Actes 4, 8-12 ; Psaume 118, 24-29 ; 1 Jean 3, 1-2 ; Jean 10, 11-18
Jean 10, 11-18
Ézéchiel, ch. 34, v. 2-3, avertissait : « Fils de l’homme, prophétise contre les pasteurs d’Israël ! Prophétise, et dis-leur : Ainsi parle le Seigneur, l’Éternel : Malheur aux pasteurs qui se paissaient eux-mêmes ! Les pasteurs ne devaient-ils pas paître le troupeau ? Vous avez mangé la graisse, vous vous êtes vêtus avec la laine, vous avez tué ce qui était gras, vous n’avez point fait paître les brebis. »
Le titre de pasteur — selon le sens du mot, celui qui fait paître, qui nourrit — est un titre des rois d'Israël, dans la Bible.
Au départ de la dynastie royale, David, dont Ézéchiel invective les successeurs, est berger de brebis avant d’être pasteur du peuple. Roi d’Israël, David perçoit sa tâche, faire paître le peuple, en imitation de Dieu, son pasteur (cf. Psaume 23 — « l’Éternel est mon berger »). Le livre du prophète Ézéchiel, ch. 34, 10-16 précise avec le Psaume 23 que Dieu lui-même est le pasteur du peuple, le bon pasteur :
La parole de Dieu dont les successeurs royaux de David sont censés paître Israël est celle qui, enseignant d'aimer Dieu, conduit ipso facto à être attentif au prochain et à le nourrir tout court. Mais si je me suis fait un Dieu à mon image, genre veau d'or ou autre idole, plurielle ou unique, le prochain à l'image du Dieu que nul ne peut représenter se perd — comme dans le brouillard qu’évoque Ézéchiel. Les rois qu’il dénonce oblitèrent la réalité du prochain : règnent violence et corruption, où chacun, à commencer par les plus puissants, se sert du prochain, l'exploite au lieu d'en prendre soin (« ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands », vient de dire dit Jésus — Jean 10, 8). Un pays géré par de tels dirigeants est de fait fragilisé. Le mécontentement gronde. Les fausses solutions foisonnent. La source où se donne la parole de Dieu que doivent promouvoir les rois-pasteurs est corrompue.
Quand Jésus se présente comme le pasteur, le bon, il parle de sa fonction royale, fondée dans sa relation avec Dieu, et cela en rapport avec ce qu’il se dépossède de sa vie, par intérêt pour ses brebis — et qu’il va jusqu’à se détacher de son identité propre, tandis qu’il se déclare aussi berger d’autres brebis, étendant sa mission jusqu'aux nations.
Le berger de Dieu ne se paît pas lui-même, mais se dépossède de sa vie pour ses brebis, pour nous. Cela nous rappelle que le berger de Dieu vient de l’éternité. Rappelons-nous qu’il est dès le départ de l’Évangile de Jean présenté comme venant d’auprès de Dieu pour entrer dans ce temps de brouillard et de mort, ce temps qui part de sa naissance et débouche, comme toute vie humaine, sur sa mort.
Mais lui, dit-il, se dessaisit librement de sa vie, entre dans ce temps qui débouche sur la mort pour faire accéder celles et ceux qui lui sont confiés, ses brebis, sur le temps éternel dont il a accepté de se déposséder pour ce temps : « j’ai le pouvoir de la donner, et celui de la reprendre : tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père » (v. 18).
Les brebis, en effet, meurent en ce temps, même après que le berger les a sauvées du loup ou des brigands ou de la négligence des mercenaires — « mercenaire » désigne simplement les salariés, pour qui il s'agit d’obtenir un pécule provisoire, le temps d’un emploi temporaire ; contrairement au vrai berger, le mercenaire ne s’en tient qu’à ce qui se voit, au provisoire. Le vrai berger connaît ce qui ne se voit pas a priori, à savoir ce qui est unique en chaque brebis. Les pasteurs d'Églises ne sont que témoins de cela. Contre le regard en vérité du berger, le regard du mercenaire est temporaire, comme l’est la vie temporelle, provisoire, des brebis, notre vie… Ce n’est pas de la mort temporelle que le renoncement du berger à sa vie d’éternité sauve les brebis : les brebis vont finir par mourir, elles sont vouées à mourir — les brebis (l’image, à ce point, est troublante) ne sont-elles pas élevées pour leur laine, leur lait… mais aussi… leur viande ?!, vouées à mourir comme est mort l’agneau de Dieu, qui est aussi le bon berger.
C’est donc un autre temps qu’il s’agit de percevoir : celui d’où vient le berger, temps éternel dont il s’est dépossédé pour les brebis dans ce temps — les brebis de la bergerie auxquelles il s’adresse alors, Israël, mais aussi d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie-là (v. 16). Le salut qu’apporte le berger de Dieu s’étend à toutes les bergeries, toutes les nations. Alors « il y aura un seul troupeau et un seul berger. »
On trouve un écho contemporain, qui rappelle l’invective d'Ézéchiel et le troupeau dispersé, dans la description que donne un écrivain de la fin du XIXe siècle de la situation en train de s'étendre. Parlant de ce qui est en vue, il écrit pour sa part : « Point de berger et un seul troupeau ! »
Ici, « point de pasteur et un seul troupeau ! » Mais le bon pasteur, parole éternelle qui seule peut nourrir ses brebis, se détache de sa vie propre, renonce à son éternité.
Jésus dévoile, en renonçant à sa vie, que Dieu l’envoie depuis l’éternité parce qu’il nous a aimés — « tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père » (cf. Lv 19, 18) — de sorte que nous sommes faits enfants de Dieu à son image ; réellement, précise la 1ère Épître de Jean (1 Jn 3, 1), même si cela ne se voit pas, de même que sachant ce que sont les choses, il ne se voit pas que « Dieu est amour » (1 Jn 4, 8 & 16). Mais Jésus ouvre les yeux aveugles (Jn 10, 21) qui se reconnaissent tels : si vous vous reconnaissiez aveugles vous verriez, vient-il de dire (ch. 9, v. 39-41).
C’est de la même façon que nous sommes enfants de Dieu ; et que cela ne se voit pas, n’est pas encore clairement révélé — « nous sommes maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté » (1 Jn 3, 2). Cela correspond au « pouvoir de devenir enfants de Dieu » du Prologue de l’Évangile de Jean, « pouvoir de devenir », c’est-à-dire « pas encore tout à fait devenus ». En d’autres termes, « nous le sommes » déjà, par la foi au Ressuscité ; mais cela ne nous extrait pas du monde pour autant — c’est comme la chrysalide par rapport au papillon, qui n’est pas encore pleinement réalisé.
Ici, « enfants de Dieu » ne veut évidemment pas dire simplement créatures, mais parle de filiation intérieure, dans le don de la foi. Il s’agit de participation à la vie de celui qui a été « proclamé fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts » (Ro 1, 4). En d’autres termes, nous sommes déjà ressuscités, mais tant que persiste ce monde — avec tout ce qui fait son cortège de douleurs et de malheurs, qui prospèrent par le péché —, cela ne se voit pas encore, cela n’est pas encore manifesté.
… Jusqu’au jour où (1 Jn 3, 2) « nous deviendrons semblables à lui », où ce que nous sommes réellement sera « clairement révélé » : enfants de Dieu, aimés du Père avant tous les siècles…
Jean 10, 11-18
11 Je suis le bon berger : le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis.
12 Le mercenaire, qui n’est pas vraiment un berger et à qui les brebis n’appartiennent pas, voit-il venir le loup, il abandonne les brebis et prend la fuite ; et le loup s’en empare et les disperse.
13 C’est qu’il est mercenaire et que peu lui importent les brebis.
14 Je suis le bon berger, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent,
15 comme mon Père me connaît et que je connais mon Père ; et je me dessaisis de ma vie pour les brebis.
16 J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos et celles-là aussi, il faut que je les mène ; elles écouteront ma voix et il y aura un seul troupeau et un seul berger.
17 Le Père m’aime parce que je donne ma vie, pour ensuite la recevoir à nouveau.
18 Personne ne me l’enlève, mais je la donne de moi-même ; j’ai le pouvoir de la donner et j’ai le pouvoir de la recevoir à nouveau : tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père.
*
Ézéchiel, ch. 34, v. 2-3, avertissait : « Fils de l’homme, prophétise contre les pasteurs d’Israël ! Prophétise, et dis-leur : Ainsi parle le Seigneur, l’Éternel : Malheur aux pasteurs qui se paissaient eux-mêmes ! Les pasteurs ne devaient-ils pas paître le troupeau ? Vous avez mangé la graisse, vous vous êtes vêtus avec la laine, vous avez tué ce qui était gras, vous n’avez point fait paître les brebis. »
Le titre de pasteur — selon le sens du mot, celui qui fait paître, qui nourrit — est un titre des rois d'Israël, dans la Bible.
Au départ de la dynastie royale, David, dont Ézéchiel invective les successeurs, est berger de brebis avant d’être pasteur du peuple. Roi d’Israël, David perçoit sa tâche, faire paître le peuple, en imitation de Dieu, son pasteur (cf. Psaume 23 — « l’Éternel est mon berger »). Le livre du prophète Ézéchiel, ch. 34, 10-16 précise avec le Psaume 23 que Dieu lui-même est le pasteur du peuple, le bon pasteur :
Ainsi parle le Seigneur, l’Éternel : Voici, j’en veux aux pasteurs ! Je reprendrai mes brebis d’entre leurs mains, je ne les laisserai plus paître mes brebis, et ils ne se paîtront plus eux-mêmes ; je délivrerai mes brebis de leur bouche, et elles ne seront plus pour eux une proie.
Car ainsi parle le Seigneur, l’Éternel : Voici, j’aurai soin moi-même de mes brebis, […] et je les recueillerai de tous les lieux où elles ont été dispersées au jour des nuages et de l’obscurité […].
Je les ferai paître dans un bon pâturage, et leur demeure sera sur les montagnes élevées d’Israël ; là elles reposeront dans un agréable asile, et elles auront de gras pâturages sur les montagnes d’Israël.
C’est moi qui ferai paître mes brebis, c’est moi qui les ferai reposer, dit le Seigneur, l’Éternel.
La parole de Dieu dont les successeurs royaux de David sont censés paître Israël est celle qui, enseignant d'aimer Dieu, conduit ipso facto à être attentif au prochain et à le nourrir tout court. Mais si je me suis fait un Dieu à mon image, genre veau d'or ou autre idole, plurielle ou unique, le prochain à l'image du Dieu que nul ne peut représenter se perd — comme dans le brouillard qu’évoque Ézéchiel. Les rois qu’il dénonce oblitèrent la réalité du prochain : règnent violence et corruption, où chacun, à commencer par les plus puissants, se sert du prochain, l'exploite au lieu d'en prendre soin (« ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands », vient de dire dit Jésus — Jean 10, 8). Un pays géré par de tels dirigeants est de fait fragilisé. Le mécontentement gronde. Les fausses solutions foisonnent. La source où se donne la parole de Dieu que doivent promouvoir les rois-pasteurs est corrompue.
Quand Jésus se présente comme le pasteur, le bon, il parle de sa fonction royale, fondée dans sa relation avec Dieu, et cela en rapport avec ce qu’il se dépossède de sa vie, par intérêt pour ses brebis — et qu’il va jusqu’à se détacher de son identité propre, tandis qu’il se déclare aussi berger d’autres brebis, étendant sa mission jusqu'aux nations.
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Le berger de Dieu ne se paît pas lui-même, mais se dépossède de sa vie pour ses brebis, pour nous. Cela nous rappelle que le berger de Dieu vient de l’éternité. Rappelons-nous qu’il est dès le départ de l’Évangile de Jean présenté comme venant d’auprès de Dieu pour entrer dans ce temps de brouillard et de mort, ce temps qui part de sa naissance et débouche, comme toute vie humaine, sur sa mort.
Mais lui, dit-il, se dessaisit librement de sa vie, entre dans ce temps qui débouche sur la mort pour faire accéder celles et ceux qui lui sont confiés, ses brebis, sur le temps éternel dont il a accepté de se déposséder pour ce temps : « j’ai le pouvoir de la donner, et celui de la reprendre : tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père » (v. 18).
Les brebis, en effet, meurent en ce temps, même après que le berger les a sauvées du loup ou des brigands ou de la négligence des mercenaires — « mercenaire » désigne simplement les salariés, pour qui il s'agit d’obtenir un pécule provisoire, le temps d’un emploi temporaire ; contrairement au vrai berger, le mercenaire ne s’en tient qu’à ce qui se voit, au provisoire. Le vrai berger connaît ce qui ne se voit pas a priori, à savoir ce qui est unique en chaque brebis. Les pasteurs d'Églises ne sont que témoins de cela. Contre le regard en vérité du berger, le regard du mercenaire est temporaire, comme l’est la vie temporelle, provisoire, des brebis, notre vie… Ce n’est pas de la mort temporelle que le renoncement du berger à sa vie d’éternité sauve les brebis : les brebis vont finir par mourir, elles sont vouées à mourir — les brebis (l’image, à ce point, est troublante) ne sont-elles pas élevées pour leur laine, leur lait… mais aussi… leur viande ?!, vouées à mourir comme est mort l’agneau de Dieu, qui est aussi le bon berger.
C’est donc un autre temps qu’il s’agit de percevoir : celui d’où vient le berger, temps éternel dont il s’est dépossédé pour les brebis dans ce temps — les brebis de la bergerie auxquelles il s’adresse alors, Israël, mais aussi d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie-là (v. 16). Le salut qu’apporte le berger de Dieu s’étend à toutes les bergeries, toutes les nations. Alors « il y aura un seul troupeau et un seul berger. »
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On trouve un écho contemporain, qui rappelle l’invective d'Ézéchiel et le troupeau dispersé, dans la description que donne un écrivain de la fin du XIXe siècle de la situation en train de s'étendre. Parlant de ce qui est en vue, il écrit pour sa part : « Point de berger et un seul troupeau ! »
« La terre sera alors devenue plus petite, et sur elle sautillera le dernier homme, qui rapetisse tout. Son espèce est indestructible comme celle du puceron […].
‘Nous avons inventé le bonheur’ — disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.
Ils ont abandonné les contrées où il était dur de vivre : car on a besoin de chaleur. On aime encore son voisin et l’on se frotte à lui : car on a besoin de chaleur.
[…]
Un peu de poison de-ci de-là, pour se procurer des rêves agréables. Et beaucoup de poison enfin, pour mourir agréablement.
[…]
Point de berger et un seul troupeau ! Chacun veut la même chose, tous pareil : qui a d’autres sentiments va de son plein gré dans la maison des fous.
‘Autrefois tout le monde était fou’ — disent ceux qui sont les plus fins, et ils clignent de l’œil.
On est prudent et l’on sait tout ce qui est arrivé : c’est ainsi que l’on peut se moquer sans fin. On se dispute encore, mais on se réconcilie bientôt — car on ne veut pas se gâter l’estomac.
On a son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit : mais on respecte la santé.
‘Nous avons inventé le bonheur,’ — disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.” »
(Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Prologue § 5.)
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Ici, « point de pasteur et un seul troupeau ! » Mais le bon pasteur, parole éternelle qui seule peut nourrir ses brebis, se détache de sa vie propre, renonce à son éternité.
Jésus dévoile, en renonçant à sa vie, que Dieu l’envoie depuis l’éternité parce qu’il nous a aimés — « tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père » (cf. Lv 19, 18) — de sorte que nous sommes faits enfants de Dieu à son image ; réellement, précise la 1ère Épître de Jean (1 Jn 3, 1), même si cela ne se voit pas, de même que sachant ce que sont les choses, il ne se voit pas que « Dieu est amour » (1 Jn 4, 8 & 16). Mais Jésus ouvre les yeux aveugles (Jn 10, 21) qui se reconnaissent tels : si vous vous reconnaissiez aveugles vous verriez, vient-il de dire (ch. 9, v. 39-41).
C’est de la même façon que nous sommes enfants de Dieu ; et que cela ne se voit pas, n’est pas encore clairement révélé — « nous sommes maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté » (1 Jn 3, 2). Cela correspond au « pouvoir de devenir enfants de Dieu » du Prologue de l’Évangile de Jean, « pouvoir de devenir », c’est-à-dire « pas encore tout à fait devenus ». En d’autres termes, « nous le sommes » déjà, par la foi au Ressuscité ; mais cela ne nous extrait pas du monde pour autant — c’est comme la chrysalide par rapport au papillon, qui n’est pas encore pleinement réalisé.
Ici, « enfants de Dieu » ne veut évidemment pas dire simplement créatures, mais parle de filiation intérieure, dans le don de la foi. Il s’agit de participation à la vie de celui qui a été « proclamé fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts » (Ro 1, 4). En d’autres termes, nous sommes déjà ressuscités, mais tant que persiste ce monde — avec tout ce qui fait son cortège de douleurs et de malheurs, qui prospèrent par le péché —, cela ne se voit pas encore, cela n’est pas encore manifesté.
… Jusqu’au jour où (1 Jn 3, 2) « nous deviendrons semblables à lui », où ce que nous sommes réellement sera « clairement révélé » : enfants de Dieu, aimés du Père avant tous les siècles…
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