Proverbes 3.13-20 ; Psaume 90 ; Hébreux 4.12-13 ; Marc 10.17-30
Marc 10, 17-30
Vers 1172, Valdès, riche marchand de Lyon, entend résonner en lui les paroles que nous avons lues : « Il est plus difficile pour un riche d’entrer dans le Royaume des cieux que pour un chameau de passer par le trou d’une aiguille ». Il décide de vendre tous ses biens, en laissant une part pour son épouse et ses deux filles. Ayant vendu tous ses biens, Valdès mendie par nécessité mais aussi par volonté de pauvreté. Entouré d’un groupe bientôt nommé Les Pauvres de Lyon, il se consacre à la prédication. N'étant pas du clergé cela lui vaudra l'excommunication, confirmée en 1184 au concile de Vérone. On est à l'époque approximative de la naissance du fils d'un autre riche marchand, Pierre Bernadone, de la ville italienne d'Assise. Prénommé Jean, ce fils sera plus connu sous le nom de François. Une trentaine d'années après Valdès, François reçoit la même vocation, mais, prudent, le pape Innocent III ne l'excommunie pas. Au contraire, il intègre ce nouveau potentiel dissident : on ne fait pas deux fois le même coup au pape ! Valdès restera excommunié, François sera canonisé en 1228, deux ans après sa mort…
Deux hommes riches renvoyés à Dieu seul, comme l'homme de notre texte, qui les a inspirés, avait été renvoyé à Dieu seul ! Il en avait appelé à Jésus qu'il savait à juste titre pouvoir considérer comme « bon Maître ». Jésus le renvoie à Dieu seul en lui rappelant le résumé de la Loi : ses responsabilités à l'égard de ses prochains. Seul responsable devant Dieu.
Voilà qui semble ne pas l’aider ! Et l'homme d’affirmer alors s'en être tenu aux commandements dès sa jeunesse ; ce qui renvoie au temps où il a appris à connaître la Loi, le temps de ce qui sera dans le judaïsme la bar mitsvah, âge de la responsabilité devant Dieu.
Matthieu et Luc l'ont souligné en parlant d'un jeune homme riche, le titre courant de notre passage. Marc, lui, ne parlant pas de l'homme comme d’un jeune homme, malgré ce que suggèrent nos habitudes, nous pouvons bien saisir que cela nous concerne évidemment tous, quel que soit notre âge. Cela dit, la jeunesse de l’homme semble indiquée par sa remarque-même, empreinte d’une certaine candeur, propre à la jeunesse : « j’ai observé tout cela » dit-il des commandements — signe de jeunesse effectivement que de se croire si parfaitement en règle, signe propre à émouvoir le regard attendri de Jésus : « Jésus se prit à l’aimer ».
Nous connaissons la loi de Dieu, source de la libération, nous connaissons l'Évangile de la liberté, et nous savons pourtant que nous en sommes souvent bien loin, poursuivant cette liberté par nos façons de nous évertuer à l’obtenir par nous-mêmes quand elle est don gratuit, promesse de la parole initiale de la Loi : « je suis le Seigneur qui t’ai libéré ». Dieu ne cesse de nous appeler hors de notre esclavage pour nous accorder une liberté qui nous coûtera nécessairement cher — le texte parlera carrément de persécutions —, cher donc, à commencer par le plan strictement financier — laisse tous tes biens…
Et là on va passer du premier plan de notre texte, la relation aux commandements qui nous placent dans la responsabilité, la capacité de répondre par le service, à un second plan, celui où en même temps le commandement nous dépouille de notre volonté d'être servis, comme des riches ; un plan où il nous met dans l'humilité devant Dieu, en nous disant l'exigence de l'obéissance.
Face au commandement reconnu, nous sommes à nu, dans une radicale humilité, disponibles à être aimés. Où la remarque « Jésus se prit à l’aimer » trouve un deuxième aspect. Dépouillés, seuls devant Dieu. C'est ce que Dieu nous demande à tous. Rompre d'avec tout ce qui nous fait exister à nos propres yeux. Rupture d’avec nos prétentions, qui nous font croire que telle ou telle chose nous est due. Rupture aussi, donc, d'avec nos biens, mais aussi d’avec nos proches et puis d’avec nous-mêmes.
Au devant de cela, il est question de nos biens. C'est là le test décisif. C'est là que Jésus rend le problème de son interlocuteur visible. Les parents, les proches, il y revient après, avec ses disciples. C'est fondamental, mais plus difficilement visible.
La question de ses biens rend l'esclavage de l'homme clairement visible : il n'est pas face à Dieu, comme l'exige la bar mitsvah, mais face à son statut social, à ce que l'on pense de lui, à la façon dont on le regarde, ou en termes de biens, face au crédit que lui donne sa richesse.
Où le respect des commandements, réel, et utile — rien à dédaigner dans ce comportement de cet homme, que Jésus apprécie — s’avère fonder son vrai sens, quant à la liberté.
Car en regard de ce qu’il en est pour cet homme de son statut et de son prestige, où ce respect des commandements devenait un des éléments du prestige social — s’il n’est question que de cet angle-là, l’homme y perd sa liberté, ou plutôt il ne l'a pas acquise : il a reçu du commandement non pas l'humilité qui libère et que crée l'exigence de l'obéissance, mais la prestance de celui qui est donné pour être en règle.
Où il perd la liberté de considérer les autres autrement que de haut ; dans notre texte, celle de considérer les pauvres comme dignes de bénéficier eux aussi de sa richesse, puisqu’il s’agit de la leur distribuer ; mais elle a trop d'importance pour sa vie !
Où l’on touche au cœur des choses ! Quand on devient concret à ce point, celui du coût de la grâce gratuite… Eh bien précisément l’Évangile est là et nulle part ailleurs ! Il ne nous rencontre que là. Ailleurs, il est abstrait, n’engage pas. Ce qu’a bien perçu l’homme de notre texte, d’où sa tristesse.
La grâce coûtera tout. Voilà ce que dit Jésus par ses propos à notre homme. Et c’est là ce que l’on évite en permanence, se contentant de l’Évangile comme scandale pour la seule raison — quand on aura dit les miracles et la résurrection — ; si encore on n’atténue pas même cela !
Mais le vrai scandale est plus que celui de la seule raison qui refuse ce qui n’est pas raisonnable. Le scandale de l’Évangile est en ce qu’il faut abandonner ! Prendre sa croix est suivre Jésus en abandonnant jusqu’à sa propre vie. On l’a à nouveau à la fin de notre texte, lorsque Jésus explique aux disciples ce qui s’est passé avec ce pauvre riche, riche devenu tout triste. Tout abandonner, et cela concrètement…
Car les disciples ont compris l’enjeu : qui peut être sauvé, à ce compte ? (i.e. à ce compte en banque ?! Je pense à Cioran écrivant, nous concernant : « Tout Occidental tourmenté fait penser à un héros dostoïevskien qui aurait un compte en banque. » In Syllogismes de l'amertume)
Revenons à notre homme. Il est à présent face au Christ auquel il s'est adressé au départ, mais frustré. C'est qu'il n'est d'être à l'image du Christ, d'être vrai, que devant Dieu seul, seul bon. Et cela suppose, tôt ou tard, l'abandon de tout ce dont notre vie serait censée dépendre, à commencer bien sûr par les parents et tous les proches — Jésus le dira à ses disciples, et jusqu'à tout ce qui peut donner un statut social, et notamment par la richesse. Et là c’est concret. Que cela paraît difficile !
Mais il n'est en dehors de cela pas de liberté possible, pas de libération évangélique. Pas plus d'entrée dans le Royaume de Dieu qu'il n'est pour un chameau de passage à travers un trou d'aiguille. Impossible, donc, comme le remarquent les disciples. Impossible aux hommes !… mais pas à Dieu. Encore le même retour : se placer sous son regard, hors du mensonge.
Sans quoi reste la tristesse d'être toujours dépendant, toujours frustré, de passer sa vie à s'en repartir tout triste.
Il s’agit d’ « abandonner père, mère, ses biens, etc., pour être digne de moi », dit Jésus. Cela pour mettre fin à la frustration de n'être jamais soi-même. Et Jésus l’a dit concrètement à l’homme triste : « tes biens ! » Car ça, c’est concret, pour lui.
L'homme l'a compris, concrètement : la grâce gratuite te coûtera tout. Tu devras tout laisser, tôt ou tard, et donc le savoir, l’accomplir, dès maintenant. Ce à quoi tu veux t’engager en me posant ta question, celle du salut, je te dis à présent ce qu’il en est. Tu veux connaître le salut ? Mais ça va tout te coûter. Tout. Dieu ne te laissera rien. Alors va, vends tout, distribue tout.
« Ce salut est impossible », ont dit les disciples. « C’est vrai ! » répond Jésus, ayant mis le salut en rapport avec la Loi pour en souligner l'impossibilité aux hommes, incapables d'accéder au salut comme le chameau de passer par le trou de l'aiguille. Alors, « comptez sur Dieu… Suivez son appel avec confiance, jour après jour… sachant que cela vous coûtera tout. » Tout ! Et cela nous vaudra de recevoir dès cette vie, au centuple ce qu'il nous a semblé si dur de lâcher. Cela coûte tout, jusqu'à la persécution.
Il n'est pas facile de se résoudre à recevoir ce qui ressemble à sa propre mort, renoncer à toute possession ; mort à soi-même indispensable pour la naissance d'en haut, la naissance à la liberté.
Alors seulement, un monde nouveau, prémisse des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, peut advenir. Un monde de relations humaines basées sur la reconnaissance de l'autre pour lui-même, être créé selon l’image de Dieu manifestée en Jésus Christ (personne n'a jamais vu Dieu, lui nous l'a raconté — Jn 1, 18). Où l’on voit que c’est bien là l’Évangile, ou sa réception concrète.
S’ouvre alors une réelle possibilité de souci du prochain (à nouveau n’oublions pas, il est question des commandements dans ce texte) ; le prochain, qui s’approche comme le Christ s'est approché, le prochain tel qu'il nous est donné sous le regard de Dieu, tel qu'il est ; où il est question de se faire le prochain de celui, celle, qui est placé(e) devant nous pour un regard qui nous en dévoile la valeur infinie. Les proches — Jésus y revient, seul avec ses disciples (parlant de père, mère, frères, sœurs, etc.). Des proches qui deviennent des prochains radicalement autres, chacun, chacune personnellement à l'image de Dieu, c'est-à-dire irréductible à ce à quoi nous voudrions les limiter.
Voilà qui ouvre sur une réelle découverte de Dieu et de notre prochain qui le donne à percevoir (comment dire aimer Dieu que tu ne voies pas, sans aimer celui, celle, que l'on voit et qui le dévoile — 1 Jn 4, 20). Cette découverte de ce prochain, riche en Dieu face à nous-mêmes — à commencer par ces prochains que sont nos conjoints, nos enfants, nos parents… —, cette découverte de nous-mêmes finalement, ne se fera qu'à travers la rupture que le Christ opère entre nos proches et nous, entre nous et nous. À travers notre abandon à Dieu ! Et concrètement, il s’agit d’abord bel et bien de nos biens, de tous nos biens. Impossible aux hommes ? Mais à Dieu tout est possible…
Marc 10, 17-30
17 Comme il se mettait en route, quelqu’un vint en courant et se jeta à genoux devant lui ; il lui demandait : "Bon Maître, que dois-je faire pour recevoir la vie éternelle en partage ?"
18 Jésus lui dit : "Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon que Dieu seul.
19 Tu connais les commandements : Tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, tu ne feras de tort à personne, honore ton père et ta mère."
20 L’homme lui dit : "Maître, tout cela, je l’ai observé dès ma jeunesse."
21 Jésus le regarda et se prit à l’aimer ; il lui dit : "Une seule chose te manque ; va, ce que tu as, vends-le, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens, suis-moi."
22 Mais à cette parole, il s’assombrit et il s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.
23 Regardant autour de lui, Jésus dit à ses disciples : "Qu’il sera difficile à ceux qui ont les richesses d’entrer dans le Royaume de Dieu !"
24 Les disciples étaient déconcertés par ces paroles. Mais Jésus leur répète : "Mes enfants, qu’il est difficile d’entrer dans le Royaume de Dieu !
25 Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu."
26 Ils étaient de plus en plus impressionnés ; ils se disaient entre eux : "Alors qui peut être sauvé ?"
27 Fixant sur eux son regard, Jésus dit : "Aux hommes, c’est impossible, mais pas à Dieu, car tout est possible à Dieu."
28 Pierre se mit à lui dire : "Eh bien ! nous, nous avons tout laissé pour te suivre."
29 Jésus lui dit : "En vérité, je vous le déclare, personne n’aura laissé maison, frères, sœurs, mère, père, enfants ou champs à cause de moi et à cause de l’Évangile,
30 sans recevoir au centuple maintenant, en ce temps-ci, maisons, frères, sœurs, mères, enfants et champs, avec des persécutions, et dans le monde à venir la vie éternelle.
*
Vers 1172, Valdès, riche marchand de Lyon, entend résonner en lui les paroles que nous avons lues : « Il est plus difficile pour un riche d’entrer dans le Royaume des cieux que pour un chameau de passer par le trou d’une aiguille ». Il décide de vendre tous ses biens, en laissant une part pour son épouse et ses deux filles. Ayant vendu tous ses biens, Valdès mendie par nécessité mais aussi par volonté de pauvreté. Entouré d’un groupe bientôt nommé Les Pauvres de Lyon, il se consacre à la prédication. N'étant pas du clergé cela lui vaudra l'excommunication, confirmée en 1184 au concile de Vérone. On est à l'époque approximative de la naissance du fils d'un autre riche marchand, Pierre Bernadone, de la ville italienne d'Assise. Prénommé Jean, ce fils sera plus connu sous le nom de François. Une trentaine d'années après Valdès, François reçoit la même vocation, mais, prudent, le pape Innocent III ne l'excommunie pas. Au contraire, il intègre ce nouveau potentiel dissident : on ne fait pas deux fois le même coup au pape ! Valdès restera excommunié, François sera canonisé en 1228, deux ans après sa mort…
Deux hommes riches renvoyés à Dieu seul, comme l'homme de notre texte, qui les a inspirés, avait été renvoyé à Dieu seul ! Il en avait appelé à Jésus qu'il savait à juste titre pouvoir considérer comme « bon Maître ». Jésus le renvoie à Dieu seul en lui rappelant le résumé de la Loi : ses responsabilités à l'égard de ses prochains. Seul responsable devant Dieu.
Voilà qui semble ne pas l’aider ! Et l'homme d’affirmer alors s'en être tenu aux commandements dès sa jeunesse ; ce qui renvoie au temps où il a appris à connaître la Loi, le temps de ce qui sera dans le judaïsme la bar mitsvah, âge de la responsabilité devant Dieu.
Matthieu et Luc l'ont souligné en parlant d'un jeune homme riche, le titre courant de notre passage. Marc, lui, ne parlant pas de l'homme comme d’un jeune homme, malgré ce que suggèrent nos habitudes, nous pouvons bien saisir que cela nous concerne évidemment tous, quel que soit notre âge. Cela dit, la jeunesse de l’homme semble indiquée par sa remarque-même, empreinte d’une certaine candeur, propre à la jeunesse : « j’ai observé tout cela » dit-il des commandements — signe de jeunesse effectivement que de se croire si parfaitement en règle, signe propre à émouvoir le regard attendri de Jésus : « Jésus se prit à l’aimer ».
Nous connaissons la loi de Dieu, source de la libération, nous connaissons l'Évangile de la liberté, et nous savons pourtant que nous en sommes souvent bien loin, poursuivant cette liberté par nos façons de nous évertuer à l’obtenir par nous-mêmes quand elle est don gratuit, promesse de la parole initiale de la Loi : « je suis le Seigneur qui t’ai libéré ». Dieu ne cesse de nous appeler hors de notre esclavage pour nous accorder une liberté qui nous coûtera nécessairement cher — le texte parlera carrément de persécutions —, cher donc, à commencer par le plan strictement financier — laisse tous tes biens…
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Et là on va passer du premier plan de notre texte, la relation aux commandements qui nous placent dans la responsabilité, la capacité de répondre par le service, à un second plan, celui où en même temps le commandement nous dépouille de notre volonté d'être servis, comme des riches ; un plan où il nous met dans l'humilité devant Dieu, en nous disant l'exigence de l'obéissance.
Face au commandement reconnu, nous sommes à nu, dans une radicale humilité, disponibles à être aimés. Où la remarque « Jésus se prit à l’aimer » trouve un deuxième aspect. Dépouillés, seuls devant Dieu. C'est ce que Dieu nous demande à tous. Rompre d'avec tout ce qui nous fait exister à nos propres yeux. Rupture d’avec nos prétentions, qui nous font croire que telle ou telle chose nous est due. Rupture aussi, donc, d'avec nos biens, mais aussi d’avec nos proches et puis d’avec nous-mêmes.
Au devant de cela, il est question de nos biens. C'est là le test décisif. C'est là que Jésus rend le problème de son interlocuteur visible. Les parents, les proches, il y revient après, avec ses disciples. C'est fondamental, mais plus difficilement visible.
La question de ses biens rend l'esclavage de l'homme clairement visible : il n'est pas face à Dieu, comme l'exige la bar mitsvah, mais face à son statut social, à ce que l'on pense de lui, à la façon dont on le regarde, ou en termes de biens, face au crédit que lui donne sa richesse.
Où le respect des commandements, réel, et utile — rien à dédaigner dans ce comportement de cet homme, que Jésus apprécie — s’avère fonder son vrai sens, quant à la liberté.
Car en regard de ce qu’il en est pour cet homme de son statut et de son prestige, où ce respect des commandements devenait un des éléments du prestige social — s’il n’est question que de cet angle-là, l’homme y perd sa liberté, ou plutôt il ne l'a pas acquise : il a reçu du commandement non pas l'humilité qui libère et que crée l'exigence de l'obéissance, mais la prestance de celui qui est donné pour être en règle.
Où il perd la liberté de considérer les autres autrement que de haut ; dans notre texte, celle de considérer les pauvres comme dignes de bénéficier eux aussi de sa richesse, puisqu’il s’agit de la leur distribuer ; mais elle a trop d'importance pour sa vie !
Où l’on touche au cœur des choses ! Quand on devient concret à ce point, celui du coût de la grâce gratuite… Eh bien précisément l’Évangile est là et nulle part ailleurs ! Il ne nous rencontre que là. Ailleurs, il est abstrait, n’engage pas. Ce qu’a bien perçu l’homme de notre texte, d’où sa tristesse.
La grâce coûtera tout. Voilà ce que dit Jésus par ses propos à notre homme. Et c’est là ce que l’on évite en permanence, se contentant de l’Évangile comme scandale pour la seule raison — quand on aura dit les miracles et la résurrection — ; si encore on n’atténue pas même cela !
Mais le vrai scandale est plus que celui de la seule raison qui refuse ce qui n’est pas raisonnable. Le scandale de l’Évangile est en ce qu’il faut abandonner ! Prendre sa croix est suivre Jésus en abandonnant jusqu’à sa propre vie. On l’a à nouveau à la fin de notre texte, lorsque Jésus explique aux disciples ce qui s’est passé avec ce pauvre riche, riche devenu tout triste. Tout abandonner, et cela concrètement…
Car les disciples ont compris l’enjeu : qui peut être sauvé, à ce compte ? (i.e. à ce compte en banque ?! Je pense à Cioran écrivant, nous concernant : « Tout Occidental tourmenté fait penser à un héros dostoïevskien qui aurait un compte en banque. » In Syllogismes de l'amertume)
*
Revenons à notre homme. Il est à présent face au Christ auquel il s'est adressé au départ, mais frustré. C'est qu'il n'est d'être à l'image du Christ, d'être vrai, que devant Dieu seul, seul bon. Et cela suppose, tôt ou tard, l'abandon de tout ce dont notre vie serait censée dépendre, à commencer bien sûr par les parents et tous les proches — Jésus le dira à ses disciples, et jusqu'à tout ce qui peut donner un statut social, et notamment par la richesse. Et là c’est concret. Que cela paraît difficile !
