dimanche 11 octobre 2020

Festin pour tous




Ésaïe 25, 6-9 ; Psaume 23 ; Philippiens 4, 12-20 ; Matthieu 22, 1-14

Ésaïe 25, 6-9
6 Le SEIGNEUR, le tout-puissant, va donner sur cette montagne un festin pour tous les peuples, un festin de viandes grasses et de vins vieux, de viandes grasses succulentes et de vins vieux décantés.
7 Il fera disparaître sur cette montagne le voile tendu sur tous les peuples, l’enduit plaqué sur toutes les nations.
8 Il fera disparaître la mort pour toujours. Le Seigneur DIEU essuiera les larmes sur tous les visages et dans tout le pays il enlèvera la honte de son peuple. Il l’a dit, lui, le SEIGNEUR.
9 On dira ce jour-là : C’est lui notre Dieu. Nous avons espéré en lui, et il nous délivre. C’est le SEIGNEUR en qui nous avons espéré. Exultons, jubilons, puisqu’il nous sauve.

Matthieu 22, 1-14
1 Et Jésus se remit à leur parler en paraboles :
2 "Il en va du Royaume des cieux comme d’un roi qui fit un festin de noces pour son fils.
3 Il envoya ses serviteurs appeler à la noce les invités. Mais eux ne voulaient pas venir.
4 Il envoya encore d’autres serviteurs chargés de dire aux invités : Voici, j’ai apprêté mon banquet ; mes taureaux et mes bêtes grasses sont égorgés, tout est prêt, venez aux noces.
5 Mais eux, sans en tenir compte, s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce ;
6 les autres, saisissant les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent.
7 Le roi se mit en colère ; il envoya ses troupes, fit périr ces assassins et incendia leur ville.
8 Alors il dit à ses serviteurs : La noce est prête, mais les invités n’en étaient pas dignes.
9 Allez donc aux places d’où partent les chemins et convoquez à la noce tous ceux que vous trouverez.
10 Ces serviteurs s’en allèrent par les chemins et rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, mauvais et bons. Et la salle de noce fut remplie de convives.
11 Entré pour regarder les convives, le roi aperçut là un homme qui ne portait pas de vêtement de noce.
12 Mon ami, lui dit-il, comment es-tu entré ici sans avoir de vêtement de noce ? Celui-ci resta muet.
13 Alors le roi dit aux servants : Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres du dehors : là seront les pleurs et les grincements de dents.
14 Certes, la multitude est appelée, mais peu sont élus."

*

« Dans ta demeure nuit et jour, la table est toujours prête ; et tu nourris ceux qui ont faim de l'abondance de tes biens en un repas de fête » (Ps 36, versifié en français par Clément Marot).

Un festin pour tous les peuples, indépendamment de toute appartenance, religieuse, nationale, à tel cercle social privilégié ou que sais-je encore — c’est ce dont nous parle Matthieu après Ésaïe. Festin pour tous et toutes, indifféremment des types divers de distinctions sociales, économiques ou autres.

Sans privilège des uns par rapport aux autres. D’autant plus que ce genre d’impressions d’appartenance plus ou moins privilégiée, ou d’élite, a pour effet de faire regarder de haut — non seulement les autres, mais aussi — le don de Dieu que l’on prend pour un dû. Car au bout du compte, on méprise carrément le trop plein de bonheur et d’abondance, reçu de toute façon comme un dû ! Et on dédaigne la source de tout bien, qui étend ses bienfaits jusqu'au-delà des larmes et de la mort.

Un Proverbe attribué au roi Salomon (Pr 30, 9) — qui n’avait rien à apprendre de quiconque en matière de richesse —, dit : « garde-moi, ô Dieu, de la pauvreté, de peur que je ne me révolte contre toi, garde-moi aussi de la richesse de peur que je ne t’oublie » — de peur que je n’oublie que tout vient de toi et que l’on est mal venu de considérer la fête que tu promets comme quantité négligeable. N’est-ce pas un peu le problème de toute civilisation repue, de notre civilisation ? Jusqu’au jour où…


Eh bien, c’est encore cela que déplore Jésus. Nous voilà invités à la fête, à recevoir des bienfaits inouïs et — du haut de nos longs siècles d'acquis religieux — nous passons à côté de ces bienfaits (dont le cœur est le don gratuit de Dieu), qui sont pourtant l’essentiel de cet héritage enfoui sous le rébarbatif.

Je vous ai invités à la noce, et vous avez dédaigné mon appel. Je suis allé appeler ailleurs — ceux que parfois vous avez cru devoir regarder de haut, au banquet de la Parole de Dieu.

C’est évidemment de cela que parle Jésus quand il évoque ceux qui sont envoyés pour inviter des convives à la noce et qui se font tuer : il parle évidemment des prophètes assassinés par le peuple quand il ne veut plus se laisser interpeller et qui préfère faire taire les voix qui dérangent — ex. Bonhöffer ou Martin Luther King, et combien d'anonymes, aujourd’hui-même ailleurs sur notre terre.


Mais sans aller jusque là, si l'on se contente de se considérer comme un peu trop occupé, « l’un à son champ, l’autre à son commerce » comme dit Jésus, ou encore à son affaire, ses priorités sportives, que sais-je encore — affaires qui valent quoi finalement… ? Cela jusqu’à trouver inopportun l’appel de Dieu…

De toute façon, que ce soit ceux qui refusent l’invitation au Royaume, voire qui persécutent, et même tuent ceux qui la leur apportent ! — ou que ce soit ceux qui prétendent y entrer par leurs propres moyens, — on n’entre pas aisément dans le Royaume de Dieu.

Inutile de dire qu'il s'agit d'une parabole, pas d'un appel à égorger quiconque ! Je dis cela en regard du v. 7 et de son parallèle en Luc (19, 27) où le roi invitant à la noce fait tuer, ou « égorger » les méchants invités, nous rappelant que c'est d'une histoire propre à frapper les esprits qu'il s'agit. Pas plus de recommandation d’égorgement ici que dans Le Petit Poucet, lequel ne prône pas l'égorgement des enfants comme non plus Le Petit Chaperon rouge l'éventrement des vieilles dames qui cacheraient un loup déguisé.

Il s'agit d'une parabole, qui ouvre sur une deuxième partie ; concernant un invité qui est entré sans la tenue correcte exigée — où les choses peuvent sembler encore plus difficiles à saisir !…

D’autant plus que le texte précise que l’invitation vaut pour les méchants comme pour les bons… Mais justement, la réponse est sans doute là : des méchants et des bons, à savoir par la grâce seule : la grâce seule qui ouvre la conversion — la vêture de l’habit de noces — c'est-à-dire : en aucun cas être revêtu de ses propres prétentions, comme d'un enduit, pour reprendre les mots d'Ésaïe…


Car c’est de cela qu’il s’agit au fond dans le deuxième aspect de la parabole. Où, parmi ceux qui viennent finalement au banquet — ceux auxquels est finalement adressé l’appel dédaigné par les repus de spiritualité et de biens en tout genre, dont « l'égorgement » ne dit rien d'autre que la maigre estime en laquelle sont tenus ceux qui se croient au-dessus de la grâce —, voilà un de ces pauvres de tout, apparemment, qui ne porte pas de vêtements de noce — bref, lui aussi au-dessus de la grâce. Peut-être celui-là se targue-t-il de sa propre pauvreté, présentée dès lors comme richesse spirituelle !

Si, certes, en un premier sens, il s'agit ici aussi d'une illustration — genre : on ne va pas à la noce en tenue de travail ou de sport, qui laisserait à penser au minimum qu'on a l'esprit ailleurs ; derrière cela est à nouveau soulignée la grâce, la gratuité radicale d'une invitation qui dès lors, coûte tout.

Au festin du Royaume il s'agit de s’habiller le cœur ! comme disait Saint-Exupéry par la bouche du renard attendant le petit Prince, ici s'habiller le cœur d'un vêtement qui dit que, de nous-mêmes, nous n'en avons aucun. Ni celui de notre richesse spirituelle, ni même celui d'une pauvreté perçue comme richesse paradoxale. Ce que reproche le maître du festin de la parabole à l’homme trouvé sans habit de noces, c’est d’avoir négligé, précisément, de s’habiller le cœur, reconnu comme nu. Ce qui revient à dire que s’il n’a pas refusé cette invitation que les premiers appelés avaient négligée, il n’en a, pas plus qu’eux, mesuré la portée.

Pour le redire dans les termes de l'illustration : est-il venu pour s’offrir un repas, une soirée dansante, ou que sais-je de ce genre ? Ou autre chose à côté du sens de l’invitation ? Sa tenue montre qu’il n’a pas perçu ce que valait la fête du Royaume. Il ne s’est pas habillé le cœur ! — de cet habit du cœur offert comme don de la parole reçue. C’est ce que dit la finale sur les appelés et les élus. L’appel du messager n’a pas résonné dans le cœur de l'invité… Car « il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus » — ceux que la parole a dépouillés de toute prétention, fut-ce une prétention paradoxale.

L'habit du cœur nous est offert. Quel est cet habit du cœur ? Ce n'est pas celui que nous nous confectionnerions nous-mêmes, avec nos œuvres — le vêtement de travail dont nous parlions — ou de nos performances — tenue de sport — ce n'est pas le vêtement de nos peines et nos tristesses — i.e. de nos repentirs — non plus ; ni même une pauvreté exhibée comme richesse paradoxale. Rien de tout ce que nous pourrions nous constituer : le vêtement de noce est celui que le Maître du festin lui-même nous a confectionné : il s'agit de revêtir le Christ (selon les mots de l’Apôtre Paul), d'en revêtir la tunique de résurrection, dès à présent. Nous n'entrons pas par nous-mêmes, mais dépouillés de nous-mêmes, dépouillés du vêtement qu'est le vieil homme périssant en nous, le Maître couvre notre nudité du Christ, nous invitant à la confiance seule : il est lui-même notre droit d'entrée au festin du Royaume.


RP, Châtellerault, 11/10/20
En PDF : culte en entier :: :: Prédication


Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire