dimanche 13 décembre 2020

Lumière dans l'humilité




Ésaïe 61, 1-11 ; Luc 1, 46-55 ; 1 Thess 5, 16-24 ; Jean 1, 6-8 & 19-26

Luc 1, 46-55
46 Et Marie dit : Je magnifie le Seigneur,
47 je suis transportée d’allégresse en Dieu, mon Sauveur,
48 parce qu’il a porté les regards sur l’abaissement de sa servante. Désormais, en effet, chaque génération me dira bienheureuse,
49 parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses. Son nom est sacré,
50 et sa compassion s’étend de génération en génération sur ceux qui le craignent.
51 Il a déployé le pouvoir de son bras ; il a dispersé ceux qui avaient des pensées orgueilleuses,
52 il a fait descendre les puissants de leurs trônes, élevé les humbles,
53 rassasié de biens les affamés, renvoyé les riches les mains vides.
54 Il a secouru Israël, son serviteur, et il s’est souvenu de sa compassion
55 – comme il l’avait dit à nos pères – envers Abraham et sa descendance, pour toujours.

Jean 1, 6-8 & 19-28
6 Il y eut un homme, envoyé de Dieu : son nom était Jean.
7 Il vint en témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui.
8 Il n'était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière.
[…]
19 Et voici quel fut le témoignage de Jean lorsque, de Jérusalem, les Judéens envoyèrent vers lui des prêtres et des lévites pour lui poser la question : "Qui es-tu ?"
20 Il fit une déclaration sans restriction, il déclara : "Je ne suis pas le Christ."
21 Et ils lui demandèrent : "Qui es-tu ? Es-tu Élie ?" Il répondit : "Je ne le suis pas." - Es-tu le Prophète ?" Il répondit : "Non.
22 Ils lui dirent alors : "Qui es-tu ?… que nous apportions une réponse à ceux qui nous ont envoyés ! Que dis-tu de toi-même ?"
23 Il affirma : "Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Aplanissez le chemin du Seigneur, comme l'a dit le prophète Ésaïe."
24 Or, ceux qui avaient été envoyés, des Pharisiens,
25 continuèrent à l'interroger en disant : "Si tu n'es ni le Christ, ni Élie, ni le Prophète, pourquoi baptises-tu ?"
26 Jean leur répondit : "Moi, je baptise dans l'eau. Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas ;
27 il vient après moi et je ne suis même pas digne de dénouer la lanière de sa sandale."
28 Cela se passait à Béthanie, au-delà du Jourdain, où Jean baptisait.

*

Deux figures bibliques d'humilité : Jean le Baptiste, Marie de Nazareth.

Jean. Les rumeurs persistantes sur son compte — « est-il le Christ ? Élie ? Le Prophète attendu ? » — ont tout pour l’encourager à céder à la tentation de la grandeur. Pensez : Jean grand prophète ! On lui reconnaît, Jésus lui-même la lui reconnaîtra, une fonction qui s’inscrit dans la lignée d’une parole du prophète Malachie qui annonçait la venue future d’Élie, ce prophète qui avait été enlevé au ciel !

Alors, Jean, nouvel Élie ? Oh, allez, peut-être pas forcément, pour tous, un ange descendu du ciel, mais simplement un précurseur semblable à l’Élie de Malachie, au message de l’Élie de Malachie. Voilà qui n’est déjà pas mal : un homme envoyé de Dieu, dit le texte-même que nous avons lu. Cela pourrait s’interpréter dans ce sens…

Être céleste Jean ? Il n’a pas cette prétention : lui est l’homme de la terre, du désert, simple messager du repentir, de l’aplanissement du chemin où va passer un autre ; un simple témoin, témoin de la lumière, d’une lumière qui le dépasse de tout l’infini qui est entre celui qui vient du ciel précisément, cette lumière, et lui, Jean, qui, comme tous les témoins, n’est que poussière du désert, et signe d’une lumière si puissante que l’ombre seule en fait deviner la source.

On ne regarde pas la lumière du soleil en plein soleil. On ne sait même pas de quel point du ciel elle vient tant elle est intense. On sait d’où elle vient en regardant l’ombre qu’elle projette derrière un simple témoin — au sens où l'on parle d'un bâton planté au sol. Jean est ce témoin. Il sait ne produire que de l’ombre ; mais qui montre l’origine de la lumière.

La lumière vient du point exactement inverse à l’ombre que projette le témoin. C’est cela Jean : le témoin de la terre, indiquant a contrario la lumière du ciel, depuis l’ombre qu’elle projette par lui. Le témoin le désert apparaît avant la lumière, avant qu’on ne perçoive la source de la lumière, mais la lumière l’a précédé. Il n’apparaît d’abord, que parce que la lumière l’a précédé. Il n’apparaît qu’en contraste à une lumière qui le déborde infiniment, et qu’on ne voit pas en elle-même parce qu’elle éblouit. Le témoin renvoie à elle. Mais sans lumière, il ne serait jamais apparu. Invisible dans les ténèbres. « Il vient après moi, mais il était avant moi », dit Jean de Jésus.

Là apparaît pleinement le grand rôle de Jean : être l’ombre qui fait paraître la lumière. N’être visible que comme ombre de la lumière. Là est toute la mission et la prédication de Jean : être simple ombre, pour faire apparaître la lumière. Ou, pour le dire dans les termes d’Ésaïe, qu’il cite : aplanir le chemin du Seigneur qui vient, Jésus, la Parole éternelle : quiconque s’abaisse jusqu’à jouer son vrai rôle d’ombre-témoin est signe du Christ ; mais qui s’élève, s’exalte et se prétend lumineux, se prétend brillant, est obstacle sur le chemin, détourneur de lumière, qui pour cela vit nécessairement dans les ténèbres.

J’exalte ma piété, mon savoir, mon éloquence, ma beauté, ma richesse, mes titres, prophétiques ou autres ? — autant de pâles loupiotes en regard de la lumière de celui qui est lumière. Je veux que ces loupiotes brillent ? je cherche donc nécessairement à vivre dans les ténèbres puisque je veux que tout cela se voit, alors que tout cela, qui n’est qu’autant de faibles bougies, ne se voit pas, justement, sous la lumière éclatante du soleil dans le désert de ma vie : si une faible bougie doit briller, il lui faut du sombre, il ne faut pas qu’elle soit allumée en plein jour…

Jean a choisi : s’effacer ; plus que de briller, être l’ombre, pour vivre dans la lumière, être l’ombre de la lumière, l’ombre qui dévoile la lumière : c’est de cette façon qu’il peut aplanir le chemin du Seigneur : en se sachant indigne d’en dénouer les sandales. Même sa prédication et son geste sublime, son baptême, sont l’ombre de la lumière. À combien plus forte raison les nôtres, nos gestes. C’est le baptême administré de façon invisible, comme un souffle, Esprit soufflé par le Christ, qui sauve — et point les bains et autres ablutions que seules peuvent administrer les hommes. Comme le dit Jean, nous n’avons de pouvoir que celui de répandre de l’eau, pas de communiquer l’Esprit.

De même, c’est la Parole éternelle, créatrice de l’univers, cette Parole devenue chair, Jésus, qui peut sauver — et point nos paroles, aussi remarquables sembleraient-elles, que peuvent proférer nos bouches enténébrées.

On pourrait dire cela de tous les aspects glorieux, croyons-nous, de nos vies : autant de possibles abats-jours visant sans le savoir toujours clairement, à voiler le Christ… Alors aujourd’hui, que l’attente de Dieu donne à chacun de nous de devenir un peu une ombre, l’humble ombre du soleil magnifique que nous pourrons ainsi fêter et accueillir dignement. Que Dieu nous accorde cette joie : être ainsi vraiment de la fête qui est d'être appelés à devenir enfants de Dieu dans la lumière que nous attendons à Noël.

*

Marie. « Magnificat » — chante-t-elle. Voilà la seule prière de Marie qui nous est proposée : le Magnificat — d’après son premier mot en latin : « mon âme magnifie le Seigneur » (v. 46). Une prière d'humilité — ce n'est pas elle qu'elle magnifie, mais son Seigneur —, dans une prière reprise, comme toutes les prières du Nouveau Testament, des chants bibliques, Psaumes et chants de louange.

Pour le lecteur de l’Église primitive, dont la Bible est celle d'Israël, le Cantique de Marie rappelle en effet irrésistiblement le Cantique d'Anne (1 Samuel 2, 1-10), face au Dieu de tous les impossibles. Car voilà que Dieu intervient ! Nous menant avec Marie à l'émerveillement et à l'humilité : on croirait savoir que les stériles n'enfantent pas, non plus que les vierges ; on croirait savoir que les morts ne ressuscitent pas et que les pains ne se multiplient pas pour les pauvres ! Et voilà que Dieu intervient !

On se souvient alors, et c’est scellé dans les Évangiles de l'enfance, que Marie va donner naissance à un enfant, présenté comme descendant royal de David, fils de Jessé — ou Isaï —, dont le vieux tronc, comme le dit un de nos chants citant la Bible, porte le Messie fils de David.

C'est ce que signifie notre arbre de Noël, figure de l'arbre de Jessé et reprise de l'arbre de toute la création que Dieu fait croître à sa rencontre.

Arbre de Jessé qui porte le Messie, pour dire le chant de toute la création tournée vers la rencontre de la lumière à laquelle elle est appelée.

Un antique symbole que cet arbre, repris dans l'Alsace protestante pour lui donner comme autre sens la vérité du 25 décembre, ancienne date du solstice d'hiver devenu symbole de la naissance du Christ.

Un arbre qui se dresse vers la lumière annoncée par l'étoile des Mages de Matthieu, comme celui de la famille de Jessé et de David vers le Messie, et celui de toute la création vers son salut.

Cela en passant par la faute même qu'il s'agit de couvrir, symbolisée par les boules des arbres de Noël, qui sont au départ simplement des pommes stylisées - pommes (malum en latin), pommes du bien et du mal, mal (malum aussi en latin)…

Le mal englouti, comme sous la neige, par le Christ, dans la lumière, qui dès lors parcourt toute la création, lumière figurée par les guirlandes de lumière qui courent dans tout l'arbre…

C’est au pied de cet arbre que retentit le Cantique de Marie, Le Magnificat ! Cantique pour le moins renversant, en tout cas pour ceux qui se trouvent élevés en dignité du haut de leur trône (v. 52), ou en richesse du haut de leur rassasiement (v. 53). Voilà une parole qui bouscule.

Le Magnificat s'inscrit ainsi dans la lignée des libérations opérées par le Dieu fort à l'égard des humiliés ; le Dieu qui fait germer les délivrances, comme dans le sein vierge de Marie. Et c'est de cela qu’elle se réjouit : dans une joie qui sera proclamée, dit-elle (v. 48), par toutes les générations parce qu’il a porté les regards sur l’abaissement de sa servante, elle exulte d'être la mère de ce Messie libérateur des humiliés, et qui pour cela nous rejoint dans l'humilité dont témoignent Jean et Marie : l'humilité, cette fois, de l'enfant dans lequel la Parole éternelle est devenue chair.


R.P., Châtellerault, 3e dimanche de l'Avent, 13.12.20
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