dimanche 29 avril 2012

Bon berger




Actes 4, 8-12 ; Psaume 118, 24-29 ; 1 Jean 3, 1-2 ; Jean 10, 11-18

1 Jean 3, 1-2
1 Voyez, quel amour le Père nous a donné, puisque nous sommes appelés enfants de Dieu ! Et nous le sommes. Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il ne l’a pas connu.
2 Bien-aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté; mais nous savons que lorsqu’il sera manifesté, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est.

Jean 10, 11-18
11 Je suis le bon berger. Le bon berger donne sa vie pour ses brebis.
12 Mais le mercenaire, qui n’est pas le berger, et à qui n’appartiennent pas les brebis, voit venir le loup, abandonne les brebis, et prend la fuite ; et le loup les ravit et les disperse.
13 Le mercenaire s’enfuit, parce qu’il est mercenaire, et qu’il ne se met point en peine des brebis.
14 (10-13) Je suis le bon berger. (10-14) Je connais mes brebis, et elles me connaissent,
15 comme le Père me connaît et comme je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis.
16 J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie ; celles-là, il faut que je les amène ; elles entendront ma voix, et il y aura un seul troupeau, un seul berger.
17 Le Père m’aime, parce que je donne ma vie, afin de la reprendre.
18 Personne ne me l’ôte, mais je la donne de moi-même ; j’ai le pouvoir de la donner, et j’ai le pouvoir de la reprendre : tel est l’ordre que j’ai reçu de mon Père.

*

« Voyez quel amour le Père nous a donné, puisque nous sommes appelés enfants de Dieu. » Comment l’Épître (1 Jean) en arrive-t-elle à une telle affirmation ? — : nous sommes appelés enfants de Dieu — du fait que Dieu nous a aimés, au point que l’Épître pourra dire finalement carrément : « Dieu est amour » (1 Jean 4,8 & 4, 16) / ou, selon la traduction, sans doute préférable, moins vague, de Chouraqui, « Dieu est chérissement » :

« Voyez quel amour le Père nous a donné, de quel amour il nous a chéris, puisque nous sommes appelés enfants de Dieu ! Et nous le sommes. Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il ne l’a pas connu. Bien-aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté; mais nous savons que lorsqu’il sera manifesté, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est. » (1 Jn 3, 1-2)

Rien d’évident dans une telle assertion — « le Père nous a chéris » —, sachant ce qu’est le monde, le cauchemar du monde — dont nous confessons que Dieu en est tout de même le créateur ! —, sachant la haine de ce monde ennemi, que rappelle aussi l’Épître. Comment peut-on dire que Dieu nous aime, que Dieu est amour ?! Parole incroyable, ou, si on la prend au sérieux, une telle parole — le Père nous a aimés — pose ipso facto une mystérieuse souffrance en Dieu. Et effectivement ce qui fonde cette assertion, c’est qu’ « à ceci, nous avons connu l’amour : c’est qu’il a donné sa vie pour nous », selon ce qu’indique la même épître plus loin ; écho à l’Évangile de ce jour : « le bon berger donne sa vie pour ses brebis ». La croix ! Amour égale, d’une façon ou d’une autre, souffrance.

Et en parallèle, non moins mystérieux, cette souffrance — exprimée à la croix, signe du don de sa vie — cette souffrance dans cet amour, fonde un détachement à l’égard du monde ; le détachement par la croix — « je ne suis plus dans le monde » disait Jésus pour ses disciples à l’approche de sa mort. « Je donne ma vie, afin de la reprendre. Personne ne me l’ôte, mais je la donne de moi-même ; j’ai le pouvoir de la donner, et j’ai le pouvoir de la reprendre ».

C’est tout cela que pose notre confession que Jésus est le fils de Dieu, manifestant Dieu comme Dieu-amour, Dieu qui nous chérit — le bon berger donnant « sa vie pour nous » — ce qui atteste que Dieu nous reçoit comme ses enfants. Voilà qui demande éclaircissement.

*

Le bon berger donne « sa vie pour nous », s’en dépossède pour nous. Cela parle d’un autre temps, d’où vient le berger. Rappelons-nous qu’il est dès le départ de l’Evangile de Jean présenté comme venant d’auprès de Dieu pour entrer dans ce temps de mort, ce temps qui part de sa naissance et débouche comme débouche toute vie humaine, sur la mort.

Mais lui, dit-il, donne librement sa vie, entre dans ce temps qui découche sur la mort pour faire accéder ceux qui lui sont confiés, ses brebis, sur le temps éternel dont il a accepté de se déposséder pour un temps : « j’ai le pouvoir de donner ma vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre : tel est l’ordre que j’ai reçu de mon Père. »

Les brebis, en effet, meurent en ce temps, même après que le berger les a sauvées du loup ou des brigands ou de la négligence des mercenaires (« mercenaire » désigne alors simplement les salariés, condition alors inférieure à celle de l’esclave, condition liée au désir d’obtenir un pécule provisoire, le temps d’un emploi temporaire). Temporaire comme la vie des brebis, notre vie…

C’est donc d’un autre temps qu’il s’agit. Un autre temps : celui d’où vient le berger : temps éternel dont il s’est dépossédé pour les brebis de ce temps — les brebis de cette bergerie, mais pas uniquement : il est question d’une autre bergerie. Le salut qu’apporte le bon berger s’étend au monde entier. Il est berger… universel. « Un seul troupeau, un seul berger. »

« Berger » : un titre royal, rappelons-le. Voilà donc Jésus qui se présente comme roi de cette bergerie, héritier de David — David berger de brebis avant d’être berger du peuple, roi d’Israël. David qui perçoit sa tâche comme imitation de celle de Dieu, son berger (cf. Psaume 23). Le livre du prophète Ézéchiel, ch. 34, 10-16 (cf. v. 15) précise que Dieu lui-même est le berger d’Israël. Et voilà Jésus qui se présente comme berger, roi, et finalement roi à l’échelle du monde, par le fait qu’il se détache de sa vie, par intérêt pour ses brebis — et qu’il se détache jusque de son identité temporelle propre, tandis qu’il se déclare aussi berger d’une autre bergerie, étendant sa mission aux nations au delà du seul Israël.

Voilà un berger, figure royale, qui est en outre… agneau !, figure sacerdotale. C’est de lui qu’il est dit, au début de ce même Évangile de Jean : « voici l’agneau de Dieu » ! Agneau du sacrifice. Un berger d’éternité venu dans le temps des brebis. Devenu agneau — agneau d’éternité (Apoc 13, 8) —, lui aussi meurt en ce temps, comme un agneau.

Ce n’est donc pas d’une protection des brebis dans le temps qu’il s’agit, au sens où le renoncement du berger à sa vie d’éternité sauverait les brebis de la mort temporelle : les brebis vont finir par mourir, elles sont vouées à mourir — les brebis (l’image, à ce point, est troublante), les brebis ne sont-elles pas élevées pour leur laine, leur lait… mais aussi… leur viande ?!, vouées à mourir comme est mort l’agneau de Dieu, qui est aussi le bon berger.

*

C’est ainsi que Jésus dévoile, en son renoncement à sa vie, que Dieu qui l’envoie depuis l’éternité — « tel est l’ordre que j’ai reçu de mon Père » — nous a aimés de sorte que nous sommes faits enfants de Dieu à son image — réellement, précise l’Épître…, même si cela ne se voit pas, tout comme, au regard de ce que sont les choses, il ne se voit pas que Dieu est amour.

