dimanche 16 mai 2021

"Envoyés dans le monde"




Actes 1, 15-26 ; Psaume 103 ; 1 Jean 4, 11-16 ; Jean 17, 11-19

1 Jean 4, 11-16
11 Bien-aimés, si Dieu nous a ainsi aimés, nous devons aussi nous aimer les uns les autres.
12 Personne n’a jamais vu Dieu ; si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour est parfait en nous.
13 Nous connaissons que nous demeurons en lui, et qu’il demeure en nous, en ce qu’il nous a donné de son Esprit.
14 Et nous, nous avons vu et nous attestons que le Père a envoyé le Fils comme Sauveur du monde.
15 Qui confessera que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu.
16 Et nous, nous avons connu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est amour ; et qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui.

Jean 17, 11-19
11 Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux sont dans le monde, et moi je vais à toi. Père saint, garde-les en ton nom, (ce nom) que tu m’as donné, afin qu’ils soient un comme nous.
12 Lorsque j’étais avec eux, je gardais en ton nom ceux que tu m’as donnés. Je les ai préservés, et aucun d’eux ne s’est perdu, sinon le fils de perdition, afin que l’Écriture soit accomplie.
13 Et maintenant, je vais à toi, et je parle ainsi dans le monde, afin qu’ils aient en eux ma joie parfaite.
14 Je leur ai donné ta parole, et le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde.
15 Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les garder du Malin.
16 Ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde.
17 Sanctifie-les par la vérité : ta parole est la vérité.
18 Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde.
19 Et moi, je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu’eux aussi soient sanctifiés dans la vérité.

*

Dieu nous a aimés, au point que — nous venons de l'entendre, la 1ère Épître de Jean le dit en un mot : « Dieu est amour » (1 Jean 4, 8 & 16) ; ou, selon une autre traduction, « Dieu est chérissement ».

Comment comprendre cela — « le Père nous a chéris » et « a chéri, ou aimé, le monde » (Jn 3, 16) — ? sachant ce qu’est le monde, le cauchemar du monde — dont nous confessons que Dieu en est tout de même le créateur ! —, rien d'évident sachant que ce monde ennemi a infligé à celui qui l'a tant aimé, ce monde, la mort de son Fils.

Il a souffert l'inimitié du monde jusqu'à être crucifié. Haine d'un côté, amour de l'ennemi et du persécuteur de l'autre. « Aimez vos ennemis », a-t-il enseigné (Mt 5, 44), et pratiqué, cela sans naïveté ; il a aussi averti : « si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï avant vous » (Jn 15, 18). Ce que la 1ère épître de Jean reprend : « Ne vous étonnez pas si le monde vous hait » (1 Jn 3, 13). Qui nous est ennemi à aimer, sinon le monde ?

La même épître de Jean dit par ailleurs (1 Jn 2, 15) : « N'aimez pas le monde, ni les choses qui sont dans le monde. » Aimer ou ne pas aimer ? Y aurait-il contradiction ? Bien peu, semble-t-il, comprennent que cette supposée contradiction est résolue dans la manifestation de l'amour de Dieu, comme sève invisible qui passe du Cep aux sarments : ce que Dieu aime dans ce monde qui n'a rien d'aimable en soi nous est révélé dans le Christ aimant jusqu'à la mort (nous est révélé ou littéralement « nous est raconté », « personne n'a jamais vu Dieu, le fils unique nous l'a — littéralement — raconté », Jn 1, 18) : c'est ce qui, au-delà de l'apparence (selon la connotation grecque du mot « monde »), en est la vérité cachée : ce qui subsiste de l'image de Dieu en lui, en chacune et chacun, jusqu'en nos ennemis, ce monde, qui, avertit-il, vous haïra. Mais la vérité profonde du monde, que Dieu a infiniment aimée, est cachée en Dieu. Ainsi, n'aimez pas l'apparence, les choses qui sont dans le monde, mais aimez Dieu en aimant ce que Dieu a aimé du monde jusqu'à donner son Fils : c'est précisément son image ineffaçable. Comme nous l'avons chanté dimanche dernier (par un chant que l'on peut comprendre comme commentaire de Jean) : nous sommes appelés, à travers une imitation de Dieu aimant ce monde pas aimable, à l'aimer lui, à travers le monde !

