dimanche 2 mai 2021

Cep éternel



(Cf. en bas de page, versions imprimables)

Actes 9.26-31 ; Psaume 22 ; 1 Jean 3.18-24 ; Jean 15.1-8

Jean 15, 1-8
1 Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron.
2 Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l'enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, afin qu'il en porte davantage encore.
3 Déjà vous êtes émondés par la parole que je vous ai dite.
4 Demeurez en moi comme je demeure en vous! De même que le sarment, s'il ne demeure sur la vigne, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi.
5 Je suis la vigne, vous êtes les sarments : qui demeure en moi et en qui je demeure, portera du fruit en abondance car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire.
6 Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, il se dessèche, puis on les ramasse, on les jette au feu et ils brûlent.
7 Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez ce que vous voudrez, et cela vous arrivera.
8 Ce qui glorifie mon Père, c'est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples. <br /><br /> 9 Comme le Père m'a aimé, moi aussi, je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. <br /> 10 Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi j'ai gardé les commandements de mon Père et je demeure dans son amour. <br /> 11 Je vous ai parlé ainsi pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète. <br /> 12 Voici mon commandement&nbsp;: que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés. <br /> 13 Personne n'a de plus grand amour que celui qui se défait de sa vie pour ses amis. <br /> 14 Vous, vous êtes mes amis si vous faites ce que, moi, je vous commande. <br /> 15 Je ne vous appelle plus esclaves, parce que l'esclave ne sait pas ce que fait son maître. Je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j'ai entendu de mon Père. <br /> 16 Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et institués pour que, vous, vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure&nbsp;; afin que le Père vous donne tout ce que vous lui demanderez en mon nom. <br /> 17 Ce que je vous commande, c'est que vous vous aimiez les uns les autres.


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Entre 1864 et 1900, un puceron, nouveau en Europe, le phylloxéra, ravageait les vignobles. Il a fallu tout reconstituer, arracher les plants menacés pour les greffer sur un cep qui résiste au parasite. Illustration de la situation dont il est question dans notre texte : la vigne de Dieu est menacée par la puissance romaine jusqu’à sa racine symbolique, le Temple de Jérusalem. Quel cep donner aux sarments ? Peuple menacé dans les racines de sa santé… aujourd'hui, quand on nous assure qu'il y aura un avant et un après covid, façon de phylloxéra, quelle espérance recevoir dans cette image biblique d’un cep gorgé de promesses ?

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Vigne et vigneron sont une image biblique classique par laquelle les prophètes désignaient la relation de Dieu avec son peuple. Cette relation de Dieu avec son peuple était centrée sur le Temple de Jérusalem, où l’on montait régulièrement en pèlerinage pour célébrer Dieu.

Lors du discours d’adieu de Jésus à ses disciples, durant lequel sont prononcés ces mots, selon l’Évangile, on est en plein dans une de ces périodes de pèlerinage. Pèlerinage important, celui de Pessah, la Pâque, par laquelle on commémore la libération de l’esclavage — libération de tous les esclavages, de tous nos esclavages. Quant aux vignes, cela tombe donc à peu près en la période qui correspond à celle de la fin de la taille. La taille sur la fin, on brûle les sarments que l'on a coupés et qui ont séché, les premières pousses apparaissent.

Entre la vigne et Temple, le rapport est souligné en ce que sur les portes du Temple d'alors, le Temple d'Hérode, est sculpté un cep, justement, qui symbolise bien ce qu'il en est classiquement : Israël est la vigne, Dieu est le vigneron, leurs rapports se nouent au Temple. Aussi, quand Jésus leur dit : « en vrai, la vigne, c'est moi », les disciples ont tout lieu d’être troublés.

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Le signe, la signification spirituelle autour du Temple ou de Jésus, est lié à ce que le vin et la vigne qui le porte sont, dans la Bible, une expression privilégiée de la bénédiction. Cultiver sa vigne, en boire le vin, tel est, pour une bonne part, le bonheur, selon la Bible.