C’est de la même façon, donc, que nous sommes enfants de Dieu ; et que cela ne se voit pas, n’est pas encore clairement révélé — « nous sommes maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté ». Chose difficile à exprimer, qui correspond aussi au « pouvoir de devenir enfants de Dieu » du Prologue de cet Évangile de Jean, « pouvoir », c’est-à-dire « pas encore », « pas tout à fait ». En d’autres termes c’est là une réalité déjà avérée — « nous le sommes » —, déjà donnée à la foi au Ressuscité ; mais qui n’extrait pas du monde pour autant — chose déjà vraie, mais pas encore pleinement réalisée, comme la chrysalide par rapport au papillon.

Ici, « enfants de Dieu » ne veut évidemment pas dire simplement créatures, mais parle de filiation intérieure, dans le don de la foi. Il s’agit de participation à la filiation du Ressuscité. En d’autres termes, nous sommes déjà ressuscités, mais tant que persiste ce monde — et tout ce qui fait son cortège de douleurs et de malheurs, qui prospèrent par le péché —, cela ne se voit pas encore, cela n’est pas encore manifesté.

… Jusqu’au jour où « nous deviendrons semblables à lui », où ce que nous sommes réellement sera « clairement révélé » : enfants de Dieu, aimés du Père avant tous les siècles…

RP
Vence, 29.04.12


dimanche 22 avril 2012

L’Incarnation du Ressuscité




Actes 3, 11-19 ; Psaume 4 ; 1 Jean 2, 1-5 ; Luc 24, 35-48

Luc 24, 35-48
35 [Les disciples d’Emmaüs] racontèrent [aux Apôtres et à leurs compagnons] ce qui s’était passé sur la route et comment ils avaient reconnu [Jésus] à la fraction du pain.
36 Comme ils parlaient ainsi, Jésus fut au milieu d’eux et il leur dit : "La paix soit avec vous."
37 Effrayés et remplis de crainte, ils pensaient voir un esprit.
38 Et il leur dit : "Quel est ce trouble et pourquoi ces objections s’élèvent-elles dans vos cœurs ?
39 Regardez mes mains et mes pieds : c’est bien moi. Touchez-moi, regardez ; un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai."
40 Et disant cela, il leur montra ses mains et ses pieds.
41 Mais étant néanmoins incrédules, loin de la joie et ébahis, il leur dit : "Avez-vous ici de quoi manger ?"
42 Ils lui offrirent un morceau de poisson grillé.
43 Il le prit et mangea sous leurs yeux.
44 Puis il leur dit : "Voici les paroles que je vous ai adressées quand j’étais encore avec vous : il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes."
45 Alors il leur ouvrit l’intelligence pour comprendre les Écritures,
46 et il leur dit : "C’est comme il a été écrit : le Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour,
47 et on prêchera en son nom la conversion et le pardon des péchés à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.
48 C’est vous qui en êtes les témoins."

*

Le Ressuscité, qui est là présent, donne à ses disciples de le découvrir dans la communion d’un repas partagé. Au concret de nos vies, le Christ de la résurrection nous a rejoints dans son Incarnation — pour nous tirer de la mort ; en nous plaçant finalement sur un chemin, celui de l’envoi.

C’est le moment où tout commence. Le début de l’histoire de l’Église, le début de l’histoire du monde. C’est d’un envoi en mission qu’il s’agit. Annoncer conversion, ouverture des intelligences, et par là pardon donné à toutes les nations à commencer par Jérusalem.

Cet envoi se fonde sur la rencontre du premier envoyé, le Ressuscité. Envoyé pour rencontrer le monde, envoyé dans la chair jusqu’à la souffrance et à la mort.

Que nous présente ce texte, en effet ? Le Ressuscité, mais le Ressuscité venant bel et bien dans la chair ! Expliquant et montrant qu’il n’est pas un esprit, mais qu’il a chair et os, et si cela ne suffit pas, partageant un repas, pour que la rencontre soit effective.

Car on ne rencontre le Ressuscité que dans une expérience. Les disciples d’Emmaüs, eux, l’ont déjà rencontré, lors du partage du pain. Ils le savent, ils l’ont vécu, il est présent au milieu de nous, vivant ; et le même qu’hier. Et lorsqu’ils disent leur expérience, les autres disciples, perçoivent bien quelque chose de cette présence. Mais ne saisissent pas. Un fantôme !

Cela nous semble tout aussi irrationnel ? Peut-être, mais au moins, un fantôme on sait ce que c’est — si l’on y croit. Et à l’époque, on y croit. C’est le monde des morts qui se manifeste, autrement que dans le rêve nocturne, mais de façon équivalente.

Nous savons tous que l’on rencontre nos morts dans nos rêves. Le fantôme n’est jamais qu’une espèce particulière de ce type de rencontre. Inhabituelle, et par là effrayante. Les morts qui envahissent un instant le monde des vivants ; qui viennent un instant du monde de la nuit au monde du jour. Effrayant, cet effacement momentané des frontières des mondes. Et les disciples, croyant en être là concernant la présence de Jésus après le récit des pèlerins d’Emmaüs, sont effrayés.

Effrayant, mais rassurant aussi — en ce sens que l’on n’est pas tout à fait dans l’inconnu. C’est dans l’ordre des choses : il y a des morts, il y a des vivants ; et parfois ils se croisent. Mais au fond, tout est à sa place. Les morts, et les vivants ; les disciples en sont là ; même si c’est inquiétant et effrayant.

Mais voilà que ce n’est pas à cela qu’ils ont affaire ici. C’est bien Jésus vivant qui est ici. C’est bien lui qui est présent au récit des pèlerins d’Emmaüs. Pas un fantôme, mais Jésus en chair et en os. Car c’est tout de même l’expression qu’emploie le texte : vous voyez que je suis en chair et en os. Bref : l’Incarnation du Ressuscité ! Et il leur montre ses mains et ses pieds…

On retrouve quelque chose qui ressemble à l’épisode de Thomas dans l’Évangile de Jean. À savoir : il manque quelque chose pour qu’ils croient. Quelque chose dont ont bénéficié les disciples d’Emmaüs. La rencontre. L’expérience de la rencontre dans le partage.

Ils voient bien, mais sont incrédules, abasourdis plus qu’autre chose. Le vocabulaire employé même, traduit cela. N’avez-vous pas remarqué la bizarrerie de nos traductions : incrédules à cause de la joie ! Tellement joyeux qu’ils sont incrédules, et autres versions de la même chose… A-t-on jamais vu que la joie soit un signe d’incrédulité ?

L’expression littérale est « loin de la joie », ce qui ne nous avance pas beaucoup, sinon quant à l’embarras pour rendre ce qui se passe. Il me semble que l’idée est que les disciples sont dans l’incrédulité devant ce qu’ils voient parce qu’ils en sont tellement abasourdis qu’ils sont à côté de ce qui se passe. Ils n’arrivent pas à habiter la joie qui pourrait s’offrir ici, mais qui reste à côté d’eux. Ayant vu ce qu’ils voient, ils restent néanmoins incrédules, loin de la joie présente, et ébahis.

Bref, le Ressuscité est présent au milieu d’eux, ils le perçoivent, mais ils ne l’ont pas rencontré ; contrairement aux disciples d’Emmaüs. Alors, il va leur offrir de le rencontrer. Comme d’habitude dans un moment de partage au quotidien ; à l’occasion d’un repas. « Avez-vous ici de quoi manger ? »

*

Un morceau de poisson grillé qu’il mange sous leurs yeux. Le poisson, que l’Église primitive identifiera à celui qu’est Jésus. Poisson — Ichthus — les initiales, on le sait, de « Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur ». Certains manuscrits ajoutent au morceau de poisson un rayon de miel.

Toujours est-il que les disciples lui offrent de leur repas. Jésus le partage, il en mange. Repas partagé, expérience de la rencontre : tout va changer. Alors leurs yeux s’ouvrent : « il leur ouvrit l’intelligence pour comprendre les Écritures », nous dit le texte.

Dès lors, ils ont rencontré le Ressuscité, celui qui est venu parmi nous dans la chair, en chair et en os. Envoyé parmi nous. Et ils vont être envoyés à leur tour en son nom, témoins de la présence du Ressuscité venu nous rencontrer dans la chair de notre quotidien, venu avec nous jusqu’au cœur de la souffrance et de la mort selon les Écritures ; pour nous en arracher, nous donner le pardon qui nous sort de la mort par le changement de nos intelligences, le mot donné ici par conversion. Il s’agit de notre accès à la présence du Ressuscité.

Changement de nos intelligences : il s’agit de recevoir sa présence, d’entrer dans sa communion, de percevoir sa vie, concrète, au cœur de la nôtre ; dans un partage sans lequel on ne le perçoit pas en vérité. Or c’est là qu’est la vie et son fondement ; notre vie, notre sortie de notre mort.

Car cela nous concerne. C’est avant notre propre envoi, le sens de l’envoi des Apôtres. Les Apôtres ont reçu le témoignage des disciples d’Emmaüs, après celui de Simon. Jésus est même, à ce témoignage, apparu au milieu d’eux. Et il a fallu qu’ils le rencontrent concrètement, eux aussi, pour être envoyés à leur tour le dire, dire sa présence : la présence du Ressuscité au milieu de nous jusqu’à la fin des temps, comme depuis le commencement du monde ; le Ressuscité qu’était ce Jésus qu’ils ont accompagné sur les routes de Galilée et de Judée.

Le texte d’aujourd’hui nous dit cette rencontre des disciples. Il faut qu’elle soit aussi nôtre. Il faut que comme eux nous le rencontrions à notre tour, lui, présent au milieu de nous. Il est présent au milieu de nous, en chair et en os, tous les jours, jusqu’à la fin des temps, même si depuis l’Ascension il ne se donne plus à voir.

Il est ici, et il n’est pas un esprit évanescent, il est vivant, il est le Vivant. Mais il ne suffit pas encore d’en admettre l’hypothèse, comme en théorie. Il s’agit de saisir cette autre dimension sur laquelle il ouvre ; il s’agit de le rencontrer. Il s’agit d’une conversion de nos intelligences, d’une ouverture nouvelle de nos intelligences qui nous permette d’entrer dans sa présence, dans sa communion.

Alors s’ouvre un monde nouveau, pour lequel il nous envoie à notre tour. Vous qui l’avez rencontré, vous qui savez le Vivant au milieu de nous, vivez de sa vie, et allez, vous êtes ses témoins.


R.P., Antibes, 22.04.12


dimanche 15 avril 2012

“Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie”




Actes 4, 32-35 ; Psaume 118, 17-23 ; 1 Jean 5, 1-6 ; Jean 20, 19-31

Jean 20, 19-31
19 Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Judéens, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d'eux et il leur dit: "La paix soit avec vous."
20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie.
21 Alors, à nouveau, Jésus leur dit: "La paix soit avec vous. Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie."
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit: "Recevez l'Esprit Saint;
23 ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis."
24 Cependant Thomas, l'un des Douze, celui qu'on appelle Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint.
25 Les autres disciples lui dirent donc: "Nous avons vu le Seigneur!" Mais il leur répondit : "Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n'enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n'enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas !"
26 Or huit jours plus tard, les disciples étaient à nouveau réunis dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vint, toutes portes verrouillées, il se tint au milieu d'eux et leur dit: "La paix soit avec vous."
27 Ensuite il dit à Thomas: "Avance ton doigt ici et regarde mes mains; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d'être incrédule et deviens un homme de foi."
28 Thomas lui répondit : "Mon Seigneur et mon Dieu."
29 Jésus lui dit: "Parce que tu m’as vu, tu as cru; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru."
30 Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d’autres signes qui ne sont pas rapportés dans ce livre.
31 Ceux-ci l’ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom.

*

On est au jour de la résurrection du Christ, et les disciples restent dans la crainte… Ils maintiennent « verrouillées les portes de la maison où ils se trouvaient » — tentant de se fondre avec le décor, de se confondre avec les murs derrière lesquels ils se cachent.

Puis ils vont passer de la crainte à la libération ; c’est-à-dire : à la mission, à l’envoi. « La paix soit avec vous, leur a dit Jésus. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie. » — Et il souffle sur eux. Souffle de l’Esprit… « Recevez l’Esprit Saint » : et déliez ceux qui sont liés. Tel est l’envoi.

Ici s’ouvre la porte de la liberté à laquelle nous sommes invités à notre tour. Une liberté qui est une question de pardon — le pardon qui libère : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis » (plutôt que « ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus », comme si les Apôtres avaient pour mission de retenir captifs de leurs péchés certains de ceux à qui ils sont envoyés !). La libération est — si l’on veut — en deux volets : pardon du péché, de tout ce qui rend captif, et soumission du péché qui rend captif, pour une libération totale, victoire sur tous les esclavages. Comme mort au péché à la croix et résurrection à la vie nouvelle.

Voilà les Apôtres envoyés pour communiquer pleinement la libération que par sa résurrection, Jésus vient de leur octroyer dans le don de l’Esprit saint. Ils sont envoyés pour la communiquer abondamment : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. » Et mieux : « Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis. »

Telle est la parole de liberté — parole de pardon qui met fin à la crainte et nous envoie avec la paix de Dieu — qui nous est donnée dans ce souffle de l’Esprit saint. « La paix soit avec vous. » Malgré la crainte et le refus qu’elle porte, crainte que Jésus doit encore et encore apaiser : « La paix soit avec vous. » — Trois fois…

C’est alors la parole de libération elle-même, donnée aux Apôtres pour être portée par eux, qui fonde la légitimité de leur ministère : car quel que soit le ministère, on ne s’auto-proclame pas envoyé… Ni au sens propre, apôtre, ni pour une autre tâche.

C’est au point que ce qui qualifie un ministre, semble être avant tout son refus ! En tout cas, pour Thomas, une semaine après, dans la suite du texte, Thomas qui refuse la parole dont il sait qu’elle va le sortir des murs qui le protègent.

Ce qui qualifie pour un ministère aurait donc un rapport avec son refus… J’allais dire : hélas — tant je me sens visé, je dois l’avouer. Si ça dépendait de moi, vous ne me verriez pas en chaire, tant il m’a en fallu pour cesser de regimber contre les aiguillons — si tant est que j’aie cessé ! Refus, peur, sentiment d’incapacité, que sais-je ?

Ce qui me rassure, c’est que ce refus valait déjà pour Moïse, qui demandait que l’on envoie quelqu’un d’autre, cela vaut pour les Apôtres — on pourrait parler de Pierre par exemple, disqualifié à nos yeux par son reniement ; et c’est cela qui le qualifie aux yeux de Dieu. Cela vaut particulièrement aujourd’hui pour Thomas, qui refuse carrément de croire ce qu’il est envoyé annoncer par l’appel de Jésus qui en a fait son Apôtre.

Thomas, Didyme, c’est-à-dire « Jumeau » — en araméen (Thomas) et en grec (Didyme) —, est devenu parmi les douze ce témoin pour les Grecs, pour les non-juifs qui n’ont pas la culture de l’adhésion à la parole du croire sur parole de Dieu. Thomas par son refus, deviendra comme malgré lui, le pont entre la parole de la foi et le monde grec, qui n’a pas cette culture.

*

L’absence du corps au tombeau vide, est alors un signe de la résurrection de Jésus.

Dieu n’ayant pas besoin d’une dépouille pour le relèvement d’entre les morts, l’absence du corps est un signe pour les femmes du dimanche de Pâques, et par elles, pour nous. Comme le toucher de Thomas en est un autre pour lui, et par lui, pour nous. Pour que Thomas croie, non pas ce qu’il voit, mais parce qu’il voit — et après lui, nous. Cela va bouleverser l’histoire du monde…

Comme lors du don des Dix paroles au Sinaï, le peuple a vu les voix… Exode 20, 18 : « Tout le peuple voit les voix… » et il croit ce qui Dieu dit. Il ne croit pas ce qu’il voit, mais parce qu’il voit.

Voilà donc un classique en Israël, et dont Thomas va être le témoin auprès des Grecs. Le voilà rendu à la fois juif et grec — jumeau, à la fois Thomas et Didyme. Et c’est là sa mission, qui se fonde sur ce qu’il a vu les voix, non pas pour croire ce qu’il voit et touche, mais parce qu’il voit ce qu’il a voulu toucher. Et c’est là sa mission, c’est là le refus initial qui fonde sa mission — sa marque, comme Jésus porte les marques des clous. « Avance ton doigt ici et regarde mes mains ; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d’être incrédule et deviens un homme de foi. » Et avant même de toucher, Thomas lui répond : « Mon Seigneur et mon Dieu. » (Jean 20, 27-28)

Étrange invite que cette invite de Jésus… Scandale pour la raison que cette résurrection de la chair que Jésus signe ici dans son corps ressuscité : « un esprit n’a ni chair ni os » (Luc 24, 39). Scandale pour la raison. D’où la tentation de « spiritualiser » tout cela… et de professer la résurrection, mais pas vraiment « de la chair » !

C’est contre cela que Jésus invite Thomas à toucher ses plaies. Et par son intermédiaire, nous tous : heureux ceux qui n’ont pas vu comme Thomas, et qui ont cru, pourtant. Car, quel est l’enjeu ? L’enjeu est rien moins que le sens — éternel ! — de notre vie.

Notre vie ne se réalise, ne se concrétise, que dans notre histoire, dans nos rencontres, dans la trivialité du quotidien, bref, dans la chair ! Et c’est cela qui est racheté, radicalement et éternellement racheté au dimanche de Pâques. Le rachat dont il est question n’est pas l’accès à un statut d’esprit évanescent. C’est bien tout ce qui constitue notre être, notre histoire, l’expérience de nos rencontres et donc de nos sens, de notre chair, qui est racheté.

Notre histoire qui a fait de nous, qui fait de nous, qui fera de nous, ce que nous sommes, cette réalité de nos vies uniques devant Dieu.

C’est l’extraordinaire nouvelle qui nous est donnée par le Ressuscité : lui aussi, Fils éternel de Dieu, advient à l’éternité qui est la sienne par le chemin de son histoire dans la chair : ses plaies elles-mêmes, qui ont marqué sa chair, sont constitutives de son être !

… Signe que tous nos instants, ceux de Thomas, des Apôtres, les nôtres, chacun de nos moments uniques dans l’éternité, est porteur de notre propre vocation à l’éternité !

*

Monde nouveau, inaccessible, inconnu, dont est porteur le Christ, venu à notre rencontre, est à même donc, de tout bouleverser. Et ça, comme pour les femmes venues au tombeau, c'est un peu… effrayant.

Car qui sait où cela va mener ? Car on sait où cela a mené les disciples qui au départ n'en demandaient pas tant — et qui refusent ce qu’ils pressentent, qui restent derrières leurs portes verrouillées.

Thomas sait bien cela : il y a quelque chose derrière ces plaies. Thomas n'a pas cru ce qu'il a vu, il a cru parce qu'il a vu, et désormais, quoique cela coûte. « Mon Seigneur et mon Dieu », a-t-il dit, dans l'adoration…

Que la foi de saint Thomas soit la nôtre ce matin, qui nous permette de voir la voix de Dieu lui-même qui parle à nos cœurs cette parole portée par son Esprit : Jésus-Christ.

Et forts de la liberté qui est dans le don de cette parole et de ce souffle, d’aller comme envoyés de Dieu porter au monde cette libération. « La paix soit avec vous. »

R.P.
Vence, 15.04.12


dimanche 8 avril 2012

Pâques — le passage




Actes 10, 34-43 ;Psaume 118, 1-20 ; 1 Corinthiens 5, 6-8 ; Jean 20, 1-9

Jean 20, 1-9
1 Le premier jour de la semaine, à l'aube, alors qu'il faisait encore sombre, Marie de Magdala se rend au tombeau et voit que la pierre a été enlevée du tombeau.
2 Elle court, rejoint Simon-Pierre et l'autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit: " On a enlevé du tombeau le Seigneur, et nous ne savons pas où on l'a mis. "
3 Alors Pierre sortit, ainsi que l'autre disciple, et ils allèrent au tombeau.
4 Ils couraient tous les deux ensemble, mais l'autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau.
5 Il se penche et voit les bandelettes qui étaient posées là. Toutefois il n'entra pas.
6 Arrive, à son tour, Simon-Pierre qui le suivait; il entre dans le tombeau et considère les bandelettes posées là
7 et le linge qui avait recouvert la tête; celui-ci n'avait pas été déposé avec les bandelettes, mais il était roulé à part, dans un autre endroit.
8 C'est alors que l'autre disciple, celui qui était arrivé le premier, entra à son tour dans le tombeau; il vit et il crut.
9 En effet, ils n'avaient pas encore compris l'Écriture selon laquelle Jésus devait se relever d'entre les morts.

*

Pâques est passage et passion. Pour la tradition juive, la Pâque est la commémoration et l'actualisation de la sortie d’Égypte. Depuis l'Exode, la fête au cours de laquelle un agneau est sacrifié, rappelle le temps où le peuple était épargné de la mort qui frappait la puissance asservissante, l'Égypte de Pharaon, et rappelle que ce temps, c'est aujourd'hui !

Le peuple vivait le passage de l'esclavage à l'espérance en traversant la mer à pied sec, passage auquel nous sommes appelés aujourd'hui tout à nouveau.

Le mot hébreu qui indique un passage, un saut, a été rendu en grec par un terme sonnant de façon ressemblante, mais qui contient en outre une autre idée, celle de souffrance subie, de passion.

Or voici que « Christ, notre Pâque, a été immolé » (1 Corinthiens 5, 7), souffrant, comme par un nouvel Exode, le passage de la mort à la vie de la Résurrection. Passé avec nous de la vie à la mort, de la vie temporelle au tombeau, pour que nous passions avec lui de la mort à la vie, du tombeau à la résurrection pour la vie d'éternité.

C'est de cet autre esclavage, le péché, par lequel la mort a trouvé son règne (Romains 5, 21), que la passion du Christ nous libère pour nous mener à la vie nouvelle.

C'est pourquoi il nous affirme : « celui qui écoute ma parole et qui croit en celui qui m'a envoyé... est passé de la mort à la vie » (Jean 5, 24).


Le tombeau vide

Ce passage de la mort à la vie est participation à la résurrection du Christ dont Marie de Magdala, au dimanche de Pâques, découvre le signe, le tombeau vide.

Tout est renversé : la voilà partie, le shabbath passé, pour se recueillir sur un mort — pour un embaumement, précisent Marc et Luc. Mais il n'y a plus de corps dans la tombe ! Et elle n'ose pas encore saisir : « on a enlevé du tombeau le Seigneur », dira-t-elle à Pierre. Et elle persistera dans cette idée, puisque, dans ses larmes, c'est encore ce qu'elle dira aux anges (v. 11-14). Et elle ne pourra pas reconnaître Jésus ressuscité avant qu'il ne l'appelle par son nom (v. 14-16).

On entre dans un monde nouveau, attesté par de simples signes : on a roulé la pierre qui fermait le sépulcre pour qu'il apparaisse qu'il est bien vide. Restent les bandelettes qui entouraient le corps, et le suaire qui en couvrait la tête. C'est le constat de Pierre, qui marquant un second temps, à la suite de Marie de Magdala, n'ose pourtant pas non plus franchir le pas.

C'est elle pourtant qui devient premier témoin du passage de la mort à la vie, de « l'engloutissement de la mort dans la victoire », selon l'expression de Paul, courant vers les Apôtres, qui s'apprêtent à rentrer vers la Galilée (cf. Matthieu et Marc) — leur pèlerinage à Jérusalem étant terminé, et terminé de quelle façon : le Maître est mort ! À présent, ils s'en retournent dans leur chez eux de Jérusalem, restant dans la peur (v. 19) ! Ils n'ont « pas encore compris l'Écriture, selon laquelle Jésus devait ressusciter d'entre les morts » (v. 9). Un autre disciple, cependant, troisième temps après Marie et Pierre, ayant « vu » les mêmes signes : tombeau vide, linge et bandelettes, croit (v.8).


La victoire sur la mort

Au-delà des signes, une réalité inouïe : on est passé au-delà de la mort, « la mort est engloutie ». Le combat du Christ a été un combat victorieux : Dieu l'atteste par sa résurrection. Dieu justifie la solidarisation de son Fils avec le peuple asservi au péché et à la mort, son aboutissement.

La cessation de la mort sera bientôt universelle, comme a une portée universelle cette glorification de Jésus. Dieu scelle ce qu'il avait été donné à trois disciples de connaître lors de l'épisode de la Transfiguration : Jésus est manifesté comme roi de l'univers. Bientôt, tous le sauront, sa Présence universelle apparaîtra aux yeux de tous.

Car c'est bien sa présence universelle qui est annoncée dans sa résurrection : la mort ne peut le retenir, il emplit l'univers, apparaissant autant à Jérusalem, qu'en Galilée, vers Damas (Actes 9), ou ailleurs.

C'est tellement inouï, incroyable, que l'on verra rouler la pierre du tombeau (non pour que le Ressuscité puisse sortir ! Une pierre ne saurait le retenir !) — pour desceller l'incroyable de l'événement.

Présence universelle à l'espace et au temps : il emplit tous les lieux, il emplit aussi tous les temps : c'est lui qui abreuvait les pères au désert (1 Corinthiens 10, 4), c'est lui que considérait Moïse, préférant son humiliation aux trésors de l'Égypte (Hébreux 11, 26), c'est lui qu'Abraham a contemplé (Jean 8, 56).

Il est présent à tous les temps et à tous les lieux : il est Un avec Dieu (Jean 10, 30), de la même nature que Dieu (Jean 1, 1). C'est cela qu'atteste sa résurrection : c'est ainsi que les Apôtres peuvent affirmer qu'il est celui qui fonde l'univers, celui par qui tout a été fait (Jean 1, 2 ; Colossiens 1, 16).

C'est là un peu de ce qu'enseigne la résurrection, et qui ne sera pleinement manifesté que dans sa venue en gloire. Vérité qui reste cachée jusqu'à ce jour : l'Ascension l'a dérobé à nos yeux (Actes 1, 9), jusqu'au jour où « Dieu sera tout en tous » (1 Corinthiens 15, 28). Le Christ ressuscité, le Christ-Roi, entré dans son éternité, participe de l’Éternité de Dieu.


Ressuscités avec Christ

En l'espérance du jour où « Dieu sera tout en tous », jour de la manifestation de la présence universelle du Maître, les Apôtres seront chargés d'annoncer ce mystère à la foi des hommes, puis après eux, nous qui avons cru avec eux. C'est cette foi par laquelle nous entrons dans la participation à la résurrection du Christ, par effet de ce qu'il a partagé notre exil dans la mort.

Car pour nous, lorsque les Écritures nous parlent de deux résurrections, correspondant à deux morts, il nous y est signifié qu'à côté de la dimension totale — englobant nos corps — de la mort et de la résurrection, il est une première mort, une dimension spirituelle de la mort, pour laquelle mort et résurrection ont une portée réelle dans nos vies présentes.

Cette mort et cette résurrection spirituelles ont un rapport étroit avec l'annonce de l'Évangile, puisque la foi, la confiance en la faveur de Dieu, nous fait accéder dès aujourd'hui au statut de ressuscités, nous fait « passer de la mort à la vie », rend réelle dès « ici-bas » la naissance d'Éternité.

C'est là la résurrection telle qu'elle prend place dès aujourd'hui dans nos vies : la croix du Christ est élévation. « Lorsque j'aurai été élevé de la terre », nous dit Jésus parlant de sa mort (Jean 12:32), « j'attirerai tous les hommes à moi ».

Et « celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort » (Jean 11, 25).

*

Dans la résurrection spirituelle, sous le regard de Dieu nous attestant sa faveur dans le Christ crucifié, s'actualise aujourd'hui notre espérance de la Résurrection qui emportera la terre et les cieux et nos êtres en leur totalité, au Jour de la présence du Christ glorifié.

R.P.
Antibes, Pâques, 08.04.12


vendredi 6 avril 2012

Serviteur souffrant




Ésaïe 52, 13 - 53, 12 ; Psaume 1 ; Hébreux 4, 14 - 5, 10 ; Jean 18, 1 - 19, 42

Ésaïe 52, 13 - 53, 12
13 Voici, mon serviteur prospérera ; Il montera, il s’élèvera, il s’élèvera bien haut.
14 De même qu’il a été pour plusieurs un sujet d’effroi, — Tant son visage était défiguré, Tant son aspect différait de celui des fils de l’homme, —
15 De même il sera pour beaucoup de peuples un sujet de joie ; Devant lui des rois fermeront la bouche ; Car ils verront ce qui ne leur avait point été raconté, Ils apprendront ce qu’ils n’avaient point entendu.

1 Qui a cru à ce qui nous était annoncé ? Qui a reconnu le bras de l’Eternel ?
2 Il s’est élevé devant lui comme une faible plante, Comme un rejeton qui sort d’une terre desséchée ; Il n’avait ni beauté, ni éclat pour attirer nos regards, Et son aspect n’avait rien pour nous plaire.
3 Méprisé et abandonné des hommes, Homme de douleur et habitué à la souffrance, Semblable à celui dont on détourne le visage, Nous l’avons dédaigné, nous n’avons fait de lui aucun cas.
4 Cependant, ce sont nos souffrances qu’il a portées, C’est de nos douleurs qu’il s’est chargé ; Et nous l’avons considéré comme puni, Frappé de Dieu, et humilié.
5 Mais il était blessé pour nos péchés, Brisé pour nos iniquités ; Le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui, Et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris.
6 Nous étions tous errants comme des brebis, Chacun suivait sa propre voie ; Et l’Eternel a fait retomber sur lui l’iniquité de nous tous.
7 Il a été maltraité et opprimé, Et il n’a point ouvert la bouche, Semblable à un agneau qu’on mène à la boucherie, A une brebis muette devant ceux qui la tondent ; Il n’a point ouvert la bouche.
8 Il a été enlevé par l’angoisse et le châtiment ; Et parmi ceux de sa génération, qui a cru Qu’il était retranché de la terre des vivants Et frappé pour les péchés de mon peuple ?
9 On a mis son sépulcre parmi les méchants, Son tombeau avec le riche, Quoiqu’il n’eût point commis de violence Et qu’il n’y eût point de fraude dans sa bouche.
10 Il a plu à l’Eternel de le briser par la souffrance… Après avoir livré sa vie en sacrifice pour le péché, Il verra une postérité et prolongera ses jours ; Et l’œuvre de l’Eternel prospérera entre ses mains.
11 A cause du travail de son âme, il rassasiera ses regards ; Par sa connaissance mon serviteur juste justifiera beaucoup d’hommes, Et il se chargera de leurs iniquités.
12 C’est pourquoi je lui donnerai sa part avec les grands ; Il partagera le butin avec les puissants, Parce qu’il s’est livré lui-même à la mort, Et qu’il a été mis au nombre des malfaiteurs, Parce qu’il a porté les péchés de beaucoup d’hommes, Et qu’il a intercédé pour les coupables.

*

Un homme est mis en cause, persécuté, exécuté… Quel délit présumé ? Qu’est-ce qui a mené à la situation qui voit le Serviteur du livre d’Ésaïe subir la violence persécutrice ?

Le texte l’ignore ! Aucun acte d’accusation, aucun procès verbal. La cause, le prétexte de la mise à mort du Serviteur, n’ont manifestement aucune importance pour le prophète !

Apparaît ainsi comme en filigrane que quel qu’il soit, le prétexte est sans importance : c’est un prétexte, précisément !

« Nous » sommes tous concernés par une violence qui nous libère : lui est la victime d’une violence qu’il porte pour autrui, pour nous.

De même qui est-il ? Qui est le Serviteur souffrant ? On a longuement débattu pour savoir de qui il s’agit, parlant de ce Serviteur.

Voilà dès lors un texte apparemment difficilement compréhensible : sauf à le prendre comme parole — poétique — de dévoilement d’autre chose. Au-delà de l’enracinement historique, que le texte ne donne pas, ce qui est dévoilé là est un phénomène humain, trop humain, universellement humain — dévoilé et dénoncé dans toute sa réalité dans un condensé du trajet biblique « depuis Caïn et Abel jusqu’à Zacharie » (Matthieu 23, 35)…

On connaît la lecture que René Girard (cf. Le bouc émissaire, Des choses cachées depuis la fondation du monde, etc.) a faite du phénomène universel du sacrifice, et la particularité de sa reprise dans la tradition biblique :

Toute querelle est le dévoilement d’un désir mimétique, d’une imitation les uns des autres dans la convoitise de ce qui est jugé désirable : tous désirent la même chose et cela finit invariablement en conflit.

Entre temps, l’objet de la querelle initiale a été oublié, tandis que les rivalités se sont propagées. Le conflit s’est généralisé en « guerre de tous contre tous » — que Girard appelle « crise mimétique ».

Comment cette crise peut-elle se résoudre, comment la paix peut-elle revenir ? Ici, les hommes ont trouvé « l'idée » d'un « bouc émissaire » (le terme fait référence à l'animal expulsé au désert chargé symboliquement des péchés du peuple selon la Bible — Lévitique 16).

C’est ainsi, précisément, qu'au au moment paroxystique de la crise de tous contre tous se produit éventuellement un « mécanisme salvateur » : le conflit généralisé se transforme en un tous contre un (ou une minorité), qui n'a d'ailleurs même pas de rapport avec le problème de départ ! Si le report sur un « bouc émissaire » ne se déclenche pas, c'est la destruction du groupe. Pourquoi « mécanisme » ? C'est que sa mise en marche ne dépend de personne mais découle du phénomène lui-même.

Plus les rivalités pour le même objet s'exaspèrent, plus les rivaux tendent à oublier ce qui en fut l'origine, plus ils sont fascinés les uns par les autres. À ce stade de fascination haineuse la sélection d’antagonistes va se faire de plus en plus instable, changeante, et il se pourra alors qu'un individu (ou une minorité) polarise alors l'appétit de violence.

Que cette polarisation s'amorce, et par un effet boule de neige elle s'emballe : la communauté tout entière (unanime !) se trouve alors rassemblée contre un individu unique (ou une minorité).

Ainsi la violence à son paroxysme aura alors tendance à se focaliser sur une victime et l’unanimité à se faire contre elle. L’élimination de la victime éteint le désir de violence qui pouvait animer chacun juste avant que celle-ci ne meure. Le groupe — « nous » (v. 2-6) — retrouve alors son calme via « le châtiment qui nous donne la paix » (Es 53, v. 5). Cela « nous » concerne (cf. le nombre de « nous » dans les versets 2 à 6). La victime apparaît alors comme fondement de la crise et comme auteur de la paix retrouvée — par une sorte de « plus jamais ça ».

La caractéristique de la lecture du phénomène dans la Bible est de révéler que la victime est innocente, ce qu’ignorent tous les mythes de l’humanité. C’est une différence essentielle entre Caïn et Abel et Romulus et Remus : Abel n’est pas mis en cause.

On est au cœur du texte d’Ésaïe 53 : le persécuté est innocent.

Où la foi des disciples du Crucifié retrouve la figure du Christ, qui n’a sans doute pas manqué de méditer lui-même la profonde leçon d’Ésaïe 53 : la violence est vaincue quand la victime ne joue pas le jeu.

« Le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme la rançon de plusieurs. » (Marc 10, 45).

RP
Vence, vendredi saint, 06.04.12


jeudi 5 avril 2012

La nuit de la Pâque




Exode 12, 1-14 ; Psaume 150 ; 1 Corinthiens 11, 23-26 ; Jean 13, 1-15

Exode 12, 1-14
1 Le Seigneur dit à Moïse et à Aaron dans le pays d’Egypte:
2 Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois ; il sera pour vous le premier des mois de l’année.
3 Parlez à toute l’assemblée d’Israël, et dites : Le dixième jour de ce mois, on prendra un agneau pour chaque famille, un agneau pour chaque maison.
4 Si la maison est trop peu nombreuse pour un agneau, on le prendra avec son plus proche voisin, selon le nombre des personnes ; vous compterez pour cet agneau d’après ce que chacun peut manger.
5 Ce sera un agneau sans défaut, mâle, âgé d’un an ; vous pourrez prendre un agneau ou un chevreau.
6 Vous le garderez jusqu’au quatorzième jour de ce mois ; et toute l’assemblée d’Israël l’immolera entre les deux soirs.
7 On prendra de son sang, et on en mettra sur les deux poteaux et sur le linteau de la porte des maisons où on le mangera.
8 Cette même nuit, on en mangera la chair, rôtie au feu ; on la mangera avec des pains sans levain et des herbes amères.
9 Vous ne le mangerez point à demi cuit et bouilli dans l’eau ; mais il sera rôti au feu, avec la tête, les jambes et l’intérieur.
10 Vous n’en laisserez rien jusqu’au matin ; et, s’il en reste quelque chose le matin, vous le brûlerez au feu.
11 Quand vous le mangerez, vous aurez vos reins ceints, vos souliers aux pieds, et votre bâton à la main ; et vous le mangerez à la hâte. C’est la Pâque du Seigneur.
12 Cette nuit-là, je passerai dans le pays d’Egypte, et je frapperai tous les premiers-nés du pays d’Egypte, depuis les hommes jusqu’aux animaux, et j’exercerai des jugements contre tous les dieux de l’Egypte. Je suis le Seigneur.
13 Le sang vous servira de signe sur les maisons où vous serez ; je verrai le sang, et je passerai par-dessus vous, et il n’y aura point de plaie qui vous détruise, quand je frapperai le pays d’Egypte.
14 Vous conserverez le souvenir de ce jour, et vous le célébrerez par une fête en l’honneur du Seigneur ; vous le célébrerez comme une loi perpétuelle pour vos descendants.

*

« Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois ; il sera pour vous le premier des mois de l’année » : tout commence là.

Commémoration qui est aussi actualisation : c’est, chaque année, aujourd’hui, que cela se passe. Aujourd’hui, le jour de la libération.

Être prêts, « les reins ceints, souliers aux pieds, bâton à la main, mangeant à la hâte », dans l’action de grâce pour ce que Dieu seul est le protecteur et le libérateur — « c’est la Pâque du Seigneur. »

*

On entre dans le trajet biblique qui va cette libération, aujourd’hui, l’Exode, vers l’entrée en terre promise — de Josué au livre des Juges, jusqu’à l’instauration de la royauté davidique, et à l’attente du Royaume de David.

La spécificité de la loi biblique, dont cette célébration de la Pâques fait partie, comme commandement, moment central — « vous célébrerez ce jour comme une loi perpétuelle pour vos descendants » — ; la spécificité de la loi donnée lors de l’Exode est que le législateur, Moïse, n’en est pas la source, comme la libération n’est pas le fruit de nos œuvres. Qu’il y ait des lois très proches de la loi biblique dans l’Antiquité est très connu : de Babylone avec le code d’Hammourabi, plus ancien que la loi biblique, à l’Égypte. Hammourabi est le donateur et le garant de son code. Même chose en Égypte avec les Pharaons. Mais ici, Dieu est le libérateur : c’est ce que la Pâque commémore et actualise.

Voilà donc une loi dont Moïse est le médiateur, mais dont il n’est ni l’auteur, ni le garant. Voilà la loi d’un Dieu qui est, lui seul, libérateur d’un peuple sans force. C’est au point que la loi, donnée pour gérer la vie d’une cité en gestation, à mettre en place en terre promise, ne prévoit pas de dirigeant, pas de roi. La loi seule doit régir la vie du peuple.

C’est le système qui traverse le livre des Juges, au point qu’au bout du compte, selon le leitmotive du livre, « il n’y avait pas de roi en Israël, chacun faisait ce qu’il voulait »… Système mis en échec, donc, par le non-respect de la loi.

Où le problème finit par se poser : et si on instaurait quand même une royauté, cela au grand dam du prophète Samuel, qui voit dans cette idée une trahison du projet divin. Samuel finit par céder, comme Dieu lui-même le lui conseille, dit le texte.

Face à cela, la célébration du libérateur, la célébration de la Pâque du Seigneur.

Il concède pourtant au peuple l’intronisation d’un roi, Saül, qui finit par être rejeté, car comme Samuel avait prévenu, roi, Saül finit par se prendre pour le roi. Il est remplacé par David, qui lui, bien que roi aussi, reconnaît la suzeraineté de la loi, dont il n’est pas la source. Ce que rappelle chaque année la célébration du vrai libérateur, la célébration de la Pâque du Seigneur — « loi perpétuelle pour vos descendants. »

Ce sera la marque de la dynastie de David : l’observance de la loi, monarchie constitutionnelle, donc, en quelque sorte, instaurée dès lors sur cette base, la loi souveraine, base que cette dynastie en viendra elle-même à trahir. Dès lors le peuple plongera progressivement dans le chaos qui le mettra aux mains des tyrans étrangers et au bout du compte de Babylone, devenue dans la Bible la cité symbole du pouvoir totalitaire, répercussion de l’exil en Égypte.

Cela vaut actualité, l’exil et l’esclavage dans l’oubli de la loi, comme la libération. La nuit est à nouveau avancée, veille de la libération.

*

Face à l’exil dans la nuit de tous nos esclavages, la parole qui fonde la libération sur l’action de Dieu seul, pour le maintien de la liberté par l’écoute de sa parole seule — libération commémorée chaque année, et dont Dieu est l’auteur — selon le signe du sang —, lui qui règne par le don de la loi de la liberté.

Liberté fondée sur l’action de Dieu seul, quand tout est perdu, quand le destructeur va répandre son ombre, quand la nuit s’est épaissie, qui ne laissera saufs que ceux qui se confient en leur Sauveur seul — le signe du sang.

Commémoration et actualisation, c’est aujourd’hui la nuit de la croix, la nuit qui s’avance en ce soir du jeudi saint où Jésus, fils de David, et ses disciples commémorent, actualisent, à l’instar de tout juif, la nuit de la sortie de l’esclavage, de la libération octroyée par Dieu seul — sous le signe du sang. S’avance la Pâque de la libération de la mort, Pâque de la liberté et de la résurrection, jour d’une pureté toute nouvelle scellée dans le sang.

Déjà, aujourd’hui, « vous êtes purs », a annoncé Jésus à ses disciples au soir du jeudi saint…

Jean 13 :
6 Il vint donc à Simon Pierre ; et Pierre lui dit : Toi, Seigneur, tu me laves les pieds !
7 Jésus lui répondit : Ce que je fais, tu ne le comprends pas maintenant, mais tu le comprendras bientôt. […]
10 Jésus lui dit : Celui qui est lavé n’a besoin que de se laver les pieds pour être entièrement pur ; et vous êtes purs […]
12 Après qu’il leur eut lavé les pieds, et qu’il eut pris ses vêtements, il se remit à table, et leur dit : Comprenez-vous ce que je vous ai fait ?


*

Signe du sang : « Le sang vous servira de signe sur les maisons où vous serez ; je verrai le sang, et je passerai par-dessus vous, et il n’y aura point de plaie qui vous détruise ».

*

1 Corinthiens 11 :
23 Car j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai enseigné ; c’est que le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain,
24 et, après avoir rendu grâces, le rompit, et dit : Ceci est mon corps, qui est rompu pour vous ; faites ceci en mémoire de moi.
25 De même, après avoir soupé, il prit la coupe, et dit : Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang ; faites ceci en mémoire de moi toutes les fois que vous en boirez.
26 Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

RP
Antibes, jeudi saint, 05.04.12


dimanche 1 avril 2012

Rameaux




Ésaïe 50, 4-7 ; Psaume 24 ; Philippiens 2, 6-11 ; Marc 11, 1-11

Marc 11, 1-11
1 Lorsqu'ils approchent de Jérusalem, près de Bethphagé et de Béthanie, vers le mont des Oliviers, Jésus envoie deux de ses disciples
2 et leur dit : « Allez au village qui est devant vous : dès que vous y entrerez, vous trouverez un ânon attaché que personne n'a encore monté. Détachez-le et amenez-le.
3 Et si quelqu'un vous dit : “Pourquoi faites-vous cela ? ” répondez : “Le Seigneur en a besoin et il le renvoie ici tout de suite.” »
4 Ils sont partis et ont trouvé un ânon attaché dehors près d'une porte, dans la rue. Ils le détachent.
5 Quelques-uns de ceux qui se trouvaient là leur dirent : « Qu'avez-vous à détacher cet ânon ? »
6 Eux leur répondirent comme Jésus l'avait dit et on les laissa faire.
7 Ils amènent l'ânon à Jésus ; ils mettent sur lui leurs vêtements et Jésus s'assit dessus.
8 Beaucoup de gens étendirent leurs vêtements sur la route et d'autres des feuillages qu'ils coupaient dans la campagne.
9 Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient : « Hosanna ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient !
10 Béni soit le règne qui vient, le règne de David notre père ! Hosanna au plus haut des cieux ! »
11 Et il entra à Jérusalem dans le temple. Après avoir tout regardé autour de lui, comme c'était déjà le soir, il sortit pour se rendre à Béthanie avec les Douze.

*

« Vous prendrez du fruit de beaux arbres, des branches de palmier, des rameaux de l'arbre touffu et des saules de rivière ; et vous vous réjouirez, en présence de l'Éternel votre Dieu, durant sept jours » (Lévitique 23, 40). Il s’agit de la fête de Soukkoth — la fête des Cabanes…

Les rameaux agités aux cris de « Hosanna » — « donne le salut à présent » — pendant les jours de cette fête de Soukkoth, sont donc un bouquet de feuillages. Des rameaux composés de palmes et de feuillages.

Le premier jour de la fête, on lit le prophète Zacharie (chapitre 14, 1-21) qui annonce un temps où tous les peuples réunis contre Jérusalem seront finalement vaincus. La fête de Soukkoth est alors aussi préfiguration des jours du Messie où l’humanité entière reconnaîtra le Dieu vivant. Le Messie annoncé par ce même Zacharie (ch. 9, 9) arrivant sur un ânon.

Évidemment, notre fête de Rameaux évoque irrésistiblement cette fête de Soukkoth. Et ce n’est pas par hasard. S’annonce alors pour le peuple la venue du Règne du Messie que l’on reconnaît ce jour-là en Jésus.

La fête de Soukkoth célèbre un chemin de liberté dont Rameaux annonce aux disciples de Jésus qu’il arrive à son terme avec : la terre promise, le Règne de Dieu, enfin en vue.

Or la fête de Soukkoth — la fête des Cabanes —, est célébrée au début de l’automne… et pas au temps de la préparation de la Pâque !

*

Mais voilà que pour l’Évangile, tout se réorganise autour de la croix. Le temps, pour les disciples, est comme brisé par un nouvel aujourd’hui de Dieu, aujourd’hui éternel. Le nœud du temps s’apprête à être dévoilé. On n’est pas encore à Pâques, après le dimanche de Pâques qui annonce la résurrection de toutes choses, quand l’histoire, qui se poursuit, s’avère être passée par la nuit de la croix. Mais ce pic de l’Histoire se dessine déjà, ce nouveau pivot du temps commence à se dresser.

… La croix : ce nouvel axe de toutes choses autour duquel se réorganise le temps, et donc le temps liturgique qui, pour l’Église, place là cette fête de Rameaux.

Vous trouverez tout comme le dit Jésus dit le texte : « répondez : Le Seigneur en a besoin ; il renverra l’ânon ici tout de suite. » Aujourd’hui, maintenant.

Psaume 2, 7 : « Le Seigneur m’a dit : Tu es mon fils ! Je t’ai engendré aujourd’hui. » Et, Psaume 95, 7 : « Il est notre Dieu, Et nous sommes le peuple de son pâturage, Le troupeau que sa main conduit… Oh ! si vous pouviez écouter aujourd’hui sa voix ! » Aujourd’hui, tout de suite.

Aujourd’hui-même : dites : « Le Seigneur en a besoin ; il le renverra, il le renvoie ici tout de suite. »

Et en effet, les disciples « sont partis et ont trouvé un ânon attaché dehors près d'une porte, dans la rue. Ils le détachent. Quelques-uns de ceux qui se trouvaient là leur dirent : « Qu'avez-vous à détacher cet ânon ? » Eux leur répondirent comme Jésus l'avait dit et on les laissa faire.

Le nouvel axe du temps, avec son avant, cet épisode qui prépare l’ânon renvoyant au livre du prophète Zacharie annonçant le Messie, et son après, après Pâques, se dessine déjà. Notre temps liturgique, où Rameaux annonce Pâques, se présente comme le signe de cela.

Déjà se profile le mont des Oliviers et son jardin d’agonie de Jésus (v. 1).

Tout est en place pour accueillir celui qu’en ce jour, on acclame comme le Messie annoncé par Zacharie.

Tout est en place pour l’apparition d’un axe du monde, la croix, autour duquel se présente la nouveauté d’un temps qui va bientôt couvrir la face la terre, qui va bientôt courir par tout l’empire romain et tous les espaces d’un temps nouveau, pour le meilleur ou pour le pire, avant que ne se déploie enfin le meilleur, le jour du Royaume du Prince de la paix, humble et monté sur un ânon, le petit d’une ânesse.

« Hosanna ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! Béni soit le règne qui vient, le règne de David notre père ! Hosanna au plus haut des cieux ! » — entonne déjà la foule, qui ignore pour l’heure que ce nouvel axe du temps qu’elle célèbre déjà, apparaîtra dans quelques jours, demain, dans quelques heures, en fait déjà ici, tout de suite, comme une croix dressée vers le ciel.

« Et il entra à Jérusalem dans le temple. Après avoir tout regardé autour de lui, comme c'était déjà le soir, il sortit pour se rendre à Béthanie avec les Douze. »

Déjà le soir, la nuit de l’axe du temps s’est approchée. L’aujourd’hui de Dieu pour nous : « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, N’endurcissez pas vos cœurs ».

Le temple où entre Jésus, où la présence de Dieu se donne comme réalité tangible, et d’où il sort pour se rendre à Béthanie, où s’annonce son calvaire…

Philippiens 2, 6-11...
6 Lui qui était vraiment divin,
il ne s'est pas prévalu d'un rang d'égalité avec Dieu,
7 mais il s'est vidé de lui-même
en se faisant vraiment esclave,
en devenant semblable aux humains ;
reconnu à son aspect comme humain,
8 il s'est abaissé lui-même
en devenant obéissant jusqu'à la mort
— la mort sur la croix.
9 C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé
et lui a accordé le nom qui est au-dessus de tout nom,
10 pour qu'au nom de Jésus
tout genou fléchisse
dans les cieux, sur la terre et sous la terre,
11 et que toute langue reconnaisse
que Jésus-Christ est le Seigneur à la gloire de Dieu, le Père.
Les hommes ne voient que gloire en ce jour où s’approche la nuit de la croix, quand celui qui monte vers le temple au dos d’un ânon, n’est qu’humilité en route vers sa croix, — écho au vide dans lequel le monde a pu prendre place — nouveau lieu du vide à partir duquel se bâtit le monde, le temps et l’histoire, en marche vers le Royaume qui vient dans l’homme qui paraît là, semblable à tout humain…

RP
Cagnes, 01.04.12