Ésaïe 45, 1 & 4-6 ; Psaume 96 ; 1 Thessaloniciens 1, 1-5 ; Matthieu 22, 15-21
Ésaïe 44, 28 - 45, 1 & 4-6 (d’après Chouraqui)
Matthieu 22, 15-21
Point commun entre l’actualité immédiate et ce que dénoncent nos deux textes : l’idolâtrie. Une idole de la puissance, de la force et de la violence. Le vrai Dieu est au-delà de toute figure, et de toute figure de la force, que ce soit empereur romain, César ; perse, puisque, on va y revenir, on a pris l’habitude de voir Cyrus en Ésaïe ; ou aujourd’hui une figure de Dieu au nom de laquelle on tue. Une idole fragile au point d’être menacée par des dessins, au point de devoir être défendue par la violence ! Le Dieu suprême, le vrai Dieu, est inblasphémable. Aucune des figures d’idole que l'on s'en fait n’est Dieu, Dieu au-delà de tout nom, de toute représentation, et dont la force se déploie dans la faiblesse d’un serviteur souffrant.
On a donc pris l’habitude de voir dans le koresh d’Ésaïe, non pas le serviteur souffrant, mais l’empereur Cyrus et de traduire (sauf Chouraqui) koresh par Cyrus. Cela suppose que la parole de Dieu « pour Jérusalem : "Qu’elle soit bâtie", et pour le temple : "Sois fondé !" » soit le décret par lequel Cyrus autorisait le retour d’exil des Judéens et la reconstruction du temple de Jérusalem. Or, on l’a vu précédemment, Jérémie (ch. 25 et 29) et 2 Chroniques (ch. 36) renvoient clairement au passé, et pour Daniel (ch. 9), qui cite Jérémie, la parole de construction de Jérusalem et du temple est, plutôt que le décret de Cyrus, la parole, autrement signifiante, du prophète Nathan (2 Samuel 7, 8-13) !
Voilà une habitude de relecture devenue séculaire à partir de laquelle on estime qu’Ésaïe (44, 28 et 45, 1) parle aussi dudit décret, et donc de Cyrus, empereur de Perse. Question : et si Ésaïe ne parlait pas du décret de Cyrus, mais, lui aussi, de la parole de Nathan promettant la construction du temple (ici aussi, selon l’hébreu, et le grec de la LXX, le texte dit simplement construction) ? Est-il donc question de Cyrus dans Ésaïe ?
Le mot hébreu est koresh, qui connote « comme chef » puissance, puissance suprême (selon le dictionnaire Strong). La mention de koresh, en deux versets (44, 28 et 45, 1 ; Segond et Colombe ajoutent une mention de « Cyrus », absente de l’hébreu, en 45, 13 !), la mention de koresh se trouve dans une section (40-55) qui conduit à la présentation du Messie comme serviteur souffrant : la puissance se dévoile dans le serviteur souffrant, Messie de Juda, de la lignée de David, dans lequel sont réconciliés Juda et Israël.
Que vient faire l’empereur de la Perse là-dedans, empereur nommé Kurash, nom qui en persan signifie « soleil », le « roi soleil » ? Ce roi soleil-là a eu une politique religieuse tolérante, rétablissant les lieux de culte, comme en atteste aussi, via l’archéologie, un fameux « cylindre de Cyrus », mentionnant sa réhabilitation du temple de la divinité babylonienne Marduk, qu’il proclame comme « le grand seigneur » — témoignage d’une politique religieuse qui a aussi profité aux Judéens (cf. 2 Chr 36, 22-23).
Mais aucune trace d’une élévation de cet empereur, maître d’un empire allant de l’Inde à l’Éthiopie, au statut de Messie d’Israël ! Ni même trace d’un « universalisme », au fond bien obséquieux, par lequel le livre du prophète Ésaïe aurait rendu hommage à la force militaire d’un empereur, fût-il tolérant, dans une section où précisément il dénonce la force guerrière en annonçant un messie d’Israël souffrant et humilié.
