Jérémie 1, 4-19 ; Psaume 71 ; 1 Corinthiens 12, 31 - 13, 13 ; Luc 4, 21-30
Psaume 71
Jérémie 1, 4-8
Luc 4, 21-30
« Ils se levèrent, le jetèrent hors de la ville et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline sur laquelle était bâtie leur ville, pour le précipiter en bas. »
Écho dans la 1ère épître de Pierre parlant de la « pierre vivante, rejetée par les hommes mais choisie et précieuse devant Dieu. » (1 P 2, 4)
Mais évoquons tout d’abord un personnage que connaissent enfants, jeunes adolescents et adolescentes, et celles et ceux qui d’une certaine façon le sont restés, eussent-ils pris de l’âge depuis la création de ce personnage par l'autrice J.-K. Rowling, ou suite aux films tirés de son œuvre : j’ai nommé Harry Potter.
Harry Potter a accès aux mystères qui semblent échapper aux gens plus raisonnables, comme ceux de Nazareth en Luc 4, qui connaissent si bien ce « fils de Joseph ». Les gens raisonnables sont nommés les « moldus » dans l’univers de J.-K. Rowling. Harry Potter et ceux qui comme lui franchissent les frontières de l’imaginaire, sont appelés par les « moldus » des « sorciers » (comme au Moyen Âge cathares et vaudois : à la fin du Moyen Âge, « vaudois » était devenu un des mots pour « sorciers », à l'instar de « juifs » — on parlait de « vauderies » ou de « sabbats » de sorcières — puisque ce sont principalement des femmes qui en ont subi l'accusation et la persécution : on parle de 9 millions de femmes assassinées entre la fin du Moyen Âge et le XVIIIe siècle !).
Revenons à notre temps : Harry Potter aura l’occasion de se perfectionner dans ses aptitudes à imaginer l’impossible grâce à l’enseignement d’un professeur en la matière, le professeur Dumbledore, lequel existe dans l’imaginaire lui aussi, mais en outre connaît personnellement quelqu’un qui — évoluant de même dans l’imaginaire — a cependant également existé dans le réel, au XIVème siècle : Nicolas Flamel, lequel, selon plusieurs, vit toujours ! Car Nicolas Flamel est réputé pour avoir découvert « la pierre philosophale », c’est-à-dire le secret de la transformation en or du plomb, lourd et pesant, comme des matières les plus viles, boue et pourriture ; secret, donc, aussi, de l’immortalité, transfiguration de nos corps mortels, en voie de décomposition, pour la résurrection et la vie éternelle.
Il n’est qu’à lire la prière d’introduction de l’ouvrage où Nicolas Flamel explique le secret de la pierre philosophale. La clef de la suite de son livre (Le livre des figures hiéroglyphiques) est dans cette prière. Je la lis : « Loué soit éternellement le Seigneur mon Dieu, qui élève l'humble de la boue, et fait réjouir le cœur de ceux qui espèrent en lui : qui ouvre aux croyants avec grâce les sources de sa bonté, et met sous leurs pieds les cercles mondains de toutes les félicités terrestres. En lui soit toujours notre espérance, en sa crainte notre bonheur, en sa miséricorde la gloire de la réparation de notre nature, et en la prière notre sûreté inébranlable. Et toi, ô Dieu Tout-puissant, comme ta bonté a daigné ouvrir sur la Terre devant moi, ton indigne serviteur, tous les trésors des richesses du monde, qu'il plaise à ta clémence, lorsque je ne serai plus au nombre des vivants, de m'ouvrir encore les trésors des cieux, et me laisser contempler ta face divine, dont la majesté est un délice inénarrable, et dont le ravissement n'est jamais monté en cœur d'homme vivant. Je te le demande par le Seigneur Jésus-Christ ton Fils bien-aimé, qui en l'unité du Saint-Esprit vit avec toi aux siècles des siècles. »
Nicolas Flamel est né en 1330. Cette même année, très loin de son lieu de naissance, apparaît une pandémie que l’on appellera ensuite la Peste noire : il s’agit de la peste bubonique et pulmonaire ; — la peste bubonique, mortelle dans 80% des cas, est transmise à l’homme par la puce du rat ; — la peste pulmonaire, mortelle dans 100% des cas, est contagieuse entre humains. Elle se répand suivant les voies commerciales. À la fin de 1347, les rats contaminés infectant les cales des navires marchands, la maladie gagne Marseille et, rapidement, Avignon, cité des Papes depuis près de 40 ans. L’année suivante, 1348, elle touche tout le territoire français (le Parisien Nicolas Flamel a alors 18 ans) ; en 1349, toute l’Europe est atteinte. Au cours des quatre années suivantes, la maladie décime près d’un tiers de la population de l’Europe ; la proportion de décès atteignant près de la moitié de la population de certains pays, comme la France.
Comme pour toutes les pandémies, la sous-alimentation ou la mauvaise alimentation, ou carrément la famine, ont fourni un terrain favorable à la propagation de la maladie ; les conditions de vie et d’hygiène (en particulier dans les zones urbaines) ne font qu’aggraver la situation. Les groupes de population concentrés (aujourd’hui, on dit des clusters), les armées, les monastères et les villes sont particulièrement touchés. En outre, la peste éprouve très inégalement les différentes catégories de population. Les plus pauvres des villes, déjà affaiblis par la misère et la faim, paient un lourd tribut. L’aristocratie et la bourgeoisie, qui sont mieux alimentées et qui disposent de meilleures conditions sanitaires, sont privilégiées face au fléau.
À long terme, l’épidémie a sensiblement accéléré le déclin démographique, principalement en raison de sa récurrence (elle fait retour en plusieurs vagues : 1360, 1369, 1375, etc., 1ère, 2e, 3e vagues, etc.). Du point de vue économique, la Grande Peste fait entrer l’Europe médiévale dans une période de récession, en raison de la pénurie de main-d’œuvre, de la baisse de consommation et du retour en friche de vastes espaces jusqu’alors cultivés.
La population de l’époque voit souvent dans l’épidémie une manifestation de la colère divine, souvent aussi les conséquences de complots. En l’absence de remède médical, se déploie un regain de piété pas toujours bien placée. Un vaste mouvement d’expiation et de flagellants se développe dans toute l’Europe. Certaines communautés servent de boucs émissaires, comme les juifs, naturellement. Accusés d’empoisonnement par divers théoriciens du complot, ils subissent des pogroms en de nombreux lieux (ex., 2000 sont tués à Strasbourg en février 1349). — Nicolas Flamel va alors vers ses 20 ans.
Tout laisse à penser que Nicolas Flamel a de bons rapports avec les juifs. Le livre qui lui permet de découvrir la pierre philosophale est un de leurs écrits, précise-t-il, et il peut en obtenir l’interprétation en se rendant en Espagne auprès d’un maître issu du judaïsme.
Deux choses là-derrière.
— 1°) La fascination pour les pays développés, à l’époque le monde arabe, avec présent en Espagne ; les juifs d’alors y jouissent d’une relative tolérance (ignorée dans le monde germano-franco-latin, où s’organisent des pogroms), ce qui fait que la culture juive d’alors est arabe. Fascination commune, en tous temps, des pays plus pauvres pour les terres d’aisance, comme aujourd’hui des pays du Sud pour l’Europe et l’Amérique.
— Et 2°) Comprendre que l’on ne sort pas de la misère, de la mort et de la maladie en inventant des boucs émissaires comme les juifs, les hérétiques ou les sorcières, tués au temps de la peste. Et puis, cette certitude, que nous apprend le cœur de la philosophie, de la sagesse, et à l’époque la philosophie vient donc d'abord de l’Espagne arabe, musulmane, et juive ; cette certitude : le pivot, la pierre d’angle de la philosophie, bref, la pierre philosophale, réside dans une vérité : du cœur de la pourriture (et le livre de Nicolas Flamel y insiste : il en est resté les traditions sur la bave de crapaud et les eaux verdâtres — cf. leur mémoire chez Harry Potter) ; du cœur de la pourriture, de la misère, de la maladie et de la mort, Dieu jour après jour, fait jaillir vie et or céleste (je précise or céleste, car l'or terrestre rouille selon Jacques 5, 3).
Du tombeau, lieu de décomposition, Dieu peut faire jaillir la vie ; ainsi la vie du Christ sorti triomphant du tombeau.
Les mots de la prière de Nicolas Flamel citée ci-dessus, qu’il donne comme clef de son œuvre, laissent transparaître que c’est là le secret de la pierre philosophale, le secret qu’il a découvert…
En Jésus, la pierre philosophale est apparue : « Approchez-vous de lui, pierre vivante, rejetée par les hommes mais choisie et précieuse devant Dieu », en dira plus tard la 1ère épître de Pierre.
Rejetée par les hommes. Par ses proches, à Nazareth, en Luc 4. Par Hérode, par Rome et tous ceux qui fomenteront son rejet et sa mort, par la suite. Tous voient en Jésus une menace. Et il y effectivement de quoi s’inquiéter. Car aujourd’hui des foules d’exclus, de rejetés et d’étrangers, comme la veuve de Sarepta au temps d’Élie, ou comme Naaman le Syrien lépreux au temps d’Élisée, se sont mis à écouter Jésus le rejeté et le cherchent, tandis que la violence qui menace en Luc 4, 29 s’approche : sa crucifixion se profile, mais c’est pour le triomphe de la vie au dimanche de Pâques.
Car ce Jésus rejeté est celui qui transforme ce monde — en voie de décomposition — en or céleste, en pain de vie, en vie éternelle. « Rejetée par les hommes mais choisie et précieuse devant Dieu », cette pierre vivante est Jésus Christ. Le monde a sa vie en lui, qui est la source de vie. Cette « pierre vivante rejetée par les hommes mais choisie et précieuse devant Dieu » est le secret de la vie du monde et la vie éternelle. « Approchez-vous de lui ».
Psaume 71
Éternel ! je cherche en toi mon refuge : Que jamais je ne sois confondu(e) !
Dans ta justice, sauve-moi et délivre-moi ! Incline vers moi ton oreille, et secours-moi !
Sois pour moi un rocher qui me serve d’asile, Où je puisse toujours me retirer !
Tu as résolu de me sauver, Car tu es mon rocher et ma forteresse.
Mon Dieu, délivre-moi de la main du mauvais, injuste et violent !
Car tu es mon espérance, Seigneur Éternel ! En toi je me confie dès ma jeunesse.
Dès le ventre de ma mère je m’appuie sur toi ;
C’est toi qui m’as fait sortir du sein maternel ;
tu es sans cesse l’objet de mes louanges.
Je suis pour plusieurs comme un prodige, Et toi, tu es mon puissant refuge.
Que ma bouche soit remplie de tes louanges, Que chaque jour elle te glorifie !
Ne me rejette pas,... jusqu’au temps de la vieillesse ;
Quand mes forces s’en vont, ne m’abandonne pas !
Car mes ennemis parlent de moi, Et ceux qui guettent ma vie se consultent entre eux,
Disant : Dieu l’abandonne ; Poursuivez, saisissez ;
il n’y a personne pour sa délivrance.
Ô Dieu, ne t’éloigne pas de moi ! Mon Dieu, viens en hâte à mon secours !
Qu’ils soient confus, anéantis, ceux qui en veulent à ma vie !
Qu’ils soient couverts de honte et d’opprobre, ceux qui cherchent ma perte !
Et moi, j’espérerai toujours, Je te louerai de plus en plus.
Ma bouche publiera ta justice, ton salut, chaque jour,
Car j’ignore quelles en sont les bornes.
Je dirai tes œuvres puissantes, Seigneur Éternel !
Je rappellerai ta justice, la tienne seule.
Ô Dieu ! tu m’as instruit dès ma jeunesse, Et jusqu’à présent j’annonce tes merveilles.
Ne m’abandonne pas, ô Dieu ! jusque dans la blanche vieillesse,
Afin que j’annonce ta force à la génération présente, Ta puissance à la génération future !
Ta justice, ô Dieu ! atteint jusqu’au ciel ; Tu as accompli de grandes choses :
ô Dieu ! qui est semblable à toi ?
Tu nous as fait éprouver bien des détresses et des malheurs ;
Mais tu nous redonneras la vie, Tu nous feras remonter des abîmes de la terre.
Relève-moi, Console-moi de nouveau !
Et je chanterai ta fidélité, mon Dieu, […] Saint d’Israël !
En te célébrant, j’aurai la joie sur les lèvres, La joie dans mon âme que tu as délivrée ;
Car ceux qui cherchent ma perte sont honteux et confus,
Ma langue chaque jour publiera ta justice.
Jérémie 1, 4-8
4 La parole du Seigneur me fut adressée :
5 Je te connaissais avant même de t'avoir façonné dans le ventre de ta mère ; je t'ai mis à part pour me servir avant même que tu sois né. Et j'ai fait de toi mon porte-parole auprès des peuples.
6 Je répondis : Hélas ! Seigneur Dieu, je suis trop jeune pour parler en public !
7 Mais le Seigneur me répliqua : Ne dis pas que tu es trop jeune ; tu iras trouver tous ceux vers qui je t'enverrai et tu leur diras tout ce que je t'ordonnerai.
8 N'aie pas peur d'eux, car je suis avec toi pour te délivrer.
Luc 4, 21-30
21 Alors il commença à leur dire : « Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez. »
22 Tous lui rendaient témoignage ; ils s’étonnaient du message de la grâce qui sortait de sa bouche, et ils disaient : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? »
23 Alors il leur dit : « Sûrement vous allez me citer ce dicton : “Médecin, guéris-toi toi-même.” Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm, fais-en donc autant ici dans ta patrie. »
24 Et il ajouta : « Oui, je vous le déclare, aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie.
25 En toute vérité, je vous le déclare, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d’Élie, quand le ciel fut fermé trois ans et six mois et que survint une grande famine sur tout le pays ;
26 pourtant ce ne fut à aucune d’entre elles qu’Élie fut envoyé, mais bien dans le pays de Sidon, à une veuve de Sarepta.
27 Il y avait beaucoup de lépreux en Israël au temps du prophète Élisée ; pourtant aucun d’entre eux ne fut purifié, mais bien Naamân le Syrien. »
28 Tous furent remplis de colère, dans l’assemblée, en entendant ces paroles.
29 Ils se levèrent, le jetèrent hors de la ville et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline sur laquelle était bâtie leur ville, pour le précipiter en bas.
30 Mais lui, passant au milieu d’eux, alla son chemin.
*
« Ils se levèrent, le jetèrent hors de la ville et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline sur laquelle était bâtie leur ville, pour le précipiter en bas. »
Écho dans la 1ère épître de Pierre parlant de la « pierre vivante, rejetée par les hommes mais choisie et précieuse devant Dieu. » (1 P 2, 4)
Mais évoquons tout d’abord un personnage que connaissent enfants, jeunes adolescents et adolescentes, et celles et ceux qui d’une certaine façon le sont restés, eussent-ils pris de l’âge depuis la création de ce personnage par l'autrice J.-K. Rowling, ou suite aux films tirés de son œuvre : j’ai nommé Harry Potter.
Harry Potter a accès aux mystères qui semblent échapper aux gens plus raisonnables, comme ceux de Nazareth en Luc 4, qui connaissent si bien ce « fils de Joseph ». Les gens raisonnables sont nommés les « moldus » dans l’univers de J.-K. Rowling. Harry Potter et ceux qui comme lui franchissent les frontières de l’imaginaire, sont appelés par les « moldus » des « sorciers » (comme au Moyen Âge cathares et vaudois : à la fin du Moyen Âge, « vaudois » était devenu un des mots pour « sorciers », à l'instar de « juifs » — on parlait de « vauderies » ou de « sabbats » de sorcières — puisque ce sont principalement des femmes qui en ont subi l'accusation et la persécution : on parle de 9 millions de femmes assassinées entre la fin du Moyen Âge et le XVIIIe siècle !).
*
Revenons à notre temps : Harry Potter aura l’occasion de se perfectionner dans ses aptitudes à imaginer l’impossible grâce à l’enseignement d’un professeur en la matière, le professeur Dumbledore, lequel existe dans l’imaginaire lui aussi, mais en outre connaît personnellement quelqu’un qui — évoluant de même dans l’imaginaire — a cependant également existé dans le réel, au XIVème siècle : Nicolas Flamel, lequel, selon plusieurs, vit toujours ! Car Nicolas Flamel est réputé pour avoir découvert « la pierre philosophale », c’est-à-dire le secret de la transformation en or du plomb, lourd et pesant, comme des matières les plus viles, boue et pourriture ; secret, donc, aussi, de l’immortalité, transfiguration de nos corps mortels, en voie de décomposition, pour la résurrection et la vie éternelle.
Il n’est qu’à lire la prière d’introduction de l’ouvrage où Nicolas Flamel explique le secret de la pierre philosophale. La clef de la suite de son livre (Le livre des figures hiéroglyphiques) est dans cette prière. Je la lis : « Loué soit éternellement le Seigneur mon Dieu, qui élève l'humble de la boue, et fait réjouir le cœur de ceux qui espèrent en lui : qui ouvre aux croyants avec grâce les sources de sa bonté, et met sous leurs pieds les cercles mondains de toutes les félicités terrestres. En lui soit toujours notre espérance, en sa crainte notre bonheur, en sa miséricorde la gloire de la réparation de notre nature, et en la prière notre sûreté inébranlable. Et toi, ô Dieu Tout-puissant, comme ta bonté a daigné ouvrir sur la Terre devant moi, ton indigne serviteur, tous les trésors des richesses du monde, qu'il plaise à ta clémence, lorsque je ne serai plus au nombre des vivants, de m'ouvrir encore les trésors des cieux, et me laisser contempler ta face divine, dont la majesté est un délice inénarrable, et dont le ravissement n'est jamais monté en cœur d'homme vivant. Je te le demande par le Seigneur Jésus-Christ ton Fils bien-aimé, qui en l'unité du Saint-Esprit vit avec toi aux siècles des siècles. »
Nicolas Flamel est né en 1330. Cette même année, très loin de son lieu de naissance, apparaît une pandémie que l’on appellera ensuite la Peste noire : il s’agit de la peste bubonique et pulmonaire ; — la peste bubonique, mortelle dans 80% des cas, est transmise à l’homme par la puce du rat ; — la peste pulmonaire, mortelle dans 100% des cas, est contagieuse entre humains. Elle se répand suivant les voies commerciales. À la fin de 1347, les rats contaminés infectant les cales des navires marchands, la maladie gagne Marseille et, rapidement, Avignon, cité des Papes depuis près de 40 ans. L’année suivante, 1348, elle touche tout le territoire français (le Parisien Nicolas Flamel a alors 18 ans) ; en 1349, toute l’Europe est atteinte. Au cours des quatre années suivantes, la maladie décime près d’un tiers de la population de l’Europe ; la proportion de décès atteignant près de la moitié de la population de certains pays, comme la France.
Comme pour toutes les pandémies, la sous-alimentation ou la mauvaise alimentation, ou carrément la famine, ont fourni un terrain favorable à la propagation de la maladie ; les conditions de vie et d’hygiène (en particulier dans les zones urbaines) ne font qu’aggraver la situation. Les groupes de population concentrés (aujourd’hui, on dit des clusters), les armées, les monastères et les villes sont particulièrement touchés. En outre, la peste éprouve très inégalement les différentes catégories de population. Les plus pauvres des villes, déjà affaiblis par la misère et la faim, paient un lourd tribut. L’aristocratie et la bourgeoisie, qui sont mieux alimentées et qui disposent de meilleures conditions sanitaires, sont privilégiées face au fléau.
À long terme, l’épidémie a sensiblement accéléré le déclin démographique, principalement en raison de sa récurrence (elle fait retour en plusieurs vagues : 1360, 1369, 1375, etc., 1ère, 2e, 3e vagues, etc.). Du point de vue économique, la Grande Peste fait entrer l’Europe médiévale dans une période de récession, en raison de la pénurie de main-d’œuvre, de la baisse de consommation et du retour en friche de vastes espaces jusqu’alors cultivés.
La population de l’époque voit souvent dans l’épidémie une manifestation de la colère divine, souvent aussi les conséquences de complots. En l’absence de remède médical, se déploie un regain de piété pas toujours bien placée. Un vaste mouvement d’expiation et de flagellants se développe dans toute l’Europe. Certaines communautés servent de boucs émissaires, comme les juifs, naturellement. Accusés d’empoisonnement par divers théoriciens du complot, ils subissent des pogroms en de nombreux lieux (ex., 2000 sont tués à Strasbourg en février 1349). — Nicolas Flamel va alors vers ses 20 ans.
*
Tout laisse à penser que Nicolas Flamel a de bons rapports avec les juifs. Le livre qui lui permet de découvrir la pierre philosophale est un de leurs écrits, précise-t-il, et il peut en obtenir l’interprétation en se rendant en Espagne auprès d’un maître issu du judaïsme.
Deux choses là-derrière.
— 1°) La fascination pour les pays développés, à l’époque le monde arabe, avec présent en Espagne ; les juifs d’alors y jouissent d’une relative tolérance (ignorée dans le monde germano-franco-latin, où s’organisent des pogroms), ce qui fait que la culture juive d’alors est arabe. Fascination commune, en tous temps, des pays plus pauvres pour les terres d’aisance, comme aujourd’hui des pays du Sud pour l’Europe et l’Amérique.
— Et 2°) Comprendre que l’on ne sort pas de la misère, de la mort et de la maladie en inventant des boucs émissaires comme les juifs, les hérétiques ou les sorcières, tués au temps de la peste. Et puis, cette certitude, que nous apprend le cœur de la philosophie, de la sagesse, et à l’époque la philosophie vient donc d'abord de l’Espagne arabe, musulmane, et juive ; cette certitude : le pivot, la pierre d’angle de la philosophie, bref, la pierre philosophale, réside dans une vérité : du cœur de la pourriture (et le livre de Nicolas Flamel y insiste : il en est resté les traditions sur la bave de crapaud et les eaux verdâtres — cf. leur mémoire chez Harry Potter) ; du cœur de la pourriture, de la misère, de la maladie et de la mort, Dieu jour après jour, fait jaillir vie et or céleste (je précise or céleste, car l'or terrestre rouille selon Jacques 5, 3).
Du tombeau, lieu de décomposition, Dieu peut faire jaillir la vie ; ainsi la vie du Christ sorti triomphant du tombeau.
Les mots de la prière de Nicolas Flamel citée ci-dessus, qu’il donne comme clef de son œuvre, laissent transparaître que c’est là le secret de la pierre philosophale, le secret qu’il a découvert…
*
En Jésus, la pierre philosophale est apparue : « Approchez-vous de lui, pierre vivante, rejetée par les hommes mais choisie et précieuse devant Dieu », en dira plus tard la 1ère épître de Pierre.
Rejetée par les hommes. Par ses proches, à Nazareth, en Luc 4. Par Hérode, par Rome et tous ceux qui fomenteront son rejet et sa mort, par la suite. Tous voient en Jésus une menace. Et il y effectivement de quoi s’inquiéter. Car aujourd’hui des foules d’exclus, de rejetés et d’étrangers, comme la veuve de Sarepta au temps d’Élie, ou comme Naaman le Syrien lépreux au temps d’Élisée, se sont mis à écouter Jésus le rejeté et le cherchent, tandis que la violence qui menace en Luc 4, 29 s’approche : sa crucifixion se profile, mais c’est pour le triomphe de la vie au dimanche de Pâques.
Car ce Jésus rejeté est celui qui transforme ce monde — en voie de décomposition — en or céleste, en pain de vie, en vie éternelle. « Rejetée par les hommes mais choisie et précieuse devant Dieu », cette pierre vivante est Jésus Christ. Le monde a sa vie en lui, qui est la source de vie. Cette « pierre vivante rejetée par les hommes mais choisie et précieuse devant Dieu » est le secret de la vie du monde et la vie éternelle. « Approchez-vous de lui ».
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire