Reprise des cultes :
— Châtellerault le 14 juin (puis, jusqu'à nouvel ordre, tous les 15 jours) ;
— Poitiers le 21 juin
Méditations quotidiennes ici :
Liturgie et prédication en PDF iciLecture de l’Évangile et prédication (PDF ici) en audio ici :
Deutéronome 8, 1-16 ; Psaume 147 ; 1 Corinthiens 10, 16-17 ; Jean 6, 51-58
Jean 6, 51-58
Propos troublant que le propos de Jésus. On comprend la question qu’il suscite : « comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Au fond que veut dire Jésus ? Cela s’inscrit bien sûr dans le discours donné au lendemain de la multiplication des pains de ce chapitre 6 ; ça en est le point culminant. Notons que les Judéens qui « discutent violemment entre eux » (v. 52) sont disciples de Jésus, comme cela apparaît juste après (v. 60 et 66). À traduire donc par Judéens et non juifs, ce qu'ils sont tous : Jésus et tous ses disciples, qu'ils soient Galiléens ou Judéens, et quelle que soit la réaction à son enseignement de ceux qui sont parmi ses disciples.
Les gens avaient faim. De pain, en premier lieu. Jésus leur a donné du pain. Et ils ont à nouveau faim. Et lorsque Jésus veut les entraîner à la question de la vraie nourriture, ils ont bien compris. Ils ont suivi leur catéchisme. Ah oui, le pain du ciel, quoi ! On connaît : c’est l’histoire de manne et de Moïse dans le désert. Car pour le judaïsme, il est traditionnel, comme pour le christianisme, que la manne, via sa fonction nutritive, signifie la nourriture de la Parole de Dieu.
Accord apparent entre Jésus et ses interlocuteurs, jusqu’à ce que les choses se gâtent. Jusqu’à ce que l’on en vienne au cœur des choses, au moment où l'on bute en se scandalisant — et Jésus ne lésine pas sur les prétextes à scandale : apparemment, il se donne même tort, mettant, pour qui veut s’imaginer qu’il invite au cannibalisme, jusqu’au Lévitique contre lui (17, 10) : tu ne mangeras pas le sang. Tout pour être scandalisé ; en termes outranciers, qui entendent rendre le propos incontournable, Jésus nous renvoie chacun à nous-mêmes. De la manne des Pères aux pains multipliés de la veille, qui n’ont pas rassasié le cœur, un chemin de désert vers la délivrance symbolisé aujourd'hui pour nous par le désert confiné de ces dernières semaines. Chemin au désert, manne et pains multipliés, en route vers le Royaume espéré.
Voilà donc les auditeurs, disciples de Jésus, entre le pain abondant de la veille, dont ils veulent bien à nouveau se rassasier (ils sont revenus le lendemain pour cela) et le pain spirituel qui les renvoie au passé religieux, au temps du désert, au temps glorieux de la religion des ancêtres.
Mais si c’était aujourd’hui qu’ils avaient faim, aujourd’hui que l'on a faim ? Une faim qu’on ignore, une faim que l'on n'a pas conçue. Et qui pourtant tenaille. Telle est la question de ce texte, la question qu’il nous pose aujourd’hui. Oui, nous aussi, nous aimerions bien n’avoir plus le souci du pain du lendemain ; plus le souci financier du lendemain. Et en outre, oui, nous aussi avons suivi le catéchisme et savons qu’il y a une vraie nourriture spirituelle qui a de tout temps fondé Israël et l’Église.
« Oui, tout cela, on est au courant », ont-ils dit. « Mais toi, ont-ils dit aussi, quel signe fais-tu donc, pour que nous voyions et que nous te croyions »? Quelle est ton œuvre »? Au désert, nos pères ont mangé la manne, ainsi qu’il est écrit »: Il leur a donné à manger un pain qui vient du ciel » (v. 30-31). Et si c’était toujours la question » ? Donne-nous un signe…
Mais, me direz-vous, n’est-ce pas à nouveau une histoire de cailles que tout cela ? Les cailles au désert quand le peuple voulait de la viande, viande de cailles que le peuple a reçues jusqu'au dégoût… Faudra-t-il encore du dégoût pour que l’on comprenne ? Si c’est du dégoût qu’il vous faut, vous allez être servis… « Qui mange ma chair et boit mon sang »…
Ils voulaient des signes. Mais n'en ont-ils pas eu, n'en a-t-on pas eu ? Quoique… qu’ont-ils vu, qu’avons-nous vu, me direz-vous ? Qu’est ce que les yeux qui ne sont pas ceux de la foi ont vu d’autre que du passé ? Notre Dieu produit-il autre chose que du passé ? Hier, avec les concombres d’Égypte, la manne, les cailles, hier encore, la veille, avec la multiplication des pains. Hier aussi, nos pères ont été héroïques, ont eu une foi à renverser des montagnes, à faire des miracles…
Oui notre Dieu a produit un passé glorieux. Des Moïse, des Élie. Des prophètes, des Apôtres, des martyrs, des camisards, des résistants… quand tout semblait perdu. Oui notre Dieu est un puissant producteur de passé. Un passé qui nous porte jusqu’à aujourd’hui.
Mais aujourd’hui, quel signe pour que nous croyions ?
Nous sommes renvoyés chacun à nous-mêmes. N’avons-nous pas vu notre désir inassouvi ? Des pains, des concombres, des cailles, qui n'ont pas rassasié nos cœurs. Une histoire héroïque — mais est-elle achevée ? Est-on parvenu au Royaume au lendemain du dernier combat des prédicants du désert ?
L'actualité nous rappelle régulièrement que ce n'est pas le cas. Certes les bases théoriques de jours heureux et fraternels sont posées : le cœur de la Loi biblique, sur la justice et sur l'amour du prochain, qui s'exprime aujourd'hui dans les Déclarations de Droit qui en sont issues, et notamment les Déclarations américaines et françaises, Constitution, Déclaration de 1789, et leur extension universelle en 1948. Hélas comme au temps de l’Exode, ou au temps où Jésus est venu dans le monde, de nos jours aussi, cela reste théorique, comme vient de le montrer le meurtre de George Floyd.
La Parole de Dieu appelle à être vécue, à être mise en pratique, vécue dans la chair, incarnée. C’est ce que je suis venu faire, nous dit aujourd'hui Jésus, avant de nous dire de faire de même, précisant en reprenant l'enseignement de la Torah « aimez-vous les uns les autres » : « comme je vous ai aimés. »
C'est ce que signifie le partage qui se dit dans la multiplication des pains, et aussi, pour nous dans la sainte Cène, écho à une multiplication des pains présentée par Jésus comme « ma chair à manger ». C'est-à-dire Parole de Dieu partagée, qui ne nourrit que par sa mise en pratique, dans le concret de la chair ; comme aujourd’hui la leçon universaliste des Droits de l’Homme est à vivre dans la chair, sans quoi toutes les dérives restent possibles, comme le rappelle le meurtre qui a justement scandalisé le monde, des deux côtés de l'Atlantique, montrant que l'universalisme des textes manque jusqu'aujourd'hui d'un vécu concret, dans la chair de l'humanité, sauf à se mettre à la place de celles et ceux dont les droits ne parviennent pas au concret de leur vie.
Nous en sommes tous là : quelque chose manque, quelque chose de l'ordre du concret, de la chair. Alors, au cœur de notre manque, Jésus nous dit qu'il donne sa chair pour la vie du monde ; en d’autres termes, il se dépouille de sa vie, s'identifie à tous ceux dont la vie est méprisée, volée par le mépris ; Jésus rejoint l'homme humilié, genou à terre, ployant sous la croix… Et il nous appelle à recevoir ce dépouillement, « manger sa chair ». Recevoir de son dépouillement, la parole, la promesse de notre propre dépouillement.
Alors prend place la promesse de la Résurrection, de nouveaux cieux et d'un nouvelle terre. « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour ». « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie », expliquera-t-il à ce sujet.
Dans le signe d'un monde enfin fraternel, la résurrection prend alors place comme récapitulation dans le Christ de ce que nous sommes vraiment, de ce que nous désirons vraiment, l’ignorerions-nous. Dans la résurrection du Christ, notre résurrection au dernier jour prend place dès aujourd’hui comme présentation de nos êtres vrais devant Dieu. Comme résolution et exaucement de nos désirs. Elle est résolution et récapitulation de la vérité de nos vies.
C’est là la vérité profonde de la parole ou Jésus mène ses interlocuteurs, où Jésus nous mène : « Qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité ». C’est la parole par laquelle, mystérieusement, Jésus répond en vérité aujourd’hui à toutes nos demandes.
Jean 6, 51-58
51 « Je suis le pain vivant qui descend du ciel. Celui qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité. Et le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. »
52 Sur quoi, les Judéens se mirent à discuter violemment entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »
53 Jésus leur dit alors : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas en vous la vie.
54 Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour.
55 Car ma chair est vraie nourriture, et mon sang vraie boisson.
56 Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui.
57 Et comme le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mangera vivra par moi.
58 Tel est le pain qui est descendu du ciel : il est bien différent de celui que vos pères ont mangé ; ils sont morts, eux, mais celui qui mangera du pain que voici vivra pour l’éternité. »
*
Propos troublant que le propos de Jésus. On comprend la question qu’il suscite : « comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Au fond que veut dire Jésus ? Cela s’inscrit bien sûr dans le discours donné au lendemain de la multiplication des pains de ce chapitre 6 ; ça en est le point culminant. Notons que les Judéens qui « discutent violemment entre eux » (v. 52) sont disciples de Jésus, comme cela apparaît juste après (v. 60 et 66). À traduire donc par Judéens et non juifs, ce qu'ils sont tous : Jésus et tous ses disciples, qu'ils soient Galiléens ou Judéens, et quelle que soit la réaction à son enseignement de ceux qui sont parmi ses disciples.
Les gens avaient faim. De pain, en premier lieu. Jésus leur a donné du pain. Et ils ont à nouveau faim. Et lorsque Jésus veut les entraîner à la question de la vraie nourriture, ils ont bien compris. Ils ont suivi leur catéchisme. Ah oui, le pain du ciel, quoi ! On connaît : c’est l’histoire de manne et de Moïse dans le désert. Car pour le judaïsme, il est traditionnel, comme pour le christianisme, que la manne, via sa fonction nutritive, signifie la nourriture de la Parole de Dieu.
Accord apparent entre Jésus et ses interlocuteurs, jusqu’à ce que les choses se gâtent. Jusqu’à ce que l’on en vienne au cœur des choses, au moment où l'on bute en se scandalisant — et Jésus ne lésine pas sur les prétextes à scandale : apparemment, il se donne même tort, mettant, pour qui veut s’imaginer qu’il invite au cannibalisme, jusqu’au Lévitique contre lui (17, 10) : tu ne mangeras pas le sang. Tout pour être scandalisé ; en termes outranciers, qui entendent rendre le propos incontournable, Jésus nous renvoie chacun à nous-mêmes. De la manne des Pères aux pains multipliés de la veille, qui n’ont pas rassasié le cœur, un chemin de désert vers la délivrance symbolisé aujourd'hui pour nous par le désert confiné de ces dernières semaines. Chemin au désert, manne et pains multipliés, en route vers le Royaume espéré.
*
Voilà donc les auditeurs, disciples de Jésus, entre le pain abondant de la veille, dont ils veulent bien à nouveau se rassasier (ils sont revenus le lendemain pour cela) et le pain spirituel qui les renvoie au passé religieux, au temps du désert, au temps glorieux de la religion des ancêtres.
Mais si c’était aujourd’hui qu’ils avaient faim, aujourd’hui que l'on a faim ? Une faim qu’on ignore, une faim que l'on n'a pas conçue. Et qui pourtant tenaille. Telle est la question de ce texte, la question qu’il nous pose aujourd’hui. Oui, nous aussi, nous aimerions bien n’avoir plus le souci du pain du lendemain ; plus le souci financier du lendemain. Et en outre, oui, nous aussi avons suivi le catéchisme et savons qu’il y a une vraie nourriture spirituelle qui a de tout temps fondé Israël et l’Église.
*
« Oui, tout cela, on est au courant », ont-ils dit. « Mais toi, ont-ils dit aussi, quel signe fais-tu donc, pour que nous voyions et que nous te croyions »? Quelle est ton œuvre »? Au désert, nos pères ont mangé la manne, ainsi qu’il est écrit »: Il leur a donné à manger un pain qui vient du ciel » (v. 30-31). Et si c’était toujours la question » ? Donne-nous un signe…
Mais, me direz-vous, n’est-ce pas à nouveau une histoire de cailles que tout cela ? Les cailles au désert quand le peuple voulait de la viande, viande de cailles que le peuple a reçues jusqu'au dégoût… Faudra-t-il encore du dégoût pour que l’on comprenne ? Si c’est du dégoût qu’il vous faut, vous allez être servis… « Qui mange ma chair et boit mon sang »…
Ils voulaient des signes. Mais n'en ont-ils pas eu, n'en a-t-on pas eu ? Quoique… qu’ont-ils vu, qu’avons-nous vu, me direz-vous ? Qu’est ce que les yeux qui ne sont pas ceux de la foi ont vu d’autre que du passé ? Notre Dieu produit-il autre chose que du passé ? Hier, avec les concombres d’Égypte, la manne, les cailles, hier encore, la veille, avec la multiplication des pains. Hier aussi, nos pères ont été héroïques, ont eu une foi à renverser des montagnes, à faire des miracles…
Oui notre Dieu a produit un passé glorieux. Des Moïse, des Élie. Des prophètes, des Apôtres, des martyrs, des camisards, des résistants… quand tout semblait perdu. Oui notre Dieu est un puissant producteur de passé. Un passé qui nous porte jusqu’à aujourd’hui.
Mais aujourd’hui, quel signe pour que nous croyions ?
*
Nous sommes renvoyés chacun à nous-mêmes. N’avons-nous pas vu notre désir inassouvi ? Des pains, des concombres, des cailles, qui n'ont pas rassasié nos cœurs. Une histoire héroïque — mais est-elle achevée ? Est-on parvenu au Royaume au lendemain du dernier combat des prédicants du désert ?
L'actualité nous rappelle régulièrement que ce n'est pas le cas. Certes les bases théoriques de jours heureux et fraternels sont posées : le cœur de la Loi biblique, sur la justice et sur l'amour du prochain, qui s'exprime aujourd'hui dans les Déclarations de Droit qui en sont issues, et notamment les Déclarations américaines et françaises, Constitution, Déclaration de 1789, et leur extension universelle en 1948. Hélas comme au temps de l’Exode, ou au temps où Jésus est venu dans le monde, de nos jours aussi, cela reste théorique, comme vient de le montrer le meurtre de George Floyd.
La Parole de Dieu appelle à être vécue, à être mise en pratique, vécue dans la chair, incarnée. C’est ce que je suis venu faire, nous dit aujourd'hui Jésus, avant de nous dire de faire de même, précisant en reprenant l'enseignement de la Torah « aimez-vous les uns les autres » : « comme je vous ai aimés. »
C'est ce que signifie le partage qui se dit dans la multiplication des pains, et aussi, pour nous dans la sainte Cène, écho à une multiplication des pains présentée par Jésus comme « ma chair à manger ». C'est-à-dire Parole de Dieu partagée, qui ne nourrit que par sa mise en pratique, dans le concret de la chair ; comme aujourd’hui la leçon universaliste des Droits de l’Homme est à vivre dans la chair, sans quoi toutes les dérives restent possibles, comme le rappelle le meurtre qui a justement scandalisé le monde, des deux côtés de l'Atlantique, montrant que l'universalisme des textes manque jusqu'aujourd'hui d'un vécu concret, dans la chair de l'humanité, sauf à se mettre à la place de celles et ceux dont les droits ne parviennent pas au concret de leur vie.
*
Nous en sommes tous là : quelque chose manque, quelque chose de l'ordre du concret, de la chair. Alors, au cœur de notre manque, Jésus nous dit qu'il donne sa chair pour la vie du monde ; en d’autres termes, il se dépouille de sa vie, s'identifie à tous ceux dont la vie est méprisée, volée par le mépris ; Jésus rejoint l'homme humilié, genou à terre, ployant sous la croix… Et il nous appelle à recevoir ce dépouillement, « manger sa chair ». Recevoir de son dépouillement, la parole, la promesse de notre propre dépouillement.
*
Alors prend place la promesse de la Résurrection, de nouveaux cieux et d'un nouvelle terre. « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour ». « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie », expliquera-t-il à ce sujet.
Dans le signe d'un monde enfin fraternel, la résurrection prend alors place comme récapitulation dans le Christ de ce que nous sommes vraiment, de ce que nous désirons vraiment, l’ignorerions-nous. Dans la résurrection du Christ, notre résurrection au dernier jour prend place dès aujourd’hui comme présentation de nos êtres vrais devant Dieu. Comme résolution et exaucement de nos désirs. Elle est résolution et récapitulation de la vérité de nos vies.
C’est là la vérité profonde de la parole ou Jésus mène ses interlocuteurs, où Jésus nous mène : « Qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité ». C’est la parole par laquelle, mystérieusement, Jésus répond en vérité aujourd’hui à toutes nos demandes.
R.P., Châtellerault, 14.06.20
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire