Ha 1:2-3 & 2:1-4 ; Ps 95 ; 2 Ti 1:6-14 ; Luc 17:5-10
Ha 2:1-4
Luc 17:5-10
Habacuc 2, 4 & Luc 17, 10 ramassent on ne peut mieux les deux volets du Traité de la liberté chrétienne de Martin Luther ! Voilà tout un programme, qui nous est donné dans les textes de ce jour, utile à l’heure où nous nous apprêtons à l’union avec les luthériens…
Habacuc 2:4 est un des textes fondateurs de ce cœur de la Réforme : la justification par la foi. Parole de liberté qui fondait la fermeté qui a pu conduire les pasteurs emprisonnés ici, sur cette île Sainte-Marguerite pour leur foi.
La justification par le foi, à savoir le don par lequel la vie chrétienne est tout d’abord gratuité, celle de la liberté chrétienne, une vie de liberté pour des serviteurs inutiles — où l’on rejoint notre second texte, Luc 17, et notamment le v. 10. Habacuc 2, 4 « Le juste vivra par sa foi » — Luc 17, 10 « Nous sommes des serviteurs / ou esclaves inutiles ».
Si la foi chrétienne est liberté, la vie chrétienne doit consister à vivre la liberté. Mais immédiatement un accroc : n'est-ce pas là jolie théorie, pour ne pas dire propagande ? Façon de se payer de mots — et, ô comble ! du mot de liberté !? Alors « augmente-nous la foi », demandent les disciples.
« Augmente-nous la foi ». C’est où il faut ne pas négliger ce fondement de la vie chrétienne : la parole que Dieu nous adresse, cette parole que nous atteste le Christ, le regard que nous en recevons, est ce par quoi il nous établit en dignité et nous libère. Et cette parole qui nous renvoie libres est chargée de conséquences : l'Esprit qui la porte, l’Esprit par lequel, serviteurs inutiles, nous vivons de la foi seule, cet Esprit de liberté nous fait à notre tour libérateurs, porteurs comme serviteurs inutiles, de ce même regard qui ne condamne pas.
Libres à l’égard de tous
Serviteurs inutiles vivant de leur seule foi. C’est là le cœur de la Réforme. C’est là être protestant, au fond. Martin Luther développait son traité De la liberté chrétienne, central pour la Réforme, selon deux volets, donc. Le premier est : « le chrétien, la chrétienne est la personne la plus libre, qui n’est assujettie à aucun ». Le second : « le chrétien, la chrétienne est la personne la plus humble, assujettie à tous ».
Voyons d’abord le premier aspect : « l’être le plus libre ». Quel programme ! Or, justement, qui que nous soyons, chrétiens ou pas ; à regarder de près, nous semblons... survivre sur le mode de la servitude. Soucieux forcément, de nous préserver, préserver nos acquis, notre avenir dans le temps. Que ces acquis soient financiers, immobiliers, ou autres de ce genre... que sais-je encore ? (Et le texte de ce jour est le 3e d’une série invitant à ce pas servir Mammon / l’argent.)… Mais ça vaut pour des acquis religieux, ou notre bonne renommée — le fait qu’on nous remarque, voire jusqu’à nos titres, fussent-ils titres religieux.
En résumé, car tout cela se retrouve là, nous veillons à préserver ou à développer l'acquis qui nous assure, dont l’acquis de notre réputation, déjà assurée, « l’âme enflée » dit Habacuc — ou à faire : qu’est ce que je pèse aux yeux d’autrui, du monde, que peut-on penser de moi ? Qu’est-ce que Dieu lui-même peut penser de moi ? Suis-je un serviteur suffisamment efficace ?
Cette façon de connaître la servitude — avant d’en être libéré — peut s'illustrer par les exemples des personnages que côtoie Jésus… Des esclaves au sens propre, certes, il y en a en son temps, toujours soucieux de prouver leur utilité pour n’être pas châtiés. Mais il y en a d’autres aussi, en proie à d’autres esclavages… Exemples de vraies victimes du « qu'en dira-t-on » — ou de la mauvaise conscience, — parmi ceux de ses contemporains auxquels Jésus s'adresse. Étrangers à la liberté.
Que ce soit les collecteurs d’impôts que côtoie Jésus, dépendant de leurs maîtres romains, les prostituées dépendant de l’appréciation de leurs services ou de leurs charmes... Ou le jeune homme riche, esclave de son avoir, possédé de ses possessions... Ou d’autres personnages encore.
Tous à côté de la vérité clamée antan par le prophète Habacuc, alors que la justice, la vérité, semblent demeurer inaccessibles, enfouies sous l’injustice et le mensonge de l’âme enflée : « le juste vivra par la foi » clamait Habacuc. Telle est la promesse.
Cette vérité, celle de la maison du Père, source intérieure de toute liberté, est celle que Jésus, qui demeure toujours dans la maison du Père, nous révèle : « si le Fils vous rend libres, vous serez réellement libres » (Jean 8:36).
Aussi, Jésus attend de nous que nous nous l'écoutions, tout simplement, que nous entendions cette parole qui libère, que nous recevions le regard qu’elle porte et qui établit en dignité sans rien avoir à prouver. C'est là que se dévoile Dieu, et que nous nous découvrons nous-mêmes en recevant la liberté de la foi seule en cette promesse, accomplie entièrement dans la parole de notre dignité. C'est là que se découvre que nous n'avons rien à faire par quoi nous puissions plaire à Dieu. Il n'est qu'une façon de plaire à Dieu : c'est d'être ce que nous sommes dans son regard, que dévoile Jésus. Il n’y a pas lieu de lui manifester combien on lui serait utile. Il s’agit de l'écouter et de découvrir la parole et le regard par lesquels seuls on est mis en valeur, par lesquels on est libre. C'est là que se découvre qui l’on est et donc ce que Dieu attend de nous.
Serviteur de tous
La deuxième proposition du traité De la liberté chrétienne de Martin Luther concerne l'usage de cette liberté qui est de se savoir reconnu dans sa dignité par le regard que Dieu nous adresse dans le Christ ; liberté d'autant plus ferme qu'il n'y a donc jamais à la prouver ou à l’acheter. Impossible de toute façon de prouver un état qui vient d'un regard invisible, du regard du Ressuscité, d’une promesse qu’il s’agit de croire.
Seul le regard de Dieu, la promesse de sa parole, nous établi en une telle dignité : nous n'en pouvons exprimer aucune preuve, et n'avons donc rien à prouver. C’est la liberté du serviteur inutile. Nous n'avons qu'à vivre la liberté qui nous est ainsi octroyée. Et selon la deuxième proposition de Martin Luther, sur le mode qui veut que « le chrétien est assujetti à tous ». Nous voici en pleine contradiction, apparemment : la liberté qui se traduit en service ! Mais encore faut-il définir comment.
En fait, Jésus lui-même n’est-il pas l'homme le plus libre, l'homme libre par excellence. Or voici qu'il a pris la condition d'esclave (Ph 2:7), d'où il reçoit la Royauté éternelle (Ph 2:9-11).
Cette royauté, il l'obtient sur ses sujets pour les avoir élevés en dignité : il n'est pas le Roi des zombies, mais des êtres libres. Et cette liberté, il la leur a acquise précisément en se faisant leur serviteur. Il n'est pas d'autre façon de leur révéler leur dignité. Jésus révèle à chacun qu'il est digne d'être regardé autrement que comme un objet provisoire. Ce regard de Jésus n'est autre que le regard d'un serviteur. Plutôt que mépris, il est expression de respect pour une dignité éternelle.
Mais quelle liberté ne faut-il pas pour porter sur autrui un tel regard ! Quiconque n'est pas libre intérieurement ne saurait avoir le pouvoir de porter ce regard-là. Celui qui n’a pas appris à s’apaiser dans la présence de Dieu, celui qui donc demeure d’une façon ou d’une autre un agité, et qui ne se veut certes pas serviteur inutile — c’est-à-dire, autre traduction, serviteur quelconque, ou pas indispensable —, celui-là a le regard du mépris sur celui qui ne l’imite pas, jugé inférieur, et le regard du mendiant, le regard de l’envie, sur celui qu'il juge plus brillant.
Et au bout du compte, on découvre que la vraie liberté, et le pouvoir de porter le regard qui libère, seul Jésus les connaît pleinement. Et savoir cela est source d’une grande liberté. Rien à prouver, pas même à prouver qu’on est libéré, savoir simplement que l’on est des serviteurs inutiles — c’est-à-dire quelconques,… Et tout va bien !
C'est ce que Jésus nous apprend au travers de l'Evangile. Servir Dieu est ainsi autre chose que s’agiter, selon ce que l'on déciderait soi-même, en fonction d’idées fausses concernant qui il est et qui nous sommes.
Ce dont il s’agit, c’est de découvrir à l’écoute de Jésus ce que Dieu attend nous, et d’abord savoir qu’il nous renvoie libres, pour un service qui sera ce qu’il sera. En dehors de cela, quoi que nous fassions, quelque agitation qui nous remue, ne fait, au mieux,… que nous remuer, précisément.
L'obéissance ne consiste pas à faire pour faire — mais d’abord à écouter, à découvrir dans le calme ce que à quoi nous sommes appelés, sous peine de faire peut-être des choses utiles, apparemment, mais qu'un autre fera mieux, parce que c'est la tâche qui lui a été dévolue, parce qu'il connaît mieux le problème, etc. Sous peine aussi, plus grave, de faire éventuellement des dégâts.
Il nous est demandé de nous considérer comme des serviteurs inutiles ? C’est que le péché est aussi ce que nous commettons en nous agitant sans qu'on nous l'ait demandé. Et si cette agitation dont nous nous octroyons la responsabilité ne nous a pas été demandée, c'est peut-être aussi pour cela. Que de dégâts peut-on faire en faisant ce que Dieu ne nous demande pas — et toujours, c'est le comble, avec illusion de bonne conscience, puisqu'il est toujours bien vu de s'agiter dans le travail.
Nous ne sommes vraiment nous-mêmes que face à Dieu. Et dans son regard seul, ce regard que nous porte Jésus, nous savons ce que Dieu attend de nous.
Il est certaines choses, auxquelles nous sommes appelés, et qui ne sont peut-être pas celles pour lesquelles on croit bon, non seulement de s’agiter, mais aussi, pour ajouter à une supposée bonne conscience, de critiquer ceux qui ne font pas de même. Ces véritables choses qui nous sont demandées, nous sont dévoilées à travers notre écoute de ce qu'enseigne l'Evangile. A nous de nous mettre à son écoute et de le découvrir.
C'est en sa liberté intérieure, établie sur le regard dont il sait par le Christ que Dieu le porte sur lui, que le chrétien/ne, serviteur inutile, fonde son pouvoir de servir autrui, en considérant en son prochain sa dignité d'être semblable au Christ qui le libère : « si le Fils vous rend libres, vous serez réellement libres » (Jean 8, 36).
Ha 2:1-4
1 J’étais à mon poste, Et je me tenais sur la tour ; Je veillais, pour voir ce que l’Eternel me dirait, Et ce que je répliquerais après ma plainte.
2 L’Eternel m’adressa la parole, et il dit : Ecris la prophétie : Grave-la sur des tables, Afin qu’on la lise couramment.
3 Car c’est une prophétie dont le temps est déjà fixé, Elle marche vers son terme, et elle ne mentira pas ; Si elle tarde, attends-la, Car elle s’accomplira, elle s’accomplira certainement.
4 Voici, son âme s’est enflée, elle n’est pas droite en lui ; Mais le juste vivra par sa foi.
Luc 17:5-10
5 Les apôtres dirent au Seigneur : Augmente-nous la foi.
6 Et le Seigneur dit : Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à ce sycomore: Déracine-toi, et plante-toi dans la mer ; et il vous obéirait.
7 Qui de vous, ayant un serviteur qui laboure ou paît les troupeaux, lui dira, quand il revient des champs : Approche vite, et mets-toi à table ?
8 Ne lui dira-t-il pas au contraire: Prépare-moi à souper, ceins-toi, et sers-moi, jusqu’à ce que j’aie mangé et bu ; après cela, toi, tu mangeras et boiras ?
9 Doit-il de la reconnaissance à ce serviteur parce qu’il a fait ce qui lui était ordonné ?
10 Vous de même, quand vous avez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire.
*
Habacuc 2, 4 & Luc 17, 10 ramassent on ne peut mieux les deux volets du Traité de la liberté chrétienne de Martin Luther ! Voilà tout un programme, qui nous est donné dans les textes de ce jour, utile à l’heure où nous nous apprêtons à l’union avec les luthériens…
Habacuc 2:4 est un des textes fondateurs de ce cœur de la Réforme : la justification par la foi. Parole de liberté qui fondait la fermeté qui a pu conduire les pasteurs emprisonnés ici, sur cette île Sainte-Marguerite pour leur foi.
La justification par le foi, à savoir le don par lequel la vie chrétienne est tout d’abord gratuité, celle de la liberté chrétienne, une vie de liberté pour des serviteurs inutiles — où l’on rejoint notre second texte, Luc 17, et notamment le v. 10. Habacuc 2, 4 « Le juste vivra par sa foi » — Luc 17, 10 « Nous sommes des serviteurs / ou esclaves inutiles ».
Si la foi chrétienne est liberté, la vie chrétienne doit consister à vivre la liberté. Mais immédiatement un accroc : n'est-ce pas là jolie théorie, pour ne pas dire propagande ? Façon de se payer de mots — et, ô comble ! du mot de liberté !? Alors « augmente-nous la foi », demandent les disciples.
« Augmente-nous la foi ». C’est où il faut ne pas négliger ce fondement de la vie chrétienne : la parole que Dieu nous adresse, cette parole que nous atteste le Christ, le regard que nous en recevons, est ce par quoi il nous établit en dignité et nous libère. Et cette parole qui nous renvoie libres est chargée de conséquences : l'Esprit qui la porte, l’Esprit par lequel, serviteurs inutiles, nous vivons de la foi seule, cet Esprit de liberté nous fait à notre tour libérateurs, porteurs comme serviteurs inutiles, de ce même regard qui ne condamne pas.
Libres à l’égard de tous
Serviteurs inutiles vivant de leur seule foi. C’est là le cœur de la Réforme. C’est là être protestant, au fond. Martin Luther développait son traité De la liberté chrétienne, central pour la Réforme, selon deux volets, donc. Le premier est : « le chrétien, la chrétienne est la personne la plus libre, qui n’est assujettie à aucun ». Le second : « le chrétien, la chrétienne est la personne la plus humble, assujettie à tous ».
Voyons d’abord le premier aspect : « l’être le plus libre ». Quel programme ! Or, justement, qui que nous soyons, chrétiens ou pas ; à regarder de près, nous semblons... survivre sur le mode de la servitude. Soucieux forcément, de nous préserver, préserver nos acquis, notre avenir dans le temps. Que ces acquis soient financiers, immobiliers, ou autres de ce genre... que sais-je encore ? (Et le texte de ce jour est le 3e d’une série invitant à ce pas servir Mammon / l’argent.)… Mais ça vaut pour des acquis religieux, ou notre bonne renommée — le fait qu’on nous remarque, voire jusqu’à nos titres, fussent-ils titres religieux.
En résumé, car tout cela se retrouve là, nous veillons à préserver ou à développer l'acquis qui nous assure, dont l’acquis de notre réputation, déjà assurée, « l’âme enflée » dit Habacuc — ou à faire : qu’est ce que je pèse aux yeux d’autrui, du monde, que peut-on penser de moi ? Qu’est-ce que Dieu lui-même peut penser de moi ? Suis-je un serviteur suffisamment efficace ?
Cette façon de connaître la servitude — avant d’en être libéré — peut s'illustrer par les exemples des personnages que côtoie Jésus… Des esclaves au sens propre, certes, il y en a en son temps, toujours soucieux de prouver leur utilité pour n’être pas châtiés. Mais il y en a d’autres aussi, en proie à d’autres esclavages… Exemples de vraies victimes du « qu'en dira-t-on » — ou de la mauvaise conscience, — parmi ceux de ses contemporains auxquels Jésus s'adresse. Étrangers à la liberté.
Que ce soit les collecteurs d’impôts que côtoie Jésus, dépendant de leurs maîtres romains, les prostituées dépendant de l’appréciation de leurs services ou de leurs charmes... Ou le jeune homme riche, esclave de son avoir, possédé de ses possessions... Ou d’autres personnages encore.
Tous à côté de la vérité clamée antan par le prophète Habacuc, alors que la justice, la vérité, semblent demeurer inaccessibles, enfouies sous l’injustice et le mensonge de l’âme enflée : « le juste vivra par la foi » clamait Habacuc. Telle est la promesse.
Cette vérité, celle de la maison du Père, source intérieure de toute liberté, est celle que Jésus, qui demeure toujours dans la maison du Père, nous révèle : « si le Fils vous rend libres, vous serez réellement libres » (Jean 8:36).
*
Aussi, Jésus attend de nous que nous nous l'écoutions, tout simplement, que nous entendions cette parole qui libère, que nous recevions le regard qu’elle porte et qui établit en dignité sans rien avoir à prouver. C'est là que se dévoile Dieu, et que nous nous découvrons nous-mêmes en recevant la liberté de la foi seule en cette promesse, accomplie entièrement dans la parole de notre dignité. C'est là que se découvre que nous n'avons rien à faire par quoi nous puissions plaire à Dieu. Il n'est qu'une façon de plaire à Dieu : c'est d'être ce que nous sommes dans son regard, que dévoile Jésus. Il n’y a pas lieu de lui manifester combien on lui serait utile. Il s’agit de l'écouter et de découvrir la parole et le regard par lesquels seuls on est mis en valeur, par lesquels on est libre. C'est là que se découvre qui l’on est et donc ce que Dieu attend de nous.
Serviteur de tous
La deuxième proposition du traité De la liberté chrétienne de Martin Luther concerne l'usage de cette liberté qui est de se savoir reconnu dans sa dignité par le regard que Dieu nous adresse dans le Christ ; liberté d'autant plus ferme qu'il n'y a donc jamais à la prouver ou à l’acheter. Impossible de toute façon de prouver un état qui vient d'un regard invisible, du regard du Ressuscité, d’une promesse qu’il s’agit de croire.
Seul le regard de Dieu, la promesse de sa parole, nous établi en une telle dignité : nous n'en pouvons exprimer aucune preuve, et n'avons donc rien à prouver. C’est la liberté du serviteur inutile. Nous n'avons qu'à vivre la liberté qui nous est ainsi octroyée. Et selon la deuxième proposition de Martin Luther, sur le mode qui veut que « le chrétien est assujetti à tous ». Nous voici en pleine contradiction, apparemment : la liberté qui se traduit en service ! Mais encore faut-il définir comment.
En fait, Jésus lui-même n’est-il pas l'homme le plus libre, l'homme libre par excellence. Or voici qu'il a pris la condition d'esclave (Ph 2:7), d'où il reçoit la Royauté éternelle (Ph 2:9-11).
Cette royauté, il l'obtient sur ses sujets pour les avoir élevés en dignité : il n'est pas le Roi des zombies, mais des êtres libres. Et cette liberté, il la leur a acquise précisément en se faisant leur serviteur. Il n'est pas d'autre façon de leur révéler leur dignité. Jésus révèle à chacun qu'il est digne d'être regardé autrement que comme un objet provisoire. Ce regard de Jésus n'est autre que le regard d'un serviteur. Plutôt que mépris, il est expression de respect pour une dignité éternelle.
Mais quelle liberté ne faut-il pas pour porter sur autrui un tel regard ! Quiconque n'est pas libre intérieurement ne saurait avoir le pouvoir de porter ce regard-là. Celui qui n’a pas appris à s’apaiser dans la présence de Dieu, celui qui donc demeure d’une façon ou d’une autre un agité, et qui ne se veut certes pas serviteur inutile — c’est-à-dire, autre traduction, serviteur quelconque, ou pas indispensable —, celui-là a le regard du mépris sur celui qui ne l’imite pas, jugé inférieur, et le regard du mendiant, le regard de l’envie, sur celui qu'il juge plus brillant.
Et au bout du compte, on découvre que la vraie liberté, et le pouvoir de porter le regard qui libère, seul Jésus les connaît pleinement. Et savoir cela est source d’une grande liberté. Rien à prouver, pas même à prouver qu’on est libéré, savoir simplement que l’on est des serviteurs inutiles — c’est-à-dire quelconques,… Et tout va bien !
C'est ce que Jésus nous apprend au travers de l'Evangile. Servir Dieu est ainsi autre chose que s’agiter, selon ce que l'on déciderait soi-même, en fonction d’idées fausses concernant qui il est et qui nous sommes.
Ce dont il s’agit, c’est de découvrir à l’écoute de Jésus ce que Dieu attend nous, et d’abord savoir qu’il nous renvoie libres, pour un service qui sera ce qu’il sera. En dehors de cela, quoi que nous fassions, quelque agitation qui nous remue, ne fait, au mieux,… que nous remuer, précisément.
L'obéissance ne consiste pas à faire pour faire — mais d’abord à écouter, à découvrir dans le calme ce que à quoi nous sommes appelés, sous peine de faire peut-être des choses utiles, apparemment, mais qu'un autre fera mieux, parce que c'est la tâche qui lui a été dévolue, parce qu'il connaît mieux le problème, etc. Sous peine aussi, plus grave, de faire éventuellement des dégâts.
Il nous est demandé de nous considérer comme des serviteurs inutiles ? C’est que le péché est aussi ce que nous commettons en nous agitant sans qu'on nous l'ait demandé. Et si cette agitation dont nous nous octroyons la responsabilité ne nous a pas été demandée, c'est peut-être aussi pour cela. Que de dégâts peut-on faire en faisant ce que Dieu ne nous demande pas — et toujours, c'est le comble, avec illusion de bonne conscience, puisqu'il est toujours bien vu de s'agiter dans le travail.
Nous ne sommes vraiment nous-mêmes que face à Dieu. Et dans son regard seul, ce regard que nous porte Jésus, nous savons ce que Dieu attend de nous.
Il est certaines choses, auxquelles nous sommes appelés, et qui ne sont peut-être pas celles pour lesquelles on croit bon, non seulement de s’agiter, mais aussi, pour ajouter à une supposée bonne conscience, de critiquer ceux qui ne font pas de même. Ces véritables choses qui nous sont demandées, nous sont dévoilées à travers notre écoute de ce qu'enseigne l'Evangile. A nous de nous mettre à son écoute et de le découvrir.
C'est en sa liberté intérieure, établie sur le regard dont il sait par le Christ que Dieu le porte sur lui, que le chrétien/ne, serviteur inutile, fonde son pouvoir de servir autrui, en considérant en son prochain sa dignité d'être semblable au Christ qui le libère : « si le Fils vous rend libres, vous serez réellement libres » (Jean 8, 36).
RP
Île Ste Margueritte, rentrée du ‘triangle’, 3.10.10
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