Ésaïe 40, 1-11 ; Psaume 104 ; Tite 2, 11-14 & 3, 4-7 ; Luc 3, 15-22
Ésaïe 40, 1-11
Luc 3, 15-22
Dans notre lecture suivie de l’Évangile de Luc, nous laissions Jésus à douze ans, aux deux derniers versets du ch. 2, au retour du temple de Jérusalem, avec ces mots : « il descendit avec [ses parents] pour aller à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait toutes ces choses dans son cœur. Et Jésus croissait en sagesse, en stature, et en grâce, devant Dieu et devant les hommes » (v. 51 et 52).
Nous retrouvons Jésus pour la première fois au v. 21 du ch. 3, qui n’a parlé jusque là que du Baptiste et de son annonce de celui qui vient après lui. Le texte poursuit, v. 21 : « comme tout le peuple était baptisé, Jésus fut baptisé lui aussi. » Il a alors « environ trente ans », notera le v. 23.
Jusque là, entre son retour de Jérusalem à douze et son baptême « comme tout le peuple », alors qu’il a, sans plus de précision, « environ trente ans », on a au minimum dix-huit ans d’anonymat. Et tout laisse à penser que notre texte veut souligner cela.
Tout pour souligner que Jésus a passé presque toute sa vie de façon ordinaire : après l'avoir vu dans sa vie ordinaire d’enfant juif, recevant les rites juifs comme tout le monde, terminant en précisant qu’il était soumis à ses parents, comme tout le monde, pour un temps de silence d’une vingtaine d’années, avant que l’Évangile ne le présente venant à Jean « comme tout le peuple », on a tout pour comprendre qu’il a passé cette plus longue période de sa vie terrestre, jusqu’au début de son ministère, à écouter ses parents, à apprendre un métier avec son père (cf. Mt 13, 55) et à se rendre au travail chaque jour (« n'est-ce pas le charpentier ? » se demande-t-on en Mc 6, 3 — charpentier ou quelque métier manuel que désigne le mot grec tekton). Bref, Jésus n'a pas évité la vie ordinaire.
Si c’est ce qu’a vécu Jésus, une vie ordinaire et silencieuse, si cette période la plus longue de sa vie en ce temps est au cœur de sa vocation jusqu’au jour où nous le retrouvons au bord du Jourdain, a fortiori notre vocation, la vocation de l’immense majorité d’entre nous dans ce pèlerinage de notre vie en ce temps n'est pas de vivre comme des célébrités ni en un repos prolongé.
Mais au contraire, ce temps, pour nous aussi, doit être aussi ordinaire que le fut celui de Jésus, qui nous dévoile, selon cet Évangile de Luc, que notre Dieu aime l'ordinaire.
C’est dans la vie ordinaire que doit se déployer le long travail d'aimer à la manière dont Jésus a aimé : voir chacune et chacun des plus ordinaires comme quelqu’un d’unique et précieux devant Dieu et ne voir personne comme un faire valoir.
Nous sommes censés vivre dans nos jours ordinaires et coopérer à racheter ce temps de l'insignifiance, le rendant non pas extraordinaire, mais saint, consacré à Dieu, empli de son amour, de la manière la plus ordinaire qui soit.
C’est ainsi que, alors que comme tout le monde, « comme tout le peuple » des gens ordinaires, il venait au baptême de Jean — c’est ainsi que sur cet homme ordinaire parmi les femmes et les hommes ordinaires venant au Baptiste ; sur cet homme priant, « le ciel s’ouvrit ; l’Esprit Saint descendit sur lui, Jésus, sous une apparence corporelle, comme une colombe, et une voix vint du ciel : “Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré.” » (v. 21b-22)
Sanctification de l’ordinaire, élévation au statut de Fils unique engendré du Père, qu’il est dans l’éternité. Voilà ce qui est donné dans cette parole devant laquelle tout s’efface.
Luc a bien pris soin de préciser que Jean a été arrêté et mis en prison (v. 20). Au point qu’on pourrait se demander où il est au moment où il baptise Jésus !
Il est tout simplement, en tout ce qu’il fait, à sa vocation fidèle de témoin des exigences du Dieu saint pour toutes et tous, tous les inconnus et aussi ceux que leur prestige — on ne parle que d’eux sur les réseaux sociaux de l'époque — les Hérode et compagnie se croient tout permis, tout méprisants pour les anonymes ordinaires, et tant qu’à faire pour leurs proches aussi, comme le propre frère d’Hérode auquel il prend sa femme, comme plus tard, il cherche à avoir aussi sa nièce (ça coutera sa tête au Baptiste).
À Hérode, célèbre, prestigieux, soutenu par Rome, nul ne s’oppose, évidemment, sauf ce fidèle témoin de l’amour exigeant de Dieu et du prochain qu’est le Baptiste. Cela lui vaut aujourd'hui la prison — et vaut à Jésus sa sortie de l’anonymat. Il n’a rien demandé, il se contente de continuer à observer fidèlement ce pourquoi Dieu l’envoie.
Hérode n’a pas compris, que, comme le notait un écrivain du XXe siècle, « Quiconque veut laisser une œuvre n’a rien compris. Il faut apprendre à s’émanciper de ce qu’on fait. Il faut surtout renoncer à avoir un nom, et même à en porter un. Mourir inconnu, c’est peut-être cela la grâce. » (Emil Cioran, Cahiers, p. 509)
Et cet écrivain du XXe siècle, Emil Cioran, de préciser, « Si nous pouvions ressentir une volupté secrète chaque fois qu’on ne fait aucun cas de nous, nous aurions la clef du bonheur. » (Cahier de Talamanca, p. 40)
Jésus, fils éternel de Dieu, reçoit aujourd'hui cette parole, « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré », parole qu’il nous faut aussi recevoir en lui et par lui : nul ne tient son être vrai et unique que de Dieu seul. Comme Jésus est le Fils unique de Dieu dans l’éternité, et sur terre tout au long de ses années ordinaires, il nous est donné par lui et en lui, de savoir que tout notre temps ordinaire est éternellement racheté et justifié par Dieu seul et devant Dieu seul.
Ésaïe 40, 1-11
1 Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu.
2 Parlez au cœur de Jérusalem, et criez-lui que son temps d’épreuve est fini, que son crime est expié, qu’elle a reçu de la main du Seigneur double peine pour toutes ses fautes.
3 Une voix proclame : « Dans le désert, déblayez la route de l’Éternel : nivelez, dans la campagne aride, une chaussée pour notre Dieu !
4 Que toute vallée soit exhaussée, que toute montagne et colline s’abaissent, que les pentes se changent en plaines, les crêtes escarpées en vallons !
5 La gloire du Seigneur va se révéler, et toutes les créatures, ensemble, en seront témoins : c’est la bouche de l’Éternel qui le déclare. »
6 Une voix dit : « Proclame ! » Et on a répondu : « Que proclamerai-je » — « Toute chair est comme de l’herbe, et toute sa beauté est comme la fleur des champs.
7 L’herbe se dessèche, la fleur se fane, quand le souffle du Seigneur a passé sur elles. Or, le peuple est comme cette herbe.
8 L’herbe se dessèche, la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu subsiste à jamais. »
9 Monte sur une montagne élevée, porteuse de bonnes nouvelles pour Sion, élève ta voix avec force, messagère de Jérusalem ! Élève-la sans crainte, annonce aux villes de Juda : « Voici votre Dieu ! »
10 Oui, voici le Seigneur, l’Éternel, s’avançant en héros, avec son bras triomphant ; voici, il apporte sa rétribution avec lui, son œuvre le précède.
11 Tel un berger, menant paître son troupeau, il recueille les agneaux dans ses bras, les porte dans son sein et conduit avec douceur les mères qui allaitent.
Luc 3, 15-22
15 Le peuple était dans l’attente et tous se posaient en eux-mêmes des questions au sujet de Jean : ne serait-il pas le Messie ?
16 Jean répondit à tous : « Moi, c’est d’eau que je vous baptise ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de délier la lanière de ses sandales. Lui, il vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu ;
17 il a sa pelle à vanner à la main pour nettoyer son aire et pour recueillir le blé dans son grenier ; mais la balle, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. »
18 Ainsi, avec bien d’autres exhortations encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.
19 Mais Hérode le tétrarque, qu’il blâmait au sujet d’Hérodiade, la femme de son frère, et de tous les forfaits qu’il avait commis,
20 ajouta encore ceci à tout le reste : il enferma Jean en prison.
21 Or comme tout le peuple était baptisé, Jésus fut baptisé lui aussi ; il priait ; alors le ciel s’ouvrit ;
22 l'Esprit Saint descendit sur Jésus sous une apparence corporelle, comme une colombe, et une voix vint du ciel : « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. »
*
Dans notre lecture suivie de l’Évangile de Luc, nous laissions Jésus à douze ans, aux deux derniers versets du ch. 2, au retour du temple de Jérusalem, avec ces mots : « il descendit avec [ses parents] pour aller à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait toutes ces choses dans son cœur. Et Jésus croissait en sagesse, en stature, et en grâce, devant Dieu et devant les hommes » (v. 51 et 52).
Nous retrouvons Jésus pour la première fois au v. 21 du ch. 3, qui n’a parlé jusque là que du Baptiste et de son annonce de celui qui vient après lui. Le texte poursuit, v. 21 : « comme tout le peuple était baptisé, Jésus fut baptisé lui aussi. » Il a alors « environ trente ans », notera le v. 23.
Jusque là, entre son retour de Jérusalem à douze et son baptême « comme tout le peuple », alors qu’il a, sans plus de précision, « environ trente ans », on a au minimum dix-huit ans d’anonymat. Et tout laisse à penser que notre texte veut souligner cela.