Mais il n'est en dehors de cela pas de liberté possible, pas de libération évangélique. Pas plus d'entrée dans le Royaume de Dieu qu'il n'est pour un chameau de passage à travers un trou d'aiguille. Impossible, donc, comme le remarquent les disciples. Impossible aux hommes !… mais pas à Dieu. Encore le même retour : se placer sous son regard, hors du mensonge.
Sans quoi reste la tristesse d'être toujours dépendant, toujours frustré, de passer sa vie à s'en repartir tout triste.
Il s’agit d’ « abandonner père, mère, ses biens, etc., pour être digne de moi », dit Jésus. Cela pour mettre fin à la frustration de n'être jamais soi-même. Et Jésus l’a dit concrètement à l’homme triste : « tes biens ! » Car ça, c’est concret, pour lui.
L'homme l'a compris, concrètement : la grâce gratuite te coûtera tout. Tu devras tout laisser, tôt ou tard, et donc le savoir, l’accomplir, dès maintenant. Ce à quoi tu veux t’engager en me posant ta question, celle du salut, je te dis à présent ce qu’il en est. Tu veux connaître le salut ? Mais ça va tout te coûter. Tout. Dieu ne te laissera rien. Alors va, vends tout, distribue tout.
« Ce salut est impossible », ont dit les disciples. « C’est vrai ! » répond Jésus, ayant mis le salut en rapport avec la Loi pour en souligner l'impossibilité aux hommes, incapables d'accéder au salut comme le chameau de passer par le trou de l'aiguille. Alors, « comptez sur Dieu… Suivez son appel avec confiance, jour après jour… sachant que cela vous coûtera tout. » Tout ! Et cela nous vaudra de recevoir dès cette vie, au centuple ce qu'il nous a semblé si dur de lâcher. Cela coûte tout, jusqu'à la persécution.
Il n'est pas facile de se résoudre à recevoir ce qui ressemble à sa propre mort, renoncer à toute possession ; mort à soi-même indispensable pour la naissance d'en haut, la naissance à la liberté.
*
Alors seulement, un monde nouveau, prémisse des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, peut advenir. Un monde de relations humaines basées sur la reconnaissance de l'autre pour lui-même, être créé selon l’image de Dieu manifestée en Jésus Christ (personne n'a jamais vu Dieu, lui nous l'a raconté — Jn 1, 18). Où l’on voit que c’est bien là l’Évangile, ou sa réception concrète.
S’ouvre alors une réelle possibilité de souci du prochain (à nouveau n’oublions pas, il est question des commandements dans ce texte) ; le prochain, qui s’approche comme le Christ s'est approché, le prochain tel qu'il nous est donné sous le regard de Dieu, tel qu'il est ; où il est question de se faire le prochain de celui, celle, qui est placé(e) devant nous pour un regard qui nous en dévoile la valeur infinie. Les proches — Jésus y revient, seul avec ses disciples (parlant de père, mère, frères, sœurs, etc.). Des proches qui deviennent des prochains radicalement autres, chacun, chacune personnellement à l'image de Dieu, c'est-à-dire irréductible à ce à quoi nous voudrions les limiter.
*
Voilà qui ouvre sur une réelle découverte de Dieu et de notre prochain qui le donne à percevoir (comment dire aimer Dieu que tu ne voies pas, sans aimer celui, celle, que l'on voit et qui le dévoile — 1 Jn 4, 20). Cette découverte de ce prochain, riche en Dieu face à nous-mêmes — à commencer par ces prochains que sont nos conjoints, nos enfants, nos parents… —, cette découverte de nous-mêmes finalement, ne se fera qu'à travers la rupture que le Christ opère entre nos proches et nous, entre nous et nous. À travers notre abandon à Dieu ! Et concrètement, il s’agit d’abord bel et bien de nos biens, de tous nos biens. Impossible aux hommes ? Mais à Dieu tout est possible…
alors amen ou fiat ? avec ou sans orgueil :) ?
RépondreSupprimerA toi de voir :)
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