dimanche 8 novembre 2020

Lampes & huile





Proverbes 8, 12-20 & 32-36 ; Psaume 63 ; 1 Thess 4, 13-18 ; Matthieu 25, 1-13 

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Matthieu 25, 1-13
1 Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui, ayant pris leurs lampes, allèrent à la rencontre de l’époux.
2 Cinq d’entre elles étaient folles, et cinq sages.
3 Les folles, en prenant leurs lampes, ne prirent point d’huile avec elles ;
4 mais les sages prirent, avec leurs lampes, de l’huile dans des vases.
5 Comme l’époux tardait, toutes s’assoupirent et s’endormirent.
6 Au milieu de la nuit, on cria : Voici l’époux, allez à sa rencontre !
7 Alors toutes ces vierges se réveillèrent, et préparèrent leurs lampes.
8 Les folles dirent aux sages : Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent.
9 Les sages répondirent : Non ; il n’y en aurait pas assez pour nous et pour vous ; allez plutôt chez ceux qui en vendent, et achetez-en pour vous.
10 Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva ; celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et la porte fut fermée.
11 Plus tard, les autres vierges vinrent, et dirent : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous.
12 Mais il répondit : Je vous le dis en vérité, je ne vous connais pas.
13 Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour, ni l’heure.


Le contexte n’en laisse pas de doute : c’est un appel à la vigilance, que cette parabole, en vue de la terrible « heure où quiconque vous fera mourir croira rendre un culte à Dieu », selon les mots de Jésus (Jean 16, 2) — vous serez pourchassés jusque dans les lieux de culte, a-t-il averti (ibid.). La parabole des dix vierges renvoie à la toujours actuelle réalité de cet avertissement de Jésus : elle concerne la menace de la violence et de la persécution, des guerres et des haines, comme n’en laissent aucun doute les propos qui la précèdent immédiatement :

« On vous livrera aux tourments, et l’on vous fera mourir ; et vous serez haïs de toutes les nations, à cause de mon nom. Alors aussi plusieurs succomberont, et ils se trahiront, se haïront les uns les autres » (Mt 24, 9-10)

Il en sera comme « dans les jours qui précédèrent le déluge, [où] les hommes mangeaient et buvaient, se mariaient et mariaient leurs enfants, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; et ils ne se doutèrent de rien, jusqu’à ce que le déluge vînt et les emportât tous »… (Mt 24, 37-39)

« Quel est donc, poursuit Jésus, le serviteur fidèle et prudent, que son maître a établi sur ses gens, pour leur donner la nourriture au temps convenable ? Heureux ce serviteur, que son maître, à son arrivée, trouvera faisant ainsi ! Je vous le dis en vérité, il l’établira sur tous ses biens. Mais, si c’est un méchant serviteur, qui dise en lui-même : Mon maître tarde à venir, s’il se met à battre ses compagnons, s’il mange et boit avec les ivrognes, le maître de ce serviteur viendra le jour où il ne s’y attend pas et à l’heure qu’il ne connaît pas »… (Mt 24, 45-50)

Et juste à la suite de ces mots… « Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges »… Notre texte de ce jour… 

« Vous serez haïs à cause de mon nom » (Mt 24, 9) — « qui vous fera mourir croira rendre un culte à Dieu » (Jn 16, 2). Avertissement on ne peut plus clair. On ne peut plus clair aussi le fait que cela surprend toujours. Une imminence telle qu’elle déconcerte toujours. « Veillez donc », a dit Jésus à ses disciples — « ayez de l’huile pour vos lampes ». C’est toujours inattendu, d’autant que les victimes n’ont rien fait pour endurer cela ! — « haïs à cause de mon nom », ce nom signe d’humilité et de justice…

*

La fermeture de la porte de la salle de noces ressemble alors à celle de la porte de l’arche de Noé que Jésus vient d’évoquer — tandis que dans la nuit fait rage la violence. Non que celles des vierges (demoiselles d’honneur et non polygamie : dans la polygamie, on n'épouse pas dix femmes en même temps ! L'épouse de cette noce est la Dame élue — de 2 Jn 1 —, l’Église) — non, donc, que celles des demoiselles d’honneur qui sont pourvues d’huile soient épargnées de la violence du temps, mais elles bénéficient d’un secret, celui des fioles d’huile : cela arrive à cause de la justice, ou « à cause du nom », celui du témoin et porteur de justice — « heureux les persécutés pour la justice » (Mt 5, 10). C’est là le secret que livre Jésus, secret intime comme l’huile de la parabole qui ne peut être partagée — « allez donc plutôt chez les marchands » — ; secret qui révèle de façon éminemment intime dans ce qui arrive de façon inéluctable un sens inattendu.

Cela concerne certes d’abord le temps de Jésus… mais on peut aussi dérouler les cas à travers les temps ultérieurs. Le serviteur humble dérange toujours autant. La soif de justice pose toujours problème, avec cette constante : elle est perçue comme menace politique, comme liée à des options politico-militaires, auxquelles pourtant elle ne peut rien : celles de tels ou tels acteurs puissants ou violents. Mais, et ils l’ignorent, en réalité les victimes sont persécutées « pour la justice », « à cause du nom » comme signe de justice en marche, dévoilé par Jésus : bien que ça n’ait jamais été officiellement parce que les persécutés sont assoiffés de justice (Mt 5, 6) qu’ils sont torturés ou tués, mais pour des prétextes à côté. De nos jours comme antan, des prétextes mis en scène dans les mensonges éhontés d’une propagande éhontée pour mettre des innocents en cibles… Comme pris dans des rouages auxquels ils ne peuvent rien… 

Quatre grands référents schématiques de la violence contre les témoins du serviteur souffrant :

Antiquité, l’Empire romain : les disciples sont persécutés parce qu’ils sont jugés subversifs quant aux autorités impériales, ce dont ils se défendent. N’empêche, ils sont jugés dérangeants quant à leur façon de vivre leur foi.
Moyen Âge, très nombreux sont ceux qui sont persécutés… par l’Église au pouvoir cette fois, ou les califats (selon la rive de la Méditerranée) ! Motif : hérétiques, subversifs aux yeux du pouvoir.
XXe siècle, les totalitarismes jugent ceux qu’ils persécutent subversifs, ou agents de l’ennemi, et comme au Moyen Âge hérétiques par rapport au dogme (qui n’est certes plus le même — ici c'est la vulgate de « la race » des nazis ou celle du matérialisme soviétique). 
XXIe siècle, on connaît l’actualité… 

« À cause de mon nom », « à cause de la justice », a averti Jésus… Au-delà des questions idéologiques, des prétextes religieux ou dogmatiques, allant du dogme nazi au XXe siècle à l’idéologie islamiste de nos jours — la déstabilisation, la division, la guerre, surtout civile, ont toujours pour conséquence la prise à partie des minorités, des plus humbles, à l’image du serviteur souffrant. « À cause de mon nom ».

Au Moyen Âge le rapport de force Orient-Occident était à peu près l’inverse de ce qu’il est aujourd’hui. La chrétienté était sous la menace de la puissance supérieure de l’Orient musulman. Menace qui a cessé en 1571 lors de la défaite ottomane à la bataille de Lépante, après laquelle le rapport de force a fini par s’inverser. Auparavant, l’Occident se sentant menacé avait opté pour la ligne de défense de la Croisade. Or, que se passe-t-il alors en Europe lorsqu’une Croisade s’ébranle ? On commence par pourchasser les supposés « infidèles » locaux, les juifs. 

Aujourd’hui le rapport de force est inversé. Le monde musulman est sous la menace de puissances militaires incommensurablement plus fortes. Certains en son sein, rongés de ressentiment, se vengent donc de façons diverses, prétendant « venger le prophète » (comme s'il en avait besoin !), jusque par des crimes atroces — visant le cœur spirituel de ceux qu’ils attaquent : l’instruction (M. Paty), la prière (dans la basilique de Nice), visant les plus faibles en tête : les victimes sont témoins malgré elles, leur enseignement et leurs prières étant donc des armes plus redoutables que les bombes et les couteaux.

Au fond, va-t-on leur reprocher !, cela ne leur arrive pas pour rien : ils n’ont qu’à enseigner selon le bon dogme et prier selon le bon rite — « haïs à cause de mon nom » de témoin humilié, a averti Jésus…

Ainsi, puisqu’ils ne sont officiellement pas réellement menacés pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils représentent de ce fait, on susurre que ce qui leur arrive est… un peu de leur faute ! (N’entend-on pas suggérer discrètement que les persécutés devraient mieux se tenir, avec des propos plus religieusement corrects, ou plus modérés !)


L’avertissement de Jésus vaut bien en tout temps, pas seulement au premier siècle ! Où l’on retrouve nos dix vierges et leurs lampes à huile ! Huile symbole de la sagesse cachée qui fait défaut à la moitié d’entre elles, huile symbole de l’Esprit prophétique qui semble manquer cruellement au temps où il serait le plus utile. Au temps où pullulent les prophètes en manque d’huile qui clament « paix, paix, et il n’y a point de paix » (Jérémie 6, 14)… tandis que les prophètes de malheur — les Jérémie — se voient montrer du doigt.

Jusqu’à quand ? Jusqu’au jour où la violence fondra sur vous, vient d’annoncer Jésus au ch. 24 de Matthieu, qui précède notre parabole, annonçant le jour où l’huile manque irrémédiablement et où les portes se ferment sur la douleur qui a déjà atteint d’autres, jusque là souvent dans notre indifférence de vierges folles. Il est alors toutefois toujours temps de troquer l’huile malodorante des sous-sols ensanglantés pour l’huile de l’Esprit prophétique qui aujourd’hui encore nous appelle à la prière et au témoignage. Bref de se réveiller, et de faire œuvre de paix et de solidarité, de refuser d’entrer dans la violence et la haine de ceux qui ne cherchent qu’à détruire et diviser (diviser : de la même étymologie, en grec, que le mot diable) — provoquer division et guerre civile. Ce qui aujourd’hui, jusqu’à présent, ne marche pas ! Signe de la présence de cette huile mystérieuse.

L’Esprit que symbolise l’huile donne de savoir que quand un membre est éprouvé, tout le corps souffre (cf. Paul, 1 Co 12). Nos frères et sœurs en humanité violentés au loin comme ici, c’est nous, c’est notre corps — leur cri est déjà le cri dans la nuit qui retentit à nos oreilles de vierges ayant toutes, sages comme folles selon la parabole, sombré dans le sommeil.

Ce cri dans la nuit est l’avertissement du pasteur Niemöller au temps du nazisme :
« Lorsqu'ils sont venus chercher les communistes,
Je me suis tu, je n'étais pas communiste.
Lorsqu'ils sont venus chercher les syndicalistes,
Je me suis tu, je n'étais pas syndicaliste.
Lorsqu'ils sont venus chercher les juifs,
Je me suis tu, je n'étais pas juif.
Puis ils sont venus me chercher,
Et il ne restait plus personne pour protester. »

… Ils ont attaqué ceux du bout du monde, ils sont venus attaquer ceux qui habitaient moins loin, puis, de proche en proche, tout près — et il n’y aurait plus d’huile ?…

Cette huile de l’Esprit de vigilance requise, en écho au texte de Martin Niemöller, par le cri retentissant dans la nuit, celui du pasteur M.-L. King : « ce qui m'effraie, ce n'est pas l'oppression des méchants ; c'est l'indifférence des bons » (façon de manque d’huile). L’huile : la vigilance, la prière, le témoignage, ont une portée que l’on ne soupçonne pas, d’où, même si elle est invisible, l’importance humble de « veiller et prier » (Mt 26, 41) — en se sachant un même corps avec toutes les victimes de la violence et de la haine.


RP, 8.11.20 (culte virtuel)


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