L'Ecclésiaste le résume ainsi : « Va, mange avec joie ton pain et bois de bon cœur ton vin, car déjà Dieu a agréé tes œuvres » (Ecc 9:7). Et pour le Deutéronome : « Dieu t'aimera, te bénira, te rendra nombreux et il bénira le fruit de ton sein et le fruit de ton sol, ton blé, ton vin nouveau et ton huile, tes vaches pleines et tes brebis mères, sur la terre qu'il a juré à tes pères de te donner » (Dt 7:13). Ou : « En sécurité, Israël se repose ; elle coule à l'écart, la source de Jacob, vers un pays de blé et de vin nouveau, et le ciel même y répand la rosée » (Dt 33:28).

En ces jours heureux, les jours de la bénédiction, le vin, fruit de la vigne, signe de joie, entre simplement dans un quotidien qui oublie son bonheur. Qui oublie le revers de la médaille, le jour où l'on découvre que précisément on connaît le bonheur passé lorsqu'on l'a perdu : pèse en permanence la menace du jour où, encore le Deutéronome : « Tu planteras et tu soigneras des vignes, mais tu ne boiras pas de vin, tu ne feras même pas la vendange, car le ver aura tout mangé » (Dt 28:39). Le ver, le gel, ou cet autre ver qu'est l'ennemi vainqueur, le jour de l'exil : « ces maisons en pierre de taille que vous avez bâties, vous n'y résiderez pas ; ces vignes de délices que vous avez plantées, vous n'en boirez pas le vin », dit le prophète Amos (5:11).

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Quand le Temple, symbolisé par la vigne, est menacé, tout le bonheur promis, symbolisé par la joie du vin, est menacé. Jésus l'a dit à plusieurs reprises. Les Romains sont dans la ville. Le peuple, et surtout les responsables, sont bien conscients de la menace. Et la menace est donc mise en parallèle avec les paraboles des anciens prophètes sur la vigne et le vigneron. Jésus réutilise ces anciennes paraboles pour dire cette menace nouvelle qui veut qu'encore, comme antan, le Temple est en passe d'être détruit, et avec lui la joie du peuple. La destruction du Temple aura lieu quarante ans plus tard, en 70. Alors, dans notre texte, un cep spirituel est dessiné, en Jésus lui-même qui se présente comme la vigne.

Déjà se réalise ce qui s'accomplira en 70. Un temple spirituel s'enracine, comme parole de consolation en vue de ce qui va arriver. Les sarments que l'on voit brûler au bord du chemin en cette fin de la période de la taille prennent des signes de prophétie. Le Temple aussi sera brûlé, par les Romains. Les anciens plants seront déracinés, un nouveau monde est possible après la pandémie.

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Ce qui porte du bon fruit est émondé, taillé. Le fruit sera bon, parce que la sève du bon cep coule dans sarments déjà émondés, ce produit de la greffe de l'ancienne vigne sur le cep nouveau, le nouveau Temple, céleste, dévoilé dans le corps du Christ ressuscité.

Sans compter les Romains, le phylloxéra ou la pandémie, qui sont l'occasion, le moyen du problème, nous avons une explication, qui nous concerne tous : le temps a fait son œuvre. L'Épître aux Hébreux le dit ainsi, concernant le Temple : en ses formes, rassemblées autour du Temple, justement, l’Alliance est comme usée (Hé 8:13), appelée à être renouvelée. Et Jean exprime cette idée dans toute sa force : le monde s'est usé. Avec la prochaine destruction du Temple par les Romains, c'est le vieux monde qui meurt ; il montre ainsi déjà qu'il est mortel, corruptible. Mais l'Alliance est éternelle :  « ma parole ne passera pas » (Es 40:7-8 ; Ps 102:27 ; Mt 24:35), tandis que le monde passe.