Tout pour souligner que Jésus a passé presque toute sa vie de façon ordinaire : après l'avoir vu dans sa vie ordinaire d’enfant juif, recevant les rites juifs comme tout le monde, terminant en précisant qu’il était soumis à ses parents, comme tout le monde, pour un temps de silence d’une vingtaine d’années, avant que l’Évangile ne le présente venant à Jean « comme tout le peuple », on a tout pour comprendre qu’il a passé cette plus longue période de sa vie terrestre, jusqu’au début de son ministère, à écouter ses parents, à apprendre un métier avec son père (cf. Mt 13, 55) et à se rendre au travail chaque jour (« n'est-ce pas le charpentier ? » se demande-t-on en Mc 6, 3 — charpentier ou quelque métier manuel que désigne le mot grec tekton). Bref, Jésus n'a pas évité la vie ordinaire.
Si c’est ce qu’a vécu Jésus, une vie ordinaire et silencieuse, si cette période la plus longue de sa vie en ce temps est au cœur de sa vocation jusqu’au jour où nous le retrouvons au bord du Jourdain, a fortiori notre vocation, la vocation de l’immense majorité d’entre nous dans ce pèlerinage de notre vie en ce temps n'est pas de vivre comme des célébrités ni en un repos prolongé.
Mais au contraire, ce temps, pour nous aussi, doit être aussi ordinaire que le fut celui de Jésus, qui nous dévoile, selon cet Évangile de Luc, que notre Dieu aime l'ordinaire.
C’est dans la vie ordinaire que doit se déployer le long travail d'aimer à la manière dont Jésus a aimé : voir chacune et chacun des plus ordinaires comme quelqu’un d’unique et précieux devant Dieu et ne voir personne comme un faire valoir.
Nous sommes censés vivre dans nos jours ordinaires et coopérer à racheter ce temps de l'insignifiance, le rendant non pas extraordinaire, mais saint, consacré à Dieu, empli de son amour, de la manière la plus ordinaire qui soit.
C’est ainsi que, alors que comme tout le monde, « comme tout le peuple » des gens ordinaires, il venait au baptême de Jean — c’est ainsi que sur cet homme ordinaire parmi les femmes et les hommes ordinaires venant au Baptiste ; sur cet homme priant, « le ciel s’ouvrit ; l’Esprit Saint descendit sur lui, Jésus, sous une apparence corporelle, comme une colombe, et une voix vint du ciel : “Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré.” » (v. 21b-22)
Sanctification de l’ordinaire, élévation au statut de Fils unique engendré du Père, qu’il est dans l’éternité. Voilà ce qui est donné dans cette parole devant laquelle tout s’efface.
Luc a bien pris soin de préciser que Jean a été arrêté et mis en prison (v. 20). Au point qu’on pourrait se demander où il est au moment où il baptise Jésus !
Il est tout simplement, en tout ce qu’il fait, à sa vocation fidèle de témoin des exigences du Dieu saint pour toutes et tous, tous les inconnus et aussi ceux que leur prestige — on ne parle que d’eux sur les réseaux sociaux de l'époque — les Hérode et compagnie se croient tout permis, tout méprisants pour les anonymes ordinaires, et tant qu’à faire pour leurs proches aussi, comme le propre frère d’Hérode auquel il prend sa femme, comme plus tard, il cherche à avoir aussi sa nièce (ça coutera sa tête au Baptiste).
À Hérode, célèbre, prestigieux, soutenu par Rome, nul ne s’oppose, évidemment, sauf ce fidèle témoin de l’amour exigeant de Dieu et du prochain qu’est le Baptiste. Cela lui vaut aujourd'hui la prison — et vaut à Jésus sa sortie de l’anonymat. Il n’a rien demandé, il se contente de continuer à observer fidèlement ce pourquoi Dieu l’envoie.
Hérode n’a pas compris, que, comme le notait un écrivain du XXe siècle, « Quiconque veut laisser une œuvre n’a rien compris. Il faut apprendre à s’émanciper de ce qu’on fait. Il faut surtout renoncer à avoir un nom, et même à en porter un. Mourir inconnu, c’est peut-être cela la grâce. » (Emil Cioran, Cahiers, p. 509)
Et cet écrivain du XXe siècle, Emil Cioran, de préciser, « Si nous pouvions ressentir une volupté secrète chaque fois qu’on ne fait aucun cas de nous, nous aurions la clef du bonheur. » (Cahier de Talamanca, p. 40)
Jésus, fils éternel de Dieu, reçoit aujourd'hui cette parole, « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré », parole qu’il nous faut aussi recevoir en lui et par lui : nul ne tient son être vrai et unique que de Dieu seul. Comme Jésus est le Fils unique de Dieu dans l’éternité, et sur terre tout au long de ses années ordinaires, il nous est donné par lui et en lui, de savoir que tout notre temps ordinaire est éternellement racheté et justifié par Dieu seul et devant Dieu seul.
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire