans notre texte, il y a deux mots différents pour dire aimer. Deux fois Jésus emploie le mot agapè, qui signifie aimer au sens de chérir, et qui implique un comportement actif, et donc en l'occurrence l'obéissance, le service. Et Pierre ne répond jamais avec ce mot-là. Il en emploie un autre, phileo qui n'est pas moins fort, mais qui suppose un état de relation plutôt qu'un engagement. Une relation, très forte en l'occurrence, mais qui semble moins impliquer apparemment. Oui, tu sais que nous sommes en relation d'amitié, que l'amour nous lie — telle est la réponse de Pierre. Pierre, honnête, ne donne pas la parole de l'engagement.
Alors Jésus, lui posant une troisième fois la question, emploie cette fois le mot de Pierre, phileo. Sommes-nous en relation d'amitié, d'amour réciproque ? Et Pierre acquiesce une troisième fois, mais il est triste. Quelle est cette tristesse ? Il n'a pas pu lui dire qu'il l'aimait, au sens d'un engagement de sa part ? Il sait, Jésus sait aussi, qu'ils sont en relation amicale, au sens le plus fort : il y a un véritable amour entre eux. Mais Pierre n'a pas dit la parole, le mot que Jésus a dit.
Cela étant, par là, en reprenant ses mots apparemment moins engageants, Jésus rejoint Pierre. L'amour que je t'ai porté a créé cet état de fait, la relation amicale, relation d'amour maître-disciple, la relation Père-enfant, parce que, par moi, mon Père t'a reconnu comme son enfant, cette relation est là, elle existe, et elle créera en toi l'engagement dont tu sais qu'il est hors de portée.
Jésus rejoint Pierre en le rejoignant dans ses mots, rejoignant la crainte et la tristesse de Pierre dans ce qui est une véritable progression de l'énonciation de l'amour de Jésus.
Il se trouve que cela est confirmé par la version araméenne de ce passage, dans la Bible en araméen, la Peshitta, où le mot pour aimer est les trois fois le même — ce qui change c'est le mot pour brebis, qui indique, lui, une progression. Un mot qui traduit agneau, un autre mouton, un troisième brebis, qui résonnent respectivement avec le mot dire pour le premier, s'engager pour le second, se donner pour le troisième, à savoir la brebis en tant qu'elle est offerte, ce qui renvoie à Jésus lui-même, offert.
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La tristesse de Pierre prend alors une connotation très forte : il sait que c'est le don de la vie de son maître, offert à la mort pour l'entrée dans la vie de résurrection qui crée en lui ce que Jésus lui demande.
Pierre entrevoit alors sans doute tout le sens de cette tâche de berger en se souvenant de ce que Jésus disait de lui-même, bon berger, dont la tâche, qu'il confie à présent à ses disciples, est finalement de conduire les brebis dès à présent dans les pâturages auxquels on accède en passant de la mort à la vie.
Jésus y a accédé alors que Pierre ne pouvait pas le suivre — et il le disait par trois fois, par trois reniements, voilà l'écho qui est dans sa tristesse —, et où il le suivra bientôt, alors qu' « un autre le ceindra », Jésus lui-même, qui l'appelle à nouveau par trois fois. Pierre avait décidément raison d'hésiter à répondre — hésitation prophétique. « Prends soin de mes brebis » insistait le Seigneur.
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C'est ce qu'implique la suite de l'histoire, où Jésus annonce à Pierre qu'il étendra un jour les bras pour qu'un autre le mène où il ne voulait pas aller.
Pierre jeune fait ce qu'il veut, va où il veut. Ce matin-là encore il se ceint lui-même, pour aller à la rencontre de Jésus (v. 7). Pierre comprendra par les propos de Jésus que c'est source de tristesse. Mais le Père l'a accueilli, et lui apprendra, au prix de sa tristesse, la joie de la confiance, être ceint par un autre.
Un jour, et c'est déjà ce jour, il ne fera plus ce qu'il voudra, il n'ira plus où il voudra. Un jour, et c'est dès à présent, il obéira au-delà de toute crainte. Un autre le ceindra, et le conduira finalement à la suite de son maître, fût-ce à la croix où il n'avait pas suivi son maître. Bien plus douloureux que l'engagement et le service que Jésus lui demande aujourd'hui. Mais ce jour-là, Pierre aura appris cette confiance / obéissance qui vaut mieux que les mots qu'il n'a pas eu l’inconscience de prononcer.
Alors, le sens de ce qui vient de se passer lors de la pêche miraculeuse se dévoile : celui que les disciples n'avaient pas encore reconnu comme le Seigneur, un inconnu pour eux, leur a demandé à manger. Et ils n'ont alors rien, ils n'ont pris aucun poisson. Lorsque ce même inconnu pour eux leur dit : « Jetez le filet du côté droit de la barque et vous trouverez » — du côté du soleil à son zénith quand au devant est l'Est de ce petit matin —, ils le font, soucieux de lui donner à manger : ils le jetèrent et il y eut tant de poissons qu'ils ne pouvaient plus le ramener, dit le texte, donnant ensuite un nombre de poissons, 153, où depuis les pères de l'Eglise, on voit un symbole de la plénitude des peuples.
Et ils le reconnaissent : le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre : « C'est le Seigneur ! » Pierre reconnaîtra le Seigneur ressuscité, et nous tous avec lui, en ceux vers qui il est envoyé ; le Seigneur dont les apparitions cesseront : va, donc, et pais mes brebis. À nouveau ils sont prêts à sortir et à monter dans la barque de celui qui les mènera aux extrémités de la Terre.
R.P. Châtellerault, 05.05.19
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