Reprise des cultes :
— Châtellerault depuis le 14 juin (puis, jusqu'à nouvel ordre, tous les 15 jours) ;
— Poitiers le 21 juin
Liturgie et prédication en PDF ici
Lecture de l’Évangile et prédication (PDF ici) en audio ici :
Jérémie 20, 10-13 ; Psaume 69 ; Romains 5, 12-15 ; Matthieu 10, 26-33
Jérémie 20, 7-18
« Si j’avais su au début, quand j’ai commencé d’écrire, ce que j’ai maintenant éprouvé et vu, à savoir à quel point les gens haïssent la Parole de Dieu et s’y opposent aussi violemment, je m’en serais tenu en vérité au silence […] Mais Dieu m’a poussé de l’avant comme une mule à qui l’on aurait bandé les yeux pour qu’elle ne voie pas ceux qui accourent contre elle […] C’est ainsi que j’ai été poussé en dépit de moi au ministère d’enseignement et de prédication ; mais si j’avais su ce que je sais maintenant, c’est à peine si dix chevaux auraient pu m’y pousser. C’est ainsi que se plaignent aussi Moïse et Jérémie d’avoir été trompés. » (Luther, Propos de table)
Tout le malheur du prophète vient de ce qu'il a été, à son propre dire, séduit par Dieu (v. 7). La sainteté de Dieu, qui a resplendi à ses yeux depuis le silence de la Création et les paroles de sa Loi, est devenue séduction ! C'en est fini de Jérémie, c'en est fini de sa paix ; c'en sera à terme fini, pour lui, de la douceur de sa vie. C'est face à la sainteté indicible de son Dieu qu’il perçoit de façon incontournable le tragique qui désormais habitera sa vie — dans le manque qui sera le sien et que rien, en ce monde sans sainteté, ne pourra combler. « Malheur à moi, car je suis un homme aux lèvres impures, au milieu d'un peuple aux lèvres impures », dira Ésaïe face à une expérience similaire (És 6).
C’est là le fondement de la parole que Jérémie sera voué à adresser à Jérusalem : c’est dans le miroir de la sainteté divine qu’apparaît la condamnation de Jérusalem et l’exil prochain vers Babylone.
La misère de Jérusalem n'éclate que dans le miroir de la sainteté divine qui a séduit le prophète. Car le péché vient par la Loi, selon Paul aux Romains (ch. 5), la Loi divine, ce reflet du Dieu saint. Le péché nous entraîne en effet par le désir de combler le manque de sainteté que la Loi de Dieu a révélé en nous. Le prophète l'a su, la séduction de Dieu est aussi la révélation d'un manque. Le péché vient du refus de ce manque ; il naît dans la poursuite effrénée de toutes les nourritures frelatées, de toutes les sources polluées dont on voudrait étancher sa soif. Les idoles, les fausses spiritualités et autres mensonges. À propos des idoles, des faux dieux, des dieux et modèles qu’on s’invente, Jérémie parle de citernes crevassées où le peuple s’empoisonne au lieu de se de désaltérer à la parole pure du vrai Dieu, cette parole que porte Jérémie pour son malheur. Jérémie le vit jusqu'en son cri de révolte : « qu'a-t-il fallu que je naisse ! » (v. 14)
Mais il sait aussi que face à Dieu, le monde qui n'est pas à la mesure de Dieu, est insipide, vidé de goût. Un monde de faux-semblants et de masques, qui n’arrivent pas à cacher son manque. Dieu seul peut combler ce manque. La poursuite au mauvais endroit de ce qui ne peut pas le combler ne fait que produire une frustration de plus en plus irrémédiable. Alors Jérémie doit parler, il ne peut pas se taire.
De là naît la malédiction de la vocation de Jérémie, le bien nommé « prophète de malheur ». Car comment sa Jérusalem, à laquelle il prêche, qui, comme la plupart des vivants, n'a pas perçu la source éternelle de ses joies passagères, comment pourrait-elle accueillir de telles jérémiades ? Comment pourrait-elle accepter la parole de son malheur ?
Alors tout plutôt que cela : jusqu'à payer des faux prophètes ; surtout faire taire ce rabat-joie ! Et la suite du livre rappelle qu’on l’a bien fait : on a payé des faux prophètes pour qu’ils donnent des paroles rassurantes, mais creuses, fausses, pour remplacer la parole du prophète qui dérange parce qu’elle est vraie. Remarquez que lui aussi serait le premier à vouloir se taire, à voir cesser sa honte, le mépris qu’on lui porte. Car c’est à cause de sa vocation qu’on le méprise. Pensez : il dit la vérité.