Aucune trace non plus d’un tel hommage à Cyrus dans le livre de Daniel du canon juif. En revanche le Daniel grec, qui clôt la Bible des LXX, se termine par la reconnaissance par Cyrus du Dieu d’Israël, équivalent de sa reconnaissance de Marduk dans le cylindre de Cyrus ! Gageons que c’est là que débute cette relecture de la figure de Cyrus, rejaillissant ensuite sur Ésaïe, relecture finissant par en faire carrément le Messie !
Cette lecture, qui fera son chemin, ne s’impose pas encore au temps du Nouveau Testament, qui renvoie abondamment à cette section d’Ésaïe sans aucune allusion à l’idée que koresh serait Cyrus ! En revanche, on trouve bien l’idée que pour Dieu, la puissance s’accomplit dans la faiblesse (1 Co 1 et 2 Co 12) — idée au cœur de cette section d’Ésaïe qui culmine avec le serviteur souffrant manifestant la puissance suprême.
Après Cyrus, on trouve, entre autres, Alexandre, Ptolémée… puis César, les empereurs romains ayant (jusqu'en 70) une politique religieuse assez proche de celle de Cyrus, César comme un nouveau Cyrus… Venons-en donc à Matthieu 22, 15-21. Que de succès la formule de Jésus « rendez à César… » n’a-t-elle pas eu ! Dernier usage connu en date : on en a fait depuis 1905, la racine de la laïcité et de la séparation des Églises et de l’État… Sauf que ce n’est pas du tout le propos de Jésus — qui disait cela bien avant 1905 et les autres lois de séparation modernes. Ou alors le christianisme historique est un peu long à la détente !
Quant au texte, il annonce la couleur… Voilà des pharisiens qui « font parler » Jésus, nous est-il dit, en venant avec les hérodiens ! Que les hérodiens ne supportent pas Jésus, on le comprend, ils sont payés pour ça : ce sont les créatures des Romains. Mais que des pharisiens, qui sont pourtant du parti de ceux qui n’entendent pas légitimer Rome — comme les disciples de Jésus espérant la délivrance du joug romain — que des pharisiens, donc, viennent le questionner avec les hérodiens, voilà qui est étrange.
Si la plupart des pharisiens sont conséquents dans leur adversité à l’égard de Rome, en voilà qui apparemment ne le sont pas. Longue introduction ! — pour le faire parler, dit le texte… pour l’amener à dire devant les hérodiens, qui s’empresseront de faire leur rapport aux autorités, qu’il est le porte-parole, voire le Messie, d’un royaume juif souverain et qu’il n’est évidemment pas comme Hérode, à la solde de Rome.
À moins que, pire, il ne se défile, et que lâchement, il ne prône la soumission symbolique, par l’impôt, se discréditant auprès des siens ! Auquel cas, ce sont parmi les pharisiens que certains se chargeront de colporter la nouvelle, eux qui connaissent les prophètes annonçant que le Règne de Dieu ne vient pas par la force, mais par l’Esprit de Dieu selon les mots de Zacharie (4, 6) et dans l’esprit d’Ésaïe.
Alors, à la longue introduction de ses interlocuteurs, répond un bref : « comédiens ("hypocrites"), pourquoi me tentez-vous ? » — Jésus est d’accord avec eux : ils ont la même compréhension des prophètes. La manœuvre dévoilée ainsi, en deux mots, Jésus en vient à la question, la seule, qui lui est posée : l’impôt à César.
La réponse ne signifie pas ce qu’on a pris l’habitude d’en faire : une réponse qui serait au fond hérodienne, légitimant l’Empire romain. N’a-t-on en effet pas fait professer à Jésus une théorie du double pouvoir : le temporel à César, le spirituel à Dieu… Et pourquoi pas, par la suite, à celui qui est censé le représenter, le pape — face à l’Empereur ? — pour un « pouvoir » spirituel que l’on sépare par la suite de celui de l’État, à l’appui de ce « rendez à César » ; où l’on origine, de façon tout aussi anachronique que l’attribution du « pouvoir » spirituel au pape, la loi de 1905 sur la séparation des cultes et de l’État (bienvenue par ailleurs)…
Mais une telle lecture de ce texte revient — s’en rend-on compte ? — à faire des hérodiens satisfaits et des pharisiens qui auraient réussi à montrer que Jésus est au fond au service — conscient ou pas — du pouvoir romain. Or ce n’est manifestement pas ce que les uns comme les autres ont compris.
Quand Jésus dit « rendez à César ce qui est à César », il parle de la vanité de ce qu’il s’agit de lui rendre. Sur la pièce est une idole, César figure cette idole — Jésus et ses interlocuteurs ne peuvent que s’y accorder sans peine. Que les affaires d’idoles restent les affaires de César : laissez leur cela. Pas de quoi satisfaire les hérodiens, traités donc implicitement de païens.
« Rendez à Dieu ce qui est à Dieu » n’est aucunement parallèle à « rendez à César ce qui est à César ». Comme si Jésus enseignait de rendre culte aux deux à la fois, ou alternativement, César et Dieu. Payer l’impôt prend en fait un tout autre sens que celui d’un parallèle avec le culte de Dieu ! Cela entre dans le relatif, pour ne pas dire, avec l'Ecclésiaste, dans la vanité, qui atteint César en son temps, l'institution moderne aujourd’hui — et il faut bien faire avec ce qui reste cependant du provisoire, et vivre ainsi ensemble dans la Cité terrestre.
Tandis que rendre à Dieu ce qui est à Dieu permet tout simplement de vivre dès à présent une autre réalité, celle du Règne de Dieu, qui n’est pas de ce monde, mais qui n’en a pas moins, en ce monde, des incidences concrètes. Au jour où tout passe, à commencer par César (ou l’équivalent de nos jours), Jésus se présente, contre des hérodiens croyant alors en César, comme auparavant leurs prédécesseurs en Cyrus ; Jésus se présente aujourd’hui dans l'humilité du serviteur d’Ésaïe.
Il ouvre le Royaume — ni par la force d’une révolte ou d’un coup d’éclat : « qu’il n’en soit pas de même parmi vous », Mt 20, 26, « soumettez-vous les uns aux autres », Ep 5, 21 — via le respect des institutions humaines que vous vous êtes données (pour nous Église nos conseils, synodes, etc., ce qui fait partie de l’impôt aux institutions humaines) ; plus largement ni par des coups d’éclat, donc, ni a fortiori en comptant sur la puissance des Cyrus et autres César ou équivalents contemporains, sans parler de la violence des attentats : « pas par la force ni par la puissance, mais par mon Esprit », lit-on en Zacharie (4, 6), prophète auquel Jésus vient de référer symboliquement en entrant dans Jérusalem sur un ânon (Za 9, 9)…
Ésaïe 44, 28 - 45, 1 & 4-6 (d’après Chouraqui)
44, 28 [Le Seigneur dit] à Korèsh : « Mon pâtre ! », il parfait tout mon désir, pour dire à Jérusalem : « Tu seras rebâtie », et au palais : « Tu seras fondé. »
45, 1 Ainsi dit le Seigneur à son messie, à Korèsh, que j’ai saisi par la droite, pour assujettir en face de lui des nations. J’ouvre les hanches des rois, pour ouvrir en face de lui les deux portails ; les portes ne se refermeront pas. […]
4 Pour mon serviteur Jacob, et Israël mon élu, pour toi, je crie ton nom ; je t’ai surnommé, mais tu ne m’as pas connu.
5 Moi, le Seigneur, nul autre ; sauf moi, pas de Dieu. Je te ceins, mais tu ne me connais pas,
6 pour qu’ils le sachent de l’orient du soleil et de l’occident : non, rien sauf moi, moi, le Seigneur, et nul autre.
Matthieu 22, 15-21
15 Alors les Pharisiens allèrent tenir conseil afin de le surprendre en le faisant parler.
16 Ils lui envoient leurs disciples, avec les Hérodiens, pour lui dire : « Maître, nous savons que tu es franc et que tu enseignes les chemins de Dieu en toute vérité, sans te laisser influencer par qui que ce soit, car tu ne tiens pas compte de la condition des gens.
17 Dis-nous donc ton avis : Est-il permis, oui ou non, de payer le tribut à César ? »
18 Mais Jésus, s’apercevant de leur malice, dit : « Hypocrites ! Pourquoi me tentez-vous ?
19 Montrez-moi la monnaie qui sert à payer le tribut. » Ils lui présentèrent une pièce d’argent.
20 Il leur dit : « Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ? »
21 Ils répondent : « De César. » Alors il leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »
*
Point commun entre l’actualité immédiate et ce que dénoncent nos deux textes : l’idolâtrie. Une idole de la puissance, de la force et de la violence. Le vrai Dieu est au-delà de toute figure, et de toute figure de la force, que ce soit empereur romain, César ; perse, puisque, on va y revenir, on a pris l’habitude de voir Cyrus en Ésaïe ; ou aujourd’hui une figure de Dieu au nom de laquelle on tue. Une idole fragile au point d’être menacée par des dessins, au point de devoir être défendue par la violence ! Le Dieu suprême, le vrai Dieu, est inblasphémable. Aucune des figures d’idole que l'on s'en fait n’est Dieu, Dieu au-delà de tout nom, de toute représentation, et dont la force se déploie dans la faiblesse d’un serviteur souffrant.
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On a donc pris l’habitude de voir dans le koresh d’Ésaïe, non pas le serviteur souffrant, mais l’empereur Cyrus et de traduire (sauf Chouraqui) koresh par Cyrus. Cela suppose que la parole de Dieu « pour Jérusalem : "Qu’elle soit bâtie", et pour le temple : "Sois fondé !" » soit le décret par lequel Cyrus autorisait le retour d’exil des Judéens et la reconstruction du temple de Jérusalem. Or, on l’a vu précédemment, Jérémie (ch. 25 et 29) et 2 Chroniques (ch. 36) renvoient clairement au passé, et pour Daniel (ch. 9), qui cite Jérémie, la parole de construction de Jérusalem et du temple est, plutôt que le décret de Cyrus, la parole, autrement signifiante, du prophète Nathan (2 Samuel 7, 8-13) !
Voilà une habitude de relecture devenue séculaire à partir de laquelle on estime qu’Ésaïe (44, 28 et 45, 1) parle aussi dudit décret, et donc de Cyrus, empereur de Perse. Question : et si Ésaïe ne parlait pas du décret de Cyrus, mais, lui aussi, de la parole de Nathan promettant la construction du temple (ici aussi, selon l’hébreu, et le grec de la LXX, le texte dit simplement construction) ? Est-il donc question de Cyrus dans Ésaïe ?
Le mot hébreu est koresh, qui connote « comme chef » puissance, puissance suprême (selon le dictionnaire Strong). La mention de koresh, en deux versets (44, 28 et 45, 1 ; Segond et Colombe ajoutent une mention de « Cyrus », absente de l’hébreu, en 45, 13 !), la mention de koresh se trouve dans une section (40-55) qui conduit à la présentation du Messie comme serviteur souffrant : la puissance se dévoile dans le serviteur souffrant, Messie de Juda, de la lignée de David, dans lequel sont réconciliés Juda et Israël.
Que vient faire l’empereur de la Perse là-dedans, empereur nommé Kurash, nom qui en persan signifie « soleil », le « roi soleil » ? Ce roi soleil-là a eu une politique religieuse tolérante, rétablissant les lieux de culte, comme en atteste aussi, via l’archéologie, un fameux « cylindre de Cyrus », mentionnant sa réhabilitation du temple de la divinité babylonienne Marduk, qu’il proclame comme « le grand seigneur » — témoignage d’une politique religieuse qui a aussi profité aux Judéens (cf. 2 Chr 36, 22-23).
Mais aucune trace d’une élévation de cet empereur, maître d’un empire allant de l’Inde à l’Éthiopie, au statut de Messie d’Israël ! Ni même trace d’un « universalisme », au fond bien obséquieux, par lequel le livre du prophète Ésaïe aurait rendu hommage à la force militaire d’un empereur, fût-il tolérant, dans une section où précisément il dénonce la force guerrière en annonçant un messie d’Israël souffrant et humilié.
Aucune trace non plus d’un tel hommage à Cyrus dans le livre de Daniel du canon juif. En revanche le Daniel grec, qui clôt la Bible des LXX, se termine par la reconnaissance par Cyrus du Dieu d’Israël, équivalent de sa reconnaissance de Marduk dans le cylindre de Cyrus ! Gageons que c’est là que débute cette relecture de la figure de Cyrus, rejaillissant ensuite sur Ésaïe, relecture finissant par en faire carrément le Messie !
Cette lecture, qui fera son chemin, ne s’impose pas encore au temps du Nouveau Testament, qui renvoie abondamment à cette section d’Ésaïe sans aucune allusion à l’idée que koresh serait Cyrus ! En revanche, on trouve bien l’idée que pour Dieu, la puissance s’accomplit dans la faiblesse (1 Co 1 et 2 Co 12) — idée au cœur de cette section d’Ésaïe qui culmine avec le serviteur souffrant manifestant la puissance suprême.
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Après Cyrus, on trouve, entre autres, Alexandre, Ptolémée… puis César, les empereurs romains ayant (jusqu'en 70) une politique religieuse assez proche de celle de Cyrus, César comme un nouveau Cyrus… Venons-en donc à Matthieu 22, 15-21. Que de succès la formule de Jésus « rendez à César… » n’a-t-elle pas eu ! Dernier usage connu en date : on en a fait depuis 1905, la racine de la laïcité et de la séparation des Églises et de l’État… Sauf que ce n’est pas du tout le propos de Jésus — qui disait cela bien avant 1905 et les autres lois de séparation modernes. Ou alors le christianisme historique est un peu long à la détente !
Quant au texte, il annonce la couleur… Voilà des pharisiens qui « font parler » Jésus, nous est-il dit, en venant avec les hérodiens ! Que les hérodiens ne supportent pas Jésus, on le comprend, ils sont payés pour ça : ce sont les créatures des Romains. Mais que des pharisiens, qui sont pourtant du parti de ceux qui n’entendent pas légitimer Rome — comme les disciples de Jésus espérant la délivrance du joug romain — que des pharisiens, donc, viennent le questionner avec les hérodiens, voilà qui est étrange.
Si la plupart des pharisiens sont conséquents dans leur adversité à l’égard de Rome, en voilà qui apparemment ne le sont pas. Longue introduction ! — pour le faire parler, dit le texte… pour l’amener à dire devant les hérodiens, qui s’empresseront de faire leur rapport aux autorités, qu’il est le porte-parole, voire le Messie, d’un royaume juif souverain et qu’il n’est évidemment pas comme Hérode, à la solde de Rome.
À moins que, pire, il ne se défile, et que lâchement, il ne prône la soumission symbolique, par l’impôt, se discréditant auprès des siens ! Auquel cas, ce sont parmi les pharisiens que certains se chargeront de colporter la nouvelle, eux qui connaissent les prophètes annonçant que le Règne de Dieu ne vient pas par la force, mais par l’Esprit de Dieu selon les mots de Zacharie (4, 6) et dans l’esprit d’Ésaïe.
