dimanche 17 janvier 2021

La lampe de Dieu n’est pas éteinte




1 Samuel 3, 3-16 ; Psaume 40 ; 1 Corinthiens 15, 15-20 ; Jean 1, 35-42

1 Samuel 3, 3-10
3 La lampe de Dieu n’était pas encore éteinte, et Samuel était couché dans le temple de l’Éternel, où était l’arche de Dieu.
4 Alors l’Éternel appela Samuel. Il répondit : Me voici !
5 Et il courut vers Éli, et dit : Me voici, car tu m’as appelé. Éli répondit : Je n’ai point appelé ; retourne te coucher. Et il alla se coucher.
6 L’Éternel appela de nouveau Samuel. Et Samuel se leva, alla vers Éli, et dit : Me voici, car tu m’as appelé. Éli répondit : Je n’ai point appelé, mon fils, retourne te coucher.
7 Samuel ne connaissait pas encore l’Éternel, et la parole de l’Éternel ne lui avait pas encore été révélée.
8 L’Éternel appela de nouveau Samuel, pour la troisième fois. Et Samuel se leva, alla vers Éli, et dit : Me voici, car tu m’as appelé. Éli comprit que c’était l’Éternel qui appelait l’enfant,
9 et il dit à Samuel : Va, couche-toi ; et si l’on t’appelle, tu diras : Parle, Éternel, car ton serviteur écoute. Et Samuel alla se coucher à sa place.
10 L’Éternel vint et se présenta, et il appela comme les autres fois : Samuel, Samuel ! Et Samuel répondit : Parle, car ton serviteur écoute.

Jean 1, 35-42
35 Le lendemain, Jean se trouvait de nouveau au même endroit avec deux de ses disciples.
36 Fixant son regard sur Jésus qui marchait, il dit : “Voici l’agneau de Dieu.”
37 Les deux disciples, l’entendant parler ainsi, suivirent Jésus.
38 Jésus se retourna et, voyant qu’ils s’étaient mis à le suivre, il leur dit : “Que cherchez-vous ?” Ils répondirent : “Rabbi — ce qui signifie Maître —, où demeures-tu ?”
39 Il leur dit : “Venez et vous verrez.” Ils allèrent donc, ils virent où il demeurait et ils demeurèrent auprès de lui, ce jour-là ; c’était environ la dixième heure.
40 André, le frère de Simon-Pierre, était l’un de ces deux qui avaient écouté Jean et suivi Jésus.
41 Il va trouver, avant tout autre, son propre frère Simon et lui dit : “Nous avons trouvé le Messie !” — ce qui signifie le Christ.
42 Il l’amena à Jésus. Fixant son regard sur lui, Jésus dit : “Tu es Simon, le fils de Jean ; tu seras appelé Céphas” — ce qui veut dire Pierre.

*

La lampe de Dieu n’est pas encore éteinte (1 Sam 3, 3). Passage de la lumière d’Éli à Samuel, Jean à Jésus, plus tard Jésus aux Douze (Jn 16, 7), les Douze aux diacres (Ac 6), puis à Paul, etc., jusqu’à nous. Chaque fois un passage, chaque fois à un moment fixé — peut-être comme celui que nous sommes en train de vivre à travers la pandémie. Ce que le grec appelle kairos. Certains moments marquent un avant et un après.

*

Jean sait qu’il va être persécuté : Hérode, qu’il a mis en cause, n’en restera pas là. Pour Jean c’est le temps d'un passage de flambeau, qu’il accepte déjà malgré ses doutes — « es-tu celui qui doit venir ? » fera-t-il encore demander à Jésus, alors qu’il est emprisonné et bientôt exécuté. Quoiqu’il en soit de ce doute, il a perçu que le moment est là. Il envoie ses disciples à celui qui va mourir aussi, mais plus tard, d’une mort porteuse d’un tout autre sens — selon ses termes à lui, Jean : l’Agneau de Dieu. Pour ses disciples, ici André, puis Simon-Pierre, c’est un changement — comme un changement de demeure : « où demeures-tu ? » demandent-ils à Jésus — « Venez et vous verrez. »

« Vous verrez »… quoi ? De la souffrance — « l’Agneau de Dieu » (v. 36) — de la souffrance avant la gloire. Avant ce que les yeux ne voient pas, avant la gloire… du visible !, un homme qui marche (v. 36) — qui marche à la croix : « voici l’Agneau de Dieu »

« L’Agneau de Dieu ». L’Agneau vainqueur du combat de la fin des temps, sans doute, dans la prédication de Jean. Mais aussi la victime sacrificielle ! — à laquelle renvoie l’évocation de l’agneau à travers plusieurs épisodes bibliques. Parmi lesquels :

— Isaac, le fils d’Abraham, qui pose à son père la question « mais où est donc l’agneau pour l’holocauste ? », Abraham répond : « C’est Dieu qui pourvoira à l’agneau pour l’holocauste ».

— Puis l’agneau évoque, bien sûr, le rite de la Pâque, qui chaque année, rappelle au peuple que Dieu l’a libéré. La nuit de la sortie du pays de l'esclavage, on sait que Moïse avait fait pratiquer par le peuple le rite traditionnel de l’agneau égorgé : désormais, chaque année, cela vous rappellera que Dieu est passé parmi vous pour vous libérer. Le sang de l’agneau signe votre libération.

— L’agneau évoque aussi Moïse d’une autre façon. Les commentaires juifs de l’Exode comparent Moïse à un agneau : ils imaginent une balance : sur l’un des deux plateaux, toutes les forces du pays de Pharaon rassemblées : Pharaon, ses chars, ses armées, ses chevaux, ses cavaliers. Sur l’autre plateau, Moïse représenté sous la forme d’un petit agneau. Eh bien, face à la puissance des Pharaons, ce sont la faiblesse et l’innocence qui l’ont emporté…

— Et aussi, le mot « agneau » fait penser, bien sûr, au serviteur de Dieu du Livre d’Ésaïe, comparé à un agneau : « Brutalisé, il s’humilie ; il n’ouvre pas la bouche, comme un agneau traîné à l’abattoir, comme une brebis devant ceux qui la tondent : elle est muette ; lui n’ouvre pas la bouche » (És 53, 7). Le serviteur du livre d’Ésaïe subit donc la persécution — mais il est ensuite exalté : « Voici que mon serviteur triomphera, il sera haut placé, élevé, exalté à l’extrême » (És 53, 13).

Voilà quoiqu’il en soit, à ce terme d’agneau, l’évocation d’images d’abord cruelles ! Mais comme pour Moïse face à Pharaon, comme pour le serviteur du livre d’Ésaie broyé par la persécution, c’est pour un triomphe de la faiblesse sur la force.

*

Car le passage de relais de Jean à Jésus est celui qui conduit l’Agneau à la croix, pour un second passage, annoncé dès le départ par la présence d’André et Pierre : de la croix aux disciples — Jean 16, 7 : « il est préférable pour vous que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le Consolateur ne viendra pas vers vous ; mais, si je m’en vais, je vous l’enverrai. » Jésus sait : c’est pour maintenant. Un signe : la venue de Grecs qui veulent le voir (Jean 12) : le moment est là, dit-il à ses disciples, et c’est effectivement pour quelques jours après, en pleine fête de la Pâque : ils ne le verront plus.

Où l’on retrouve la question de la demeure — « où demeures-tu… — venez et vous verrez ». Puis, plus tard : beaucoup de demeures… sachant que celui qui demeure en moi, je demeurerai en lui… Œuvre de l'Esprit consolateur promis par Jésus. Consolateur. Jésus à l'avance console ses disciples — déjà de ce qu’ils vont voir bientôt : la violence qui déferle contre leur maître, à qui on demande tout et son contraire, il s’agit de le piéger — au point qu’il cesse de se défendre, et subit jusqu’à la croix : l’Agneau de Dieu annoncé par le Baptiste.

Aux disciples aussi sera donné un traitement indigne : Jésus les envoie porter la parole de la vie. On leur en voudra pour cela !

On cherchera à les détourner de faire cela seul pour quoi ils sont envoyés : donner la parole de Dieu. Entre ceux qui la supportent mal et ceux qui succombent à l’impatience et qui reprochent aux disciples le fait que la parole est de l’ordre de la semence et qu’elle ne germe pas sitôt semée, les disciples auront fort à faire, fort à endurer.

Tâche ingrate que d’être envoyé prêcher… sachant qu’il est de la nature de cette tâche de ne pas en voir le fruit. « Je vous enverrai un autre Consolateur », promet Jésus. Agneau de Dieu, je l’ai vécu.

*

Esprit consolateur ouvrant les lendemains, et donc, déjà de nouveaux passages de lumière. Comme, peu après, le passage des Douze aux diacres. Actes 6, 1-4 : « En ce temps-là, le nombre des disciples augmentant, les Hellénistes murmurèrent contre les Hébreux, parce que leurs veuves étaient négligées dans la distribution qui se faisait chaque jour. Les Douze convoquèrent la multitude des disciples, et dirent : Il n’est pas convenable que nous laissions la parole de Dieu pour servir aux tables. [D'où la proposition : choisissez sept personnes] de qui l’on rende un bon témoignage, qui soient pleins d’Esprit-Saint et de sagesse, et que nous chargerons de cet emploi. Et nous, nous continuerons à nous appliquer à la prière et au ministère de la parole. »

Jésus avait confié aux Douze la tâche de prêcher, de donner la parole de Dieu. Attachés à ce ministère, les Apôtres ne voient pas spontanément certaines réalités, comme les veuves des Hellénistes en difficulté. Ce sont les Hellénistes, juifs de tradition grecque donc, qui attirent l'attention des Douze. « [Ils] murmurèrent contre les Hébreux parce que leurs veuves étaient négligées dans la distribution qui se faisait chaque jour. »

Alors les Apôtres vont faire comme leur maître, et comme avant lui Jean le Baptiste : le moment est là ; ils vont passer le flambeau. « Les Douze convoquèrent la multitude des disciples, et dirent : Il n’est pas convenable que nous laissions la parole de Dieu pour servir aux tables. » Tâche confiée à ceux qui se sont plaints — enfin à sept d'entre eux qu’ils doivent choisir eux-mêmes — les Apôtres font cela à la suite de ce qu’avait dit Jésus : « donnez leur vous-même à manger » — Jésus bénissant le pain, dont restent d'une part douze paniers, comme le nombre des Apôtres envoyés d'abord porter la nouvelle de la résurrection aux Hébreux puis aux nations, et d'autre part sept paniers, comme plus tard les Sept d'Actes 6, qu'on appellera diacres, au service de ceux qui parlent et pensent Grecs, comme ouverture vers les nations — par un autre passage : un des sept diacres, Étienne, mourant martyr, « contaminera » de sa foi celui deviendra l'Apôtre des nations, Paul.

La tâche des Douze, l’annonce de la parole de Dieu, n’est pas la tâche qu’ils vont confier à d’autres en instituant les Sept, comme la tâche de Jésus n'est pas celle de Jean, et celle des Douze n'est pas celle de Jésus, et celle des Sept n'est pas celle de Paul.

En tout cela, ce que les circonstances dévoilent ne relève pas du facultatif : fruit de ces passages de flambeau : la dissémination de la parole de la foi. Le moment est là, il est toujours inattendu. Ce n’en est pas moins le moment précis, le moment opportun, le kairos.

*

Un passage, qui comme celui de Jean à Jésus et celui de Jésus aux Douze, semble avoir tout l’air d’un abandon :

On l'a entendu : « il vous est avantageux que je m’en aille », lit-on plus tard dans le même évangile (Jean 16, 7), il vous est avantageux que je ne reste pas avec vous, sans quoi rien ne se fera, ni ce que vous aurez à faire et que vous seriez tenté de me voir faire à votre place ; ni ce que j’ai à faire, qui est autre chose. Jean l’a annoncé : « Celui-ci est l’Agneau de Dieu. » — Pour vous : « vous verrez où je demeure » : au sein du Père qui envoie votre Consolateur, celui qui est votre force quand la parole que vous semez n’a pas encore germé, au jour où on vous le reproche jusqu’à vous persécuter à votre tour pour cela. Parfois jusque dans et par l’Église ! Comme dans un oubli de ce qu'il est des moments fixés de passages de relais.

À leur tour les Douze passent donc le relais, sans quoi la parole ne serait plus dite comme elle doit l’être, Paul le soulignera à l’envi : j’ai été envoyé pour prêcher, et prêcher la croix — pas même pour baptiser ! L'administration des sacrements sera déléguée à la responsabilité du ministère pastoral. Et pour tous, dire la parole de Dieu sans en voir le fruit : un temps pour semer, un temps pour moissonner, sachant que « ma Parole ne revient pas à moi sans effet » (És 55, 11). Tel sème, rappelle Paul, tel autre arrose, tel autre recueille. Dieu fait croître. Pour les Douze, un des fruits de leur parole est un manque, un besoin : la parole a atteint les Hellénistes (Grecs, donc : on a rappelé la présence des Grecs devenant signe des temps pour Jésus — Jn 12), puis les nations. Autant de tournants suscités par des besoins et suscitant des besoins.

Tournants comme moments de fructification de la parole, pour une autre tâche, qui est confiée à toutes celles et tous ceux qui s’y engagent. Et l’histoire des passages ne s’arrêtera pas au Nouveau Testament… Que dire aujourd’hui, notamment avec la pandémie et ses conséquences, sanitaires, sociales, etc., et ecclésiales, sans doute, bien sûr. En ne perdant pas de vue, que nous ne sommes pas maîtres de ce qui s'ouvre et va s'ouvrir. Nous voilà comme Samuel, à qui Éli n'a pas parlé, Éli qui sait ne rien maîtriser — il a simplement appris à Samuel à dire  : « Parle, Éternel, ton serviteur écoute. » Cela pour un passage de flambeau, d'Éli à Samuel.

Le ministère de Jésus est aujourd'hui passage de lumière à un moment précis, déjà de Jean à lui, et via sa propre mort, à nous : « Fixant son regard sur Jésus qui marchait, Jean dit : “Voici l’agneau de Dieu.” »


RP, Poitiers, 17.01.21
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