Mais comment accepter cette parole qui nous dérange tant ? On veut être flatté. Or la vérité ne sait pas flatter ! Alors, à moins de se rendre à l'acceptation de la douleur qui tenaille le prophète, on préférera s’illusionner : j'ai faim et soif, je veux des citernes crevassées, je veux des courges d’Égypte et des cailles, je préfère le pays de servitude et l'infantilisme de son esclavage, plutôt que le désert de la Vérité.
Mais pour Jérémie, Dieu l'a saisi, et il ne pourra pas se taire. Il se trouve pris et tiraillé entre les contradictions de sa vocation. Entre la splendeur de la sainteté dont il sait qu'il ne l'atteint pas, et que le péché et la laideur demeurent, et la paix qui serait dans cette impossible atteinte.
Mais le comble du désespoir de Jérémie est en ce que sa justice est au cœur même de ses tiraillements, dans les paroles épouvantables de sa honte, dont le tout Jérusalem voudrait qu'il les étouffe — comme lui aussi, d'ailleurs, le voudrait bien (v. 10-11).
Puis, pourtant, c'est au cœur de sa détresse d'être au monde que Jérémie reçoit de Dieu la parole de sa justice. C'est pour celui qui a l'outrance de dire le malaise infini que creuse la sainteté de Dieu entre le désir inassouvi qu'elle a suscité et un vécu blafard — c'est pour celui qui dit ce malaise, et en quels termes, — que Dieu prend parti ; et point pour les désespérés joyeux dont le sommeil aveugle voudrait sceller la bouche qui menace leur trop sotte paix. Et Jérémie invoque le Dieu qui le voit autrement (v. 11-13).
Ici, le malheur de Jérémie se transfigure : quelle que soit l'incongruité de la parole qu'il a à porter, elle est la parole du relèvement de Jérusalem, au cœur de son malheur. Dans cette certitude d'un manque que rien ne peut assouvir, perce alors le regard de Dieu. Les hommes méprisent les Jérémie parce qu’ils disent ce que Dieu les envoyés dire ? Eh bien, « Dieu connaît chacun de ses passereaux… vous valez plus que beaucoup de passereaux » (Mt 10, 29 & 31).
Lisons Matthieu 10, 26-33 :
Quelle qu'en soit la douleur, le poids de déchirement, Jérémie ne reniera pas, il continuera donc à dire — « quiconque me confessera devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père » (Mt 10, 32), nous dit Jésus. Peut-être la grâce de Dieu, ici attestée, aura-t-elle le prix d'un visage inquiet, le visage d'un Jérémie qui a su, hélas, discerner derrière les sourires figés de sa Jérusalem joyeuse, le désespoir sans nom qui est dans ce qui sera le détournement du visage torturé du Christ fondant le monde. Mais là sont données en plénitude la grâce et la paix, en celui qui promet : « qui me confessera devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père qui est dans les cieux ».
Jérémie 20, 7-18
7 Tu m’as séduit, Éternel, et je me suis laissé séduire ; Tu m’as saisi, tu m’as vaincu. Et je suis chaque jour un objet de raillerie, Tout le monde se moque de moi.
8 Car toutes les fois que je parle, il faut que je crie, Que je crie à la violence et à l’oppression ! Et la parole de l’Éternel est pour moi Un sujet d’opprobre et de risée chaque jour.
9 Si je dis : Je ne ferai plus mention de lui, Je ne parlerai plus en son nom, Il y a dans mon cœur comme un feu dévorant Qui est renfermé dans mes os. Je m’efforce de le contenir, et je ne le puis.
10 Car j’apprends les mauvais propos de plusieurs, L’épouvante qui règne à l’entour : Accusez-le, et nous l’accuserons ! Tous ceux qui étaient en paix avec moi Observent si je chancelle : Peut-être se laissera-t-il surprendre, Et nous serons maîtres de lui, Nous tirerons vengeance de lui !
11 Mais l’Éternel est avec moi comme un héros puissant ; C’est pourquoi mes persécuteurs chancellent et n’auront pas le dessus ; Ils seront remplis de confusion pour n’avoir pas réussi : Ce sera une honte éternelle qui ne s’oubliera pas.
