Josué 24, 1-18 ; Psaume 34, 16-23 ; Éphésiens 5, 21-32 ; Jean 6, 60-69
Jean 6, 60-69
L’enseignement de Jésus suite au signe de la multiplication des pains a mené les disciples, et les auditeurs nourris la veille, à ce point crucial, à une sorte de point de rupture, avec les mots : (v. 60) « cette parole est dure, qui peut l’écouter ? »… (et v. 66) « Dès lors plusieurs de ses disciples se retirèrent en arrière et cessèrent d’aller avec lui ».
On a vu Jésus partir d’une réalité que l’on peut dire sociale : des gens ont faim, Jésus provoque les disciples à leur donner à manger. Et on voyait la foule, qui s’arrêterait volontiers à ce stade du problème, proposant à Jésus de le faire roi — quel bon roi que celui qui multiplie les pains ! Et qu’importe si Jésus, se refusant à cette perspective, se retire, puis s’en va de l’autre côté du lac. Les pauvres qu’il a nourris ne lâcheront pas si facilement : ils le retrouvent le lendemain.
C’est alors que Jésus entamait un dialogue avec les témoins du miracle, avec ceux qui le cherchent, par lequel il en vient à dévoiler, derrière leur faim concrète — qu’il n’a pas niée, il les a nourris ! — une faim d’éternité, comme il y avait une véritable nostalgie d’éternité derrière la nostalgie d’Égypte du peuple de l’Exode au désert — que dans un défi, l’on vient d’évoquer devant Jésus pour le comparer à Moïse.
C’est ce passage à un autre niveau du miracle, selon le mot de « signe » qu’emploie l’Évangile de Jean pour « miracle » ; c’est ce passage à cet autre niveau, à la dimension d’éternité sur lequel, par différents angles, butent les interlocuteurs de Jésus, depuis leur insistance pour le pain concret jusqu’à leur rouspétance dubitative contre l’idée qu’il puisse y avoir recoupement entre l'homme concret et celui qui dit « être descendu du ciel ».
Car c’est bien ce que dit Jésus, ce qui choque : c'est dans la chair concrète d'un homme concret, palpable, que se donne à participer l’éternité qui fonde le monde et précède ses faims, qu’elle seule peut combler : « celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour » (v. 54).
Manifestation de l’éternité dans la chair, comment la raison ne serait-elle pas scandalisée ? Est-ce bien raisonnable ? Tout comme la folie de cette Sagesse éternelle qui se donne à pressentir derrière chacune des beautés et séductions de la Création, selon le livre des Proverbes.
C'est là que butte de tout temps l'idolâtrie, fût-elle idolâtrie d'une idole unique, qui interdit de voir dans la beauté de la Création le signe de la Beauté du Créateur qui y annonce le jour où il n'y a plus ni juif ni Grec, ni esclave ni libre, ni homme et femme (Ga 3, 28). L'idole unique des fanatiques entend faire instaurer l'inverse : antisémitisme, esclavagisme, emprisonnement des femmes, interdiction de tout ce qui évoque la beauté, visage et voix des femmes, musique et art en général. L'idole n'aime pas la concurrence de la beauté du Créateur. Jésus lui, annonce la présence de l'éternité dans la fragilité passagère, scandalisant jusqu'à ses disciples lents à comprendre.
Lents à comprendre que là se pressent une autre sagesse, en odeur de scandale : la chair qui nourrit pour l’éternité est chair qui se donne à partager, comme agneau de la Pâque. Le relèvement pour la vie, le passage à l’éternité, est passage, précisément, ou Pâque, selon le sens du mot.
Et l’Évangile ne manque pas de préciser, qu’au temps de cette multiplication des pains, « la Pâque… était proche » (v.4). Les auditeurs peuvent difficilement s’y tromper. Celui qui se présente devant eux, parlant de sa chair comme nourriture, ne se présente-t-il pas comme agneau pascal ? Porte qui s’ouvre sur un autre temps, sur un au-delà d’une captivité bien plus lourde que celle de l’Égypte, captivité irrémédiable, récurrente : celle de ce temps qui, par le péché, débouche sur la mort.
Qui ne le perçoit pas, qui s’en tient à l’aspect nourriture tout court du miracle, que ce soit la manne ou le pain multiplié, celui-là est alors sèchement, durement provoqué, bousculé dans sa torpeur qu’il croyait bienheureuse : comme ceux qui ont mangé les pains de veille mourrons quand même, « vos pères ont mangé la manne dans le désert et ils sont morts. Celui qui mange ce pain, que donne le Père, vivra éternellement » (v. 58).
C’est alors que plusieurs de ses disciples se disent : « cette parole est dure, qui peut l’écouter ? » (v. 60).
Cette autre sagesse que donne à pressentir Jésus est celle d’un déchirement, le sien, auquel ses auditeurs se savent confusément appelés à participer : « celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui » (v. 56).
Ici s’ouvre un autre sens de la Pâque, par laquelle le Fils de l’Homme monte de ce temps-ci, douloureux et brisé, à l’éternité « où il était auparavant » : « cela vous scandalise ? Et si vous voyiez le Fils de l’Homme monter où il était auparavant ? » (v. 61-62). L’allusion est à la crucifixion, puisque pour l’Évangile de Jean, la crucifixion est appelée « élévation » (cf. 12:33).
Les foules ont été nourries, et ont encore faim, comme les pères au désert ont été nourris par la manne et n'en ont pas été satisfaits — ils voulaient plus et ont eu des cailles, jusqu'à l’indigestion.
« La chair ne sert de rien. C’est l’Esprit qui vivifie » (v. 63).
Il ne faut pas penser que la chair, dès lors qu’elle est choisie, va s’éterniser, va devenir vivifiante : certes non, elle ne va pas pour autant cesser de pourrir.
Il s'agit de savoir, pour ceux qui vont suivre le Christ, qu'ils s'engagent de toute façon sur un champ de bataille, une bataille où Jésus est mort. « Et il savait dès le commencement qui étaient ceux qui ne croyaient pas et qui était celui qui le livrerait » (v. 64), précise l'Évangile. Ce sont de ses disciples qui montrent leur courte vue et se retirent en arrière, selon l'Évangile (v. 66). Le pacte en question n'est pas dans le passage entre deux moments du temps, mais dans le passage entre le temps et l'éternité, la Pâque éternelle. C'est un passage mystérieux qu'il n'est pas en notre force de franchir : « nul ne peut venir à moi, si cela ne lui est donné par le Père » (v. 65).
Et voici le signe de ce franchissement : il est dans la perception de la vraie nostalgie derrière nos nostalgies d'Égypte, et dans le vrai rassasiement derrière nos pains multipliés : « Seigneur à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (v. 68).
Jean 6, 60-69
60 Après l'avoir entendu, beaucoup de ses disciples commencèrent à dire : « Cette parole est dure ! Qui peut l'écouter ? »
61 Mais, sachant en lui-même que ses disciples murmuraient à ce sujet, Jésus leur dit : « C'est donc pour vous une cause de scandale ?
62 Et si vous voyiez le Fils de l'homme monter là où il était auparavant… ?
63 C'est l'Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie.
64 Mais il en est parmi vous qui ne croient pas. » En fait, Jésus savait dès le début quels étaient ceux qui ne croyaient pas et qui était celui qui allait le livrer.
65 Il ajouta : « C'est bien pourquoi je vous ai dit : “Personne ne peut venir à moi si cela ne lui est donné par le Père.” »
66 Dès lors, beaucoup de ses disciples s'en retournèrent et cessèrent de faire route avec lui.
67 Alors Jésus dit aux Douze : « Et vous, ne voulez-vous pas partir ? »
68 Simon-Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as des paroles de vie éternelle.
69 Et nous, nous avons cru et nous avons connu que tu es le Saint de Dieu. »
*
L’enseignement de Jésus suite au signe de la multiplication des pains a mené les disciples, et les auditeurs nourris la veille, à ce point crucial, à une sorte de point de rupture, avec les mots : (v. 60) « cette parole est dure, qui peut l’écouter ? »… (et v. 66) « Dès lors plusieurs de ses disciples se retirèrent en arrière et cessèrent d’aller avec lui ».
On a vu Jésus partir d’une réalité que l’on peut dire sociale : des gens ont faim, Jésus provoque les disciples à leur donner à manger. Et on voyait la foule, qui s’arrêterait volontiers à ce stade du problème, proposant à Jésus de le faire roi — quel bon roi que celui qui multiplie les pains ! Et qu’importe si Jésus, se refusant à cette perspective, se retire, puis s’en va de l’autre côté du lac. Les pauvres qu’il a nourris ne lâcheront pas si facilement : ils le retrouvent le lendemain.
C’est alors que Jésus entamait un dialogue avec les témoins du miracle, avec ceux qui le cherchent, par lequel il en vient à dévoiler, derrière leur faim concrète — qu’il n’a pas niée, il les a nourris ! — une faim d’éternité, comme il y avait une véritable nostalgie d’éternité derrière la nostalgie d’Égypte du peuple de l’Exode au désert — que dans un défi, l’on vient d’évoquer devant Jésus pour le comparer à Moïse.
C’est ce passage à un autre niveau du miracle, selon le mot de « signe » qu’emploie l’Évangile de Jean pour « miracle » ; c’est ce passage à cet autre niveau, à la dimension d’éternité sur lequel, par différents angles, butent les interlocuteurs de Jésus, depuis leur insistance pour le pain concret jusqu’à leur rouspétance dubitative contre l’idée qu’il puisse y avoir recoupement entre l'homme concret et celui qui dit « être descendu du ciel ».
Car c’est bien ce que dit Jésus, ce qui choque : c'est dans la chair concrète d'un homme concret, palpable, que se donne à participer l’éternité qui fonde le monde et précède ses faims, qu’elle seule peut combler : « celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour » (v. 54).
Manifestation de l’éternité dans la chair, comment la raison ne serait-elle pas scandalisée ? Est-ce bien raisonnable ? Tout comme la folie de cette Sagesse éternelle qui se donne à pressentir derrière chacune des beautés et séductions de la Création, selon le livre des Proverbes.
C'est là que butte de tout temps l'idolâtrie, fût-elle idolâtrie d'une idole unique, qui interdit de voir dans la beauté de la Création le signe de la Beauté du Créateur qui y annonce le jour où il n'y a plus ni juif ni Grec, ni esclave ni libre, ni homme et femme (Ga 3, 28). L'idole unique des fanatiques entend faire instaurer l'inverse : antisémitisme, esclavagisme, emprisonnement des femmes, interdiction de tout ce qui évoque la beauté, visage et voix des femmes, musique et art en général. L'idole n'aime pas la concurrence de la beauté du Créateur. Jésus lui, annonce la présence de l'éternité dans la fragilité passagère, scandalisant jusqu'à ses disciples lents à comprendre.
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Lents à comprendre que là se pressent une autre sagesse, en odeur de scandale : la chair qui nourrit pour l’éternité est chair qui se donne à partager, comme agneau de la Pâque. Le relèvement pour la vie, le passage à l’éternité, est passage, précisément, ou Pâque, selon le sens du mot.
Et l’Évangile ne manque pas de préciser, qu’au temps de cette multiplication des pains, « la Pâque… était proche » (v.4). Les auditeurs peuvent difficilement s’y tromper. Celui qui se présente devant eux, parlant de sa chair comme nourriture, ne se présente-t-il pas comme agneau pascal ? Porte qui s’ouvre sur un autre temps, sur un au-delà d’une captivité bien plus lourde que celle de l’Égypte, captivité irrémédiable, récurrente : celle de ce temps qui, par le péché, débouche sur la mort.
Qui ne le perçoit pas, qui s’en tient à l’aspect nourriture tout court du miracle, que ce soit la manne ou le pain multiplié, celui-là est alors sèchement, durement provoqué, bousculé dans sa torpeur qu’il croyait bienheureuse : comme ceux qui ont mangé les pains de veille mourrons quand même, « vos pères ont mangé la manne dans le désert et ils sont morts. Celui qui mange ce pain, que donne le Père, vivra éternellement » (v. 58).
C’est alors que plusieurs de ses disciples se disent : « cette parole est dure, qui peut l’écouter ? » (v. 60).
Cette autre sagesse que donne à pressentir Jésus est celle d’un déchirement, le sien, auquel ses auditeurs se savent confusément appelés à participer : « celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui » (v. 56).
Ici s’ouvre un autre sens de la Pâque, par laquelle le Fils de l’Homme monte de ce temps-ci, douloureux et brisé, à l’éternité « où il était auparavant » : « cela vous scandalise ? Et si vous voyiez le Fils de l’Homme monter où il était auparavant ? » (v. 61-62). L’allusion est à la crucifixion, puisque pour l’Évangile de Jean, la crucifixion est appelée « élévation » (cf. 12:33).
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Les foules ont été nourries, et ont encore faim, comme les pères au désert ont été nourris par la manne et n'en ont pas été satisfaits — ils voulaient plus et ont eu des cailles, jusqu'à l’indigestion.
« La chair ne sert de rien. C’est l’Esprit qui vivifie » (v. 63).
Il ne faut pas penser que la chair, dès lors qu’elle est choisie, va s’éterniser, va devenir vivifiante : certes non, elle ne va pas pour autant cesser de pourrir.
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Il s'agit de savoir, pour ceux qui vont suivre le Christ, qu'ils s'engagent de toute façon sur un champ de bataille, une bataille où Jésus est mort. « Et il savait dès le commencement qui étaient ceux qui ne croyaient pas et qui était celui qui le livrerait » (v. 64), précise l'Évangile. Ce sont de ses disciples qui montrent leur courte vue et se retirent en arrière, selon l'Évangile (v. 66). Le pacte en question n'est pas dans le passage entre deux moments du temps, mais dans le passage entre le temps et l'éternité, la Pâque éternelle. C'est un passage mystérieux qu'il n'est pas en notre force de franchir : « nul ne peut venir à moi, si cela ne lui est donné par le Père » (v. 65).
Et voici le signe de ce franchissement : il est dans la perception de la vraie nostalgie derrière nos nostalgies d'Égypte, et dans le vrai rassasiement derrière nos pains multipliés : « Seigneur à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (v. 68).
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