dimanche 11 avril 2021

Du confinement à la libération par la foi à la résurrection




Actes 4, 32-35 ; Psaume 118, 17-23 ; 1 Jean 5, 1-6 ; Jean 20, 19-31

Jean 20, 19-31
19 Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des chefs judéens, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d'eux et il leur dit : "La paix soit avec vous."
20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie.
21 Alors, à nouveau, Jésus leur dit : "La paix soit avec vous. Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie."
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : "Recevez l'Esprit Saint ;
23 ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux pour qui vous les soumettrez, ils leur ont été soumis."
24 Cependant Thomas, l'un des Douze, celui qu'on appelle Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint.
25 Les autres disciples lui dirent donc : "Nous avons vu le Seigneur !" Mais il leur répondit : "Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n'enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n'enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas !"
26 Or huit jours plus tard, les disciples étaient à nouveau réunis dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vint, toutes portes verrouillées, il se tint au milieu d'eux et leur dit : "La paix soit avec vous."
27 Ensuite il dit à Thomas : "Avance ton doigt ici et regarde mes mains; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d'être incrédule et deviens un homme de foi."
28 Thomas lui répondit : "Mon Seigneur et mon Dieu."
29 Jésus lui dit : "Parce que tu m’as vu, tu as cru ; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru."
30 Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d’autres signes qui ne sont pas rapportés dans ce livre.
31 Ceux-ci l’ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom.

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« “Avance ton doigt ici et regarde mes mains ; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d’être incrédule et deviens un homme de foi.” Thomas lui répondit : “Mon Seigneur et mon Dieu.” » (Jean 20, 27-28)

Comme ici à Thomas, Jésus s’adresse à chacune et chacun de nous ; après s’être adressé à chacun des disciples : « tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté ». Des mots similaires sont rapportés par Luc (24, 39) : « Regardez mes mains et mes pieds : c’est bien moi. Touchez-moi, regardez ; un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai. »

Luc aussi bien que Jean. Les Évangiles y insistent, comme pour souligner le scandale de cette résurrection de la chair que Jésus signe ici dans son corps ressuscité : « un esprit n’a ni chair ni os ». Scandale pour la raison.

Et pourtant la notion de la résurrection, qui choque les philosophes grecs d’Athènes (Actes 17, 31 sq.), a des antécédents (cf. 1 Corinthiens 15), avant Pâques, dans la réflexion philosophique du judaïsme de même que dans le monde persan.

Scandale pour la raison pourtant, jusqu'à nous. D’où la tentation de « spiritualiser » tout cela… C’est contre cela que Jésus invite ici Thomas à toucher ses plaies. Comme dans Luc il y a invité les douze — et avec eux, par leur intermédiaire, nous tous : heureux celles et ceux qui n’ont pas vu comme Thomas, et qui ont cru, pourtant. Notons que Thomas n’a pas eu besoin de toucher, et qu’il n’a pas cru ce qu’il a vu (pas besoin, il l’a vu !), mais il a cru parce qu’il a vu : il a cru ce qui est au-delà de ce qu’il voit, et qui le conduit à confesser : « mon Seigneur et mon Dieu. »

Heureux celles et ceux qui sans avoir vu comme Thomas, ont cru, comme lui, que là, dans la présence réelle du Ressuscité, est le rachat de notre être de chair, de tout notre être. Notre vie ne se réalise, ne se concrétise, que dans notre histoire, dans nos rencontres, dans la trivialité du quotidien, bref, dans la chair ! Et c’est cela qui est racheté, radicalement et éternellement racheté au dimanche de Pâques.

Le rachat dont il est question n’est pas l’accès à un statut d’esprit évanescent et fantomatique. C’est bien tout ce qui constitue notre être, notre histoire, l’expérience de nos rencontres et donc de nos sens, de notre chair, qui est racheté. Notre histoire qui a fait de nous, qui fait de nous, qui fera de nous, ce que nous sommes, cette réalité de nos vies uniques devant Dieu. C’est l’extraordinaire nouvelle qui nous est donnée par le Ressuscité : lui aussi, Fils unique et éternel de Dieu, advient à l’éternité qui est la sienne par le chemin de son histoire dans la chair : ses plaies elles-mêmes, qui ont marqué sa chair, sont constitutives de son être !

… Signe que tous nos instants, ceux de Thomas, ceux des Apôtres, les nôtres, chacun de nos moments uniques dans l’éternité, est porteur de notre propre vocation à l’éternité ! Là est rien moins que le sens — éternel ! — de notre vie.

Et là est la pleine libération, une libération qui concerne tout l’être, la chair-même, libération que Jésus nous octroie en l’octroyant aux disciples confinés : « les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées », par peur des autorités (v. 19)… Confinés dans la peur. Et… « Jésus vint, il se tint au milieu d'eux et il leur dit : "La paix soit avec vous." Puis, leur ayant montré ses mains et son côté, à nouveau il leur dit : "La paix soit avec vous. Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie." Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : “Recevez l'Esprit Saint” » (v. 20-22).

Libération : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jn 20, 21). Pour une mission… C’est par les disciples et nous après eux, que le projet de la Création est appelé à être accompli. Jésus nous passe le relais — comme le Père s’est retiré dans son repos lors de la Création —, Jésus nous passe le relais en nous donnant l’Esprit du Père qui l’a animé : « comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». Et, écho de la Genèse, il souffle sur eux : « Recevez l’Esprit Saint »… et déliez ceux qui sont liés. Tel est l’envoi, la mission, pour une Création nouvelle — dont nous sommes les acteurs, à l’instar de Thomas qui, absent comme nous au dimanche de Pâques, est présent huit jours après Pâques — un dimanche comme aujourd'hui.

Thomas est notre représentant, à nous qui n'avons pas vu et qui sommes appelés à entrer dans la Création nouvelle. Heureux celles et ceux qui sans avoir vu ont cru. Car rien ne se fait, en termes de Création nouvelle, renouvelée, sans un acte de foi en ce qui ne se voit pas, ne se voit pas encore à ce qui est, ou semble encore impossible.

Or, à bien lire ce texte, la Création nouvelle — fruit de la foi, — est fondée… sur le pardon : « déliez ceux qui sont liés » par la fatalité, par la mort qui menace, par leur culpabilité. À qui vous pardonnez, à qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis…

Chose surhumaine, impossible, et pourtant, comme ce qu’a cru Thomas après les autres disciples, réelle — je cite la philosophe Hannah Arendt : « le pardon est certainement l’une des plus grandes facultés humaines et peut-être la plus audacieuse des actions, dans la mesure où elle tente l’impossible — à savoir défaire ce qui a été — et réussit à inaugurer un nouveau commencement là où tout semblait avoir pris fin. »

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Nouveau commencement. Défaire ce qui avait été et ouvrir sur l'impossible. Ici s’ouvre dès lors la porte de tous les possibles. Porte de liberté. Une liberté qui est bien une question de pardon — le pardon qui libère : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis » (plutôt que « ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus », comme si les Apôtres avaient pour mission de retenir captifs de leurs péchés certains de ceux à qui ils sont envoyés !).

La libération est en deux volets : pardon du péché, de tout ce qui rend captif, et soumission du péché qui rend captif, pour une libération totale, victoire sur tous les esclavages, pour une ouverture sur la domination sur le péché, promesse d'accomplissement de ce que n’a pu faire Caïn : « domine sur le péché » (Gn 4). Comme mort au péché à la croix pour une résurrection à la vie nouvelle.

Voilà les Apôtres envoyés — et nous à leur suite — pour communiquer pleinement la libération que par sa résurrection, Jésus vient d'octroyer dans le don de l’Esprit saint.

Envoyés pour communiquer la libération abondamment : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. » Et mieux : « ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis. » (Pouvoir de l’ordre de la promesse — 1 Jn 5, 18 : « quiconque est né de Dieu ne pèche pas » —, promesse puisqu’en deçà de ce pouvoir de l’Esprit sur le péché, nous savons que nous pécherons encore et que nous aurons encore besoin de recevoir et le pardon et la promesse, en recourant à l'avocat que nous avons auprès du Père).

Car la libération passe par la reconnaissance de la part sombre qui est en nous. Sans quoi, la puissance du péché, c’est la mort, affirme la Bible. Mais le Ressuscité, qui a vaincu la mort, il a pouvoir sur tout. Il a pouvoir même sur le péché.

Telle est la parole de liberté, parole de pardon qui met fin à la crainte et nous envoie à notre tour avec la paix de Dieu — « La paix soit avec vous » — qui nous est donnée dans ce souffle de l’Esprit saint : « la paix soit avec vous », dit le Ressuscité une deuxième fois. Malgré la crainte qui est au début du texte et qui maintient les disciples derrière des portes verrouillées — malgré la crainte et le refus qu’elle porte, crainte que Jésus doit encore et encore apaiser : « La paix soit avec vous » — dit-il une troisième fois…

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Cette parole est près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur : elle n'est pas dans le tombeau — vide. Elle n'est pas non plus aux extrémités du monde pour qu'on dise « qui ira la chercher pour nous » — dès lors qu'elle est prononcée, elle est « près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur », dit le Deutéronome, repris par Paul. Aux extrémités de la terre, les disciples y sont donc envoyés pour qu'elle habite tous les lieux et tous les temps, emplir tout à nouveau la terre et les cieux. Trois fois, aux lendemains du sortir du tombeau, à la face du ciel, pour tous les horizons de la terre, retentit jusqu’à nous la parole donnée par le Ressuscité : « La paix soit avec vous. »


RP, Châtellerault, 11.04.21
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