12 L’Éternel des armées éprouve le juste, Il pénètre les reins et les cœurs. Je verrai ta vengeance s’exercer contre eux, Car c’est à toi que je confie ma cause.
13 Chantez à l’Éternel, louez l’Éternel ! Car il délivre l’âme du malheureux de la main des méchants.
14 Maudit soit le jour où je suis né ! Que le jour où ma mère m’a enfanté Ne soit pas béni !
15 Maudit soit l’homme qui porta cette nouvelle à mon père : Il t’est né un enfant mâle, Et qui le combla de joie !
16 Que cet homme soit comme les villes Que l’Éternel a détruites sans miséricorde ! Qu’il entende des gémissements le matin, Et des cris de guerre à midi !
17 Que ne m’a-t-on fait mourir dans le sein de ma mère ! Que ne m’a-t-elle servi de tombeau ! Que n’est-elle restée éternellement enceinte !
18 Pourquoi suis-je sorti du sein maternel Pour voir la souffrance et la douleur, Et pour consumer mes jours dans la honte ?
*
« Si j’avais su au début, quand j’ai commencé d’écrire, ce que j’ai maintenant éprouvé et vu, à savoir à quel point les gens haïssent la Parole de Dieu et s’y opposent aussi violemment, je m’en serais tenu en vérité au silence […] Mais Dieu m’a poussé de l’avant comme une mule à qui l’on aurait bandé les yeux pour qu’elle ne voie pas ceux qui accourent contre elle […] C’est ainsi que j’ai été poussé en dépit de moi au ministère d’enseignement et de prédication ; mais si j’avais su ce que je sais maintenant, c’est à peine si dix chevaux auraient pu m’y pousser. C’est ainsi que se plaignent aussi Moïse et Jérémie d’avoir été trompés. » (Luther, Propos de table)
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Tout le malheur du prophète vient de ce qu'il a été, à son propre dire, séduit par Dieu (v. 7). La sainteté de Dieu, qui a resplendi à ses yeux depuis le silence de la Création et les paroles de sa Loi, est devenue séduction ! C'en est fini de Jérémie, c'en est fini de sa paix ; c'en sera à terme fini, pour lui, de la douceur de sa vie. C'est face à la sainteté indicible de son Dieu qu’il perçoit de façon incontournable le tragique qui désormais habitera sa vie — dans le manque qui sera le sien et que rien, en ce monde sans sainteté, ne pourra combler. « Malheur à moi, car je suis un homme aux lèvres impures, au milieu d'un peuple aux lèvres impures », dira Ésaïe face à une expérience similaire (És 6).
C’est là le fondement de la parole que Jérémie sera voué à adresser à Jérusalem : c’est dans le miroir de la sainteté divine qu’apparaît la condamnation de Jérusalem et l’exil prochain vers Babylone.
La misère de Jérusalem n'éclate que dans le miroir de la sainteté divine qui a séduit le prophète. Car le péché vient par la Loi, selon Paul aux Romains (ch. 5), la Loi divine, ce reflet du Dieu saint. Le péché nous entraîne en effet par le désir de combler le manque de sainteté que la Loi de Dieu a révélé en nous. Le prophète l'a su, la séduction de Dieu est aussi la révélation d'un manque. Le péché vient du refus de ce manque ; il naît dans la poursuite effrénée de toutes les nourritures frelatées, de toutes les sources polluées dont on voudrait étancher sa soif. Les idoles, les fausses spiritualités et autres mensonges. À propos des idoles, des faux dieux, des dieux et modèles qu’on s’invente, Jérémie parle de citernes crevassées où le peuple s’empoisonne au lieu de se de désaltérer à la parole pure du vrai Dieu, cette parole que porte Jérémie pour son malheur. Jérémie le vit jusqu'en son cri de révolte : « qu'a-t-il fallu que je naisse ! » (v. 14)
Mais il sait aussi que face à Dieu, le monde qui n'est pas à la mesure de Dieu, est insipide, vidé de goût. Un monde de faux-semblants et de masques, qui n’arrivent pas à cacher son manque. Dieu seul peut combler ce manque. La poursuite au mauvais endroit de ce qui ne peut pas le combler ne fait que produire une frustration de plus en plus irrémédiable. Alors Jérémie doit parler, il ne peut pas se taire.
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De là naît la malédiction de la vocation de Jérémie, le bien nommé « prophète de malheur ». Car comment sa Jérusalem, à laquelle il prêche, qui, comme la plupart des vivants, n'a pas perçu la source éternelle de ses joies passagères, comment pourrait-elle accueillir de telles jérémiades ? Comment pourrait-elle accepter la parole de son malheur ?
Alors tout plutôt que cela : jusqu'à payer des faux prophètes ; surtout faire taire ce rabat-joie ! Et la suite du livre rappelle qu’on l’a bien fait : on a payé des faux prophètes pour qu’ils donnent des paroles rassurantes, mais creuses, fausses, pour remplacer la parole du prophète qui dérange parce qu’elle est vraie. Remarquez que lui aussi serait le premier à vouloir se taire, à voir cesser sa honte, le mépris qu’on lui porte. Car c’est à cause de sa vocation qu’on le méprise. Pensez : il dit la vérité.
Mais comment accepter cette parole qui nous dérange tant ? On veut être flatté. Or la vérité ne sait pas flatter ! Alors, à moins de se rendre à l'acceptation de la douleur qui tenaille le prophète, on préférera s’illusionner : j'ai faim et soif, je veux des citernes crevassées, je veux des courges d’Égypte et des cailles, je préfère le pays de servitude et l'infantilisme de son esclavage, plutôt que le désert de la Vérité.
Mais pour Jérémie, Dieu l'a saisi, et il ne pourra pas se taire. Il se trouve pris et tiraillé entre les contradictions de sa vocation. Entre la splendeur de la sainteté dont il sait qu'il ne l'atteint pas, et que le péché et la laideur demeurent, et la paix qui serait dans cette impossible atteinte.
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Mais le comble du désespoir de Jérémie est en ce que sa justice est au cœur même de ses tiraillements, dans les paroles épouvantables de sa honte, dont le tout Jérusalem voudrait qu'il les étouffe — comme lui aussi, d'ailleurs, le voudrait bien (v. 10-11).
Puis, pourtant, c'est au cœur de sa détresse d'être au monde que Jérémie reçoit de Dieu la parole de sa justice. C'est pour celui qui a l'outrance de dire le malaise infini que creuse la sainteté de Dieu entre le désir inassouvi qu'elle a suscité et un vécu blafard — c'est pour celui qui dit ce malaise, et en quels termes, — que Dieu prend parti ; et point pour les désespérés joyeux dont le sommeil aveugle voudrait sceller la bouche qui menace leur trop sotte paix. Et Jérémie invoque le Dieu qui le voit autrement (v. 11-13).
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Ici, le malheur de Jérémie se transfigure : quelle que soit l'incongruité de la parole qu'il a à porter, elle est la parole du relèvement de Jérusalem, au cœur de son malheur. Dans cette certitude d'un manque que rien ne peut assouvir, perce alors le regard de Dieu. Les hommes méprisent les Jérémie parce qu’ils disent ce que Dieu les envoyés dire ? Eh bien, « Dieu connaît chacun de ses passereaux… vous valez plus que beaucoup de passereaux » (Mt 10, 29 & 31).
Lisons Matthieu 10, 26-33 :
26 Ne les craignez donc point ; car il n’y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni de secret qui ne doive être connu.
27 Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en plein jour ; et ce qui vous est dit à l’oreille, prêchez-le sur les toits.
28 Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr l’âme et le corps dans la géhenne.
29 Ne vend-on pas deux passereaux pour un sou ? Cependant, il n’en tombe pas un à terre sans la volonté de votre Père.
30 Et même les cheveux de votre tête sont tous comptés.
31 Ne craignez donc point : vous valez plus que beaucoup de passereaux.
32 C’est pourquoi, quiconque me confessera devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père qui est dans les cieux ;
33 mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai aussi devant mon Père qui est dans les cieux.
Quelle qu'en soit la douleur, le poids de déchirement, Jérémie ne reniera pas, il continuera donc à dire — « quiconque me confessera devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père » (Mt 10, 32), nous dit Jésus. Peut-être la grâce de Dieu, ici attestée, aura-t-elle le prix d'un visage inquiet, le visage d'un Jérémie qui a su, hélas, discerner derrière les sourires figés de sa Jérusalem joyeuse, le désespoir sans nom qui est dans ce qui sera le détournement du visage torturé du Christ fondant le monde. Mais là sont données en plénitude la grâce et la paix, en celui qui promet : « qui me confessera devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père qui est dans les cieux ».
R.P., Poitiers, 21.06.2020
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