dimanche 23 novembre 2025

Roi des Judéens... Roi de l'univers




2 Samuel 5, 1-3 ; Psaume 122 ; Col 1, 12-20 ; Luc 23, 35-43

2 Samuel 5, 1-3
1  Toutes les tribus d’Israël vinrent trouver David à Hébron et lui dirent : « Nous voici, nous sommes de ta famille.
2  Il y a longtemps déjà, quand Saül était notre roi, c’était toi qui dirigeais l'armée d'Israël. À ce moment déjà, le SEIGNEUR t'avait dit : “C'est toi qui seras le berger d'Israël, mon peuple, tu seras son chef.” »
3  Tous les anciens d’Israël vinrent trouver le roi à Hébron, et le roi David conclut avec eux une alliance à Hébron, devant le SEIGNEUR. Ils donnèrent l'onction à David comme roi d’Israël.

*

La royauté est encore toute récente en Israël. Les enfants d’Israël sont entrés dans le pays quelques siècles auparavant, après la mort de Moïse. Longtemps, les douze tribus sont restées sans roi. Pendant la période qu’on appelle celle des « Juges », quand un danger menaçait une tribu, un chef temporaire, qu’on appelait un « juge », prenait la direction des opérations jusqu’à ce que le danger soit écarté. Lesdits « juges » assuraient les fonctions de gouverneur, et parfois de prophète ; c’était le cas de Samuel, celui dont le livre que nous lisons aujourd’hui porte le nom.

Il n’y a alors pas de roi en Israël. La royauté apparaîtra contre la volonté de Dieu. Il n’est en principe pas question d’avoir un roi, Dieu seul est roi. Il est question du règne de sa parole seule, de la loi, contre l’arbitraire des gouvernants. Mais le peuple qui avait été libéré du pouvoir des rois en vient à en demander un, voulant faire comme tous les autres peuples. Samuel prend très mal cela, cela lui apparaissant comme acte de défiance envers Dieu — mais rien n’y a fait.

Dieu concède alors au peuple un roi par la voix du prophète Samuel… qui a donc consacré Saül, premier roi d’Israël, avec réticence ; remplacer, en quelque sorte, celui qui de toute façon gouverne Israël, et le monde — Dieu —, par un roi humain, est à ses yeux de toute façon une trahison (1 Samuel 8, 7 sq.).

Mais Samuel a eu beau parler, tout tenter pour dissuader le peuple, rien n’y a fait, il a fallu en arriver là. Le premier roi d’Israël, Saül, régnera une vingtaine d’années. Et, selon la mise en garde de Samuel, Saül outrepassera bientôt ses prérogatives — en quelque sorte comme un roi à la place de Dieu, vicaire de Dieu, remplaçant de Dieu, comme si c’était possible ! Samuel n’aura de cesse de lui dire que là n’est pas son rôle. Dieu reste le seul roi et le rôle du gouvernant n’est pas de prendre sa place, mais d’être tout au plus comme son ministre. Mais Saül ne l'entend pas ainsi et déjà de son vivant il est désavoué.

C’est alors que Dieu envoie Samuel à Bethléem, dans la famille de Jessé. « Parmi ses fils, j’ai vu le roi qu’il me faut » (1 Sam 16, 1), lui avait dit la voix de Dieu. Il s’agit du dernier fils de Jessé, David, qui ne paie pas de mine, petit berger dans les champs : si « les hommes voient ce qui leur saute aux yeux », « le Seigneur voit le cœur », dit le texte (1 Sam 16, 7).

Voilà une leçon forte, d’actualité en tous temps : les pouvoirs humains sont toujours sujets à critique de la parole de Dieu. Le remplacement de Saül signifie aussi cela. Le pouvoir est toujours tenté de se substituer à Dieu, ce qui le disqualifie. Ce qui peut qualifier un pouvoir humain devant Dieu, serait précisément de ne pas payer de mine !

Samuel, sur la parole de Dieu, choisit donc David, le petit berger de Bethléem qui ne paie pas de mine, pour être successeur de Saül. David a ainsi reçu l’onction d’huile, qui le consacre comme roi, une première fois de la main de Samuel, à Bethléem — c’est de là que vient le terme de Messie : « celui qui a reçu l’onction ». Mais il n’est pas encore roi de fait pour autant : dans un premier temps, c’est encore Saül le roi en titre.

David est appelé au service de Saül pour exercer ses talents de musicien (la musique calme le roi dans ses crises) ; puis, peu à peu, les attributions de David s’étendent quand on découvre qu'il a aussi des talents militaires. Bien que déjà consacré comme roi par Samuel, David, pendant des années, assistera Saül et conduira ses armées, jusqu’au jour où Saül prendra peur devant la popularité grandissante de David.

Le roi Saül décline, un jeune à qui tout réussit est entré à la cour : cela ne peut que mal tourner ; Saül devient jaloux et cherche à plusieurs reprises à se débarrasser de ce rival potentiel. David, lui, reste toujours d’une parfaite loyauté à son roi.

Après la mort de Saül, il y a une querelle de succession : le pays se divise en deux : David est reconnu comme roi, mais seulement par une partie du peuple, la tribu de Juda, dans le Sud, dont il est originaire, et celle de Siméon qui lui est associée. Au Nord, un descendant de Saül règne sur les dix autres tribus. Après des quantités d’intrigues, de complots, de meurtres dans le royaume du Nord, il sera assassiné, un crime que condamne David. Les dix tribus privées de roi rejoignent alors David.

C’est ce qu'explique notre texte de ce jour : « Toutes les tribus d’Israël vinrent trouver David à Hébron et lui dirent : nous sommes de ta famille ! Dans le passé, déjà, quand Saül était notre roi, tu dirigeais les mouvements de notre armée… Et le Seigneur t’a dit : Tu seras le pasteur d’Israël mon peuple… Le roi David fit alliance avec les Anciens d’Israël, à Hébron devant le Seigneur et eux donnèrent l’onction à David pour le faire roi ». Voilà donc les douze tribus enfin réunies sous la houlette d’un unique berger, selon ce titre du roi : pasteur. Il est à la fois choisi par Dieu et reconnu par ses frères, par le peuple.

La désignation de David par Dieu est signifiée par l’onction d’huile qui lui est administrée. Désormais il porte le titre de « Messie », qui veut dire « celui sur qui a été versée l’huile de consécration ». Cette onction d’huile est le signe que Dieu l’a choisi et que l’Esprit de Dieu est avec lui ; et c’est Dieu qui lui a fixé sa tâche : être pasteur, berger pour son peuple. Un roi qui a cette spécificité qu'il n'est pas au-dessus de la loi, mais qui s'y soumet aussi. David transgressant la loi, se repent : une originalité qui légitime sa dynastie. Une anticipation, pour faire un anachronisme, de ce que sera la monarchie constitutionnelle.

Alors la ville de Jérusalem n’a pas été encore conquise. Mitoyenne entre le Nord et le Sud, David la conquiert et en fait la capitale du royaume unifié, signe de l’unité autour d’un Temple unique, Temple du Dieu unique. Le peuple se réconcilie autour de Jérusalem où se trouve l’Arche d’Alliance. Autour de David roi des Judéens, à Jérusalem, dont il a fait sa capitale, au cœur de la Judée.

On sait que l'idéal biblique — un roi à la fois issu de son peuple et choisi par Dieu qui soit un vrai berger, c’est-à-dire attaché à offrir à son troupeau l’unité et la sécurité, restera tout au long de l’histoire d’Israël un rêve jamais atteint. Mais la foi dans les promesses de Dieu l’emportera toujours sur les déceptions de l’histoire : on continuera d’attendre celui qui portera dignement le nom de Messie. En grec, la traduction du mot « Oint », « Messie », c’est le mot « Christos », Christ…

Mille ans après David, premier roi à Jérusalem, capitale des Judéens, un de ses lointains descendants qu’on appellera souvent « Fils de David » est reconnu par ses disciples comme celui qui a été oint, le Messie. Comme Samuel avait oint David avant qu’il n’entre dans son règne de façon visible, le Règne du Christ ne vient pas de façon à frapper les regards, il reçoit son règne sur la croix. Il est, jusqu’à ce qu’il inaugure le Règne définitif de Dieu, caché dans l’humilité d’un serviteur. L’ampleur de ce Règne que l’on attend, est déjà manifestée pour notre foi à sa résurrection : un règne qui n'est pas de ce monde — et qui cependant s’étend sur tous et sur tout, jusque sur la mort.

Où on le retrouve à la croix — Luc 23, 35-43 :
35  Le peuple restait là à regarder. Les magistrats se moquaient de Jésus, disant : Il a sauvé les autres ; qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Élu de Dieu !"
36 Les soldats aussi se moquaient de lui : s’approchant pour lui présenter du vinaigre, ils dirent :
37 "Si tu es le roi des Judéens, sauve-toi toi-même."
38 Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui : " Celui-ci est le roi des Judéens."
39 L’un des malfaiteurs crucifiés l’insultait : "N’es-tu pas le Messie ? Sauve-toi toi-même et nous aussi !"
40 Mais l’autre le reprit en disant : "Tu n’as même pas la crainte de Dieu, toi qui subis la même peine !
41 Pour nous, c’est juste : nous recevons ce que nos actes ont mérité ; mais lui n’a rien fait de mal."
42 Et il disait : "Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne."
43 Jésus lui répondit : "En vérité, je te le dis, aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis."

Tous se moquent, jusqu'aux soldats romains. Ils désignent Jésus par des mots qu’ils croient ironiques : « Roi des Judéens », c’est-à-dire le Messie d’Israël. Eux l’ignorent : voilà en effet un roi qui ne paie pas de mine ; « les hommes voient ce qui leur saute aux yeux, mais le Seigneur voit le cœur », annonçait Samuel (1 Samuel 16, 7). Un homme insignifiant, cloué sur une croix comme un vulgaire malfaiteur : le Roi, le Messie ? Il y a de quoi douter, voire ce jour-là, ironiser.

Tous se moquent sauf un des malfaiteurs crucifiés avec lui, qui a compris, qui découvre alors le Roi du monde à venir : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne. » Cet homme annonce alors, sans le savoir sans doute, le nouveau David roi des Judéens réconciliant Juda et toutes les tribus. Mais plus que cela : ici est le Roi des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, par qui s’accomplit la réconciliation, non seulement des tribus et du peuple d’Israël, mais de l’Univers… « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne. »

*

"En vérité, je te le dis, aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis." Dans l’aujourd’hui éternel de son règne, avec le brigand confesseur, nous sommes appelés à affirmer à notre tour notre foi : aujourd’hui…

Colossiens 1, 13-20 :
13 Il nous a arrachés au pouvoir des ténèbres
et nous a transférés
dans le royaume du Fils de son amour ;
14 en lui nous sommes délivrés,
nos péchés sont pardonnés.
15 Il est l'image du Dieu invisible,
Premier-né de toute créature,
16 car en lui tout a été créé,
dans les cieux et sur la terre,
les êtres visibles comme les invisibles,
Trônes et Souverainetés,
Autorités et Pouvoirs.
Tout est créé par lui et pour lui,
17 et il est, lui, par devant tout ;
tout est maintenu en lui,
18 et il est, lui, la tête du corps, qui est l’Église.
Il est le commencement,
Premier-né d'entre les morts,
afin de tenir en tout, lui, le premier rang.
19 Car il a plu à Dieu
de faire habiter en lui toute la plénitude
20 et de tout réconcilier par lui et pour lui,
et sur la terre et dans les cieux,
ayant établi la paix par le sang de sa croix.

RP, Châtellerault, 23.11.2025
Culte en entier :: :: Prédication (format imprimable)


dimanche 9 novembre 2025

"Que les morts ressuscitent, c'est ce que Moïse a indiqué"




« Il a mis dans leur cœur la pensée de l’éternité. » (Ecclésiaste 3, 11)

Daniel 3, 1-30 ; Psaume 17 ; 2 Thessaloniciens 2, 16 - 3, 5 ; Luc 20, 27-38

Luc 20, 27-38
27 Alors s'approchèrent quelques Sadducéens. Les Sadducéens contestent qu'il y ait une résurrection. Ils lui posèrent cette question :
28 « Maître, Moïse a écrit pour nous : "Si un homme a un frère marié qui meurt sans enfants, qu'il épouse la veuve et donne une descendance à son frère".
29 Or il y avait sept frères. Le premier prit femme et mourut sans enfant.
30 Le second, puis le troisième épousèrent la femme,
31 et ainsi tous les sept : ils moururent sans laisser d'enfant.
32 Finalement la femme mourut aussi.
33 Eh bien ! cette femme, à la résurrection, duquel d'entre eux sera-t-elle la femme, puisque les sept l'ont eue pour femme ? »
34 Jésus leur dit : « Ceux qui appartiennent à ce monde-ci prennent femme ou mari.
35 Mais ceux qui ont été jugés dignes d'avoir part au monde à venir et à la résurrection des morts ne prennent ni femme ni mari.
36 C'est qu'ils ne peuvent plus mourir, car ils sont pareils aux anges : ils sont fils de Dieu puisqu'ils sont fils de la résurrection.
37 Et que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même l'a indiqué dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob.
38 Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants, car tous sont vivants pour lui. »

*

Nous voilà au cœur de la controverse qui occupe le judaïsme du tournant de notre ère sur la question de la résurrection. La controverse porte sur la lecture de la Torah, les cinq premiers livres de la Bible.

Quant à la vision des pharisiens, qui est aussi celle de Jésus et des chrétiens, ce texte va nous donner l'occasion de la voir d'un peu plus près. L'opinion sadducéenne, elle, est plus difficile à déceler — pour une raison simple : nous n'avons pas de textes sadducéens qui pourraient nous l'expliquer. Nous ne la connaissons que par des textes non-sadducéens, et notamment par le Nouveau Testament, outre les textes talmudiques. On peut tout au plus essayer de percevoir au mieux ce qu’il en est — entre autres à partir de notre texte, à travers la question posée à Jésus par ses interlocuteurs : les sadducéens n'admettent pas la résurrection.

À côté de son Évangile, ce même Luc qui nous rapporte l'événement, nous donne quelques détails supplémentaires dans son livre des Actes, en précisant (ch. 23, v. 8) que les sadducéens n'admettent pas non plus « les anges et les esprits ».

*

Dans leur question à Jésus, les sadducéens argumentent à partir d’une disposition de la loi de Moïse, appelée précepte du lévirat (Dt 25, 5-6 ; Gn 38, 8). Il s'agit d'une prescription de la Torah selon laquelle un frère devait prendre en charge la veuve de son frère décédé, ce à tous les points de vue, y compris, si nécessaire, pourvoir ce frère d'une descendance.

Cela suppose donc, le cas échéant, le devoir d'épouser la veuve, devoir rendu possible même pour un homme déjà marié par la possibilité de la polygamie. Mais cette pratique ne concernait pas les femmes.

C'est pourquoi les sadducéens soulèvent, non sans humour, un problème qui ne pouvait que jeter le trouble dans le jardin des partisans d'une certaine conception, un peu matérialiste, de la résurrection ; conception matérialiste dont Jésus montre ici qu'il ne la fait pas sienne. Si les sadducéens disent qu'il n'y a pas d'anges (Ac 23, 8), Jésus leur affirme que les ressuscités sont semblables aux anges ! L'argumentation est en apparence étrange face à des sadducéens censés dire qu'il n'y en a pas.

Ils n'admettent pas la résurrection ? ils font de l’ironie avec leur histoire de polyandrie — sur un sujet, la résurrection, dont ils disent qu'il n'y en pas ?… et voilà que Jésus les renvoie aux anges dont ils n’admettent pas l’existence non plus !…

*

Jésus reprend à son compte l’argument dont on sait qu’il était celui des pharisiens — on le retrouve dans le Talmud —, à savoir qu'il s'agit de lire la résurrection dans la Torah. Tout repose sur la réalité efficace de la Parole de Dieu, la force créatrice de sa Parole, qui « ne retourne pas à lui sans effet ». Dans le propos de Jésus, la Torah est reçue comme Parole de Dieu. Dieu y nomme les patriarches. Ainsi lorsqu’il nomme Abraham, Isaac et Jacob, qui plus est en les liant à sa présence, il les situe dans sa propre éternité ; sa Parole éternelle sur eux les place au-dessus de leur quotidien, elle les place d’emblée dans l’éternité de Dieu : Dieu est éternel, en les nommant, ils les a donc nommés dans l’éternité, ils sont donc eux aussi dans l’éternité.

Mais ils sont morts, me direz-vous ! Eh bien justement : s'ils sont morts alors qu’en les nommant la Parole de Dieu les rend éternels, il faut bien qu’ils soient ressuscités ! Et étant éternels, ils sont donc vivants, comme leur Dieu, qui n’est pas le Dieu des morts. Dans la perspective pharisienne, qui ici est donc aussi celle de Jésus, l'ironie des sadducéens n’a pas grand sens…

Dans la perspective pharisienne, et chrétienne, notre vie éternelle est fonction de la Parole par laquelle Dieu nous nomme, du regard qu'il porte sur nous, et qui nous arrache aux méandres d'un quotidien grisâtre.

C'est pourquoi « ceux qui ont part au monde à venir… ne peuvent plus mourir, car ils sont pareils aux anges ». Et ce dès aujourd'hui : car le texte de Luc, rendu souvent au futur en français, est au présent. « Les enfants de la résurrection sont semblables aux anges, ne se marient pas, et ne peuvent pas mourir ». Étrange encore, pourra-t-on dire : faut-il en conclure que le célibat est la condition de la résurrection ? Voire que ceux qui s’y plient ne mourront pas ?

La réponse est sans doute celle qu'on retrouve chez Paul lorsqu’il dit : que ceux qui se marient soient comme s’ils ne l’étaient pas, ceux qui pleurent comme s’ils ne pleuraient pas — il s’agit entre autres des pleurs du deuil, de la mort. Voilà ce qu'il en est de la vie chrétienne. Elle situe ceux qui sont en Christ au-delà des réalités de la reproduction, à laquelle pour la plupart, ils ont pourtant part, au-delà de la douleur de la mort, au-delà des réjouissances et des biens, au-delà d’un monde qui passe (cf. 1 Co 7, 29-31). Parce que la vie de résurrection a pris place dès aujourd’hui, ils entrent dès aujourd’hui dans la vie de l’éternité — selon que, dit l’ Ecclésiaste, « Il a mis dans leur cœur la pensée de l’éternité. » (Ecc 3, 11)

C’est là une consolation que les Sadducéens pouvaient entendre, et qui reconnaît que nos soucis sont réels. Une part de nous-mêmes, le cœur de nos êtres, est appelée à s’en détacher, ce qui ne les élimine pas, bien sûr, mais qui permet de savoir que l’on ne se confond pas avec ses soucis, ses chagrins, ses douleurs.

Notre vraie réalité est cachée en Dieu, sa promesse est toujours là, un nouveau départ est toujours possible, et dût-il ne pas arriver, notre vie devant Dieu garde toute sa valeur, cachée aux yeux du monde, mais infinie, éternelle, indestructible.

*

En cela Jésus, donne aussi une réponse à ce qui derrière leur refus de la lecture pharisienne de la Torah, pouvait troubler dans le concret les sadducéens : la doctrine de la résurrection n'est nullement une négation de la vie de ce bas monde au profit d'un monde à venir qui n'en serait que la prolongation et le substitut, voire facilement un prétexte à ne pas vivre pleinement ici-bas.

On se trompe sans doute peu en admettant que les sadducéens pouvaient être proches du message de l'Ecclésiaste et de son appel à vivre dans la joie les jours de vanité de ce bref séjour terrestre… pour voir dans la doctrine de la résurrection un dangereux obstacle à ce message.

C'est ce sur quoi Jésus les détrompe : les enfants de la résurrection ne se marient pas (au présent). Sachant par ailleurs que Jésus n'interdit pas le mariage, on découvre que l'on est ici fort proche du message de l'Ecclésiaste, précisément, en ce qui concerne la vie en ce monde, et donc proche du message des sadducéens qui peuvent alors trouver dans la réponse de Jésus de quoi se satisfaire : d’où sans doute, le fameux propos final : « maître, tu as bien parlé » (v. 39), qui laisse les interlocuteurs de Jésus sans plus de questions. C'est l'Apôtre Paul, dans le passage de 1 Corinthiens que nous avons considéré, qui nous fournit cette lumière. Vivant dans la réalité de la résurrection où nous sommes dégagés des lourdeurs du quotidien, il s’agit de vivre ce quotidien comme y étant étrangers : « accomplis dans la certitude que cela est passager, ce qui ne se fait pas dans le séjour des morts ». Car la résurrection n'est pas un retour de notre vie passagère, mais un passage dans une ouverture qui en nous dégage, dès aujourd'hui, nous dégageant aussi de ce qui n'est plus .

Loin d'être un prétexte à ne pas vivre, la perspective de la résurrection nous délivre des filets de la mort : « Nous vivons plus souvent avec nos spectres qu'avec les vivants qui nous entourent », constate l'écrivain Maurice Maeterlinck (L'autre monde ou le cadran stellaire). Une des raisons pour lesquelles la Bible interdit la nécromancie, l’évocation des morts : c'est avec les vivants qu'il faut vivre ! Avec confiance. Dès aujourd'hui : car Dieu est le Dieu des vivants, dans la promesse de leur résurrection.

C'est en fonction de ce qu'elle est appelée à devenir cigale, que la lourde larve sombre doit vivre avec légèreté, avec dégagement, et donc pleinement, un quotidien qui ne se rattrape pas au futur, mais se rachète au présent de la vie éternelle.


R.P., Lusignan, 9/11/25
Culte en entier :: :: Prédication (format imprimable)


dimanche 5 octobre 2025

Ne servir à rien




Habacuc 1, 2-3 ; 2, 2-4 ; Ps 95 ; 2 Ti 1, 6-14 ; Luc 17, 5-10

Habacuc 2, 2-4
2 L’Éternel m’adressa la parole, et il dit : Écris la prophétie : Grave-la sur des tables, afin qu’on la lise couramment.
3 Car c’est une prophétie dont le temps est déjà fixé, elle marche vers son terme, et elle ne mentira pas ; Si elle tarde, attends-la, car elle s’accomplira, elle s’accomplira certainement.
4 Voici, son âme s’est enflée, elle n’est pas droite en lui ; Mais le juste vivra par sa foi.

Luc 17, 5-10
5 Les apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi. » 6 Le Seigneur dit : « Si vraiment vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce mûrier : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous obéirait.
7 « Lequel d’entre vous, s’il a un serviteur qui laboure ou qui garde les bêtes, lui dira à son retour des champs : “Va vite te mettre à table” ?
8 Est-ce qu’il ne lui dira pas plutôt : “Prépare-moi de quoi dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive ; et après tu mangeras et tu boiras à ton tour” ?
9 A-t-il de la reconnaissance envers ce serviteur parce qu’il a fait ce qui lui était ordonné ?
10 De même, vous aussi, quand vous avez fait tout ce qui vous était ordonné, dites : “Nous sommes des serviteurs inutiles. Nous avons fait seulement ce que nous devions faire.” »

*

« Augmente en nous la foi », ont demandé les disciples. Réponse de Jésus : « Si vraiment vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce mûrier : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous obéirait. »

La tentation est forte chez les commentateurs de ce texte de ne pas voir de rapport entre d’un côté cette affirmation de Jésus sur la foi avec cet arbre qui obéit et se plante dans la mer ; et de l’autre côté la petite histoire sur le serviteur (littéralement esclave) inutile — inutile selon l’usage le plus courant du mot, plutôt que juste quelconque.

Et si cette petite histoire de serviteur était une explication faisant suite à la question des disciples à propos de leur foi ? question qui elle-même suit un enseignement de Jésus pour le moins troublant ! C’est juste avant : « Si ton frère vient à t’offenser, reprends-le ; et s’il se repent, pardonne-lui. Et si sept fois le jour il t’offense et que sept fois il revienne à toi en disant : “Je me repens”, tu lui pardonneras. »

Reprenons en 4 points :
1) Jésus aux disciples : Pardonnez sans mesure.
2) Les apôtres à Jésus : Alors, « augmente en nous la foi » : il y en a besoin pour pardonner de la sorte.
3) Réponse de Jésus : En effet, le pouvoir de la foi est tel qu’il offre la capacité de pardonner… sachant qu’il permet même de déraciner les arbres et de les enraciner ailleurs (et carrément dans la mer !), à votre seul ordre ! Bref, la foi permet de faire des choses impossibles.
4) Explication : le serviteur inutile.

Mais alors, me direz-vous, si c’est bien là une explication, quel rapport ? Les deux aspects sembleraient presque inverses : chose impossible d’un côté ; service banal, au point d’en être inutile, de l’autre…

Eh bien, je propose de voir le rapport entre les deux aspects précisément dans l’inutilité. Je vous le demande : à quoi ça sert de déraciner les arbres et de les planter dans la mer ? Quelle utilité de mettre en œuvre la foi pour ce qui a tout d’une vaine démonstration de performances : déraciner un arbre pour le voir se planter dans la mer ! Ça ne sert à rien ! Ici j’entends même une sourde protestation : pire, c’est nuisible !

Mais laissons le côté nuisible et tenons-nous pour l’instant à l’inutilité d’une telle performance de la foi.

Inutile. Comme le serviteur de la petite histoire, selon l’injonction finale de Jésus : « dites : “Nous sommes des serviteurs inutiles.” » On pense à une formule commune des cours d’école d’aujourd’hui, insulte sans appel : « tu sers à rien » !

*

Une grande humilité qui est celle de la foi, plus grande que les déracinements d’arbres ! « Augmente en nous la foi », ont demandé les disciples… Réponse de Jésus : « dites : “nous sommes des serviteurs inutiles” »

La foi s’avère alors être simplement ce qui permet de faire ce qui nous est confié, tout en mesurant le décalage entre un vécu souvent bien terne, pas à la mesure, mesquin même (éventuellement attendant des compensations comme peut-être le serviteur de la parabole) : la foi est ce don miraculeux (plus que les déracinements d’arbres) qui permet de dire : nous sommes des serviteurs inutiles, pas à la mesure, et de faire quand même ce qui nous est demandé.

*

Quiconque croit au spectaculaire et à l’utile supposé ne voit pas qu’il y a là un danger pour la foi ! Au jour, où, parce que c’est censé être économiquement utile, on arrache des arbres en Amazonie, en Afrique, et ailleurs, avec l’approbation aveugle d’autoproclamés faiseurs de miracles spectaculaires, qui approuvent les déracineurs d’arbres agissant au nom du dieu Mamon… Ce qui semble utile, qui semble servir à quelque chose économiquement, peut bien, au regard de la foi et de la vie, s’avérer nuisible. Des autoproclamés faiseurs de miracles qui se croient tout sauf inutiles ! Les miracles bibliques, eux, témoignent de la réalité d’un autre monde, de nouveaux cieux et d’une nouvelle terre, prêts à être manifestés, des signes confiés à Jésus et aux Apôtres, et qui, selon l’Épître aux Hébreux (2, 4), ont cessé après leur ministère. Cela dit, le spectaculaire peut ne pas se trouver que dans les miracles… Nous ne sommes pas appelés à être des vedettes, des orateurs excellents (Paul, de son propre aveu, passait pour complexe et confus — ça lui a valu pas mal d’ennemis, cf. 2 P 3, 16, jusqu’aujourd’hui), célébrités, influenceurs que sais-je d’autre !

« Quand vous avez fait ce qui vous est demandé, dites : “nous sommes des serviteurs inutiles” ». Car nous ne servons à rien en regard de l’utilitarisme ; serviteurs inutiles d’une Église qui ne sert à rien. C’est même sa fonction, dans un monde où tout doit être utile et rentable. Notre service est de faire ce qu’on a à faire (comme le serviteur de la parabole) en sachant qu’il n’y a là pas de gloire particulière, sinon de ne pas servir à quoi que ce soit d’autre. Et c’est très bien comme ça ! Telle la réponse à la demande adressée à Jésus : « augmente en nous la foi ». Réponse : « dites : “nous sommes des serviteurs inutiles” ».


RP, Châtellerault, culte de rentrée, 5.10.25
Culte en entier :: :: Prédication (format imprimable)


dimanche 21 septembre 2025

"Nul ne peut servir deux maîtres"




Amos 8, 4-7 ; Psaume 113 ; 1 Timothée 2, 1-8 ; Luc 16, 1-13

Amos 8, 4-7
4 Écoutez ceci, vous qui dévorez l’indigent, Et qui ruinez les malheureux du pays !
5 Vous dites : Quand la nouvelle lune sera-t-elle passée, afin que nous vendions du blé ? Quand finira le sabbat, afin que nous ouvrions les greniers ? Nous diminuerons l’épha, nous augmenterons le prix, nous falsifierons les balances pour tromper ;
6 Puis nous achèterons les misérables pour de l’argent, et le pauvre pour une paire de souliers, et nous vendrons la criblure du froment.
7 L’Éternel l’a juré par la gloire de Jacob : Je n’oublierai jamais aucune de leurs œuvres.

Luc 16, 1-13
1 Jésus dit à ses disciples : "Un homme riche avait un gérant qui fut accusé devant lui de dilapider ses biens.
2 Il le fit appeler et lui dit : Qu'est-ce que j'entends dire de toi ? Rends les comptes de ta gestion, car désormais tu ne pourras plus gérer mes affaires.
3 Le gérant se dit alors en lui-même : Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gérance ? Bêcher ? Je n'en ai pas la force. Mendier ? J'en ai honte.
4 Je sais ce que je vais faire pour qu'une fois écarté de la gérance, il y ait des gens qui m'accueillent chez eux.
5 Il fit venir alors un par un les débiteurs de son maître et il dit au premier : Combien dois-tu à mon maître ?
6 Celui-ci répondit : Cent jarres d'huile. Le gérant lui dit : Voici ton reçu, vite, assieds-toi et écris cinquante.
7 Il dit ensuite à un autre : Et toi, combien dois-tu ? Celui-ci répondit : Cent sacs de blé. Le gérant lui dit : Voici ton reçu et écris quatre-vingts.
8 Et le maître fit l'éloge du gérant trompeur, parce qu'il avait agi avec habileté. En effet, ceux qui appartiennent à ce monde sont plus habiles vis-à-vis de leurs semblables que ceux qui appartiennent à la lumière.
9 "Eh bien ! moi, je vous dis : faites-vous des amis avec le Mamon trompeur pour qu'une fois celui-ci disparu, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
10 "Celui qui est digne de confiance pour une toute petite affaire est digne de confiance aussi pour une grande ; et celui qui est trompeur pour une toute petite affaire est trompeur aussi pour une grande.
11 Si donc vous n'avez pas été dignes de confiance pour le Mamon trompeur, qui vous confiera le bien véritable ?
12 Et si vous n'avez pas été dignes de confiance pour ce qui vous est étranger, qui vous donnera ce qui est à vous ?
13 "Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l'un et aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon."

*

Amos : “Quand finira le sabbat, afin que nous ouvrions les greniers ? Nous diminuerons l’épha [soit env. 35 litres], nous augmenterons le prix, nous falsifierons les balances pour tromper ; puis nous achèterons les misérables pour de l’argent…” — “L’Éternel l’a juré par la gloire de Jacob : Je n’oublierai jamais aucune de leurs œuvres”.
Ainsi l’ont suggéré plusieurs commentateurs de la parabole que donne Jésus : il serait pour l’intendant question de la Loi biblique, évoquée ici par Amos, Loi visant à rétablir plus de justice pour des débiteurs que l’on pressurait, à l’encontre de la Loi.
S’il faut comprendre l’attitude de l’intendant sous cet angle, le coup qu’il fait à son maître est des plus fins, puisque celui-ci n’a alors aucun moyen de se retourner contre son intendant s’appuyant sur la Loi…

*

Mais voilà quand même une parabole de Jésus difficile à comprendre ! Gruger son maître une dernière fois avant de se faire virer, après l’avoir grugé au point de se faire virer ! Et voilà que le maître félicite son mauvais gérant : « bravo, tu as été malin de dilapider mes biens une dernière fois » ! C'est à n’y rien comprendre ! Un monde de corruption, un gérant corrompu, des pratiques qui semblent ne pas déranger Jésus !… Puisque c’est tout de même lui qui en cette parabole, présente comme un conseil ce curieux avis du maître félicitant son gérant…

*

Reprenons donc la parabole : remarquons d’abord une différence entre les deux façons de mal gérer l’argent du maître. L’économe (c’est le mot, qui a donné économie, qui est dans le texte), a tout d’abord, avant de se faire prendre et d’être renvoyé, dilapidé l’argent de son maître, qui n’est pas sien. C’est la cause de son renvoi. Puis dès lors qu’il sait qu’il va se retrouver au chômage, il dilapide, à nouveau, l’argent de son maître, mais cette fois, c’est au bénéfice des débiteurs de son maître, s’en faisant dès lors des « amis ». Il se prépare un avenir auprès d’eux — avec peut-être en vue le Jubilé, l’an de grâce, jour de l'annulation des dettes. Ici, la parabole aurait en vue la loi du sabbat d’années, moment de remise périodique des dettes, le Jubilé, cet an de grâce inaugurant le Royaume proclamé par Jésus à Nazareth en Luc 4, 21 (“aujourd’hui, cette parole est accomplie”).

Une parabole qui nous dit de toute façon, la suite l’indique, le peu de valeur de l’argent pour Jésus : pas de problème à le dilapider… mais en l’occurrence pour autrui.

Peu de valeur de l’argent en soi : cela apparaît dans le choix du terme, qui n’est pas perceptible dans plusieurs de nos traductions. Le mot choisi par Jésus est Mamon, c’est-à-dire l’argent comme idole, avec comme racine du mot Mamon : ce qui dure. L’idée est que l’argent nous garantirait l’avenir, qu’il durerait. Et là, il est déjà une idole. Là, l’idole Mamon a pris la place de Dieu. Dieu seul est éternel. C'est pourquoi l’Épître de Jacques dit que l’or rouille. Tout le monde sait que ce n’est pas le cas, au plan matériel. Quant à sa réalité spirituelle, si, il rouille : seul Dieu est éternel. Vouloir se garantir un avenir par l’argent est un leurre (c’est devenu particulièrement évident à l’heure des fluctuations boursières et de l’argent virtuel). C’est pourquoi on ne peut servir Dieu et Mamon. Un seul est éternel. S’imaginer que l’or ne rouille pas, au regard de l’éternité, est une idolâtrie : argent trompeur, en dit Jésus. Mamon de l’injustice, dans notre texte.

Si l’on a compris cela, on est en mesure de sortir de l’idolâtrie, et de mettre l'argent à sa juste place : provisoire. C'est bien ce qu’a fait le gérant habile, et c’est de cela que le maître le félicite. Le gérant use de l’argent pour ce qu’il est : il ne sert à rien, au regard de l’éternité : il n’est qu’un moyen provisoire, et c’est bien comme cela que le gérant en a usé après avoir appris son prochain renvoi. Pour ce qu’il est : bien provisoire, trompeur, injuste. Le remettant ainsi à sa place, il s’est montré digne de confiance au regard des choses éternelles. En ce sens-là digne de confiance en des petites choses, de peu de valeur, il va se voir confier de grandes choses, éternelles elles, contrairement au Mamon trompeur, voué à rouiller comme l’or rouillera.

*

À ce point, on peut passer à un autre niveau. Laisser Mamon pour Dieu. L’immoralité apparente de la leçon nous a mis la puce à l'oreille : Jésus n’est pas en train de donner des leçons de morale d'entreprise. « L’homme riche », dans les paraboles, désigne à plusieurs reprises Dieu. Les intendants, les gérants, eux, sont les gens de religion, d’Église, ceux ayant un ministère quel qu’il soit.

Or qu’est-ce qu’un gérant de Dieu a à gérer ? Qu’est que le Maître lui a confié ? On le sait : sa grâce. Nous sommes gérants de la grâce. Le gérant dilapide ce que son maître lui a confié : la parole de sa grâce. Il est curieux que Jésus, voulant parler des pharisiens, scribes, ou exégètes, apôtres, pasteurs et autres responsables d’Église ou simplement croyants, ne donne d’image que celle d'un gérant qui dilapide les biens de son maître, qui plonge dans la caisse, s’y sert abondamment, et contracte envers son maître des dettes que comme gérant il ne pourra jamais payer, ce qui le conduira donc à son renvoi ; ignorant sans doute, d’ailleurs, que ce sont des dettes, pensant même que c'est normal de se servir ainsi ! C’est la grâce, quoi !

Et c’est la tentation qui nous guette tous, tentation de la « grâce à bon marché », par laquelle on se justifie soi-même de tous ses actes, y trouvant toutes les bonnes excuses ; sans se débarrasser pour autant d’une mauvaise conscience et d’un sentiment de culpabilité ; tentation pourtant, et en même temps, de s’administrer toutes les indulgences possibles, plongeant dans les trésors de la miséricorde divine, de la bonté, de la grâce de Dieu. Ce qui revient à s’auto-justifier parce qu’on se croit d’une façon ou d'une autre suffisamment digne, plus juste que le reste du monde, parce que l’on fait ceci ou cela, que l’on croit ceci ou cela, qu’on appartient à telle communauté de croyants, qu’on a tel type de foi qui sauve. À cette tentation se joint ainsi une autre, celle d’oublier qu’on n’est que gérant et de penser qu’on est propriétaire des trésors de la grâce de Dieu. Les autres, pour qui on est gérants, restent ses débiteurs. Et voilà notre gérant, indulgent pour soi-même, pas pour les autres ! Jusqu’à ce que…

« Le maître fit venir son gérant et lui dit : Qu’est-ce que j’entends dire de toi ? Rends compte de ta gestion, car tu ne pourras plus désormais administrer mes biens. » C’est que plus on s’auto-justifie, plus on regarde les autres de haut ; plus on se trouve digne de la grâce, plus on considère les autres comme moyens plutôt que fins… Et moins on leur accorde la grâce.

Menacé de renvoi, le gérant de la parabole va alors faire preuve de l’ingéniosité et de la prudence que nous avons lues, en commettant ce qui est apparemment seulement une nouvelle injustice ! En fait, il se convertit au vrai sens de la grâce. Et c’est ce que Jésus donnera en exemple : faites-vous des amis de cette manière injuste aux yeux des hommes, qui consiste à baisser leurs dettes, mais qui est la justice généreuse. Le jugement appartient à Dieu, et à lui seul. Et on vous jugera à la mesure dont vous aurez jugé. Faites-vous, par votre miséricorde à l’égard d’autrui, de ses fautes, de son absence de foi, ou que sais-je d’autre, autant de compagnons de la grâce. Soyez habiles comme enfants de lumière quant à la grâce, comme l’est ce fils de ce monde qu’est le gérant de l'illustration de Jésus.

Où l’on retrouve le Notre Père. N’oublions pas que l’on est chez Luc, qui dit littéralement : “pardonne-nous nos péchés (dette spirituelle) comme nous pardonnons à nos débiteurs” (Luc 11, 4).

Une fois encore, le gérant de la parabole va dilapider les biens de son maître — mais cette fois, s'il puise encore dans les trésors de son maître — et donc dans le trésor de la grâce —, c’est pour d’autres débiteurs que lui-même. Dans la sévérité de la mise en garde : « tu vas être renvoyé », l'homme vient de découvrir qu’il était gérant de son maître, pour les autres. Alors, il ouvre la grâce, à commencer — remarquons-le — par les plus gros débiteurs, ceux qui ont envers le Maître les dettes les plus grandes. Cet homme a découvert que, quoiqu’il soit intendant, gérant, administrateur… de Dieu en fin de compte, il restait du côté des hommes. Et le maître loua le gérant injuste de ce qu’il avait agi prudemment, se ménageant par la grâce seule un avenir dans le Royaume de la grâce ouverte à tous les débiteurs, et qui s’est approché avec la présence de Jésus.


RP, Châtellerault, 21.09.25
Culte en entier :: :: Prédication (format imprimable)



Voir le site de l'AJCF / éditorial septembre 2025


dimanche 3 août 2025

“C’est encore là une vanité”




Ecclésiaste 1,2 ; 2,21-23 ; Ps 90 ; Col 3, 1-11 ; Luc 12, 13-21

Ecclésiaste 1,2 ; 2,21-23
1. 2 Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité.
2. 21 Car tel homme a travaillé avec sagesse et science et avec succès, et il laisse le produit de son travail à un homme qui ne s’en est point occupé. C’est encore là une vanité et un grand mal.
22 Que revient-il, en effet, à l’homme de tout son travail et de la préoccupation de son cœur, objet de ses fatigues sous le soleil ?
23 Tous ses jours ne sont que douleur, et son partage n’est que chagrin ; même la nuit son cœur ne repose pas. C’est encore là une vanité.

Luc 12, 13-21
13 Quelqu’un dit à Jésus, du milieu de la foule : Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage.
14 Jésus lui répondit : Ô homme, qui m’a établi pour être votre juge, ou pour faire vos partages ?
15 Puis il leur dit : Gardez-vous avec soin de toute avarice  ; car la vie d’un homme ne dépend pas de ses biens, serait-il dans l’abondance.
16 Et il leur dit cette parabole : Les terres d’un homme riche avaient beaucoup rapporté.
17 Et il raisonnait en lui-même, disant : Que ferai-je ? car je n’ai pas de place pour serrer ma récolte.
18 Voici, dit-il, ce que je ferai : j’abattrai mes greniers, j’en bâtirai de plus grands, j’y amasserai toute ma récolte et tous mes biens ;
19 et je dirai à mon âme : Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années ; repose-toi, mange, bois, et réjouis-toi.
20 Mais Dieu lui dit : Insensé ! cette nuit même ton âme te sera redemandée ; et ce que tu as préparé, pour qui sera-ce ?
21 Il en est ainsi de celui qui amasse des trésors pour lui-même, et qui n’est pas riche pour Dieu.


*

“Un tour au cimetière Montparnasse.
Tous, jeunes ou vieux, faisaient des projets. Ils n’en font plus.
Bon élève, fort de leur exemple, je jure en rentrant de cesser à tout jamais d’en faire.
Promenade indéniablement bénéfique.”

(Emil Cioran, Aveux et anathèmes, Œuvres, Quarto p. 1669)

L’homme riche hypothétique de la parabole donnée par Jésus faisait des projets. Au temps de la rédaction de l'Évangile de Luc, mettons quelques brèves décennies après la parabole, il n’en aurait plus fait… Et de toute façon, “insensé, cette nuit-même ton âme te sera redemandée”.

Nous serions tentés de nous dire : pour lui peut-être, mais ses projets visaient peut-être ses enfants éventuels, prévoir leur héritage…

Si l’on est attentif au contexte d'énonciation de la parabole que donne Luc, elle vaut aussi sous cet angle : la parabole est donnée par Jésus en réponse à la demande qui lui est faite d’arbitrer une question d'héritage, demande à laquelle Jésus a refusé d’accéder, répondant en mettant en garde contre l’avarice !

On trouve là, comme en de nombreux passages des Évangiles, des accents de l’Ecclésiaste chez Jésus. Témoin le texte proposé aussi pour ce jour, que nous venons de lire.

L’Ecclésiaste, un livre dont la sagesse ne postule même pas la foi, comme le propos de Jésus ne parle tout d’abord pas de foi. Quiconque, même non croyant, est à même d’entendre sa parole de sagesse, à laquelle fait écho Cioran revenant du cimetière.

Pour l’Ecclésiaste, en arrière-plan, il s'agit de dire le fait que nous ne maîtrisons pas ce qui nous advient, selon l’infinité des paramètres qui se résument derrière le mot Dieu, infinité de paramètres qui forcément nous échappent. Folie que de ne pas admettre ce simple fait — “l’insensé est celui qui dit ‘il n’y a pas de Dieu’”, disent les Ps 14 et 53 : à savoir, à une époque où l’athéisme n’existe pas encore, l’insensé est celui qui croit maîtriser ce qui advient — “insensé, cette nuit-même ton âme te sera redemandée”, met en garde Jésus. Autant de choses qui, au bout du compte, nous dépassent.

Comme tout le reste, notre avenir nous dépasse. L’avenir de nos projets nous dépasse aussi (cf. Hiroshima, en cette semaine qui commémore le 80e anniversaire de l’explosion atomique). Ce qu’en feront ceux qui nous succéderont nous dépasse de même. Jésus ne dit pas autre chose. On est d’abord avec une affirmation qui ne requiert pas la foi, qui elle, apparaît seulement dans un second temps. Quiconque peut le comprendre : simple sagesse…

Cela vaut pour la richesse matérielle, dont l’espérance, selon Jésus, relève de l’avarice (cette “racine de tous les mots”, en dit Paul — 1 Ti 6, 10). Cela vaut aussi pour d'autres richesses, ne nous leurrons pas. Jusqu’à tel intellectuel, fût-il pasteur ou théologien, qui espère transmettre son savoir par des livres, ou des œuvres, d’art ou autre.

C’est une des raisons pour lesquelles les plus grands sages ont préféré ne pas écrire : Socrate, Épictète, Bouddha, etc., et on peut les multiplier — à commencer par Jésus, donnant un héritage vivant de sagesse, en n'écrivant que quelques marques sur la poussière du sol (cf. Jean 8, 6), vouées à s'effacer au premier souffle de vent, comme la vie des humains selon le Psaume 90 : “Tu les emportes, semblables à un songe, qui, le matin, passe comme l’herbe :‭ elle fleurit le matin, et elle passe, on la coupe le soir, et elle sèche” — “quand le vent de l’Éternel souffle dessus”, précise le prophète Ésaïe (40, 7).

Si un sage estime que quelques réflexions valent d’être conservées, l’Ecclésiaste (12, 12) précise qu’écrire peu suffit… écrire des pages valant pour témoigner non de soi, mais d’un autre, comme Paul ou les Évangélistes pour Jésus (ou pour Socrate Platon, pour Épictète Arrien dont le nom est généralement oublié, ou ses disciples pour le Bouddha). Celui qui n’a pas écrit est manifestement en position plus haute que ceux qui l’ont fait : il n’a fait pour sa part que s’abandonner à ce qui relève de Dieu seul.

Bref, dit Jésus, n’amasse pas dans ton grenier, ne sachant pas ce que sera demain, pour toi ou pour les tiens. Pour cela, c’est Dieu qui pourvoit, dirait l’Ecclésiaste. Ce qu’il laisse, ce qu’a laissé Jésus, est suffisamment précieux pour que Dieu lui-même prenne en charge sa diffusion : il a pourvu par les quelques disciples qui nous ont transmis ce que Jésus a laissé à Dieu, à son Père…

Qui sommes-nous pour vouloir nous transmettre nous-mêmes quand Jésus, portant le message le plus précieux, a laissé à son Père le soin de s’occuper de la suite et de sa diffusion ? Alors que dire des biens les plus fragiles et passagers, les biens matériels dont parle d’abord la parabole ?

“Cette nuit-même ton âme te sera redemandée”. Jésus pense peut-être aussi à la brièveté de sa propre vie, vouée à la croix !

Pour le reste, rappelle Paul, “la figure de ce monde passe” (1 Co 7, 31).

Et c’est ici qu’intervient la foi, comme passage de la sagesse à la confiance. Passage du Dieu reçu comme signifiant que nous ne maîtrisons pas ce qui advient, à l’Éternel comme Dieu favorable, révélé à Moïse : “je serai avec toi” (Ex 3, 12) — au cœur du Nom de la promesse.

Dans les livres de sagesse attribués à Salomon, c’est le passage de l’Ecclésiaste au Cantique des Cantiques, un Dieu à aimer — même, et peut-être surtout, quand on ne voit pas arriver ce que l’on désire (non seulement accepter, mais aimer ce qui advient) ; comme la Sulamite rendue inaccessible devient pour celui qui la désire la manifestation du Dieu qui habite une lumière inaccessible (1 Ti 6, 16) ; et comme le bien-aimé inaccessible le devient pour elle.

Or que nous dit Jésus dans cette parabole ? Que dans ce temps, ce que le riche espère, voir la figure de ce monde ne pas passer, se bâtir un avenir, lui sera enlevé “cette nuit même” !

Comme Jésus a tout remis à son Père dans la foi, il nous appelle, en parlant aux deux frères se disputant un héritage, à nous en remettre à Dieu seul, à vivre dès à présent dans la lumière de son Royaume — comme étant déjà morts à la figure d’un monde qui passe — “cette nuit même” —, pour entrer avec lui dans le monde de la résurrection…
comme morts à ce monde !… rejoignant un proverbe africain qui dit : “cabri mort ne craint point le couteau”.

C’est exactement ce que dit Paul dans le texte de ce jour de l’Épître aux Colossiens (3, 1-3) :
“Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ;
fondez vos pensées en haut, non sur la terre.
Vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu.”


RP, Châtellerault, 3 août 2025
Culte en entier :: :: Prédication (format imprimable)


dimanche 1 juin 2025

"Afin que le monde croie"…




Actes 7, 55-60 ; Psaume 97 ; Apoc 22, 12-20 ; Jean 17, 20-26

Livre du prophète Jonas (extraits)
Ch. 1 — 1 La parole de l’Éternel fut adressée à Jonas, fils d’Amitthaï, en ces mots :
2 Lève-toi, va à Ninive, la grande ville, et crie contre elle ! car sa méchanceté est montée jusqu’à moi.
3 Et Jonas se leva pour s’enfuir à Tarsis, loin de la face de l’Éternel. Il descendit à Japho, et il trouva un navire qui allait à Tarsis ; il paya le prix du transport, et s’embarqua pour aller avec les passagers à Tarsis, loin de la face de l’Éternel.
4 Mais l’Éternel fit souffler sur la mer un vent impétueux, et il s’éleva sur la mer une grande tempête. Le navire menaçait de faire naufrage. […]
8 Alors [les marins] lui dirent : Dis-nous qui nous attire ce malheur. Quelles sont tes affaires, et d’où viens-tu ? Quel est ton pays, et de quel peuple es-tu ?
9 Il leur répondit : Je suis Hébreu, et je crains l’Éternel, le Dieu des cieux, qui a fait la mer et la terre.
10 Ces hommes eurent une grande frayeur, et ils lui dirent : Pourquoi as-tu fait cela ? Car ces hommes savaient qu’il fuyait loin de la face de l’Éternel, parce qu’il le leur avait déclaré. […]
15 Puis ils prirent Jonas, et le jetèrent dans la mer. Et la fureur de la mer s’apaisa […].
Ch. 2 — L’Éternel fit venir un grand poisson pour engloutir Jonas, et Jonas fut dans le ventre du poisson trois jours et trois nuits. […] Puis, suite à la prière de Jonas que nous avons lue en louange,
11 L’Éternel parla au poisson, et le poisson vomit Jonas sur la terre.
Ch. 3 — 1 La parole de l’Éternel fut adressée à Jonas une seconde fois, en ces mots :
2 Lève-toi, va à Ninive, la grande ville, et proclames-y la publication que je t’ordonne !
3 Et Jonas se leva, et alla à Ninive, selon la parole de l’Éternel. Or Ninive était une très grande ville, de trois jours de marche.
4 Jonas fit d’abord dans la ville une journée de marche ; il criait et disait : Encore quarante jours, et Ninive est détruite ! […]
10 Dieu vit [que les Ninivites, hommes et bêtes,] revenaient de leur mauvaise voie. Alors Dieu se repentit du mal qu’il avait résolu de leur faire, et il ne le fit pas.
Ch. 4 — 1 Cela déplut fort à Jonas, et il fut irrité.
2 Il implora l’Éternel, et il dit : Ah ! Éternel, n’est-ce pas ce que je disais quand j’étais encore dans mon pays ? C’est ce que je voulais prévenir en fuyant à Tarsis. Car je savais que tu es un Dieu compatissant et miséricordieux, lent à la colère et riche en bonté, et qui te repens du mal.
3 Maintenant, Éternel, prends-moi donc la vie, car la mort m’est préférable à la vie.
[…] 10 Et l’Éternel dit : Tu as pitié du ricin qui ne t’a coûté aucune peine et que tu n’as pas fait croître, qui est né dans une nuit et qui a péri dans une nuit.
11 Et moi, je n’aurais pas pitié de Ninive, la grande ville, dans laquelle se trouvent plus de cent vingt mille hommes qui ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche, et des animaux en grand nombre !

Jean 17, 20-26
20 "Je ne prie pas seulement pour eux, je prie aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi :
21 que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé.
22 Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un,
23 moi en eux comme toi en moi, pour qu’ils parviennent à l’unité parfaite et qu’ainsi le monde puisse connaître que c’est toi qui m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé.
24 Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu m’as aimé dès avant la fondation du monde.
25 Père juste, tandis que le monde ne t’a pas connu, je t’ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m’as envoyé.
26 Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et moi en eux."

*

… Ainsi le Christ a prié non seulement pour les Apôtres mais aussi pour celles et ceux qui croiront par leur parole — c’est-à-dire nous ! « Qu’ils soient un comme nous sommes un » !

