dimanche 9 janvier 2011

"Jésus sortit de l’eau"




Ésaïe 42, 1-7 ; Psaume 29 ; Actes 10, 34-38

Matthieu 3, 13-17
13 Alors paraît Jésus, venu de Galilée jusqu’au Jourdain auprès de Jean, pour se faire baptiser par lui.
14 Jean voulut s’y opposer : "C’est moi, disait-il, qui ai besoin d’être baptisé par toi, et c’est toi qui viens à moi !"
15 Mais Jésus lui répliqua : "Laisse faire maintenant : c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice." Alors, il le laisse faire.
16 Dès qu’il fut baptisé, Jésus sortit de l’eau. Voici que les cieux s’ouvrirent et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui.
17 Et voici qu’une voix venant des cieux disait : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu’il m’a plu de choisir."

*

Le baptême de Jésus… « Baptême », ou immersion, selon le sens littéral du terme. Non pas que le baptême se fasse forcément par une immersion complète — dans l’Eglise primitive, comme en attestent les baptistères qui remontent aux premiers siècles, c’était plutôt une semi-immersion, accompagnée d’une ablution (le mot grec pour dire les ablutions rituelles est le mot baptême, transposition de l’immersion de la branche d’hysope trempée à l’aspersion dont elle est l’instrument) — ; mais bref, c’est bien à une immersion que cela voulait faire allusion.

Le baptême chrétien renvoie en effet au miqvé du judaïsme, bain dans de l’eau vive, bassin non fermé ou rivière. Ici le Jourdain. Le Jourdain, et en arrière-plan la Mer Rouge, renvoient aux grandes traversées historiques des exodes et des retours d’exil — on revenait d’exil en traversant forcément le Jourdain — ; ces exils fruits de catastrophes qui ont marqué les mémoires en Israël.

Où on a aussi une allusion au déluge ! — et par-delà le déluge aux eaux primordiales de la Genèse, lieu du chaos, dont les exils réactivaient la mémoire, et forgeaient l’attente d’une naissance nouvelle dans un nouvel Exode.

Dans tous les cas : l’exil, le déluge ou les eaux primordiales, on a le vis-à-vis de l’Esprit, comme la touche d’espérance, qui planait au-dessus des eaux dans un cas, reconnu dans la présence de la colombe dans le second cas, au déluge, donc. On se souvient du retour de la colombe qui annonce la fin de la catastrophe. « Jésus sortit de l’eau. Voici que les cieux s’ouvrirent et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. » (v. 16)

Où le baptême de Jésus renvoie à quelque chose de profondément inscrit dans nos angoisses. Référence archaïque sans doute, cette dimension enfouie d’un sens du chaos signifié par le déluge n’est sans doute pas sans rapport avec la valeur symbolique du baptême, et donc du baptême de Jésus. Jésus est descendu, au cœur du chaos, au cœur du déluge — c’est aussi ce que nous dit son baptême, mais pour nous en faire remonter, pour donner un sens à tout ce qui ne semble que chaos, un sens porté par l’Esprit de Dieu, le souffle de Dieu.

Une descente aux enfers, annoncée à son baptême, qui est le trajet qui sera celui de son ministère, et qui débouche de la sorte — 1 Pierre 3, 18-21 — :
18 Le Christ lui-même a souffert pour les péchés, une fois pour toutes, lui juste pour les injustes, afin de vous présenter à Dieu, lui mis à mort en sa chair, mais rendu à la vie par l’Esprit.
19 C’est alors qu’il est allé prêcher même aux esprits en prison,
20 aux rebelles d’autrefois, quand se prolongeait la patience de Dieu aux jours où Noé construisait l’arche, dans laquelle peu de gens, huit personnes, furent sauvés par l’eau.
21 C’était l’image du baptême qui vous sauve maintenant.

Le rapport entre baptême et déluge, autour de la plongée du Christ dans notre chaos, se précise bien. C’est sans doute tout le sens de la descente aux enfers de ce passage de 1 Pierre, qu’un Calvin considère comme concernant essentiellement l’agonie à Gethsémané — à ne pas confondre avec la descente « au séjour des morts » du credo si on devait y entendre « l’enfer ».

Cela dit, la mort du Christ est bien un élément de sa plongée dans notre chaos, notre enfer d’ici-bas, annoncé à son baptême.

Voilà qui donne aussi toute une signification à la remarque de Jean choqué par ce baptême — une signification portée par la réponse de Jésus : « Laisse faire maintenant : c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice. »

Le Christ plongeant au plus bas de l’humanité, là où la présence Dieu ne peut se signifier que par le repentir, est le signe de l’accomplissement de la justice, marqué par la présence de cet autre signe la colombe, rappel de la fin du déluge, et signe de l’Esprit de Dieu qui va donner forme au chaos. Le baptême dit aussi cela, et nous conduit donc a une parole terrible sur nous-mêmes, nous-mêmes, humanité.

Voilà qui nous conduit très loin dans le tragique de notre condition — pour nous en faire enfin sortir : c’est la bonne nouvelle que porte pour nous Jésus à son baptême. Mais en vis-à-vis de cela, en deçà de cela, nous sommes renvoyés à la parole la plus terrible prononcée par la Bible à propos de l’humanité : Genèse 6, 6 : « le SEIGNEUR se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre. » Parole qui précède et origine le déluge.

Dieu « se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre » ! Dieu ne s’est pas repenti d’avoir fait les cafards, les crocodiles, les requins et autres animaux, mais l’homme ! — Un repentir tel que donc il débouche sur l’engloutissement du déluge !

Parole terrible quand on sait que si un tel déluge, selon la promesse et le signe de l’arc-en-ciel, ne se reproduira pas, on assiste, et de nos jours en direct, à des catastrophes qui ne sont pas loin d’y ressembler. Où l’on trouve peut-être les protestations de Job ! — auquel Dieu répond, justement, qu’il a aussi créé les monstres et autres crocodiles.

Quant à l’homme, il aurait peut-être fallu y penser avant, plutôt que de se repentir après, semble dire Job, et avec lui Jérémie, et pas mal d’autres dans l’histoire : il aurait mieux valu que je ne naisse pas ! — disent-ils ! Parole insensée, parole de révolté !

Parole de sagesse aussi, selon l’Ecclésiaste : « L’avorton, celui qui n’a pas vu le jour, vaut mieux que celui qui ne se rassasie pas de bonheur » (Ecclésiaste 6:3), mais qui à la place ne voit que le malheur qui se vit sous le soleil !

Eh bien c’est au cœur de ce chaos-là, au cœur de ce drame, que Jésus nous rejoint par son baptême, début d’un ministère qui à vue humaine laisse à se demander si la vie de cet homme, Jésus, valait bien d’être vécue ! — pour se terminer comme elle s’est terminée. « Jésus sortit de l’eau » annonce alors l’évangile !

En écho : « Choisis la vie » a ordonné la Torah ! « Choisis la vie » ! Eh bien : c’est cette parole qu’est venu sceller Jésus au baptême, tout simplement : « Jésus sortit de l’eau ».

C’est ce que confirme la présence de l’Esprit qui va mener en lui toute chose à sa fin, au projet caché de Dieu, dont on sait à présent, dont on a su, qu’il débouchait sur la résurrection proclamée au dimanche de Pâques.

Telle est la parole qui nous est confiée depuis les cieux ouverts au baptême de Jésus : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu’il m’a plu de choisir." Une parole qui nous rejoint au cœur de nos détresses, de nos engloutissements dans le non-sens et le chaos, pour donner cette orientation qui dit que cela vaut encore, quand même et malgré tout, la peine.

« Choisis la vie », comme un acte de foi, que l’on peut encore poser : « Mais le juste vivra par sa foi » (Hab 2, 4) — malgré tout : « c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice. » — « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu’il m’a plu de choisir. » Voilà qui donne tout son sens à la foi dont vit le juste. Alors aujourd’hui encore : « Choisis la vie, afin que tu vives ».

R.P.
Vence, 9.01.11


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