Car le monde s'use, et cela affecte même le Temple : les épicuriens, philosophes alors en vogue chez les Romains, professaient à la même époque que « les temples, les statues des dieux, s'affaissent trahis par l'âge » ; il n'est pas jusqu'aux astres qui ne soient corruptibles, disait leur chef de file latin, Lucrèce (cf. Lucrèce - Ier siècle av. J.C. -, De la nature, livre V, trad. Clouard, Paris, Flammarion, coll. G.F., 1964, p.164-165).

Le vieux monde s'use, le nouveau se prépare, dans la chair du Christ, à la veille d'une Pâque qui le verra mourir pour ressusciter. C'est de cette vie là, vie de résurrection, qu'il faut vivre. C'est sur ce cep-là qu'il faut être greffé pour porter le fruit nouveau, le fruit de vie que Dieu attend de sa vigne.

Le vieux monde — symbolisé par un Temple fait de mains d'hommes, comme le disait Salomon inaugurant le premier Temple, fait de mains d'hommes et donc destructible —, le vieux monde se meurt, atteint par le temps, par la maladie, phylloxéra, covid, etc. Au-delà de tout cela, c'est d'une autre maladie, le péché, que ce vieux monde s'avère mortel, qu'il s'avère vicié.

Ici est enseignée une nouvelle leçon sur la fragilité d'un bonheur passager : « Israël, vigne florissante, produisait du fruit à l'avenant. Plus ses fruits se multipliaient, plus il multipliait les autels; plus sa terre était belle, plus ils embellissaient les stèles », écrit le prophète Osée (10:1).

Mais voilà, avertit le prophète Joël : « La vigne est étiolée, le figuier flétri ; grenadier, palmier, pommier, tous les arbres des champs sont desséchés. La gaieté, confuse, se retire d'entre les humains » (Jl 1:12).

Quand à travers la vigne et le vin, les prophètes conduisaient antan leurs méditations, en lien avec l'exil et la destruction du Temple, en lien avec la nostalgie des jours du bonheur passé, ils nous renvoyaient aussi, par-delà cette nostalgie, à une nostalgie plus fondamentale : au-delà du regret de la vigne féconde des jours passés, au-delà de la joie du bon vin des jours qui s'en sont allés, se dessine une nostalgie plus essentielle, marquée par la destruction du Temple, une nostalgie qui est aussi celle de Dieu, inscrite au cœur des Psaumes, cette nostalgie qui est derrière celle du temps où l'on chantait à pleins poumons, sans masques ni gestes-barrière, la nostalgie d’éternité.

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C'est alors un encouragement que Jésus adresse à ses disciples, en prévision des temps difficiles qu'ils vont traverser, en butte à la menace romaine.

Car le vieux monde perdure manifestement, et ce jusqu'aujourd'hui, avec ses difficultés, ses douleurs, ses deuils, ses maladies, sa violence, son injustice, le péché. Le temps qui n'a pas fini de l'user, continue de nous blesser. La détresse perdure, et à l'époque, pour les disciples, est en passe de s'intensifier ; par la menace romaine. C'est un temps terrible.

Mais Jésus les appelle ici, et nous appelle, à voir jusque dans la plus intense des détresses, lorsque tout s'écroule — comme par un phylloxéra, des guerres ou une pandémie —, il nous appelle à voir le signe de ce que quelque chose de neuf et éternel est en passe de se mettre en place. Nous voilà au cœur des chants bibliques sur le vin et la vigne, comme le Cantique des Cantiques célébrant l'amour de Dieu pour son peuple.

Car les textes sur la vigne qui célèbrent l'amour de Dieu pour son peuple, célèbrent l'amour de Dieu pour l'âme nostalgique du vrai bonheur, l'âme qui soupire après ce bonheur dont la vigne des temps heureux, d'avant la maladie, la détresse, est le signe, signe de notre exil à tous loin de Dieu. Alors aujourd’hui, Dieu plante un nouveau cep, le cep éternel, que le temps n'use pas, le Temple spirituel et vivant. Ici s'enracine le vrai fruit.


R.P., Châtellerault, 2.05.21
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Et ici : prédication de M.-F Chêne à Poitiers



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