C'est la seule prière de Jésus qui soit en quelque sorte publique dans les évangiles. Les autres fois, il se retire, au point que les disciples ne savent pas comment il prie, et le lui demandent : apprends-nous comment prier, où Jésus donne le Notre Père. Où l'on découvre que les prières de Jésus, très réservé sur les prières publiques (« toi, entre dans ta chambre et ferme la porte » — dans la chambre intérieure de ton être, pour celles et ceux qui n’ont pas une chambre à soi) —… les prières de Jésus sont les Psaumes, prières liturgiques d'Israël, que résume le Notre Père.

La prière que nous venons de lire, en Jean 17, ne fait pas exception, en cela qu'il ne s'agit pas d'une prière intime, mais d'un moment liturgique : prière de consécration des disciples.

Cela dit, vu le contenu de cette prière, l'unité, une question peut se poser — on la pose parfois : Jésus n’a-t-il donc pas été exaucé ?

*

… Comme Jonas ne l’a pas été, apparemment ! On l’a entendu : Jonas prêche, selon ce que Dieu lui a commandé d’annoncer, que Ninive va être détruite. Or, au bout du compte, Ninive ne sera pas détruite, Dieu se détournant de la menace de destruction après le repentir de Ninive…

Jonas aurait-il donc faussement prophétisé ? Ne va-t-il pas passer publiquement pour un faux prophète ? Il connaît sa vocation, il sait que c’est peut-être même la vocation de sa vie, qu’il va essayer de fuir ! Car au bout du compte sa vocation passe par la nécessité de passer pour un faux prophète. Peut-être que la leçon du livre de Jonas est de nous dire qu’un faux prophète n’est pas nécessairement celui dont la prophétie ne se réalise pas — car la prophétie n’est pas divination ! Parfois le vrai prophète est celui dont le message, la menace en l’occurrence, ne se réalise pas, mais a pour effet de susciter le tournement vers Dieu…

Et si nous avions là une indication concernant notre lecture de la prière de Jésus pour l’unité de ses disciples ?

*

On est dans ce texte peu avant le départ du Christ. Un départ déjà vécu dans sa mort, donnée comme ascension. Le Christ est « élevé », élevé à la Croix, et, par là, « enlevé » à ses disciples. « Vous ne me verrez plus », annonçait-il. Si le Christ ressuscité (« vous me verrez à nouveau », avait-il dit aux disciples) est lui-même corporellement présent en tout lieu, comme le Père est présent partout, il est aussi désormais, comme l’est aussi le Père, caché à nos yeux, comme absent — nous ne le voyons plus. Nul n’a jamais vu Dieu.

Disciples d’un Christ qui ne se voit plus, témoins par lui d’un Dieu que nul ne voit, comment le dire, comment le faire percevoir ? Jésus vient de le dire : « que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé ». Écho à : « À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres ». Seule façon donnée de faire percevoir le Dieu que nul n’a jamais vu et le Christ qui l’a manifesté, mais à présent absent lui aussi de notre vue. Mais… quel exaucement ?

… Quand il semble en être de même de l’unité qui se fonde dans l’unité du Père et du Fils… Nul n’a jamais vu cette unité, semble-t-il. Et pourtant : c’est « afin que le monde croie » ! Que l’unité se voie !… Écho à : « À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres », paroles données alors précisément que le Christ est enlevé des yeux du monde par la Croix.

Il nous est enlevé, donc déjà par sa mort sur la Croix, lui dont le Nom qu’il nous fait connaître est au-dessus de tout Nom. Il se retire, dans le Nom qu’il a fait ainsi connaître tout à nouveau comme le Nom caché. Il se retire… Non pas pour nous abandonner à notre détresse, à nos vies morcelées, à nos divisions, mais pour officier dans le Temple céleste — ainsi que nous l'explique l'Épître aux Hébreux (8, 5) relisant l'Exode (25, 40) — ; un office unifiant le monde, octroyé dès la fondation du monde — « tu m’as aimé dès avant la fondation du monde » — et nous en lui : c’est le cœur de notre unité. « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi ».

Or à travers cette prière de Jésus dite au jour de sa crucifixion, c’est à une dépossession semblable à la sienne que nous sommes appelés. C’est là où il est, c’est là sa gloire, la croix.

*

Jésus retiré dans la gloire — « maintenant, le Fils de l'homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui » — la gloire de la croix qui se profile, Jésus prie : « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu m’as aimé dès avant la fondation du monde » (Jean 17, 24). Or cela est aussi déjà donné : « moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un. » Sa prière est bien exaucée.

Là est l’unité déjà donnée : « près de toi dans ta bouche et dans ton cœur » — dans la plus radicale humilité, au cœur de notre faiblesse assumée à la croix comme élévation à la gloire ; le reste, « qu’ils parviennent à l’unité parfaite », est le chemin de notre « pas encore » vers le « déjà donné ». Ce qui est déjà donné dans l'unité du Père et du Fils peut prendre forme dans notre pas encore. Comme pour Jonas le repentir de Ninive… déjà pardonnée via la prédication du prophète.

Le « déjà » pour nous aussi n’est pas fictif : déjà justes en Christ, encore pécheurs en nous-mêmes — c’était déjà le cas dans l’Église primitive ! — ; déjà un en lui, par l’Esprit saint, dans l’unité du Père et du Fils, pas encore quant à la visibilité ; le monde qui nous est confié est encore divisé par d’immense abîmes, d’immenses injustices. Notre unité est toutefois réelle au cœur de notre diversité. Sa mesure, en vue de sa visibilité pour que le monde croie, est celle de notre foi, de notre confiance en celui qui nous l’a déjà donnée pour la déployer jusqu’à son accomplissement.


RP, Châtellerault, 1er juin 2025
Culte en entier :: :: Prédication (format imprimable)


dimanche 4 mai 2025

"Que t’importe ? Toi, suis-moi"




Actes 5, 27-41 ; Psaume 30 ; Apoc 5, 11-14 ; Jean 21, 1-19

Jean 21, 1-22
1 Après cela, Jésus se manifesta de nouveau aux disciples sur les bords de la mer de Tibériade. Voici comment il se manifesta.
2 Simon-Pierre, Thomas qu'on appelle Didyme, Nathanaël de Cana de Galilée, les fils de Zébédée et deux autres disciples se trouvaient ensemble.
3 Simon-Pierre leur dit : « Je vais pêcher. » Ils lui dirent : « Nous allons avec toi. » Ils sortirent et montèrent dans la barque, mais cette nuit-là, ils ne prirent rien.
4 C'était déjà le matin ; Jésus se tint là sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c'était lui.
5 Il leur dit : « Enfants, n'avez-vous pas un peu de poisson ? » — « Non », lui répondirent-ils.
6 Il leur dit : « Jetez le filet du côté droit de la barque et vous trouverez. » Ils le jetèrent et il y eut tant de poissons qu'ils ne pouvaient plus le ramener.
7 Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre : « C'est le Seigneur ! » Dès qu'il eut entendu que c'était le Seigneur, Simon-Pierre ceignit un vêtement, car il était nu, et il se jeta à la mer.
8 Les autres disciples revinrent avec la barque, en tirant le filet plein de poissons : ils n'étaient pas bien loin de la rive, à deux cents coudées environ.
9 Une fois descendus à terre, ils virent un feu de braise sur lequel on avait disposé du poisson et du pain.
10 Jésus leur dit : « Apportez donc ces poissons que vous venez de prendre. »
11 Simon-Pierre remonta donc dans la barque et il tira à terre le filet que remplissaient cent cinquante-trois gros poissons, et quoiqu'il y en eût tant, le filet ne se déchira pas.
12 Jésus leur dit : « Venez déjeuner. » Aucun des disciples n'osait lui poser la question : « Qui es-tu ? » : ils savaient bien que c'était le Seigneur.
13 Alors Jésus vient ; il prend le pain et le leur donne ; il fit de même avec le poisson.
14 Ce fut la troisième fois que Jésus se manifesta à ses disciples depuis qu'il s'était relevé d'entre les morts.
15 Après le repas, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? » Il répondit : « Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime », et Jésus lui dit alors : « Pais mes agneaux. »
16 Une seconde fois, Jésus lui dit : « Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu ? » Il répondit : « Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. » Jésus dit : « Sois le berger de mes brebis. »
17 Une troisième fois, il dit : « Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu ? » Pierre fut attristé de ce que Jésus lui avait dit une troisième fois : « M'aimes-tu ? », et il reprit : « Seigneur, toi qui connais toutes choses, tu sais bien que je t'aime. » Et Jésus lui dit : « Pais mes brebis.
18 En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais ; lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras les mains et c'est un autre qui nouera ta ceinture et qui te conduira là où tu ne voudrais pas. »
19 Jésus parla ainsi pour indiquer de quelle mort Pierre devait glorifier Dieu ; et après cette parole, il lui dit : « Suis-moi. »
20 Pierre, s’étant retourné, vit venir après eux le disciple que Jésus aimait, celui qui, pendant le souper, s’était penché sur la poitrine de Jésus, et avait dit : Seigneur, qui est celui qui te livre ?
21 En le voyant, Pierre dit à Jésus : Et à celui-ci, Seigneur, que lui arrivera-t-il ?
22 Jésus lui dit : Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suis-moi.

*

Nous sommes avec ce texte dans le temps de la résurrection. Quelque chose de définitif a eu lieu. Les versets 20 à 22 le soulignent en mettant en avant “le disciple que Jésus aimait”. Ce “disciple bien-aimé” a fait couler beaucoup d’encre dans le monde des commentateurs. Souvent on y a vu Jean, réputé rédacteur de cet Évangile, dont les mots ont été donnés par le disciple bien-aimé (v. 24). Parfois, le titre est donné comme invitant chacun de nous à s’y reconnaître, puisque ce disciple n’est pas nommé… Et puis, on y a vu Lazare ; avec de bons arguments : c’est bien Lazare, le ressuscité, qui est le seul personnage nommé à recevoir cette qualification (en Jean 11, 3). Dans ce chap. 21 qui nous fait entrer définitivement dans le monde de la résurrection, voilà qui aurait du sens, surtout si on considère le dialogue autour de ce personnage, dont le bruit courait qu’il ne mourrait pas, ce que Jésus, sans le confirmer, ne nie pas ! Le texte renvoie simplement au fait que là n’est pas le problème : “que t’importe ? Toi, suis-moi” a juste dit Jésus à Pierre : c’est cela qui nous concerne tous. Pour l'anecdote, c’est cet appel du Ressuscité qui a fondé mon entrée en théologie : “toi, suis-moi”.

Face au Ressuscité, qui se présente en cette matinée aux disciples pêchant en vain dans le lac, rayonne cette vérité : notre vrai être n’est pas dans la dépouille de nos êtres temporels, et surtout pas dans la vanité de nos égos, mais notre vie est cachée avec le Christ, en Dieu.

Renoncer à nous-mêmes, telle est l'implication, renoncer à nos forces propres — « qui s’attache à sa vie dans ce monde la perdra, mais qui s’en détache la garde pour la vie éternelle » (Jean 12, 25).

Les forces de Pierre avaient défailli trois fois…

À présent, Pierre, face à Jésus ressuscité lui demandant pour la troisième fois s'il l'aime, est attristé. Quelle est cette tristesse ? Puisque la triple question de Jésus révèle en Pierre celle de la vérité de son amour, un amour fondé cette fois sur celui de Jésus…

Trois fois.

« ‭Seigneur, lui [avait] dit Pierre [auparavant], pourquoi ne puis-je pas te suivre maintenant ? Je donnerai ma vie pour toi.‭ En vérité, en vérité, je te le dis, le ‭coq‭ ne chantera pas que tu ne m’aies renié trois fois », lui avait répondu Jésus (Jean 13, 37-38).

Puis, plus tard (Jean 18, 15-27) : « ‭Simon Pierre (*), avec un autre disciple, suivait Jésus. […] L’autre disciple, qui était connu du Grand Pontife, sortit, parla à la femme qui gardait la porte et fit entrer Pierre. La servante qui gardait la porte lui dit : Toi aussi, n’es-tu pas des disciples de cet homme ? Il dit : Je n’en suis point.‭ ‭Les serviteurs et les huissiers, qui étaient là, avaient allumé un brasier, car il faisait froid, et ils se chauffaient. Pierre se tenait avec eux, et se chauffait.‭ […] ‭Simon Pierre était là, et se chauffait. On lui dit : Toi aussi, n’es-tu pas de ses disciples ? Il le nia, et dit : Je n’en suis point.‭ ‭Un des serviteurs du Grand Pontife, parent de celui à qui Pierre avait coupé l’oreille, dit : Ne t’ai-je pas vu avec lui dans le jardin ?‭ ‭Pierre le nia de nouveau. Et aussitôt le coq chanta.‭ »

Écho à cela, trois fois, le Ressuscité demande à Pierre s’il l’aime. On sait qu'en grec dans notre texte, il y a deux mots différents pour dire aimer. Deux fois Jésus emploie le mot agapè, qui signifie chérir. Et Pierre ne répond jamais avec ce mot-là. Il en emploie un autre, phileo qui n'est pas moins fort, mais qui souligne la relation, très forte en l'occurrence. Oui, tu sais que l'amour nous lie — telle est la réponse de Pierre, la bonne réponse, qui marque le lien par lequel Pierre s’appuie sur Jésus, sur l'amour de Jésus. C’est ce que Jésus ressuscité veut lui faire dire pour le relever — trois fois : lui posant une troisième fois la question, Jésus emploie cette fois le mot de Pierre, phileo. Sommes-nous en relation d'amitié, d'amour réciproque ? Et Pierre acquiesce une troisième fois.

Mais Pierre est triste : il n'avait pas eu la force de le suivre à la croix, il ne pourra plus compter sur lui-même, mais sur un autre, qui le mènera où il n’aurait pas voulu aller, qui le ceindra tandis qu’il étendra les bras…

Mais Jésus a rejoint Pierre en le rejoignant dans ses mots, il a rejoint la crainte et la tristesse de Pierre, en lui disant qu’en effet, il ne pourra que compter sur un autre, lui, Jésus, pour accomplir ce qu’il lui demande : suis-moi, et pais mes brebis. Alors Pierre est prêt.

*

La tristesse de Pierre porte une connotation très forte : il sait que c'est le don de la vie de son maître, offert à la mort pour l'entrée dans la vie de résurrection qui crée en lui ce que Jésus lui demande : pais mes brebis.

Pierre entrevoit alors sans doute tout le sens de cette tâche de berger en se souvenant de ce que Jésus disait de lui-même, bon berger qui donne sa vie pour ses brebis, dont la tâche, qu'il confie à présent à ses disciples, est finalement de conduire les brebis dès à présent dans les pâturages auxquels on accède en passant de la mort à la vie.

Jésus y a accédé alors que Pierre ne pouvait pas le suivre — et il le disait par trois fois, par trois reniements, tel est l'écho qui est dans sa tristesse —, et où il le suivra bientôt, et dès à présent, alors qu' « un autre le ceindra », Jésus lui-même, qui l'appelle à nouveau par trois fois. « Prends soin de mes brebis » insistait le Seigneur.

*

Un autre te mènera désormais où tu n’aurais pas voulu aller. Pierre jeune fait ce qu'il veut, va où il veut. Ce matin-là encore il se ceint lui-même, pour aller à la rencontre de Jésus (v. 7). Pour Pierre d’abord c'est source de tristesse : renoncer. Mais le Père l'a accueilli, et lui apprendra, au prix de sa tristesse, la joie de la confiance, à être ceint par un autre.

Un jour, et c'est déjà ce jour, il ne fera plus ce qu'il voudra, il n'ira plus où il voudra. Un jour, et c'est dès à présent, il obéira au-delà de toute crainte.

Un autre le ceindra, et le conduira finalement à la suite de son maître, fût-ce à la croix où il n'avait pas pu suivre son maître. Bien plus douloureux que l'engagement et le service que Jésus lui demande aujourd'hui, et qui le conduira peut-être là. Mais ce jour-là, Pierre aura appris cette confiance / obéissance qui vaut mieux que le mot d'agapè qu'il n'a pas eu l’inconscience de prononcer.

Alors, le sens de ce qui vient de se passer lors de la pêche miraculeuse se dévoile : celui que les disciples n'avaient pas encore reconnu comme le Seigneur, un inconnu pour eux, leur a demandé du poisson (v. 5).

Et ils n'ont alors rien, ils n'ont pris aucun poisson.

Mais lui leur a lui-même préparé à manger ! « Une fois descendus à terre, ils virent un feu de braise sur lequel on avait disposé du poisson et du pain. » Ils n’ont pas encore ramené leur pêche à terre lorsque « Jésus leur dit : “Apportez donc ces poissons que vous venez de prendre” » (v. 9-10).

Lorsque ce même inconnu pour eux (ils ne l’ont pas encore reconnu) leur a dit : « Jetez le filet du côté droit de la barque et vous trouverez » — le Sud, côté de la lumière, du soleil à son zénith quand au devant alors est non pas comme pour nous le Nord, mais l'Est (on en a gardé le mot orientation) —, « jetez le filet du côté droit », donc, ils l’ont fait : « ils le jetèrent et il y eut tant de poissons qu'ils ne pouvaient plus le ramener », dit le texte, donnant ensuite un nombre de poissons, 153, où depuis les pères de l'Église, on voit un symbole de la plénitude des peuples.

C’est alors que leur filet s'est rempli à sa parole qu’ils le reconnaissent (v. 7) : le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre : « C'est le Seigneur ! » Pierre est appelé à reconnaître le Seigneur ressuscité, et nous le sommes avec lui, le reconnaître en ceux vers qui il est envoyé ; le Seigneur dont les apparitions cesseront : va, donc, et pais mes brebis. À nouveau les disciples sont prêts à sortir et à monter dans la barque de celui qui les mènera aux extrémités de la Terre.

(* Simon, "fils de Jonas" — Jonas le prophète qui avait fui — devient Pierre, le disciple établi sur le roc de la foi en son Maître, Jésus, le Resssuscité — cf. Jn 1, 42 ; Mt 16, 17).


R.P. Châtellerault, 4 mai 2025
Culte en entier :: :: Prédication (format imprimable)