dimanche 23 janvier 2022

Aujourd’hui, cette écriture est accomplie !...




Psaume 19, 8-15 ; Néhémie 8, 1-10 ; 1 Corinthiens 12, 12-30 ; Luc 1, 1-4 & 4, 14-21

Luc 1, 1-4 & 4, 14-21
1 1 Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements accomplis parmi nous,
2 d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et qui sont devenus serviteurs de la parole,
3 il m’a paru bon, à moi aussi, après m’être soigneusement informé de tout à partir des origines, d’en écrire pour toi un récit ordonné, très honorable Théophile,
4 afin que tu puisses constater la solidité des enseignements que tu as reçus.

4 14 Alors Jésus, avec la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, et sa renommée se répandit dans toute la région.
15 Il enseignait dans leurs synagogues et tous disaient sa gloire.
16 Il vint à Nazara où il avait été élevé. Il entra suivant sa coutume le jour du sabbat dans la synagogue, et il se leva pour faire la lecture.
17 On lui donna le livre du prophète Ésaïe, et en le déroulant il trouva le passage où il était écrit :
18 L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté,
19 proclamer une année d’accueil par le Seigneur.
20 Il roula le livre, le rendit au servant et s’assit ; tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui.
21 Alors il commença à leur dire : "Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez."

*

Jour de Shabbath ordinaire. Jésus, arrivant à Nazareth, va à la synagogue. Parmi les lectures bibliques, après la lecture de la parasha de la Torah, on lit dans les Prophètes, la haftara. Aujourd’hui, dans Ésaïe (ch. 61), selon notre texte de Luc. La lecture est confiée à Jésus. Bref commentaire de Jésus : ce texte est accompli aujourd'hui…

Étonnement dans la synagogue ! Jésus vient de proclamer le Jubilé, « an de grâce du Seigneur » ! C’est là une institution biblique — qui n'avait pas vraiment l'habitude d'être respectée. Il s'agit d’une institution biblique, selon un enseignement de la Torah qui veut que tous les cinquante ans les compteurs soient remis à zéro. On devait alors libérer les esclaves, ne pas travailler pendant un an, redistribuer les terres acquises au cours des cinquante années précédentes. Une véritable révolution périodique, en défaut d’application, tout comme les simples années sabbatiques, d'ailleurs — qui mettaient en place tous les sept ans des bouleversements très importants aussi.

Je cite — Lévitique 25, 10-18 :
10 vous déclarerez sainte la cinquantième année et vous proclamerez dans le pays la libération pour tous les habitants ; ce sera pour vous un jubilé ; chacun de vous retournera dans sa propriété, et chacun de vous retournera dans son clan.
11 Ce sera un jubilé pour vous que la cinquantième année : vous ne sèmerez pas, vous ne moissonnerez pas ce qui aura poussé tout seul, vous ne vendangerez pas la vigne en broussaille,
12 car ce sera un jubilé, ce sera pour vous une chose sainte. Vous mangerez ce qui pousse dans les champs.
13 En cette année du jubilé, chacun de vous retournera dans sa propriété.
14 Si vous faites du commerce — que tu vendes quelque chose à ton prochain, ou que tu achètes quelque chose de lui, que nul d’entre vous n’exploite son frère :
15 tu achèteras à ton prochain en tenant compte des années écoulées depuis le jubilé, et lui te vendra en tenant compte des années de récolte.
16 Plus il restera d’années, plus ton prix d’achat sera grand ; moins il restera d’années, plus ton prix d’achat sera réduit : car c’est un certain nombre de récoltes qu’il te vend.
17 Que nul d’entre vous n’exploite son prochain ; c’est ainsi que tu auras la crainte de ton Dieu. Car c’est moi, le SEIGNEUR, votre Dieu.
18 Mettez mes lois en pratique ; gardez mes coutumes et mettez-les en pratique : et vous habiterez en sûreté dans le pays.

En regard de l’exil, en guérison de la tragique déportation à Babylone — perçue comme en lien avec la non-observance de cette loi : la terre est fatiguée d’être abusée, en ont dit les prophètes —, le livre d’Ésaïe annonçait un an de grâce du Seigneur, an qui verrait l'exil prendre fin.

Le texte lu dans Ésaïe est bref, donné par Luc dans la version grecque. Au chapitre 61, Jésus lit le v. 1 et la première partie du verset 2 :
1 L’Esprit du Seigneur, l’Éternel, est sur moi, car le Seigneur m’a donné l’onction. Il m’a envoyé pour porter de bonnes nouvelles à ceux qui sont humiliés ; pour panser ceux qui ont le cœur brisé, pour proclamer aux captifs leur libération et aux prisonniers leur élargissement ;
2 Pour proclamer une année favorable de la part du Seigneur […].

Aujourd'hui même s'inaugure l'année jubilaire, l'an de grâce du Seigneur, avec toutes ses conséquences : tel est bien le propos de Jésus.

Voilà une parole bien étrange que ses auditeurs auront de la peine à recevoir. On lui demandera, comme il est coutume dans les évangiles, un miracle, pour croire. Et on peut le comprendre. Ce Jubilé, cet an de grâce, on en voudrait tout de même des signes pour le croire.

Et si ce Jubilé est bien la guérison des yeux aveugles de ceux qui baignent dans les ténèbres de l'esprit de la captivité, on n'hésitera pas à attendre comme signe que les aveugles recouvrent la vue, selon la lettre de la traduction grecque de la parole du prophète : après tout le Royaume de Dieu n'implique-t-il pas la guérison totale de toutes nos souffrances ; d'où la pensée des habitants de Nazareth que devine Jésus : « médecin guéris-toi toi-même » (Luc 4, 23), et ton peuple avec toi.

Car le Jubilé annoncé par Ésaïe est bien l'inauguration du Royaume. Le Jubilé marque l'espérance de ce jour où le Shabbath devient éternel, ce jour à partir duquel il devient définitivement possible de dire : « c'est aujourd'hui de jour du repos », selon l’Épître aux Hébreux, ch. 4. Cela étant appelé à être chargé de sens en ce qui concerne les relations humaines, enfin empreintes de sagesse et de grâce. Aujourd'hui commence le monde nouveau, s'ouvre le ciel nouveau d'où apparaît la Jérusalem nouvelle sur la nouvelle terre du monde à venir, inauguré ce jour-là.

Mais voilà que comme face à la recherche de la sagesse, Dieu a opposé la folie de la prédication, voilà, en ce qui concerne la grâce, que face à la recherche de miracles — il n’y a pas eu de miracle ce jour-là à Nazareth —, Dieu a opposé la foi à la faiblesse apparente d’une simple parole.

Sans signe ni miracle, Jésus annonce aujourd’hui l’accomplissement de cette parole du prophète Ésaïe : ici commence le Jubilé, le grand Shabbath, l'an de grâce qui inaugure le Royaume de Dieu. Même si cela ne se voit pas, ne relève pas de la vue… Parole donnée à la foi seule. Accomplissement qui ne se voit pas, et qui n’est surtout pas un dépassement du judaïsme qui s’accomplirait dans le christianisme ! C’est, en ce jour, et encore à présent, un aujourd’hui de la grâce !

Cette parole relève de cette folie de Dieu plus sage que les hommes et cette faiblesse de Dieu est dans la proclamation d’une parole plus forte que les hommes, folie et faiblesse selon lesquelles Dieu a choisi les choses folles et faibles de ce monde pour confondre les sages et fortes (1 Co 1). Or ces choses folles et faibles sont ceux et celles qui sont appelés par l'Écriture pour être sagesse et justice devant Dieu, pour la réparation du monde. C'est nous qui entendons ce que Jésus dit aujourd’hui.

*

Nos années se datent en autant de nouveaux ans de grâce : « an de grâce 2022 », disons-nous ! Autant d’années de Jubilé ! Si le nous croyons, si nous croyons que le Jubilé est advenu, si nous sommes dans l'an de grâce du Seigneur, plus rien ne manque pour que nous en appliquions les modalités : libérés de tout esclavage, être libres de remettre les dettes, de pardonner, puisque c’est là le Jubilé, libres parce ce que la délivrance des captifs a eu lieu…

Chacune et chacun à notre humble mesure : nous qui sommes au bénéfice de la remise des dettes avons dès lors toutes et tous le pouvoir de remettre les dettes à notre égard ; comme nous le prions dans le Notre Père — « remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs. » (Ça vaut comme pardon des offenses concernant ces dettes que sont les fautes ; ça vaut aussi à tous les autres plans — Jésus n’a pas commis de péché, mais outre sa solidarité avec nous, il n’en était pas moins débiteur de sa vie envers son Père, ce qu’il savait lorsqu’il enseignait cette prière : « remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs. »)

Si nous ne faisons pas de miracles spectaculaires, comme Jésus n’en a pas fait à Nazareth (comme pour nous dire : vous aussi vous pouvez beaucoup de choses sans que cela ne soit spectaculaire) — nous avons la possibilité de mettre en place les modalités essentielles de l’an de grâce — comme remise à notre mesure des compteurs à zéro.

Dieu nous appelle aujourd’hui à entrer avec humilité, au regard de l’histoire, mais de plain-pied tout de même, dans ce temps de la grâce, en place dès à présent. "Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez."


RP, Poitiers, 23.01.22
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