Actes 4, 32-35 ; Psaume 118, 17-23 ; 1 Jean 5, 1-6 ; Jean 20, 19-31
Jean 20, 19-31
On est au jour de la résurrection du Christ, et les disciples restent dans la crainte… Ils maintiennent « verrouillées les portes de la maison où ils se trouvaient » — tentant de se fondre avec le décor, de se confondre avec les murs derrière lesquels ils se cachent.
Puis ils vont passer de la crainte à la libération ; c’est-à-dire : à la mission, à l’envoi. « La paix soit avec vous, leur a dit Jésus. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie. » — Et il souffle sur eux. Souffle de l’Esprit… « Recevez l’Esprit Saint » : et déliez ceux qui sont liés. Tel est l’envoi.
Ici s’ouvre la porte de la liberté à laquelle nous sommes invités à notre tour. Une liberté qui est une question de pardon — le pardon qui libère : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis » (plutôt que « ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus », comme si les Apôtres avaient pour mission de retenir captifs de leurs péchés certains de ceux à qui ils sont envoyés !). La libération est — si l’on veut — en deux volets : pardon du péché, de tout ce qui rend captif, et soumission du péché qui rend captif, pour une libération totale, victoire sur tous les esclavages. Comme mort au péché à la croix et résurrection à la vie nouvelle.
Voilà les Apôtres envoyés pour communiquer pleinement la libération que par sa résurrection, Jésus vient de leur octroyer dans le don de l’Esprit saint. Ils sont envoyés pour la communiquer abondamment : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. » Et mieux : « Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis. »
Telle est la parole de liberté — parole de pardon qui met fin à la crainte et nous envoie avec la paix de Dieu — qui nous est donnée dans ce souffle de l’Esprit saint. « La paix soit avec vous. » Malgré la crainte et le refus qu’elle porte, crainte que Jésus doit encore et encore apaiser : « La paix soit avec vous. » — Trois fois…
C’est alors la parole de libération elle-même, donnée aux Apôtres pour être portée par eux, qui fonde la légitimité de leur ministère : car quel que soit le ministère, on ne s’auto-proclame pas envoyé… Ni au sens propre, apôtre, ni pour une autre tâche.
C’est au point que ce qui qualifie un ministre, semble être avant tout son refus ! En tout cas, pour Thomas, une semaine après, dans la suite du texte, Thomas qui refuse la parole dont il sait qu’elle va le sortir des murs qui le protègent.
Ce qui qualifie pour un ministère aurait donc un rapport avec son refus… J’allais dire : hélas — tant je me sens visé, je dois l’avouer. Si ça dépendait de moi, vous ne me verriez pas en chaire, tant il m’a en fallu pour cesser de regimber contre les aiguillons — si tant est que j’aie cessé ! Refus, peur, sentiment d’incapacité, que sais-je ?
Ce qui me rassure, c’est que ce refus valait déjà pour Moïse, qui demandait que l’on envoie quelqu’un d’autre, cela vaut pour les Apôtres — on pourrait parler de Pierre par exemple, disqualifié à nos yeux par son reniement ; et c’est cela qui le qualifie aux yeux de Dieu. Cela vaut particulièrement aujourd’hui pour Thomas, qui refuse carrément de croire ce qu’il est envoyé annoncer par l’appel de Jésus qui en a fait son Apôtre.
Thomas, Didyme, c’est-à-dire « Jumeau » — en araméen (Thomas) et en grec (Didyme) —, est devenu parmi les douze ce témoin pour les Grecs, pour les non-juifs qui n’ont pas la culture de l’adhésion à la parole du croire sur parole de Dieu. Thomas par son refus, deviendra comme malgré lui, le pont entre la parole de la foi et le monde grec, qui n’a pas cette culture.
L’absence du corps au tombeau vide, est alors un signe de la résurrection de Jésus.
Dieu n’ayant pas besoin d’une dépouille pour le relèvement d’entre les morts, l’absence du corps est un signe pour les femmes du dimanche de Pâques, et par elles, pour nous. Comme le toucher de Thomas en est un autre pour lui, et par lui, pour nous. Pour que Thomas croie, non pas ce qu’il voit, mais parce qu’il voit — et après lui, nous. Cela va bouleverser l’histoire du monde…
Comme lors du don des Dix paroles au Sinaï, le peuple a vu les voix… Exode 20, 18 : « Tout le peuple voit les voix… » et il croit ce qui Dieu dit. Il ne croit pas ce qu’il voit, mais parce qu’il voit.
Voilà donc un classique en Israël, et dont Thomas va être le témoin auprès des Grecs. Le voilà rendu à la fois juif et grec — jumeau, à la fois Thomas et Didyme. Et c’est là sa mission, qui se fonde sur ce qu’il a vu les voix, non pas pour croire ce qu’il voit et touche, mais parce qu’il voit ce qu’il a voulu toucher. Et c’est là sa mission, c’est là le refus initial qui fonde sa mission — sa marque, comme Jésus porte les marques des clous. « Avance ton doigt ici et regarde mes mains ; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d’être incrédule et deviens un homme de foi. » Et avant même de toucher, Thomas lui répond : « Mon Seigneur et mon Dieu. » (Jean 20, 27-28)
Étrange invite que cette invite de Jésus… Scandale pour la raison que cette résurrection de la chair que Jésus signe ici dans son corps ressuscité : « un esprit n’a ni chair ni os » (Luc 24, 39). Scandale pour la raison. D’où la tentation de « spiritualiser » tout cela… et de professer la résurrection, mais pas vraiment « de la chair » !
C’est contre cela que Jésus invite Thomas à toucher ses plaies. Et par son intermédiaire, nous tous : heureux ceux qui n’ont pas vu comme Thomas, et qui ont cru, pourtant. Car, quel est l’enjeu ? L’enjeu est rien moins que le sens — éternel ! — de notre vie.
Notre vie ne se réalise, ne se concrétise, que dans notre histoire, dans nos rencontres, dans la trivialité du quotidien, bref, dans la chair ! Et c’est cela qui est racheté, radicalement et éternellement racheté au dimanche de Pâques. Le rachat dont il est question n’est pas l’accès à un statut d’esprit évanescent. C’est bien tout ce qui constitue notre être, notre histoire, l’expérience de nos rencontres et donc de nos sens, de notre chair, qui est racheté.
Notre histoire qui a fait de nous, qui fait de nous, qui fera de nous, ce que nous sommes, cette réalité de nos vies uniques devant Dieu.
C’est l’extraordinaire nouvelle qui nous est donnée par le Ressuscité : lui aussi, Fils éternel de Dieu, advient à l’éternité qui est la sienne par le chemin de son histoire dans la chair : ses plaies elles-mêmes, qui ont marqué sa chair, sont constitutives de son être !
… Signe que tous nos instants, ceux de Thomas, des Apôtres, les nôtres, chacun de nos moments uniques dans l’éternité, est porteur de notre propre vocation à l’éternité !
Monde nouveau, inaccessible, inconnu, dont est porteur le Christ, venu à notre rencontre, est à même donc, de tout bouleverser. Et ça, comme pour les femmes venues au tombeau, c'est un peu… effrayant.
Car qui sait où cela va mener ? Car on sait où cela a mené les disciples qui au départ n'en demandaient pas tant — et qui refusent ce qu’ils pressentent, qui restent derrières leurs portes verrouillées.
Thomas sait bien cela : il y a quelque chose derrière ces plaies. Thomas n'a pas cru ce qu'il a vu, il a cru parce qu'il a vu, et désormais, quoique cela coûte. « Mon Seigneur et mon Dieu », a-t-il dit, dans l'adoration…
Que la foi de saint Thomas soit la nôtre ce matin, qui nous permette de voir la voix de Dieu lui-même qui parle à nos cœurs cette parole portée par son Esprit : Jésus-Christ.
Et forts de la liberté qui est dans le don de cette parole et de ce souffle, d’aller comme envoyés de Dieu porter au monde cette libération. « La paix soit avec vous. »
Jean 20, 19-31
19 Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Judéens, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d'eux et il leur dit: "La paix soit avec vous."
20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie.
21 Alors, à nouveau, Jésus leur dit: "La paix soit avec vous. Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie."
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit: "Recevez l'Esprit Saint;
23 ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis."
24 Cependant Thomas, l'un des Douze, celui qu'on appelle Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint.
25 Les autres disciples lui dirent donc: "Nous avons vu le Seigneur!" Mais il leur répondit : "Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n'enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n'enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas !"
26 Or huit jours plus tard, les disciples étaient à nouveau réunis dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vint, toutes portes verrouillées, il se tint au milieu d'eux et leur dit: "La paix soit avec vous."
27 Ensuite il dit à Thomas: "Avance ton doigt ici et regarde mes mains; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d'être incrédule et deviens un homme de foi."
28 Thomas lui répondit : "Mon Seigneur et mon Dieu."
29 Jésus lui dit: "Parce que tu m’as vu, tu as cru; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru."
30 Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d’autres signes qui ne sont pas rapportés dans ce livre.
31 Ceux-ci l’ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom.
*
On est au jour de la résurrection du Christ, et les disciples restent dans la crainte… Ils maintiennent « verrouillées les portes de la maison où ils se trouvaient » — tentant de se fondre avec le décor, de se confondre avec les murs derrière lesquels ils se cachent.
Puis ils vont passer de la crainte à la libération ; c’est-à-dire : à la mission, à l’envoi. « La paix soit avec vous, leur a dit Jésus. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie. » — Et il souffle sur eux. Souffle de l’Esprit… « Recevez l’Esprit Saint » : et déliez ceux qui sont liés. Tel est l’envoi.
Ici s’ouvre la porte de la liberté à laquelle nous sommes invités à notre tour. Une liberté qui est une question de pardon — le pardon qui libère : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis » (plutôt que « ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus », comme si les Apôtres avaient pour mission de retenir captifs de leurs péchés certains de ceux à qui ils sont envoyés !). La libération est — si l’on veut — en deux volets : pardon du péché, de tout ce qui rend captif, et soumission du péché qui rend captif, pour une libération totale, victoire sur tous les esclavages. Comme mort au péché à la croix et résurrection à la vie nouvelle.
Voilà les Apôtres envoyés pour communiquer pleinement la libération que par sa résurrection, Jésus vient de leur octroyer dans le don de l’Esprit saint. Ils sont envoyés pour la communiquer abondamment : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. » Et mieux : « Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis. »
Telle est la parole de liberté — parole de pardon qui met fin à la crainte et nous envoie avec la paix de Dieu — qui nous est donnée dans ce souffle de l’Esprit saint. « La paix soit avec vous. » Malgré la crainte et le refus qu’elle porte, crainte que Jésus doit encore et encore apaiser : « La paix soit avec vous. » — Trois fois…
C’est alors la parole de libération elle-même, donnée aux Apôtres pour être portée par eux, qui fonde la légitimité de leur ministère : car quel que soit le ministère, on ne s’auto-proclame pas envoyé… Ni au sens propre, apôtre, ni pour une autre tâche.
C’est au point que ce qui qualifie un ministre, semble être avant tout son refus ! En tout cas, pour Thomas, une semaine après, dans la suite du texte, Thomas qui refuse la parole dont il sait qu’elle va le sortir des murs qui le protègent.
Ce qui qualifie pour un ministère aurait donc un rapport avec son refus… J’allais dire : hélas — tant je me sens visé, je dois l’avouer. Si ça dépendait de moi, vous ne me verriez pas en chaire, tant il m’a en fallu pour cesser de regimber contre les aiguillons — si tant est que j’aie cessé ! Refus, peur, sentiment d’incapacité, que sais-je ?
Ce qui me rassure, c’est que ce refus valait déjà pour Moïse, qui demandait que l’on envoie quelqu’un d’autre, cela vaut pour les Apôtres — on pourrait parler de Pierre par exemple, disqualifié à nos yeux par son reniement ; et c’est cela qui le qualifie aux yeux de Dieu. Cela vaut particulièrement aujourd’hui pour Thomas, qui refuse carrément de croire ce qu’il est envoyé annoncer par l’appel de Jésus qui en a fait son Apôtre.
Thomas, Didyme, c’est-à-dire « Jumeau » — en araméen (Thomas) et en grec (Didyme) —, est devenu parmi les douze ce témoin pour les Grecs, pour les non-juifs qui n’ont pas la culture de l’adhésion à la parole du croire sur parole de Dieu. Thomas par son refus, deviendra comme malgré lui, le pont entre la parole de la foi et le monde grec, qui n’a pas cette culture.
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L’absence du corps au tombeau vide, est alors un signe de la résurrection de Jésus.
Dieu n’ayant pas besoin d’une dépouille pour le relèvement d’entre les morts, l’absence du corps est un signe pour les femmes du dimanche de Pâques, et par elles, pour nous. Comme le toucher de Thomas en est un autre pour lui, et par lui, pour nous. Pour que Thomas croie, non pas ce qu’il voit, mais parce qu’il voit — et après lui, nous. Cela va bouleverser l’histoire du monde…
Comme lors du don des Dix paroles au Sinaï, le peuple a vu les voix… Exode 20, 18 : « Tout le peuple voit les voix… » et il croit ce qui Dieu dit. Il ne croit pas ce qu’il voit, mais parce qu’il voit.
Voilà donc un classique en Israël, et dont Thomas va être le témoin auprès des Grecs. Le voilà rendu à la fois juif et grec — jumeau, à la fois Thomas et Didyme. Et c’est là sa mission, qui se fonde sur ce qu’il a vu les voix, non pas pour croire ce qu’il voit et touche, mais parce qu’il voit ce qu’il a voulu toucher. Et c’est là sa mission, c’est là le refus initial qui fonde sa mission — sa marque, comme Jésus porte les marques des clous. « Avance ton doigt ici et regarde mes mains ; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d’être incrédule et deviens un homme de foi. » Et avant même de toucher, Thomas lui répond : « Mon Seigneur et mon Dieu. » (Jean 20, 27-28)
Étrange invite que cette invite de Jésus… Scandale pour la raison que cette résurrection de la chair que Jésus signe ici dans son corps ressuscité : « un esprit n’a ni chair ni os » (Luc 24, 39). Scandale pour la raison. D’où la tentation de « spiritualiser » tout cela… et de professer la résurrection, mais pas vraiment « de la chair » !
C’est contre cela que Jésus invite Thomas à toucher ses plaies. Et par son intermédiaire, nous tous : heureux ceux qui n’ont pas vu comme Thomas, et qui ont cru, pourtant. Car, quel est l’enjeu ? L’enjeu est rien moins que le sens — éternel ! — de notre vie.
Notre vie ne se réalise, ne se concrétise, que dans notre histoire, dans nos rencontres, dans la trivialité du quotidien, bref, dans la chair ! Et c’est cela qui est racheté, radicalement et éternellement racheté au dimanche de Pâques. Le rachat dont il est question n’est pas l’accès à un statut d’esprit évanescent. C’est bien tout ce qui constitue notre être, notre histoire, l’expérience de nos rencontres et donc de nos sens, de notre chair, qui est racheté.
Notre histoire qui a fait de nous, qui fait de nous, qui fera de nous, ce que nous sommes, cette réalité de nos vies uniques devant Dieu.
C’est l’extraordinaire nouvelle qui nous est donnée par le Ressuscité : lui aussi, Fils éternel de Dieu, advient à l’éternité qui est la sienne par le chemin de son histoire dans la chair : ses plaies elles-mêmes, qui ont marqué sa chair, sont constitutives de son être !
… Signe que tous nos instants, ceux de Thomas, des Apôtres, les nôtres, chacun de nos moments uniques dans l’éternité, est porteur de notre propre vocation à l’éternité !
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Monde nouveau, inaccessible, inconnu, dont est porteur le Christ, venu à notre rencontre, est à même donc, de tout bouleverser. Et ça, comme pour les femmes venues au tombeau, c'est un peu… effrayant.
Car qui sait où cela va mener ? Car on sait où cela a mené les disciples qui au départ n'en demandaient pas tant — et qui refusent ce qu’ils pressentent, qui restent derrières leurs portes verrouillées.
Thomas sait bien cela : il y a quelque chose derrière ces plaies. Thomas n'a pas cru ce qu'il a vu, il a cru parce qu'il a vu, et désormais, quoique cela coûte. « Mon Seigneur et mon Dieu », a-t-il dit, dans l'adoration…
Que la foi de saint Thomas soit la nôtre ce matin, qui nous permette de voir la voix de Dieu lui-même qui parle à nos cœurs cette parole portée par son Esprit : Jésus-Christ.
Et forts de la liberté qui est dans le don de cette parole et de ce souffle, d’aller comme envoyés de Dieu porter au monde cette libération. « La paix soit avec vous. »
R.P.
Vence, 15.04.12
Vence, 15.04.12
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