Actes 10.34-43 ; Psaume 118.1-20 ; Colossiens 3.1-4 ; Marc 16.1-8
Exode 14, v. 21-23 & v. 28
La sortie du pays de l’esclavage… La délivrance aboutit à la traversée de la mer, avant le débouché au désert. Le peuple hébreu est délivré de l’esclavage, l'armée de Pharaon est engloutie par les eaux. Le texte de l’Exode nous rappelle qu’un chant de louange est adressé à Dieu (par Moïse, sa sœur Myriam et le peuple libéré — Exode 15). Un commentaire juif, dans le Talmud, nous dit alors :
“Au même moment (lorsque Moïse entonna le cantique) les anges du service demandèrent à dire un cantique devant le Saint — béni soit-il, celui-ci leur dit : les créatures de mes mains sont en train de se noyer, et vous voulez dire un cantique de grâce !” (Talmud de Babylone, Traité Sanhédrin)
La libération des esclaves s’est faite douloureusement. Les propriétaires d’esclaves ne libèrent pas de bon cœur ceux qu’ils considèrent comme leurs possessions. La Bible rappelle cette difficulté : il est des libérations qui ne se font qu’à travers des douleurs considérables. Comment ces épisodes terribles se sont déroulés concrètement, c’est difficile à dire, et au fond, le texte ne l’explique pas, même si, par sa façon d’en donner le récit, il affirme que cela n’échappe pas à Dieu.
Ce qui vaut réjouissance, ce n’est pas la violence, c’est la libération des opprimés… qui entraîne le plus souvent des violences, comme dans le texte de l’Exode. À l'époque moderne non plus, la libération des esclaves (pensons à la guerre civile américaine) n'a pu se faire sans violence. Ce n’est pas la violence qui est réjouissante, c’est la libération — “go down Moses, tell old Pharaoh to let my people go” ! De même pour la Révolution française, ce n’est pas la violence qui est réjouissante, c’est la Déclaration des Droits de l’homme qui en est sortie, écrite sur des tables similaires à celles que l’on représente pour le Décalogue. Ou au XXe s., la libération à l’égard du nazisme, qui n’a pas pu se faire sans violence, a débouché sur la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, qui dit les règles à observer pour que cela ne se reproduise pas.
Dans tous les cas, la douleur a dû être traversée : c’est la Pâque, ou le passage, le saut (Pessah en hébreu) pour aboutir à l’avènement de la liberté. La douleur en est l’aspect tragique, qui attriste Dieu, selon le commentaire talmudique. Ce qui vaut la joie, c’est la liberté reçue, pas son prix douloureux.
Pâques, dans le christianisme, évoque cet autre saut, au-delà de la mer / au-delà de la mort. Ce passage-là aussi s’est fait dans la douleur, celle de la crucifixion. La violence relatée dans l’Exode est bien présente ici aussi, tragique ! Elle est portée ici par le libérateur, celui qui a triomphé de la mort, le dernier ennemi qu’il a fallu combattre. Là aussi, ce qui est réjouissant, ce n’est pas la violence subie, c’est la libération, proclamée au dimanche de Pâques, scellant la victoire sur la mort et faisant de la croix le lieu de l'élévation de celui qui a subi et porté en sa chair toute la violence de ce combat. La croix apparaît alors, à la lumière rétroactive du dimanche de Pâques, comme l’élévation du Christ dans la lumière de la gloire du Père. Il a triomphé du dernier ennemi, dont la défaite finale, future (1 Co 15, 26), est ainsi annoncée et assurée.
Dimanche de Pâques… Marc 16, 1-8
Voilà que pour les femmes du dimanche de Pâques, le triomphe sur la mort s'avère effrayant ! Pourtant ce triomphe est une promesse ! Mais une promesse qui pour les femmes, comme pour les pères ayant traversé la mer, n’est encore que promesse, ouvrant d'abord sur le désert.
Le peuple de l’Exode a traversé le désert. Le Christ a commencé son ministère au désert disant sa solidarité avec chacune et chacun de nous, solidarité accomplie lorsqu'il a porté le prix de douleur de notre libération, nous appelant, à sa suite, à la solidarité, comme lors d'autres déserts, comme lors de celui de nos ancêtres spirituels protestants français, interdits d'existence pendant plus d’un siècle, après un autre siècle de maigre tolérance.
Aujourd’hui, au cœur de la pandémie que nous traversons, comme une nouvelle traversée de la mer de la mort, et comme un nouveau désert, la promesse nous est donnée à nous aussi pour après le désert, la même promesse du triomphe final sur la mort… À Pâques l’an dernier, nous étions totalement confinés, un peu comme le peuple hébreu la nuit de la Pâque, avant la traversée de la mer qui les conduirait au désert.
Cette année, nous voilà comme les femmes effrayées de l’Évangile de Marc, avec une promesse, juste une promesse, alors que nous sommes rivés à ces affreux nécessaires gestes-barrières.
Le désert suit la traversée de la mer / de la mort : et si c'était en rapport avec ce qui effraye les femmes du dimanche de Pâques ?… Les voilà seules devant un tombeau vide, désertique. Vide effrayant, malgré la bonne nouvelle donnée par le messager en vêtements blancs : le crucifié est ressuscité ! Mais ce relèvement d’entre les morts se traduit d’abord par une absence : il n’est plus ici, son corps-même n’est plus là, on ne peut pas le toucher. Pire encore que nos gestes barrières : plus rien, il faut repartir au désert, dans la patience espérante, tendus vers le temps des retrouvailles, temps de fête de Pâques nouvelles pour lequel nous crions : Maranatha, le Seigneur vient ! Maranatha, viens Seigneur !
Double sens de ce Maranatha ! Promesse et appel, le mot araméen peut s’entendre des deux façons. Promesse : “le Seigneur vient”, cri d’appel, “viens, Seigneur !” cri qui bientôt suivra la peur des femmes, se retrouvant pour l'heure seules devant un tombeau vide. En attendant, il faut repartir au désert, fût-ce pour aller annoncer la bonne nouvelle : “allez dire à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède en Galilée”. Il sera là, vous le verrez là où il vous donnait son enseignement, là où il vous partageait les pains, pour vous et la foule. Pour l’instant, vous avez peur, peur de cette absence qui a valu au Maître le sentiment de l'abandon du Père, parce qu'il s’est solidarisé avec nous jusque-là. La bonne nouvelle ne serait-elle pas alors dans notre solidarité avec toutes celles et ceux qui connaissent l’absence, le vide ? Notre temps de désert imposé, à l’image du Christ jeûnant au désert, devient alors profonde expérience spirituelle, au-delà de la peur devant le tombeau vide. “Ne vous épouvantez pas ; vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié ; il est ressuscité, il n’est point ici”.
Et si c’était là précisément, cette année, la bonne nouvelle pour nous ? Notre jour de Pâques incluant jeûn de présence signifiée par notre table vide, trace modeste de l’épreuve de l’Exode, puis de la croix comme douleur de délivrance, nous conduit par un “culte autrement” que les autres dimanches de Pâques, à la bonne nouvelle — promesse : Maranatha, le Seigneur vient ! et appel : Maranatha, viens Seigneur !
Exode 14, v. 21-23 & v. 28
21 Moïse étendit sa main sur la mer. Et l’Éternel refoula la mer par un vent d’orient, qui souffla avec impétuosité toute la nuit ; il mit la mer à sec, et les eaux se fendirent.
22 Les enfants d’Israël entrèrent au milieu de la mer à sec, et les eaux formaient comme une muraille à leur droite et à leur gauche.
23 Les Égyptiens les poursuivirent ; et tous les chevaux de Pharaon, ses chars et ses cavaliers, entrèrent après eux au milieu de la mer. […]
28 Les eaux revinrent, et couvrirent les chars, les cavaliers et toute l’armée de Pharaon, qui étaient entrés dans la mer après les enfants d’Israël.
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La Pâque, Pessah…
La sortie du pays de l’esclavage… La délivrance aboutit à la traversée de la mer, avant le débouché au désert. Le peuple hébreu est délivré de l’esclavage, l'armée de Pharaon est engloutie par les eaux. Le texte de l’Exode nous rappelle qu’un chant de louange est adressé à Dieu (par Moïse, sa sœur Myriam et le peuple libéré — Exode 15). Un commentaire juif, dans le Talmud, nous dit alors :
“Au même moment (lorsque Moïse entonna le cantique) les anges du service demandèrent à dire un cantique devant le Saint — béni soit-il, celui-ci leur dit : les créatures de mes mains sont en train de se noyer, et vous voulez dire un cantique de grâce !” (Talmud de Babylone, Traité Sanhédrin)
La libération des esclaves s’est faite douloureusement. Les propriétaires d’esclaves ne libèrent pas de bon cœur ceux qu’ils considèrent comme leurs possessions. La Bible rappelle cette difficulté : il est des libérations qui ne se font qu’à travers des douleurs considérables. Comment ces épisodes terribles se sont déroulés concrètement, c’est difficile à dire, et au fond, le texte ne l’explique pas, même si, par sa façon d’en donner le récit, il affirme que cela n’échappe pas à Dieu.
Ce qui vaut réjouissance, ce n’est pas la violence, c’est la libération des opprimés… qui entraîne le plus souvent des violences, comme dans le texte de l’Exode. À l'époque moderne non plus, la libération des esclaves (pensons à la guerre civile américaine) n'a pu se faire sans violence. Ce n’est pas la violence qui est réjouissante, c’est la libération — “go down Moses, tell old Pharaoh to let my people go” ! De même pour la Révolution française, ce n’est pas la violence qui est réjouissante, c’est la Déclaration des Droits de l’homme qui en est sortie, écrite sur des tables similaires à celles que l’on représente pour le Décalogue. Ou au XXe s., la libération à l’égard du nazisme, qui n’a pas pu se faire sans violence, a débouché sur la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, qui dit les règles à observer pour que cela ne se reproduise pas.
Dans tous les cas, la douleur a dû être traversée : c’est la Pâque, ou le passage, le saut (Pessah en hébreu) pour aboutir à l’avènement de la liberté. La douleur en est l’aspect tragique, qui attriste Dieu, selon le commentaire talmudique. Ce qui vaut la joie, c’est la liberté reçue, pas son prix douloureux.
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Pâques, dans le christianisme, évoque cet autre saut, au-delà de la mer / au-delà de la mort. Ce passage-là aussi s’est fait dans la douleur, celle de la crucifixion. La violence relatée dans l’Exode est bien présente ici aussi, tragique ! Elle est portée ici par le libérateur, celui qui a triomphé de la mort, le dernier ennemi qu’il a fallu combattre. Là aussi, ce qui est réjouissant, ce n’est pas la violence subie, c’est la libération, proclamée au dimanche de Pâques, scellant la victoire sur la mort et faisant de la croix le lieu de l'élévation de celui qui a subi et porté en sa chair toute la violence de ce combat. La croix apparaît alors, à la lumière rétroactive du dimanche de Pâques, comme l’élévation du Christ dans la lumière de la gloire du Père. Il a triomphé du dernier ennemi, dont la défaite finale, future (1 Co 15, 26), est ainsi annoncée et assurée.
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Dimanche de Pâques… Marc 16, 1-8
1 Lorsque le shabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé, achetèrent des aromates, afin d’aller embaumer Jésus.
2 Le premier jour de la semaine, elles se rendirent au sépulcre, de grand matin, comme le soleil venait de se lever.
3 Elles disaient entre elles : Qui nous roulera la pierre loin de l’entrée du sépulcre ?
4 Et, levant les yeux, elles aperçurent que la pierre, qui était très grande, avait été roulée.
5 Elles entrèrent dans le sépulcre, virent un jeune homme assis à droite vêtu d’une robe blanche, et elles furent épouvantées.
6 Il leur dit : Ne vous épouvantez pas ; vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié ; il est ressuscité, il n’est point ici ; voici le lieu où on l’avait mis.
7 Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède en Galilée : c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit.
8 Elles sortirent du sépulcre et s’enfuirent. La peur et le trouble les avaient saisies ; et elles ne dirent rien à personne, à cause de leur effroi.
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Voilà que pour les femmes du dimanche de Pâques, le triomphe sur la mort s'avère effrayant ! Pourtant ce triomphe est une promesse ! Mais une promesse qui pour les femmes, comme pour les pères ayant traversé la mer, n’est encore que promesse, ouvrant d'abord sur le désert.
Le peuple de l’Exode a traversé le désert. Le Christ a commencé son ministère au désert disant sa solidarité avec chacune et chacun de nous, solidarité accomplie lorsqu'il a porté le prix de douleur de notre libération, nous appelant, à sa suite, à la solidarité, comme lors d'autres déserts, comme lors de celui de nos ancêtres spirituels protestants français, interdits d'existence pendant plus d’un siècle, après un autre siècle de maigre tolérance.
Aujourd’hui, au cœur de la pandémie que nous traversons, comme une nouvelle traversée de la mer de la mort, et comme un nouveau désert, la promesse nous est donnée à nous aussi pour après le désert, la même promesse du triomphe final sur la mort… À Pâques l’an dernier, nous étions totalement confinés, un peu comme le peuple hébreu la nuit de la Pâque, avant la traversée de la mer qui les conduirait au désert.
Cette année, nous voilà comme les femmes effrayées de l’Évangile de Marc, avec une promesse, juste une promesse, alors que nous sommes rivés à ces affreux nécessaires gestes-barrières.
Le désert suit la traversée de la mer / de la mort : et si c'était en rapport avec ce qui effraye les femmes du dimanche de Pâques ?… Les voilà seules devant un tombeau vide, désertique. Vide effrayant, malgré la bonne nouvelle donnée par le messager en vêtements blancs : le crucifié est ressuscité ! Mais ce relèvement d’entre les morts se traduit d’abord par une absence : il n’est plus ici, son corps-même n’est plus là, on ne peut pas le toucher. Pire encore que nos gestes barrières : plus rien, il faut repartir au désert, dans la patience espérante, tendus vers le temps des retrouvailles, temps de fête de Pâques nouvelles pour lequel nous crions : Maranatha, le Seigneur vient ! Maranatha, viens Seigneur !
Double sens de ce Maranatha ! Promesse et appel, le mot araméen peut s’entendre des deux façons. Promesse : “le Seigneur vient”, cri d’appel, “viens, Seigneur !” cri qui bientôt suivra la peur des femmes, se retrouvant pour l'heure seules devant un tombeau vide. En attendant, il faut repartir au désert, fût-ce pour aller annoncer la bonne nouvelle : “allez dire à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède en Galilée”. Il sera là, vous le verrez là où il vous donnait son enseignement, là où il vous partageait les pains, pour vous et la foule. Pour l’instant, vous avez peur, peur de cette absence qui a valu au Maître le sentiment de l'abandon du Père, parce qu'il s’est solidarisé avec nous jusque-là. La bonne nouvelle ne serait-elle pas alors dans notre solidarité avec toutes celles et ceux qui connaissent l’absence, le vide ? Notre temps de désert imposé, à l’image du Christ jeûnant au désert, devient alors profonde expérience spirituelle, au-delà de la peur devant le tombeau vide. “Ne vous épouvantez pas ; vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié ; il est ressuscité, il n’est point ici”.
Et si c’était là précisément, cette année, la bonne nouvelle pour nous ? Notre jour de Pâques incluant jeûn de présence signifiée par notre table vide, trace modeste de l’épreuve de l’Exode, puis de la croix comme douleur de délivrance, nous conduit par un “culte autrement” que les autres dimanches de Pâques, à la bonne nouvelle — promesse : Maranatha, le Seigneur vient ! et appel : Maranatha, viens Seigneur !
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