1 Samuel, 26, 2-23 ; Psaume 103 ; 1 Corinthiens 15, 45-49 ; Luc 6, 27-38
Luc 6, 27-38
Parmi les sages que rencontrait Paul sur l’Aréopage d’Athènes, et dont nous avons parlé au sujet de leur débat avec Paul sur la résurrection, les stoïciens présentent une leçon de sagesse qui nous rapproche du sens de « donne aussi ta tunique » selon Jésus… — : les stoïciens donnaient l’image des chiens que l’on faisait voyager en les attachant sous les chars, entre les roues, donc. Si le chien traînait les pattes, tirait dans le sens inverse à la marche, il avançait quand même, de toute façon, jusqu’où le bœuf devait tirer le char, avec fatigue, grognements, et mauvaise humeur en plus. Le chien qui se soumettait de bon gré au sens de la marche du char, lui, avait l’avantage d’arriver au même point, mais apaisé. Ne soyez pas comme le chien stupide qui ira de toute façon où le conducteur du char a décidé ! disaient les stoïciens.
Avec notre texte, nous sommes dans le contexte de l'oppression romaine — qui comptait des humiliations diverses des populations soumises, brimades, réquisitions, etc., auxquelles Jésus fait allusion ici : « À qui te frappe sur une joue, présente encore l'autre. À qui te prend ton manteau, ne refuse pas non plus ta tunique. À quiconque te demande, donne, et à qui te prend ton bien, ne le réclame pas. »
De là, on va le voir, Jésus ouvre sur une tout autre dimension, celle de la règle d'or : « comme vous voulez que les autres agissent envers vous, agissez de même envers eux. »
Avant d’en venir là, remarquons simplement pour l'instant que comme dans la parabole des stoïciens, le peuple de Jésus ne pouvait pas grand chose contre le char conduit par la puissance romaine.
Cela dit, précisons que si la Bible ne prône pas la vengeance individuelle, on y vient, elle n’enseigne pas non plus la passivité des peuples — genre non-résistance molle. Sur ce plan, il y a un temps pour tout : simplement il n'est pas raisonnable d'agir de façon suicidaire et de poser des actions d'éclat inutiles sinon nuisibles quand il n’est pas temps, sans faire preuve de sagesse. Dieu est celui qui exerce la justice, et qui venge les opprimés ; et ouvre le temps opportun, utilisant pour cela même l'action et la justice humaines. Il y a un temps pour cela aussi.
En attendant, le peuple de Jésus est humilié par son puissant colonisateur. Que faire qui ne débouche pas sur la violence de la puissante Rome, comme celle qu’elle a exercée en 70, détruisant le temple et la ville ? Plus généralement, que font les pauvres êtres humains que nous sommes face à l'inimitié, à l’humiliation, aux réquisitions injustes — ou à l'agressivité, à la calomnie, à l'injustice à notre égard, à l'ingratitude, au désamour ?
Ne sommes-nous pas tentés de répondre du tac au tac ? Répondre par l'inimitié à ceux qui se montrent nos ennemis ; par l'agressivité à l'égard de ceux qui nous agressent ; le mépris ou l'insulte envers ceux qui nous calomnient ; le rejet envers les ingrats ; le détournement de ceux qui nous témoignent manque d'amour ou haine…
Nous sommes quand même au moins tentés de répondre de cette façon-là, parfois d’en être carrément fiers, ou pour les plus modérés, de répondre au minimum par le mépris et l'indifférence.
Eh bien, dit Jésus, et on va voir pourquoi, ce n'est pas un comportement de disciples. S’il en est ainsi… « quelle grâce avez-vous ? » — non pas « quel gré vous saura-t-on ? » ou « quelle récompense, ou reconnaissance, vous en a-t-on ? » mais, littéralement en grec « quelle grâce est-ce là ? » Ce n’est pas la même chose ! La première lecture — « quel gré vous saura-t-on ? » — tend à laisser penser que pour l'amour d'autrui, il serait question de mérite à récompenser. Alors qu’il n’est question que de signe de la liberté que donne la grâce !
Par nous-mêmes, on est toutes et tous de la même pâte ! « On doit se ranger du côté des opprimés en toute circonstance même quand ils ont tort, sans pour autant perdre de vue qu’ils sont pétris de la même boue que leurs oppresseurs », rappelle Cioran (in De l'inconvénient d'être né).
Quant à tendre l'autre joue, il s’agit avant tout de comprendre que ce propos de Jésus, qui renvoie à la Torah, a pour fonction de libérer chacun d'avoir à juger soi-même, voire à haïr autrui, fût-il ennemi, — en un mot se venger soi-même. Dans un texte parallèle (Ro 12, 17-21), Paul cite le Deutéronome (32, 35) et le Livre des Proverbes (25, 21-22) pour dire que la vengeance et le châtiment relèvent de Dieu, seul juge ultime, et de toute façon miséricordieux.
Les disciples du Christ sont appelés à vivre dans l'imitation de la miséricorde dont ils savent bénéficier eux-mêmes et dans la totale liberté vis-à-vis de leurs désirs de vengeance, fût-ce un juste désir de vengeance. Non pas, donc, qu'il soit question de prôner l'impunité pour quelque faute que ce soit. Mais cela ne relève pas de la vengeance individuelle.
Il s'agit dans notre texte, comme chez Paul, et cela vaut en tout temps, de libérer chacune et chacun, fût-il victime de crimes atroces, de la charge supplémentaire, double peine, d'avoir à souffrir d'un désir de vengeance, souffrir du souci de se fermer et de vivre replié, au prétexte qu'autrui a commis le mal à mon égard, qu’il a nourri ou continue à nourrir contre moi de l'inimitié, qu'il est pécheur, ou que sais-je encore.
« Si vous vivez dans la captivité intérieure du désir de vengeance, du besoin permanent de veiller à ce que vous soyez traités équitablement, quelle grâce avez-vous ? » demande Jésus. « Quelle grâce avez-vous de plus que les pécheurs les plus aveugles ? Que les rustres romains les plus obtus ? » Telle est bien la question.
Sachant cela, on comprend que notre texte va plus loin encore que le simple renvoi à l'institution juridique, légitime à défaut d’être juste, le texte va plus loin que la vengeance humaine par l’institution légitime. Ce texte concerne notre comportement personnel. On accède au cœur même de l'Évangile de la grâce de Dieu. Jésus en souligne le cœur pour promouvoir la vraie liberté, le vrai bonheur de ses disciples. N'oublions pas que notre texte suit immédiatement les Béatitudes. Heureux celles et ceux qui par leur situation de manque ont recours à Dieu seul. Telle est bien la « récompense », ou le « salaire » promis, qui « sera grand » (v. 35) : la liberté.
Ainsi, c'est juste après avoir proclamé les Béatitudes que Jésus souligne ce cœur de la Torah : « mais moi je vous dis, aimez vos ennemis », soyez libres envers tous, l'Évangile de la grâce est avant tout cette Loi, il ne se cantonne pas dans l'impuissance d'une intériorité où il côtoierait continuellement les rancœurs, fruits de cette impuissance. L'Évangile de la grâce est la Loi même qui ordonne à Lazare : Sors ! Sors des rancœurs qui sont ta tombe, des ressentiments qui t'entourent comme autant de bandelettes. Donne et il te sera donné. Et aime sans attendre en retour. Fais à autrui ce que tu voudrais qu'il te fasse. Sois miséricordieux comme l'est ton Père. Sinon, quelle grâce as-tu ?
Et ici apparaît sans doute l'essentiel de la question dans un texte qui oppose les pécheurs, qui aiment ceux qui les aiment, sont bons envers ceux qui sont bons, prêtent à ceux qui leurs rendent, etc., et les chrétiens, qui font comme leur Père.
Car que fait un enfant, comment montre-t-il qu'il est enfant de son père ? En l'imitant. Or, que fait Dieu ? Il est bon envers tous. Il fait rayonner son soleil sur les bons et les méchants, est-il dit dans le même ordre d’idée. Il est généreux et bon envers les ingrats et les méchants.
Le pécheur, qui s'imagine qu'il ne vit pas de la grâce, pensera ici que les ingrats et les méchants, ce sont les autres ; et qu'effectivement Dieu est bien bon de continuer à être généreux envers eux. Le disciple du Christ, lui, sait bien qu'il ne mérite rien, et qu'il est dans la catégorie des ingrats et des méchants ; et que donc il ne subsiste que par la seule miséricorde et générosité de son Père. Il ne lui reste donc qu'à agir de même.
C'est pourquoi juste après cet appel à être généreux comme notre père, il nous est dit de ne pas juger, de ne pas condamner ; c'est-à-dire déjà, ne pas nous imaginer que l'ingratitude et la méchanceté sont le fait des autres. Avoir donc un comportement généreux en cela aussi. Donner donc, sachant que nous ne méritons pas ce que nous recevons. Donner généreusement comme le fait Dieu à notre égard. Et alors il nous sera donné avec abondance à nous aussi.
Car il y a quand même un revers de la médaille. Dieu est généreux et miséricordieux envers les ingrats que nous sommes ; mais on voyait en entrée qu'il est aussi celui qui exerce la justice. À lui la vengeance. Mais cela d'une façon tellement juste qu'il nous demande à nous de lui fournir les balances et les règles avec lesquelles il nous mesure. Et ce sont tout simplement celles que nous utilisons.
On comprend alors pourquoi ce qu'on appelle la règle d'or se trouve au milieu de ce passage : « comme vous voulez que les hommes agissent envers vous, agissez de même envers eux. » Ou redoutez que le jugement que vous portez sur eux ne retombe sur vous qui agissez au fond de la même manière. Mais « comme vous voulez que les hommes agissent envers vous, agissez de même envers eux. » C'est sans doute le tout de la règle de comportement que requiert de nous Jésus : puisque vous êtes des graciés, qui vivez droits devant Dieu sans aucun mérite, n'en exigez pas d'autrui pour agir à son égard selon la même générosité, le même sens du don qui est celui de votre Père.
Luc 6, 27-38
27 "Mais je vous dis, à vous qui m'écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent,
28 bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient.
29 "À qui te frappe sur une joue, présente encore l'autre. À qui te prend ton manteau, ne refuse pas non plus ta tunique.
30 À quiconque te demande, donne, et à qui te prend ton bien, ne le réclame pas.
31 Et comme vous voulez que les hommes agissent envers vous, agissez de même envers eux.
32 "Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle grâce avez-vous ?
Car les pécheurs aussi aiment ceux qui les aiment.
33 Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle grâce avez-vous ?
Les pécheurs eux-mêmes en font autant.
34 Et si vous prêtez à ceux dont vous espérez qu'ils vous rendent, quelle grâce avez-vous ?
Même des pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu'on leur rende l'équivalent.
35 Mais aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants.
36 "Soyez généreux comme votre Père est généreux.
37 Ne vous posez pas en juges et vous ne serez pas jugés, ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés, acquittez et vous serez acquittés.
38 Donnez et on vous donnera ; c'est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante qu'on vous versera dans le pan de votre vêtement, car c'est la mesure dont vous vous servez qui servira aussi de mesure pour vous."
*
Parmi les sages que rencontrait Paul sur l’Aréopage d’Athènes, et dont nous avons parlé au sujet de leur débat avec Paul sur la résurrection, les stoïciens présentent une leçon de sagesse qui nous rapproche du sens de « donne aussi ta tunique » selon Jésus… — : les stoïciens donnaient l’image des chiens que l’on faisait voyager en les attachant sous les chars, entre les roues, donc. Si le chien traînait les pattes, tirait dans le sens inverse à la marche, il avançait quand même, de toute façon, jusqu’où le bœuf devait tirer le char, avec fatigue, grognements, et mauvaise humeur en plus. Le chien qui se soumettait de bon gré au sens de la marche du char, lui, avait l’avantage d’arriver au même point, mais apaisé. Ne soyez pas comme le chien stupide qui ira de toute façon où le conducteur du char a décidé ! disaient les stoïciens.
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Avec notre texte, nous sommes dans le contexte de l'oppression romaine — qui comptait des humiliations diverses des populations soumises, brimades, réquisitions, etc., auxquelles Jésus fait allusion ici : « À qui te frappe sur une joue, présente encore l'autre. À qui te prend ton manteau, ne refuse pas non plus ta tunique. À quiconque te demande, donne, et à qui te prend ton bien, ne le réclame pas. »
De là, on va le voir, Jésus ouvre sur une tout autre dimension, celle de la règle d'or : « comme vous voulez que les autres agissent envers vous, agissez de même envers eux. »
Avant d’en venir là, remarquons simplement pour l'instant que comme dans la parabole des stoïciens, le peuple de Jésus ne pouvait pas grand chose contre le char conduit par la puissance romaine.
Cela dit, précisons que si la Bible ne prône pas la vengeance individuelle, on y vient, elle n’enseigne pas non plus la passivité des peuples — genre non-résistance molle. Sur ce plan, il y a un temps pour tout : simplement il n'est pas raisonnable d'agir de façon suicidaire et de poser des actions d'éclat inutiles sinon nuisibles quand il n’est pas temps, sans faire preuve de sagesse. Dieu est celui qui exerce la justice, et qui venge les opprimés ; et ouvre le temps opportun, utilisant pour cela même l'action et la justice humaines. Il y a un temps pour cela aussi.
En attendant, le peuple de Jésus est humilié par son puissant colonisateur. Que faire qui ne débouche pas sur la violence de la puissante Rome, comme celle qu’elle a exercée en 70, détruisant le temple et la ville ? Plus généralement, que font les pauvres êtres humains que nous sommes face à l'inimitié, à l’humiliation, aux réquisitions injustes — ou à l'agressivité, à la calomnie, à l'injustice à notre égard, à l'ingratitude, au désamour ?
Ne sommes-nous pas tentés de répondre du tac au tac ? Répondre par l'inimitié à ceux qui se montrent nos ennemis ; par l'agressivité à l'égard de ceux qui nous agressent ; le mépris ou l'insulte envers ceux qui nous calomnient ; le rejet envers les ingrats ; le détournement de ceux qui nous témoignent manque d'amour ou haine…
Nous sommes quand même au moins tentés de répondre de cette façon-là, parfois d’en être carrément fiers, ou pour les plus modérés, de répondre au minimum par le mépris et l'indifférence.
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Eh bien, dit Jésus, et on va voir pourquoi, ce n'est pas un comportement de disciples. S’il en est ainsi… « quelle grâce avez-vous ? » — non pas « quel gré vous saura-t-on ? » ou « quelle récompense, ou reconnaissance, vous en a-t-on ? » mais, littéralement en grec « quelle grâce est-ce là ? » Ce n’est pas la même chose ! La première lecture — « quel gré vous saura-t-on ? » — tend à laisser penser que pour l'amour d'autrui, il serait question de mérite à récompenser. Alors qu’il n’est question que de signe de la liberté que donne la grâce !
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Par nous-mêmes, on est toutes et tous de la même pâte ! « On doit se ranger du côté des opprimés en toute circonstance même quand ils ont tort, sans pour autant perdre de vue qu’ils sont pétris de la même boue que leurs oppresseurs », rappelle Cioran (in De l'inconvénient d'être né).
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Quant à tendre l'autre joue, il s’agit avant tout de comprendre que ce propos de Jésus, qui renvoie à la Torah, a pour fonction de libérer chacun d'avoir à juger soi-même, voire à haïr autrui, fût-il ennemi, — en un mot se venger soi-même. Dans un texte parallèle (Ro 12, 17-21), Paul cite le Deutéronome (32, 35) et le Livre des Proverbes (25, 21-22) pour dire que la vengeance et le châtiment relèvent de Dieu, seul juge ultime, et de toute façon miséricordieux.
Les disciples du Christ sont appelés à vivre dans l'imitation de la miséricorde dont ils savent bénéficier eux-mêmes et dans la totale liberté vis-à-vis de leurs désirs de vengeance, fût-ce un juste désir de vengeance. Non pas, donc, qu'il soit question de prôner l'impunité pour quelque faute que ce soit. Mais cela ne relève pas de la vengeance individuelle.
Il s'agit dans notre texte, comme chez Paul, et cela vaut en tout temps, de libérer chacune et chacun, fût-il victime de crimes atroces, de la charge supplémentaire, double peine, d'avoir à souffrir d'un désir de vengeance, souffrir du souci de se fermer et de vivre replié, au prétexte qu'autrui a commis le mal à mon égard, qu’il a nourri ou continue à nourrir contre moi de l'inimitié, qu'il est pécheur, ou que sais-je encore.
« Si vous vivez dans la captivité intérieure du désir de vengeance, du besoin permanent de veiller à ce que vous soyez traités équitablement, quelle grâce avez-vous ? » demande Jésus. « Quelle grâce avez-vous de plus que les pécheurs les plus aveugles ? Que les rustres romains les plus obtus ? » Telle est bien la question.
Sachant cela, on comprend que notre texte va plus loin encore que le simple renvoi à l'institution juridique, légitime à défaut d’être juste, le texte va plus loin que la vengeance humaine par l’institution légitime. Ce texte concerne notre comportement personnel. On accède au cœur même de l'Évangile de la grâce de Dieu. Jésus en souligne le cœur pour promouvoir la vraie liberté, le vrai bonheur de ses disciples. N'oublions pas que notre texte suit immédiatement les Béatitudes. Heureux celles et ceux qui par leur situation de manque ont recours à Dieu seul. Telle est bien la « récompense », ou le « salaire » promis, qui « sera grand » (v. 35) : la liberté.
Ainsi, c'est juste après avoir proclamé les Béatitudes que Jésus souligne ce cœur de la Torah : « mais moi je vous dis, aimez vos ennemis », soyez libres envers tous, l'Évangile de la grâce est avant tout cette Loi, il ne se cantonne pas dans l'impuissance d'une intériorité où il côtoierait continuellement les rancœurs, fruits de cette impuissance. L'Évangile de la grâce est la Loi même qui ordonne à Lazare : Sors ! Sors des rancœurs qui sont ta tombe, des ressentiments qui t'entourent comme autant de bandelettes. Donne et il te sera donné. Et aime sans attendre en retour. Fais à autrui ce que tu voudrais qu'il te fasse. Sois miséricordieux comme l'est ton Père. Sinon, quelle grâce as-tu ?
Et ici apparaît sans doute l'essentiel de la question dans un texte qui oppose les pécheurs, qui aiment ceux qui les aiment, sont bons envers ceux qui sont bons, prêtent à ceux qui leurs rendent, etc., et les chrétiens, qui font comme leur Père.
Car que fait un enfant, comment montre-t-il qu'il est enfant de son père ? En l'imitant. Or, que fait Dieu ? Il est bon envers tous. Il fait rayonner son soleil sur les bons et les méchants, est-il dit dans le même ordre d’idée. Il est généreux et bon envers les ingrats et les méchants.
Le pécheur, qui s'imagine qu'il ne vit pas de la grâce, pensera ici que les ingrats et les méchants, ce sont les autres ; et qu'effectivement Dieu est bien bon de continuer à être généreux envers eux. Le disciple du Christ, lui, sait bien qu'il ne mérite rien, et qu'il est dans la catégorie des ingrats et des méchants ; et que donc il ne subsiste que par la seule miséricorde et générosité de son Père. Il ne lui reste donc qu'à agir de même.
C'est pourquoi juste après cet appel à être généreux comme notre père, il nous est dit de ne pas juger, de ne pas condamner ; c'est-à-dire déjà, ne pas nous imaginer que l'ingratitude et la méchanceté sont le fait des autres. Avoir donc un comportement généreux en cela aussi. Donner donc, sachant que nous ne méritons pas ce que nous recevons. Donner généreusement comme le fait Dieu à notre égard. Et alors il nous sera donné avec abondance à nous aussi.
Car il y a quand même un revers de la médaille. Dieu est généreux et miséricordieux envers les ingrats que nous sommes ; mais on voyait en entrée qu'il est aussi celui qui exerce la justice. À lui la vengeance. Mais cela d'une façon tellement juste qu'il nous demande à nous de lui fournir les balances et les règles avec lesquelles il nous mesure. Et ce sont tout simplement celles que nous utilisons.
On comprend alors pourquoi ce qu'on appelle la règle d'or se trouve au milieu de ce passage : « comme vous voulez que les hommes agissent envers vous, agissez de même envers eux. » Ou redoutez que le jugement que vous portez sur eux ne retombe sur vous qui agissez au fond de la même manière. Mais « comme vous voulez que les hommes agissent envers vous, agissez de même envers eux. » C'est sans doute le tout de la règle de comportement que requiert de nous Jésus : puisque vous êtes des graciés, qui vivez droits devant Dieu sans aucun mérite, n'en exigez pas d'autrui pour agir à son égard selon la même générosité, le même sens du don qui est celui de votre Père.
RP, Poitiers, 20.02.2022
Prédication (format imprimable)
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