Matthieu 27, 1-61
Un tissu de malentendus. Des ignorants en train de se moquer — personne ne comprend : il prie le Psaume 22, on croit qu’il appelle Élie — ; des signes du monde éternel en train d'entrer dans l'histoire. Signes à la fois terrifiants et merveilleux : le voile du Temple se déchire, la terre tremble, des résurrections…
Et en premier lieu, « des ténèbres sur toute la terre » (Mt 27, 45).
Comme le dit le Psaume 2, en arrière-plan de la relecture par les disciples de la condamnation à mort de leur maître, « tous se sont ligués contre le Messie » — tous, de toutes les nations ; cela, au jour de la crucifixion, sans vraiment s'en rendre compte. Ainsi les responsables de la Judée, censés être les représentants d'une nation farouchement opposée à la domination romaine, se montrent comme étant fort proches des Romains !
Le conflit tourne autour de la crainte de ceux qui ont des positions élevées face à l'espérance que suscite Jésus, qui commence à être jugée trop dangereuse — « s'il continue les Romains vont nous détruire », avertissait le chef du Temple Caïphe (en Jean 11, 48). Et finalement, les responsables religieux parviendront à retourner une part suffisante du peuple à propos de celui qui est en fait porteur de quelque chose de bien plus grand que les trop faibles espérances du peuple.
Quelques versets plus haut — Matthieu 26, 63-65 —,
Les sadducéens, que sont les chefs du Temple d’alors, ne croient probablement pas à ce « Fils de l'Homme », être céleste qui existe avant que le monde soit, auquel le peuple, lui, croit. Et pourtant lorsque Jésus s'applique à lui-même la citation de Daniel (ch. 7, v. 13) sur le Fils de l'Homme, le grand pontife crie au blasphème.
Comme quoi les sadducéens et les partisans du roi Hérode, proches des Romains, et adversaires privilégiés de Jésus, peuvent fort bien s'accommoder de la croyance populaire, qui n'est sans doute pas la leur, au Fils de l'Homme céleste et éternel. Car voilà que cet être céleste devient concret, en Jésus ; la chose peut devenir dangereuse, surtout si ce Jésus rassemble les espérances du peuple ; ce dont les Romains pourraient s'inquiéter.
Le Fils de l'Homme est une figure céleste ! Or ce Jésus en train de comparaître n'a vraiment pas l'apparence du héros céleste, image éternelle de Dieu : il est au contraire humilié, méprisé, apparemment impuissant. Bientôt crucifié, sa prétention au titre divin de Fils de l'Homme peut bien sembler blasphématoire : ce prétendu céleste Fils de l'Homme n'a pas fière allure ! Crucifié, même les passants se moquent, même les bandits crucifiés avec lui l'injurient !
Curieux retournement, portant l'écho de la tentation au désert (Mt 4, 6). Même évocation du Psaume 91 : « que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime, car il a dit : “Je suis Fils de Dieu !” » (Mt 27, 43 / cf. Ps 91, 14).
Lui se taira, n'admettant aucune compromission : surtout pas avec les Romains et leurs partisans au pouvoir, mais pas non plus avec ceux qui veulent renverser les Romains par la force, nombreux sans doute parmi le peuple.
La crainte est bien celle qu'exprimait le grand pontife Caïphe, selon Jean (11, 48) : « s'il continue les Romains vont nous détruire ». On le leur livrera donc. Selon une série de malentendus et d’incompréhensions… D'où l'attitude de Pilate. Sa femme rêve, lui ne comprend pas : « qu'as-tu fait, que les tiens te livrent à moi ? » — « Moi je ne suis pas Judéen… vous avez votre Loi, etc. » Sous-entendu : « réglez donc cela entre vous ! »
Le problème que pose Jésus est renforcé par son silence devant ce Pilate perplexe : son Règne n'est pas de ce monde. Et ce n'est pas par la force, mais par l'Esprit de Dieu qu'il sera instauré. Pour l'heure, lorsque le Christ, « lumière du monde » (Jean 9, 5), est exclu du monde, c'est le monde et celui qui le séduit, le diable, qui est jeté hors de sa lumière : « il y eut des ténèbres sur toute la terre ».
Lorsque le monde de la vanité, de l'apparence et des pouvoirs passagers s'imagine réduire à l'impuissance celui dont il cloue les mains et les pieds, il ignore tout de ce qui est en train de se passer : Dieu est en train de révéler qui est Jésus par cette crucifixion.
Lorsque la lumière du monde est élevée de la terre (Jn 12, 32), la terre entre dans les ténèbres. Alors Dieu fait éclater la Vérité. Mieux que Pilate au procès, le centurion entrevoit cela et en conçoit de la crainte : « Il était vraiment le Fils de Dieu » (Mt 27, 54). Au milieu des moqueries, Dieu se révèle. C'est là, là seulement qu'il ne peut qu'être. La vraie justice, fût-elle voilée dans les sarcasmes — là est la puissance de Dieu.
Il est celui qui est qui était et qui vient, celui-là même qui a versé son sang, et voici que, Fils de l'Homme contemplé par Daniel, il vient sur les nuées (Apocalypse 1, 5-8).
Car son sang versé, c’est-à-dire sa mort, est, par sa résurrection, la source de notre salut, de notre accès à l’éternité — dans le vrai sens de ce que, selon Matthieu, a dit le peuple : « Nous prenons son sang sur nous et sur nos enfants ! » (27, 25). Ultime et affreux malentendu débouchant, celui-là, sur la lecture historique antisémite de ces mots de la foule… Celui qui meurt entend-il autre chose qu’une prière en vue du salut, cachée dans ces mots dits devant lui ? Ultime malentendu — la foule ne sait pas le sens profond de ses mots —, une demande de bénédiction de Dieu sous le sang versé pour que nous ayons la vie. Bénédiction et non pas malédiction !
Il nous est ainsi montré étrangement infiniment proche, jusqu’à la mort, jusqu’à son sang versé, lui qui est le Fils de l'Homme dans les cieux, demeurant avec Dieu avant la fondation du monde — nous appelant à notre tour à faire nôtres les mots du peuple : « Nous prenons son sang sur nous et sur nos enfants ! » Car là, dans son sang versé, est le salut du monde. Que telle soit notre prière, la prière de notre salut : « son sang sur nous et sur nos enfants ! »
[…] 39 Les passants l’insultaient, hochant la tête
40 et disant : « Toi qui détruis le sanctuaire et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même, si tu es le Fils de Dieu, et descends de la croix ! »
41 De même, avec les scribes et les anciens, les grands prêtres se moquaient :
42 « Il en a sauvé d’autres et il ne peut pas se sauver lui-même ! Il est Roi d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui !
43 Il a mis en Dieu sa confiance, que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime, car il a dit : “Je suis Fils de Dieu !” »
44 Même les bandits crucifiés avec lui l’injuriaient de la même manière.
45 A partir de midi, il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu’à trois heures.
µ 46 Vers trois heures, Jésus s’écria d’une voix forte : « Eli, Eli, lema sabaqthani », c’est-à-dire « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
47 Certains de ceux qui étaient là disaient, en l’entendant : « Le voilà qui appelle Élie ! »
48 Aussitôt l’un d’eux courut prendre une éponge qu’il imbiba de vinaigre ; et, la fixant au bout d’un roseau, il lui présenta à boire.
49 Les autres dirent : « Attends ! Voyons si Élie va venir le sauver. »
50 Mais Jésus, criant de nouveau d’une voix forte, rendit l’esprit.
51 Et voici que le voile du sanctuaire se déchira en deux du haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent ;
52 les tombeaux s’ouvrirent, les corps de nombreux saints défunts ressuscitèrent :
53 sortis des tombeaux, après sa résurrection, ils entrèrent dans la ville sainte et apparurent à un grand nombre de gens.
54 A la vue du tremblement de terre et de ce qui arrivait, le centurion et ceux qui avec lui gardaient Jésus furent saisis d’une grande crainte et dirent : « Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu. »
*
Un tissu de malentendus. Des ignorants en train de se moquer — personne ne comprend : il prie le Psaume 22, on croit qu’il appelle Élie — ; des signes du monde éternel en train d'entrer dans l'histoire. Signes à la fois terrifiants et merveilleux : le voile du Temple se déchire, la terre tremble, des résurrections…
Et en premier lieu, « des ténèbres sur toute la terre » (Mt 27, 45).
Comme le dit le Psaume 2, en arrière-plan de la relecture par les disciples de la condamnation à mort de leur maître, « tous se sont ligués contre le Messie » — tous, de toutes les nations ; cela, au jour de la crucifixion, sans vraiment s'en rendre compte. Ainsi les responsables de la Judée, censés être les représentants d'une nation farouchement opposée à la domination romaine, se montrent comme étant fort proches des Romains !
Le conflit tourne autour de la crainte de ceux qui ont des positions élevées face à l'espérance que suscite Jésus, qui commence à être jugée trop dangereuse — « s'il continue les Romains vont nous détruire », avertissait le chef du Temple Caïphe (en Jean 11, 48). Et finalement, les responsables religieux parviendront à retourner une part suffisante du peuple à propos de celui qui est en fait porteur de quelque chose de bien plus grand que les trop faibles espérances du peuple.
Quelques versets plus haut — Matthieu 26, 63-65 —,
[…] le grand pontife, prenant la parole, lui dit : Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu.Les chefs du Temple ont invoqué ce prétexte pour livrer Jésus : le « blasphème » : il s'est identifié au Fils de l'Homme du livre de Daniel. Or le Fils de l'Homme est un être céleste, image éternelle de Dieu.
Jésus lui répondit : Tu l’as dit. De plus, je vous le déclare, vous verrez désormais le Fils de l’homme assis à la droite de la puissance de Dieu, et venant sur les nuées du ciel.
Alors le grand pontife déchira ses vêtements, disant : Il a blasphémé ! Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Voici, vous venez d’entendre son blasphème.
Les sadducéens, que sont les chefs du Temple d’alors, ne croient probablement pas à ce « Fils de l'Homme », être céleste qui existe avant que le monde soit, auquel le peuple, lui, croit. Et pourtant lorsque Jésus s'applique à lui-même la citation de Daniel (ch. 7, v. 13) sur le Fils de l'Homme, le grand pontife crie au blasphème.
Comme quoi les sadducéens et les partisans du roi Hérode, proches des Romains, et adversaires privilégiés de Jésus, peuvent fort bien s'accommoder de la croyance populaire, qui n'est sans doute pas la leur, au Fils de l'Homme céleste et éternel. Car voilà que cet être céleste devient concret, en Jésus ; la chose peut devenir dangereuse, surtout si ce Jésus rassemble les espérances du peuple ; ce dont les Romains pourraient s'inquiéter.
Le Fils de l'Homme est une figure céleste ! Or ce Jésus en train de comparaître n'a vraiment pas l'apparence du héros céleste, image éternelle de Dieu : il est au contraire humilié, méprisé, apparemment impuissant. Bientôt crucifié, sa prétention au titre divin de Fils de l'Homme peut bien sembler blasphématoire : ce prétendu céleste Fils de l'Homme n'a pas fière allure ! Crucifié, même les passants se moquent, même les bandits crucifiés avec lui l'injurient !
Curieux retournement, portant l'écho de la tentation au désert (Mt 4, 6). Même évocation du Psaume 91 : « que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime, car il a dit : “Je suis Fils de Dieu !” » (Mt 27, 43 / cf. Ps 91, 14).
Lui se taira, n'admettant aucune compromission : surtout pas avec les Romains et leurs partisans au pouvoir, mais pas non plus avec ceux qui veulent renverser les Romains par la force, nombreux sans doute parmi le peuple.
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La crainte est bien celle qu'exprimait le grand pontife Caïphe, selon Jean (11, 48) : « s'il continue les Romains vont nous détruire ». On le leur livrera donc. Selon une série de malentendus et d’incompréhensions… D'où l'attitude de Pilate. Sa femme rêve, lui ne comprend pas : « qu'as-tu fait, que les tiens te livrent à moi ? » — « Moi je ne suis pas Judéen… vous avez votre Loi, etc. » Sous-entendu : « réglez donc cela entre vous ! »
Le problème que pose Jésus est renforcé par son silence devant ce Pilate perplexe : son Règne n'est pas de ce monde. Et ce n'est pas par la force, mais par l'Esprit de Dieu qu'il sera instauré. Pour l'heure, lorsque le Christ, « lumière du monde » (Jean 9, 5), est exclu du monde, c'est le monde et celui qui le séduit, le diable, qui est jeté hors de sa lumière : « il y eut des ténèbres sur toute la terre ».
Lorsque le monde de la vanité, de l'apparence et des pouvoirs passagers s'imagine réduire à l'impuissance celui dont il cloue les mains et les pieds, il ignore tout de ce qui est en train de se passer : Dieu est en train de révéler qui est Jésus par cette crucifixion.
Lorsque la lumière du monde est élevée de la terre (Jn 12, 32), la terre entre dans les ténèbres. Alors Dieu fait éclater la Vérité. Mieux que Pilate au procès, le centurion entrevoit cela et en conçoit de la crainte : « Il était vraiment le Fils de Dieu » (Mt 27, 54). Au milieu des moqueries, Dieu se révèle. C'est là, là seulement qu'il ne peut qu'être. La vraie justice, fût-elle voilée dans les sarcasmes — là est la puissance de Dieu.
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Il est celui qui est qui était et qui vient, celui-là même qui a versé son sang, et voici que, Fils de l'Homme contemplé par Daniel, il vient sur les nuées (Apocalypse 1, 5-8).
Car son sang versé, c’est-à-dire sa mort, est, par sa résurrection, la source de notre salut, de notre accès à l’éternité — dans le vrai sens de ce que, selon Matthieu, a dit le peuple : « Nous prenons son sang sur nous et sur nos enfants ! » (27, 25). Ultime et affreux malentendu débouchant, celui-là, sur la lecture historique antisémite de ces mots de la foule… Celui qui meurt entend-il autre chose qu’une prière en vue du salut, cachée dans ces mots dits devant lui ? Ultime malentendu — la foule ne sait pas le sens profond de ses mots —, une demande de bénédiction de Dieu sous le sang versé pour que nous ayons la vie. Bénédiction et non pas malédiction !
Il nous est ainsi montré étrangement infiniment proche, jusqu’à la mort, jusqu’à son sang versé, lui qui est le Fils de l'Homme dans les cieux, demeurant avec Dieu avant la fondation du monde — nous appelant à notre tour à faire nôtres les mots du peuple : « Nous prenons son sang sur nous et sur nos enfants ! » Car là, dans son sang versé, est le salut du monde. Que telle soit notre prière, la prière de notre salut : « son sang sur nous et sur nos enfants ! »
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