Ésaïe 53, 1-6
Jean 19, 25-28
« Voici ton fils. Voici ta mère » (Jn 19, 26-27). Voici un temps d’enfantement — selon ce que Jésus annonçait lui-même : le grain, en mourant, voit germer son fruit. Aujourd’hui, mourant dans la soif de Dieu — v. 28 : « J’ai soif » —, le Fils de Dieu voit éclore les Écritures, ouvrant sur un autre sens les versets de la Bible cités au vendredi saint, avec en perspective une reprise sous-jacente d’Ésaïe 53. C'est le temps pour chacune et chacun de nous de son enfantement à son nom d’enfant bien-aimé, quand hors de cela nous sommes des anonymes, comme le Serviteur du livre du prophète Ésaïe.
Dans le livre d’Ésaïe, un homme est mis en cause, persécuté, exécuté… Quel délit ou crime présumé ? Qu’est-ce qui a mené à la situation qui voit le Serviteur subir la violence persécutrice ? Et qui est-il ? Qui est le Serviteur souffrant ? On a longuement débattu pour savoir de qui il s’agit… Débat devenu parfois virulent entre juifs et chrétiens. Un faux débat : le texte ignore expressément qui est le Serviteur de Dieu !
Aucun nom, aucun acte d’accusation, aucun procès verbal. Un Serviteur qui n’est pas nommé, de même que le prétexte de sa mise à mort n’est pas donné ! Apparaît comme en filigrane que quel qu’il soit, le prétexte de sa persécution est sans importance : c’est un prétexte, précisément ! Un prétexte pour ceux qui sont face à lui, qu’Ésaie intitule « nous ». Car là, le texte est éloquent : « nous », tous concernés par une violence qui, selon le prophète, nous libère : le Serviteur est la victime d’une violence qu’il subit pour autrui, « nous ». Ce « nous » collectif est aussi anonyme que le Serviteur, et trouve la paix via — ce sont les mots d’Ésaïe — « la sanction [tombée] sur lui — dans ses plaies se trouvait notre guérison » (És 53, v. 5). Et cela « nous » concerne (dans les versets 1 à 6, on compte dans l’hébreu pas moins de douze fois « nous » — en six versets !).
Au-delà de l’enracinement historique, que le texte ne donne pas plus qu’il ne donne d’information sur qui est le Serviteur —, ce qui est dévoilé est un phénomène humain, trop humain, universellement humain… Le Serviteur est le « bouc émissaire » anonyme de la violence de tous : « nous », ce « nous tous », tant souligné par le texte, contre une victime innocente. On est au cœur d’Ésaïe 53 : le persécuté est innocent.
C’est là que la foi des disciples du Crucifié retrouvera la figure du Christ — pas lieu de débattre, donc, de l'identité du Serviteur d'Ésaïe — : c’est d’une relecture qu’il s'agit —, et Jésus lui-même n’a bien sûr pas manqué de méditer la leçon d’Ésaïe 53 : « Le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon », préviendra-t-il (Marc 10, 45). Il devient le visage de celui qui nous rejoint dans l’anonymat pour nous donner un nom, pour faire de chacune et chacun de nous, à son image de Fils unique de Dieu, autant d'enfants de Dieu uniques devant Dieu, chacune et chacun.
L’on retrouve ainsi ces mots inouïs : « Voici ton fils. Voici ta mère ». Comme on s'est demandé, en vain, qui est le Serviteur d’Ésaïe, on s’est demandé qui est l’anonyme disciple bien-aimé qui reçoit ces paroles. On a pensé le plus souvent à Jean, mais aussi à Lazare*, appelé tout de même bien-aimé (en Jn 11, 3), ou encore à Jacques**, etc.
Et si c’était, en écho à l’anonymat du Serviteur d’Ésaïe, « nous tous » qui étions invités à recueillir dans l’anonymat du disciple bien-aimé recevant ce « voici ta mère » le statut d’enfant bien-aimé nous sortant de notre propre anonymat ?... en écho au tout début de ce même Évangile de Jean annonçant que — à celles et ceux qui ont l’ont reçue, qui croient son nom, la Parole éternelle « a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, lesquels sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu » (Jn 1, 12-13). Méditant Ésaïe, Jésus donne son visage au Serviteur anonyme, et nous donne un visage devant Dieu, un nom devant Dieu. Entre Jn 1 et Jn 19, lui, le premier né de Dieu, non de la chair, du sang ou de la volonté de l’homme mais de Dieu, nous donne le pouvoir de devenir enfants de Dieu d’une façon similaire, promesse accomplie dans la parole donnée au disciple bien-aimé.
