Exode 17, 8-13 ; Psaume 121 ; 2 Timothée 3, 14-4, 2 ; Luc 18, 1-8
Luc 18, 1-8
Une parabole pour nous encourager à la prière. « Prière », le mot français vient du latin « precarius », qui a aussi donné « précaire ». Prier revient ainsi à se reconnaître précaire.
Si le mot grec du Nouveau Testament n’a pas la même connotation, la situation de précarité de la veuve est bien le cadre de la parabole. Cela face à l’indifférence choquante du juge…
La précarité instaure dans notre quotidien cette réalité : nous sommes en ce monde en situation d'exilés, d’étrangers, « passagers et errants sur la Terre » (1 P 2, 11). Une réalité qui nous concerne toutes et tous, quelle que soit notre origine, notre religion, ou la nature de notre foi ou son absence : notre précarité, fût-on riche à foison, croirait-on, par peur peut-être de cette précarité, se mettre à l’abri par l’illusion de thésaurisation, quitte à priver autrui du minimum ; notre précarité n’en est pas moins un fait, qui nous est rappelé à l’angle de chaque souffrance, autant de signaux clignotants qui nous alertent : nous allons tous mourir, peut-être dans la douleur. C'est ainsi que « nous ne sommes pas de ce monde », qui que nous soyons.
Ce qui peut se traduire par la précarité au sens propre, donc, voire par la douleur, voire encore par la persécution. Comme chrétiens, ayant entendu de Jésus cet enseignement, nous sommes censés le savoir, dit Jésus : « vous n'êtes pas de ce monde » (Jn 15, 19) ; et plus précisément concernant donc la persécution : « si le monde vous hait, c'est que vous n'êtes pas du monde » (Jn 15, 18)… comme je n’en suis pas et en ai donc été expulsé ! précise-t-il en substance.
Comme la souffrance subie est signe d’étrangeté au monde, ceux qui font souffrir, qui n'aiment pas, qui haïssent, qui relèguent autrui dans la précarité, le font parce qu'ils se croient du monde, qu’ils se croient non-précaires ! Quel est en effet le motif commun pour persécuter, ou mépriser quelqu'un ? Tout simplement penser qu'il n'est pas à sa place avec nous, pas à sa place chez nous — chez nous, c'est-à-dire, finalement, où, sinon en ce monde ?
Et là c'est Jésus qui console le rejeté en lui rappelant : « tu n'est pas de ce monde, comme moi je ne suis pas du monde. Si tu étais du monde, le monde aimerait ce qui est à lui » (Jn 15, 19). Mais voilà, en attendant l'entrée concrète, vécue, dans cette consolation que procure Jésus, subsiste la douleur. Car avant d'en arriver là, à cette consolation, il est tout un cheminement, — c'est le cheminement de la prière… Le chemin du précaire.
Face à la douleur de la veuve
La précarité est la situation de la veuve de notre parabole. Il n’y a pas plus précaire : une veuve manque de tout, à l’époque où Jésus parle, comme aujourd’hui en bien des lieux. Et face à cela, voici un juge au comportement bien redoutable.
Il semble étrange que Jésus ait choisi un tel exemple pour exhorter ses disciples à la prière. On s'accorderait volontiers à penser que ce juge peu scrupuleux représente bien peu celui qu'il semble être censé représenter ici, à savoir Dieu.
Mais c'est qu'il serait sans doute mal venu de notre part, en escamotant la parabole, de glisser sur ce qu'elle présente de dérangeant en nous contentant d'admirer la persévérance de la veuve sans tenir compte de ce juge face auquel elle persévère.
… Et si Jésus nous invitait ici à prier Dieu contre la façon dont on se représente Dieu ? Non pas prier parce que je le dois pour être en règle avec Dieu, non pas prier pour m'attirer ses bonnes grâces ou pour le devoir accompli, mais prier contre la conception de Dieu que cela suppose.
Une prière qui se dresse comme un refus du mal qu’il semblerait m’envoyer, refus de la souffrance, l'injustice, la mort, ou sa menace, comme dans l'intercession d'Abraham pour Sodome.
La question de l'exil
À être bien attentifs au texte et aux propos clairs de Jésus aux versets 7 et 8 — « Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit ?… Je vous le déclare : il leur fera justice bien vite. » —, il est fait allusion ici (Jésus précisant : « ses élus ») à l'espérance de la libération de son peuple exilé loin de lui.
Libération par rapport à cette situation précaire d'exilé. La libération dont Jésus est porteur est celle d'un peuple conscient de son exil, percevant n'être « pas de ce monde », ce monde où il a perdu sa liberté et où il connaît la souffrance de l’oppression au quotidien.
Car si l'exil babylonien, alors le dernier exil d’Israël, a cessé, ce n'est que pour des situations ambivalentes, qui font que le peuple attend toujours sa libération. Et à l'époque du Nouveau Testament, Jean le Baptiste prêchant le repentir n'annonce rien d'autre, en citant Ésaïe, que la fin de l'exil.
Déjà au plan strictement politique, la liberté des élus est alors largement compromise par la domination romaine : nul ne s'y trompe. Mais en outre, et les plus fervents des fidèles ne cessent de le rappeler, cet exil est en fin de compte le signe dans l’histoire d'un exil plus fondamental : l'exil dans le malheur, la douleur, le péché et la culpabilité. Exil loin de Dieu !
Et au-delà de toutes les libérations, c'est de la libération de cette captivité-là que Jésus se veut porteur. Et c'est pour cette justice-là, pour être rachetés de cet exil, que « les élus crient à Dieu nuit et jour » (v. 7). Dieu tarderait-il ?
Un juste châtiment ?
Ou si Dieu tarde, ne serait-ce pas l'effet d'un juste châtiment ? Après tout, n'est-ce pas au fond par sa propre faute que le peuple est exilé ? Par la bouche des prophètes, Dieu l'annonçait : « ce sont vos péchés qui vous éloignent de moi ». Que de précaires ne sont pas perçus de la sorte ?… ou ne se soupçonnent pas eux-mêmes de la sorte ? Mais Jésus, dans cette parabole, ne s'intéresse pas à cette question. Le seul sujet est : comment en sortir.
On pense à cet autre prophète, Ézéchiel (36, 16-32), qui, face à un exil qu'il connaît comme châtiment, annonce que, de toute façon, quelle que soit la faute du peuple, Dieu le ramène auprès de lui sans autre raison que la sainteté de son Nom.
C'est bien dans cette ligne que s’inscrit Jésus. C'est bien au-delà de la question des causes morales de la douleur qu'il nous faut accéder. La racine en est plus profonde, ailleurs que dans des comportements fautifs, causes réelles ou supposées de nos malheurs.
Au fond, il nous fait retrouver ici la leçon du livre de Job. Que faisaient les amis de Job sinon, discrètement et sans s'en rendre compte ?… l'accuser ! Ils le consolent en l'invitant au repentir : qu'est-ce d'autre que l'accuser ?
Le problème de l'adversité
Pour la veuve, Israël en exil, coupée de son Dieu, l'attitude du juge demeure incompréhensible, et en tout cas ne trouve pas d'explication dans son attitude à elle. Tout comme Job : les explications de ses amis n'expliquent rien.
Face à un tel silence céleste, on sera alors peut-être tenté de dire : ces maux qui nous tombent dessus, incompréhensibles, l'auteur n'en est-il pas le diable ?
Ce serait certes commode, mais un peu court, trop commode en fait : Dieu serait-il impuissant face au diable ? Le livre de Job nous a interdit une telle facilité : le diable, dès le départ de l'épreuve (Job 1), a obtenu l'autorisation, on pourrait dire l'investiture divine pour accomplir sa tâche de subalterne. Job ne s'y trompe d'ailleurs pas, qui affirme : « la main de Dieu m'a frappé » (Job 19, 21).
Il ne nous reste qu'à nous rendre au constat de Job : « Dieu m'a saisi par la nuque et m'a brisé » (Job 16, 12), constat douloureux, incompréhensible, révoltant, face auquel il ne perçoit qu'un recours, apparemment aussi étrange : « C'est Dieu que j'implore avec larmes » (16, 20) ; recours scellé dans une certitude : « je sais que mon rédempteur est vivant, et qu'il se lèvera au dernier jour » (19, 25).
C'est encore la leçon de Paul : Dieu a soumis la Création à la vanité, et à la douleur, avec une espérance : sa libération ! (Ro 8, 20-22). Et nous voilà au cœur de la prière, qui monte à Dieu depuis notre précarité : que ton règne vienne… délivre-nous du mal, du malin.
La veuve face au juge
Voilà donc une veuve, totalement dépouillée, précaire comme on ne peut plus. Il est des choses qui nous semblent bien étranges, bien injustes, dignes de révolte… Ou alors dignes de combat, de lutte spirituelle.
Au départ, la révolte contre le mal — révolte préférable aux tentatives d'explications de toutes sortes : Dieu donnera tort aux amis de Job souffrant, prolixes en explications diverses, face à Job qui se révolte face au mal qui l'atteint.
Jésus dans notre parabole nous mène à la rencontre de la leçon du livre de Job. Il ne nous invite pas à des explications face à ce qui tient finalement du scandale : ce juge est désagréable. Il ressemble au Dieu qui nous semble muet et sourd à nos malheurs.
Face à ce présent lourd, accablant, il n'est question que de persévérer — l'exil aura son terme, l'errance prendra fin.
Pour cela, au-delà de nos malheurs propres, il s’agit de plaider, en solidarité avec toutes et tous les affligés, pour obtenir la justice de la foi, proche, promet Jésus (v. 8 : « il leur fera justice bien vite »), de se manifester. Cette persévérance devant Dieu suppose de ne pas se décourager. Les réalités sont souvent dures ; le combat est difficile ; l’adversité est bien présente. Mais la forme la plus subtile de l’adversité est encore le découragement. Saurons-nous garder les cœurs levés dans la prière ?
Il s’agit bien là d’un combat, le combat des disciples, jusqu’aujourd’hui contre la torture et le déni de la dignité humaine, combat peu visible — dont la source cachée est le secret de « la chambre intérieure de ton cœur » (cf. Mt 6, 6) —, une lutte dont nous sommes les combattantes et combattants précaires, c'est-à-dire priant, apparemment contre la raison et contre le réel, contre ce que nous ressentons, même : le fondement de cette lutte est la foi, foi en la promesse, foi comme obéissance : veillez et priez.
Reste alors une seule question : « Quand le Fils de l'Homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Luc 18, 1-8
1 Jésus leur dit une parabole sur la nécessité pour eux de prier constamment et de ne pas se décourager.
2 Il leur dit : "Il y avait dans une ville un juge qui n’avait ni crainte de Dieu ni respect des hommes.
3 Et il y avait dans cette ville une veuve qui venait lui dire : Rends-moi justice contre mon adversaire.
4 Il s’y refusa longtemps. Et puis il se dit : Même si je ne crains pas Dieu ni ne respecte les hommes,
5 eh bien ! parce que cette veuve m’ennuie, je vais lui rendre justice, pour qu’elle ne vienne pas sans fin me casser la tête.
6 Le Seigneur ajouta : "Écoutez bien ce que dit ce juge sans justice.
7 Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit ? Et il les fait attendre !
8 Je vous le déclare : il leur fera justice bien vite. Mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?"
*
Une parabole pour nous encourager à la prière. « Prière », le mot français vient du latin « precarius », qui a aussi donné « précaire ». Prier revient ainsi à se reconnaître précaire.
Si le mot grec du Nouveau Testament n’a pas la même connotation, la situation de précarité de la veuve est bien le cadre de la parabole. Cela face à l’indifférence choquante du juge…
La précarité instaure dans notre quotidien cette réalité : nous sommes en ce monde en situation d'exilés, d’étrangers, « passagers et errants sur la Terre » (1 P 2, 11). Une réalité qui nous concerne toutes et tous, quelle que soit notre origine, notre religion, ou la nature de notre foi ou son absence : notre précarité, fût-on riche à foison, croirait-on, par peur peut-être de cette précarité, se mettre à l’abri par l’illusion de thésaurisation, quitte à priver autrui du minimum ; notre précarité n’en est pas moins un fait, qui nous est rappelé à l’angle de chaque souffrance, autant de signaux clignotants qui nous alertent : nous allons tous mourir, peut-être dans la douleur. C'est ainsi que « nous ne sommes pas de ce monde », qui que nous soyons.
Ce qui peut se traduire par la précarité au sens propre, donc, voire par la douleur, voire encore par la persécution. Comme chrétiens, ayant entendu de Jésus cet enseignement, nous sommes censés le savoir, dit Jésus : « vous n'êtes pas de ce monde » (Jn 15, 19) ; et plus précisément concernant donc la persécution : « si le monde vous hait, c'est que vous n'êtes pas du monde » (Jn 15, 18)… comme je n’en suis pas et en ai donc été expulsé ! précise-t-il en substance.
Comme la souffrance subie est signe d’étrangeté au monde, ceux qui font souffrir, qui n'aiment pas, qui haïssent, qui relèguent autrui dans la précarité, le font parce qu'ils se croient du monde, qu’ils se croient non-précaires ! Quel est en effet le motif commun pour persécuter, ou mépriser quelqu'un ? Tout simplement penser qu'il n'est pas à sa place avec nous, pas à sa place chez nous — chez nous, c'est-à-dire, finalement, où, sinon en ce monde ?
Et là c'est Jésus qui console le rejeté en lui rappelant : « tu n'est pas de ce monde, comme moi je ne suis pas du monde. Si tu étais du monde, le monde aimerait ce qui est à lui » (Jn 15, 19). Mais voilà, en attendant l'entrée concrète, vécue, dans cette consolation que procure Jésus, subsiste la douleur. Car avant d'en arriver là, à cette consolation, il est tout un cheminement, — c'est le cheminement de la prière… Le chemin du précaire.
Face à la douleur de la veuve
La précarité est la situation de la veuve de notre parabole. Il n’y a pas plus précaire : une veuve manque de tout, à l’époque où Jésus parle, comme aujourd’hui en bien des lieux. Et face à cela, voici un juge au comportement bien redoutable.
Il semble étrange que Jésus ait choisi un tel exemple pour exhorter ses disciples à la prière. On s'accorderait volontiers à penser que ce juge peu scrupuleux représente bien peu celui qu'il semble être censé représenter ici, à savoir Dieu.
Mais c'est qu'il serait sans doute mal venu de notre part, en escamotant la parabole, de glisser sur ce qu'elle présente de dérangeant en nous contentant d'admirer la persévérance de la veuve sans tenir compte de ce juge face auquel elle persévère.
… Et si Jésus nous invitait ici à prier Dieu contre la façon dont on se représente Dieu ? Non pas prier parce que je le dois pour être en règle avec Dieu, non pas prier pour m'attirer ses bonnes grâces ou pour le devoir accompli, mais prier contre la conception de Dieu que cela suppose.
Une prière qui se dresse comme un refus du mal qu’il semblerait m’envoyer, refus de la souffrance, l'injustice, la mort, ou sa menace, comme dans l'intercession d'Abraham pour Sodome.
La question de l'exil
À être bien attentifs au texte et aux propos clairs de Jésus aux versets 7 et 8 — « Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit ?… Je vous le déclare : il leur fera justice bien vite. » —, il est fait allusion ici (Jésus précisant : « ses élus ») à l'espérance de la libération de son peuple exilé loin de lui.
Libération par rapport à cette situation précaire d'exilé. La libération dont Jésus est porteur est celle d'un peuple conscient de son exil, percevant n'être « pas de ce monde », ce monde où il a perdu sa liberté et où il connaît la souffrance de l’oppression au quotidien.
Car si l'exil babylonien, alors le dernier exil d’Israël, a cessé, ce n'est que pour des situations ambivalentes, qui font que le peuple attend toujours sa libération. Et à l'époque du Nouveau Testament, Jean le Baptiste prêchant le repentir n'annonce rien d'autre, en citant Ésaïe, que la fin de l'exil.
Déjà au plan strictement politique, la liberté des élus est alors largement compromise par la domination romaine : nul ne s'y trompe. Mais en outre, et les plus fervents des fidèles ne cessent de le rappeler, cet exil est en fin de compte le signe dans l’histoire d'un exil plus fondamental : l'exil dans le malheur, la douleur, le péché et la culpabilité. Exil loin de Dieu !
Et au-delà de toutes les libérations, c'est de la libération de cette captivité-là que Jésus se veut porteur. Et c'est pour cette justice-là, pour être rachetés de cet exil, que « les élus crient à Dieu nuit et jour » (v. 7). Dieu tarderait-il ?
Un juste châtiment ?
Ou si Dieu tarde, ne serait-ce pas l'effet d'un juste châtiment ? Après tout, n'est-ce pas au fond par sa propre faute que le peuple est exilé ? Par la bouche des prophètes, Dieu l'annonçait : « ce sont vos péchés qui vous éloignent de moi ». Que de précaires ne sont pas perçus de la sorte ?… ou ne se soupçonnent pas eux-mêmes de la sorte ? Mais Jésus, dans cette parabole, ne s'intéresse pas à cette question. Le seul sujet est : comment en sortir.
On pense à cet autre prophète, Ézéchiel (36, 16-32), qui, face à un exil qu'il connaît comme châtiment, annonce que, de toute façon, quelle que soit la faute du peuple, Dieu le ramène auprès de lui sans autre raison que la sainteté de son Nom.
C'est bien dans cette ligne que s’inscrit Jésus. C'est bien au-delà de la question des causes morales de la douleur qu'il nous faut accéder. La racine en est plus profonde, ailleurs que dans des comportements fautifs, causes réelles ou supposées de nos malheurs.
Le problème de l'adversité
Pour la veuve, Israël en exil, coupée de son Dieu, l'attitude du juge demeure incompréhensible, et en tout cas ne trouve pas d'explication dans son attitude à elle. Tout comme Job : les explications de ses amis n'expliquent rien.
Face à un tel silence céleste, on sera alors peut-être tenté de dire : ces maux qui nous tombent dessus, incompréhensibles, l'auteur n'en est-il pas le diable ?
Ce serait certes commode, mais un peu court, trop commode en fait : Dieu serait-il impuissant face au diable ? Le livre de Job nous a interdit une telle facilité : le diable, dès le départ de l'épreuve (Job 1), a obtenu l'autorisation, on pourrait dire l'investiture divine pour accomplir sa tâche de subalterne. Job ne s'y trompe d'ailleurs pas, qui affirme : « la main de Dieu m'a frappé » (Job 19, 21).
Il ne nous reste qu'à nous rendre au constat de Job : « Dieu m'a saisi par la nuque et m'a brisé » (Job 16, 12), constat douloureux, incompréhensible, révoltant, face auquel il ne perçoit qu'un recours, apparemment aussi étrange : « C'est Dieu que j'implore avec larmes » (16, 20) ; recours scellé dans une certitude : « je sais que mon rédempteur est vivant, et qu'il se lèvera au dernier jour » (19, 25).
C'est encore la leçon de Paul : Dieu a soumis la Création à la vanité, et à la douleur, avec une espérance : sa libération ! (Ro 8, 20-22). Et nous voilà au cœur de la prière, qui monte à Dieu depuis notre précarité : que ton règne vienne… délivre-nous du mal, du malin.
La veuve face au juge
Voilà donc une veuve, totalement dépouillée, précaire comme on ne peut plus. Il est des choses qui nous semblent bien étranges, bien injustes, dignes de révolte… Ou alors dignes de combat, de lutte spirituelle.
Au départ, la révolte contre le mal — révolte préférable aux tentatives d'explications de toutes sortes : Dieu donnera tort aux amis de Job souffrant, prolixes en explications diverses, face à Job qui se révolte face au mal qui l'atteint.
Jésus dans notre parabole nous mène à la rencontre de la leçon du livre de Job. Il ne nous invite pas à des explications face à ce qui tient finalement du scandale : ce juge est désagréable. Il ressemble au Dieu qui nous semble muet et sourd à nos malheurs.
Face à ce présent lourd, accablant, il n'est question que de persévérer — l'exil aura son terme, l'errance prendra fin.
Pour cela, au-delà de nos malheurs propres, il s’agit de plaider, en solidarité avec toutes et tous les affligés, pour obtenir la justice de la foi, proche, promet Jésus (v. 8 : « il leur fera justice bien vite »), de se manifester. Cette persévérance devant Dieu suppose de ne pas se décourager. Les réalités sont souvent dures ; le combat est difficile ; l’adversité est bien présente. Mais la forme la plus subtile de l’adversité est encore le découragement. Saurons-nous garder les cœurs levés dans la prière ?
Il s’agit bien là d’un combat, le combat des disciples, jusqu’aujourd’hui contre la torture et le déni de la dignité humaine, combat peu visible — dont la source cachée est le secret de « la chambre intérieure de ton cœur » (cf. Mt 6, 6) —, une lutte dont nous sommes les combattantes et combattants précaires, c'est-à-dire priant, apparemment contre la raison et contre le réel, contre ce que nous ressentons, même : le fondement de cette lutte est la foi, foi en la promesse, foi comme obéissance : veillez et priez.
Reste alors une seule question : « Quand le Fils de l'Homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
R.P.
Poitiers, journée de l'ACAT, église St-Martin, 16.10.22
Prédication (format imprimable)
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