Alors, à la longue introduction de ses interlocuteurs, répond un bref : « comédiens ("hypocrites"), pourquoi me tentez-vous ? » — Jésus est d’accord avec eux : ils ont la même compréhension des prophètes. La manœuvre dévoilée ainsi, en deux mots, Jésus en vient à la question, la seule, qui lui est posée : l’impôt à César.
La réponse ne signifie pas ce qu’on a pris l’habitude d’en faire : une réponse qui serait au fond hérodienne, légitimant l’Empire romain. N’a-t-on en effet pas fait professer à Jésus une théorie du double pouvoir : le temporel à César, le spirituel à Dieu… Et pourquoi pas, par la suite, à celui qui est censé le représenter, le pape — face à l’Empereur ? — pour un « pouvoir » spirituel que l’on sépare par la suite de celui de l’État, à l’appui de ce « rendez à César » ; où l’on origine, de façon tout aussi anachronique que l’attribution du « pouvoir » spirituel au pape, la loi de 1905 sur la séparation des cultes et de l’État (bienvenue par ailleurs)…
Mais une telle lecture de ce texte revient — s’en rend-on compte ? — à faire des hérodiens satisfaits et des pharisiens qui auraient réussi à montrer que Jésus est au fond au service — conscient ou pas — du pouvoir romain. Or ce n’est manifestement pas ce que les uns comme les autres ont compris.
*
Quand Jésus dit « rendez à César ce qui est à César », il parle de la vanité de ce qu’il s’agit de lui rendre. Sur la pièce est une idole, César figure cette idole — Jésus et ses interlocuteurs ne peuvent que s’y accorder sans peine. Que les affaires d’idoles restent les affaires de César : laissez leur cela. Pas de quoi satisfaire les hérodiens, traités donc implicitement de païens.
« Rendez à Dieu ce qui est à Dieu » n’est aucunement parallèle à « rendez à César ce qui est à César ». Comme si Jésus enseignait de rendre culte aux deux à la fois, ou alternativement, César et Dieu. Payer l’impôt prend en fait un tout autre sens que celui d’un parallèle avec le culte de Dieu ! Cela entre dans le relatif, pour ne pas dire, avec l'Ecclésiaste, dans la vanité, qui atteint César en son temps, l'institution moderne aujourd’hui — et il faut bien faire avec ce qui reste cependant du provisoire, et vivre ainsi ensemble dans la Cité terrestre.
Tandis que rendre à Dieu ce qui est à Dieu permet tout simplement de vivre dès à présent une autre réalité, celle du Règne de Dieu, qui n’est pas de ce monde, mais qui n’en a pas moins, en ce monde, des incidences concrètes. Au jour où tout passe, à commencer par César (ou l’équivalent de nos jours), Jésus se présente, contre des hérodiens croyant alors en César, comme auparavant leurs prédécesseurs en Cyrus ; Jésus se présente aujourd’hui dans l'humilité du serviteur d’Ésaïe.
Il ouvre le Royaume — ni par la force d’une révolte ou d’un coup d’éclat : « qu’il n’en soit pas de même parmi vous », Mt 20, 26, « soumettez-vous les uns aux autres », Ep 5, 21 — via le respect des institutions humaines que vous vous êtes données (pour nous Église nos conseils, synodes, etc., ce qui fait partie de l’impôt aux institutions humaines) ; plus largement ni par des coups d’éclat, donc, ni a fortiori en comptant sur la puissance des Cyrus et autres César ou équivalents contemporains, sans parler de la violence des attentats : « pas par la force ni par la puissance, mais par mon Esprit », lit-on en Zacharie (4, 6), prophète auquel Jésus vient de référer symboliquement en entrant dans Jérusalem sur un ânon (Za 9, 9)…
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