C’est le temps de la naissance du monde éternel dans l’élévation du Fils à la croix, à la gloire, temps donné ici dans la parole adressée au disciple bien-aimé et à la mère du Fils de Dieu : « Voici ton fils. Voici ta mère ».
La transfiguration de ce monde en agonie s’opère ici, en celui qui est en agonie jusqu’à la fin du temps. Déjà germe le temps éternel de la résurrection, fruit de l’ensemencement donné de Dieu dans le sein de la femme au pied de la croix. Enfantant la Parole devenue chair, c’est le monde à venir qui germait d’elle. Aujourd’hui la germination de cette semence est annoncée au disciple bien-aimé, connu de Dieu : il découvre à la croix la provenance éternelle de sa vie dans le temps.
Dès lors, « tout est accompli », dit Jésus (v. 30), faisant éclore de sa mort le fruit d’éternité que souffle l’Esprit éternel, expiré par lui qui, inclinant la tête, remet son esprit, pour entrer dans son Shabbath, comme pour la Genèse, au terme de l'avènement de la création nouvelle.
1 Qui donc a cru à ce que nous avons entendu dire ? Le bras du SEIGNEUR, en faveur de qui a t-il été dévoilé ?
2 Devant Lui, celui-là végétait comme un rejeton, comme une racine sortant d’une terre aride ; il n’avait ni aspect, ni prestance tels que nous le remarquions, ni apparence telle que nous le recherchions.
3 Il était méprisé, laissé de côté par les hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, tel celui devant qui l’on cache son visage ; oui, méprisé, nous ne l’estimions nullement.
4 En fait, ce sont nos souffrances qu’il a portées, ce sont nos douleurs qu’il a supportées, et nous, nous l’estimions touché, frappé par Dieu et humilié.
5 Mais lui, il était déshonoré à cause de nos révoltes, broyé à cause de nos perversités : la sanction, gage de paix pour nous, était sur lui, et dans ses plaies se trouvait notre guérison.
6 Nous tous, comme du petit bétail, nous étions errants, nous nous tournions chacun vers son chemin, et le SEIGNEUR a fait retomber sur lui la perversité de nous tous.
Jean 19, 25-28
25 Près de la croix de Jésus se tenaient debout sa mère, la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas et Marie de Magdala.
26 Voyant ainsi sa mère et près d’elle le disciple qu’il aimait, Jésus dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. »
27 Il dit ensuite au disciple : « Voici ta mère. » Et depuis cette heure-là, le disciple la prit chez lui.
28 Après quoi, sachant que dès lors tout était achevé, pour que l’Écriture soit accomplie jusqu’au bout, Jésus dit : « J’ai soif ».
*
« Voici ton fils. Voici ta mère » (Jn 19, 26-27). Voici un temps d’enfantement — selon ce que Jésus annonçait lui-même : le grain, en mourant, voit germer son fruit. Aujourd’hui, mourant dans la soif de Dieu — v. 28 : « J’ai soif » —, le Fils de Dieu voit éclore les Écritures, ouvrant sur un autre sens les versets de la Bible cités au vendredi saint, avec en perspective une reprise sous-jacente d’Ésaïe 53. C'est le temps pour chacune et chacun de nous de son enfantement à son nom d’enfant bien-aimé, quand hors de cela nous sommes des anonymes, comme le Serviteur du livre du prophète Ésaïe.
Dans le livre d’Ésaïe, un homme est mis en cause, persécuté, exécuté… Quel délit ou crime présumé ? Qu’est-ce qui a mené à la situation qui voit le Serviteur subir la violence persécutrice ? Et qui est-il ? Qui est le Serviteur souffrant ? On a longuement débattu pour savoir de qui il s’agit… Débat devenu parfois virulent entre juifs et chrétiens. Un faux débat : le texte ignore expressément qui est le Serviteur de Dieu !
Aucun nom, aucun acte d’accusation, aucun procès verbal. Un Serviteur qui n’est pas nommé, de même que le prétexte de sa mise à mort n’est pas donné ! Apparaît comme en filigrane que quel qu’il soit, le prétexte de sa persécution est sans importance : c’est un prétexte, précisément ! Un prétexte pour ceux qui sont face à lui, qu’Ésaie intitule « nous ». Car là, le texte est éloquent : « nous », tous concernés par une violence qui, selon le prophète, nous libère : le Serviteur est la victime d’une violence qu’il subit pour autrui, « nous ». Ce « nous » collectif est aussi anonyme que le Serviteur, et trouve la paix via — ce sont les mots d’Ésaïe — « la sanction [tombée] sur lui — dans ses plaies se trouvait notre guérison » (És 53, v. 5). Et cela « nous » concerne (dans les versets 1 à 6, on compte dans l’hébreu pas moins de douze fois « nous » — en six versets !).
Au-delà de l’enracinement historique, que le texte ne donne pas plus qu’il ne donne d’information sur qui est le Serviteur —, ce qui est dévoilé est un phénomène humain, trop humain, universellement humain… Le Serviteur est le « bouc émissaire » anonyme de la violence de tous : « nous », ce « nous tous », tant souligné par le texte, contre une victime innocente. On est au cœur d’Ésaïe 53 : le persécuté est innocent.
C’est là que la foi des disciples du Crucifié retrouvera la figure du Christ — pas lieu de débattre, donc, de l'identité du Serviteur d'Ésaïe — : c’est d’une relecture qu’il s'agit —, et Jésus lui-même n’a bien sûr pas manqué de méditer la leçon d’Ésaïe 53 : « Le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon », préviendra-t-il (Marc 10, 45). Il devient le visage de celui qui nous rejoint dans l’anonymat pour nous donner un nom, pour faire de chacune et chacun de nous, à son image de Fils unique de Dieu, autant d'enfants de Dieu uniques devant Dieu, chacune et chacun.
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L’on retrouve ainsi ces mots inouïs : « Voici ton fils. Voici ta mère ». Comme on s'est demandé, en vain, qui est le Serviteur d’Ésaïe, on s’est demandé qui est l’anonyme disciple bien-aimé qui reçoit ces paroles. On a pensé le plus souvent à Jean, mais aussi à Lazare*, appelé tout de même bien-aimé (en Jn 11, 3), ou encore à Jacques**, etc.
Et si c’était, en écho à l’anonymat du Serviteur d’Ésaïe, « nous tous » qui étions invités à recueillir dans l’anonymat du disciple bien-aimé recevant ce « voici ta mère » le statut d’enfant bien-aimé nous sortant de notre propre anonymat ?... en écho au tout début de ce même Évangile de Jean annonçant que — à celles et ceux qui ont l’ont reçue, qui croient son nom, la Parole éternelle « a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, lesquels sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu » (Jn 1, 12-13). Méditant Ésaïe, Jésus donne son visage au Serviteur anonyme, et nous donne un visage devant Dieu, un nom devant Dieu. Entre Jn 1 et Jn 19, lui, le premier né de Dieu, non de la chair, du sang ou de la volonté de l’homme mais de Dieu, nous donne le pouvoir de devenir enfants de Dieu d’une façon similaire, promesse accomplie dans la parole donnée au disciple bien-aimé.
C’est le temps de la naissance du monde éternel dans l’élévation du Fils à la croix, à la gloire, temps donné ici dans la parole adressée au disciple bien-aimé et à la mère du Fils de Dieu : « Voici ton fils. Voici ta mère ».
La transfiguration de ce monde en agonie s’opère ici, en celui qui est en agonie jusqu’à la fin du temps. Déjà germe le temps éternel de la résurrection, fruit de l’ensemencement donné de Dieu dans le sein de la femme au pied de la croix. Enfantant la Parole devenue chair, c’est le monde à venir qui germait d’elle. Aujourd’hui la germination de cette semence est annoncée au disciple bien-aimé, connu de Dieu : il découvre à la croix la provenance éternelle de sa vie dans le temps.
Dès lors, « tout est accompli », dit Jésus (v. 30), faisant éclore de sa mort le fruit d’éternité que souffle l’Esprit éternel, expiré par lui qui, inclinant la tête, remet son esprit, pour entrer dans son Shabbath, comme pour la Genèse, au terme de l'avènement de la création nouvelle.
RP, Poitiers, Vendredi saint, 2.04.21
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* O. Cullmann ; ** L. Pernot
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