Souffrance d'aimer sans retour, qui est celle de Dieu. Cette souffrance — exprimée à la croix — fonde alors un détachement à l’égard du monde ; le détachement par la mort sur la croix — « je ne suis plus dans le monde » (Jean 17, 11), dit Jésus dans sa prière pour ceux qui l'ont suivi à l’approche de sa mort. Ici s'explique ce qu'il disait à l'un des rares qui l'ont suivi jusqu'à l'accompagner au tombeau (Jn 19, 39), Nicodème, sur la naissance d'en-haut, en un grec souvent traduit approximativement par « de nouveau » en regard de la question faussement naïve de Nicodème, qui sait très bien de quoi il s'agit : il connaît les prophètes et Jésus le lui dit. Le mot, connote bien « d'en-haut », introduisant son annonce de la croix, signe de l'amour de Dieu pour le monde. Lui élevé comme le serpent (Jn 3, 14) annonçant aujourd'hui : « je ne suis plus dans le monde », et à ses disciples : « vous n'êtes pas du monde » où, pourtant « je vous envoie ». Comment ne sont-ils pas du monde ? Ils y sont bien nés, de parents qu'ils connaissent, etc. Mais ils ne sont pas du monde du fait de leur naissance d'en-haut, fruit du don de l'Esprit, chose à laquelle on ne peut pas plus qu'on ne peut quoi que ce soit à sa naissance terrestre. On a longuement vu cela en méditant ce ch. 3 de Jean.

On ne reçoit cela, à quoi on ne peut rien, que par la foi, par la foi seule. Ce pourquoi les plus avancés se gardent de parler à tout bout de champ de leur « nouvelle naissance ». Ni les Apôtres n'en parlent les concernant, ni les Réformateurs. Chez un seul d'eux, John Wesley, cela apparaît, mais pas dans une auto-glorification ! Uniquement dans son journal intime (pas voué a priori à être diffusé). Sans compter que les expériences de foi sont très diverses, parfois ineffables, au-delà de ce que les mots peuvent dire. Puis c'est devenu une mode dans certains milieux, fondant pour ceux qui clament leur dite « nouvelle naissance » un orgueil du haut duquel ils se posent en juges de tous, sans poutre dans l’œil. Une mode qui s'est étendue jusqu'à des chefs d'État (normal, c'est électoralement rentable quand dans tel ou tel pays, la majorité de la population prétend être « née de nouveau ») ; lesdits chefs d'État se proclamant « nés de nouveau » fomentant du haut de leur certitude prétendue spirituelle, des forfaits contre la santé publique (en matière de pandémie), contre l'environnement (en déforestant à qui mieux mieux), ou militairement (en envahissant des pays censés appartenir à l'axe du mal). Et qu'importent les dégâts, eux et leurs soutiens clament être « nés de nouveau ».

C'est en regard de cela que, me concernant, il me parait relever d'un minimum de décence évangélique de ne pas étaler ce que Wesley ne disait qu’intimement, en accord avec la prescription de Jésus concernant la prière (Mt 6, 6) : « quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret ».

Ce pourquoi on ne voit jamais Jésus prier, sauf pour cette prière liturgique de consécration (Jean 17) : la seule où on le voit prier devant ses disciples. Habituellement, il se retire, appliquant lui-même son enseignement sur la prière. Ici, moment liturgique, sa prière, pour cette unique fois, se fait enseignement et promesse.

*

Jésus dévoile, au moment où se concrétise son renoncement à sa vie par amour, que Dieu qui l’envoie depuis l’éternité nous a aimés de cette façon mystérieuse.

Pour lui, il le dit dans sa prière : « Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux sont dans le monde, et moi je vais à toi. Père saint, garde-les en ton nom, (ce nom) que tu m’as donné, afin qu’ils soient un comme nous » (Jean 17, 11).

« Désormais ». Mot important pour la suite du texte, dans la suite de cette prière de Jésus pour les siens. Mot important pour comprendre ce fameux « ils ne sont pas du monde, mais dans le monde », qui trouble tant les lecteurs de la Bible. Comme s’il voulait dire que les chrétiens sont des sortes d’extraterrestres, qui n’auraient pas à s’occuper des choses bassement terrestres.

« Désormais ». On est au moment du départ de Jésus, au moment de son Ascension. Car dans l’Évangile de Jean, la Croix est Ascension, avec tout ce qu’est l’Ascension : glorification — « quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai à moi tous les hommes — il parlait, précise le texte, de la mort dont il allait mourir » (Jean 12, 32) ; à savoir la Croix.

Glorification, donc ; et absence aussi, car l’Ascension, outre sa glorification, est le retrait de Jésus de la vue des disciples. « Désormais je ne suis plus dans le monde ».

Effectivement, il va mourir, c’est-à-dire entrer dans la gloire proclamée à la Résurrection et à l’Ascension ; c’est-à-dire aussi s’absenter, sortir du monde, de ce monde. C’est déjà vrai au moment où il parle ; il parle déjà depuis son absence imminente, inéluctable : « désormais je ne suis plus dans le monde ». Malgré les apparitions du Ressuscité, qui cesseront au bout de 40 jours, scellant alors définitivement son départ du monde.

Mais « tandis que moi je vais à toi »« eux restent dans le monde ». Alors, demande-t-il au Père, « garde-les en ton nom », garde-les « pour qu’ils soient un » ; évite-leur la dispersion qui serait leur fin, leur confusion avec le monde pour lequel je les envoie en témoins ; le monde, pour le salut duquel je te demande de les maintenir, ce monde que tu as tant aimé que tu m’y as envoyé. Désormais, ma mission à moi est terminée. Je les envoie à leur tour, je leur passe le relais.

Mais, ce faisant, ils demeurent avec moi, qui, désormais, ne suis plus dans le monde. Voilà comment il faut comprendre le fameux « être dans le monde, mais n’être pas du monde ».

Être avec Jésus, qui n’est pas de ce monde, comme cela nous est signifié dans sa mort et dans son Ascension. Mais y être comme envoyés par lui pour poursuivre sa mission. Pour le salut d’un monde qui se perd et se disperse ; ainsi en témoigne le fils de perdition, malgré lui — « pour que l’Écriture soit accomplie ». Ce n’est pas dans un monde facile que Jésus nous laisse, et demande au Père de ne pas nous en enlever, mais simplement de nous y garder du Mauvais. On est bien au moment où il passe le relais : au Père pour qu’il nous garde par son Esprit, à nous pour que par son Esprit nous manifestions sa présence dans le monde.

Chose terrible, puisque cela nous annonce l’inimitié, la haine, qu’il a connues — oh, pour les disciples, pas forcément jusqu’à la crucifixion ! — mais cela dit un aspect de notre mission, de notre envoi dans le monde. Aimer quand on n’est pas aimé : « si vous aimez ceux qui vous aiment, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens font la même chose ! »

Notre présence en ce monde, traversée de chagrins et de douleurs incompréhensibles, des maladies aux guerres et aux deuils, en butte, de plus, à la méchanceté — dès lors, par la parole qui nous a dévoilé la vérité et nous y scelle, notre présence ici devient mission. « Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité. Comme tu m’as envoyé dans le monde, je les envoie dans le monde ». Il nous passe le relais : « je ne te demande pas de les ôter du monde, mais de les garder du Mauvais ».

Ainsi, être dans le monde sans être du monde, ne signifie en aucun cas une sorte de désengagement, retrait du monde, mais au contraire, étant morts à nous-mêmes avec celui qui est mort pour nous — « pour eux je me consacre moi-même » —, être pleinement en ce monde envoyés par lui pour y être témoins de la vérité qui a le pouvoir de lui donner un visage autre que celui du Mauvais. Transformer l’exil en mission, tel est le signe dont il nous confie désormais le dépôt.


RP, Poitiers, 16.05.21
Prédication (version imprimable)


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