dimanche 28 août 2022

Urgente guérison





Proverbes 4, 1-9 ; Psaume 68 ; Hébreux 12, 18-24 ; Luc 14, 1-14

Luc 14, 1-14
1 Un jour de shabbat, il était venu manger chez l'un des chefs des pharisiens, et ceux-ci l'observaient.
2 Un hydropique était devant lui.
3 Jésus demanda aux spécialistes de la loi et aux pharisiens : Est-il permis ou non d'opérer une guérison pendant le shabbat ?
4 Ils gardèrent le silence. Alors il prit le malade, le guérit et le renvoya.
5 Puis il leur dit : Lequel de vous, si son fils ou son bœuf tombe dans un puits, ne l'en retirera pas aussitôt, le jour du shabbat ?
6 Et ils ne furent pas capables de répondre à cela.
7 Il adressa une parabole aux invités parce qu'il remarquait comment ceux-ci choisissaient les premières places ; il leur disait :
8 Lorsque tu es invité par quelqu'un à des noces, ne va pas t'installer à la première place, de peur qu'une personne plus considérée que toi n'ait été invitée,
9 et que celui qui vous a invités l'un et l'autre ne vienne te dire : « Cède-lui la place. » Tu aurais alors la honte d'aller t'installer à la dernière place.
10 Mais, lorsque tu es invité, va te mettre à la dernière place, afin qu'au moment où viendra celui qui t'a invité, il te dise : « Mon ami, monte plus haut ! » Alors ce sera pour toi un honneur devant tous ceux qui seront à table avec toi.
11 En effet, quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé.
12 Il disait aussi à celui qui l'avait invité : Lorsque tu donnes un déjeuner ou un dîner, ne convie pas tes amis, ni tes frères, ni les gens de ta parenté, ni des voisins riches, de peur qu'ils ne te rendent ton invitation et qu'ainsi tu sois payé de retour.
13 Mais lorsque tu donnes un banquet, invite des pauvres, des estropiés, des infirmes, des aveugles.
14 Heureux seras-tu, parce qu'ils n'ont pas de quoi te payer de retour ! En effet, tu seras payé de retour à la résurrection des justes.

*

Un jour de shabbat. Le shabbat est le signe central de l’Alliance de grâce, selon la Torah, les pharisiens et (on va le voir) Jésus. D’où l’importance de ce texte pour percevoir ce qu’il en est de la pratique de Jésus : quelle observance du shabbat est la sienne ?

Le transgresse-t-il comme on l’entend parfois dire, le relativise-t-il ? Ce serait en contradiction avec son propre enseignement, requérant l’observance jusqu'au plus petit précepte de la Torah. Or le shabbat n’est pas un « petit précepte », étant inscrit au cœur du Décalogue, marquant à la fois une exigence éthique, comme règle sociale, soulignée par le Deutéronome ; et en outre donné comme signe de l'entrée de la Création dans le shabbat éternel, aspect souligné par l’Exode : tu observeras le shabbat comme signe du shabbat de Dieu au récit de la Création… Entrée dans le shabbat éternel… À bien y regarder, c'est sans doute là la clef de notre texte…

*

« Invite des pauvres, des estropiés, des infirmes, des aveugles. Heureux seras-tu, parce qu'ils n'ont pas de quoi te payer de retour » (v. 13-14). Voilà que Jésus invite à nouveau ses auditeurs à se faire des débiteurs insolvables, comme il l'a fait quelques chapitres avant dans la parabole du bon Samaritain qui se termine avec son fameux « va et, toi aussi, fais de même », à savoir fais-toi, comme le Samaritain, des débiteurs — insolvables qui plus est ! Aujourd'hui, les choses se précisent : « de peur qu'ils ne te rendent ton invitation et qu'ainsi tu sois payé de retour » (v. 12). Voilà qui déroge à tout ce que l'on croit savoir de la bienséance et du partage du don.

Voilà un texte qui, allant un peu plus loin que l'exhortation finale de la parabole du bon Samaritain, nous donne ainsi une illustration et une explication de la façon dont les derniers pourraient être les premiers et les premiers les derniers. Ça commence par le récit de la guérison d'un hydropique — un homme enflé, comme d'eau (de sérum) — guérison que Jésus effectue un jour de shabbat. Façon de provocation, selon toute apparence. Entrée en matière dont il faut tenir compte pour comprendre ce que développe Jésus dans la parabole qui suit cet incident, quant à être abaissé ou élevé.

*

L'observance du shabbat n'est pas facultative. L’Alliance a deux parties : Dieu et le peuple. Quant à Dieu, il a fait une promesse à Abraham pour sa descendance. Quant au peuple, il s'agit de remplir sa part, c'est-à-dire observer les préceptes, mais au risque, qui nous concerne jusqu'aujourd'hui nous aussi, d’en faire ainsi une sorte de manuel d'autosatisfaction religieuse. C'est à cela que Jésus s'en prend, à sa façon radicale, par cette guérison incongrue annoncée par une question provocante.

Jésus guérit un homme atteint d'une maladie qui semble ne présenter aucune urgence — c'est-à-dire qu'il aurait pu être guéri le lendemain : les cabinets médicaux sont fermés le week-end, sauf urgence. Mais voilà que Jésus répond à ses interlocuteurs qu'il y a là urgence.

En cas de réelle urgence, les pharisiens admettent sans la moindre difficulté la légitimité des interventions au jour du shabbat, comme les médecins le week-end — d'où le silence qui suit la question de Jésus. Dans un cas d’urgence, celui d'une question immédiate de vie ou de mort, il n'y aurait ni discussion ni contestation. Pas plus pour un être humain que pour un bœuf tombé dans un puits. Car il ne faut pas s'imaginer, à partir de la remarque de Jésus sur le bœuf tombé dans un puits — exemple que Jésus rajoute à un fils, premier exemple trop évident — ; il ne faut pas s'imaginer qu'un pharisien quel qu'il soit aurait préféré la vie de son bœuf à une vie humaine en danger ! Les choses étaient prévues, le Talmud en garde souvenir, pas de difficulté dans ce cas. Mais voilà, ici, on a affaire à une personne qui pouvait attendre un jour de plus. De quoi choquer : Jésus, méprise-t-il le shabbat ?

Jésus ne méprise pas le shabbat ; mais il considère le cas de ce malade comme urgent ! C'est là qu'est le débat, peut-être d'une autre urgence que celle de la maladie — même si l'on convient qu'un jour de souffrance est une éternité pour celui qui en est affligé.

L'urgence en question est celle du Jour d'éternité précisément, celle du Royaume de Dieu. Le shabbat en est le signe, signe de gratuité, signe de grâce, signe et présence du Royaume de Dieu, ce jour où Dieu s'est retiré, et où tous sont invités à être délivrés et à entrer dans le repos — et pas seulement à observer scrupuleusement le rituel qui symbolise cette délivrance et la gratuité du shabbat de Dieu. Sans quoi on risque de n'être qu'enflé de bonne conscience, comme l'hydropique — beau symbole — était enflé. À guérir d'urgence !

Voilà qui permet d'éclairer la parabole qui suit : qu'est-ce que cette façon d'être enflé de bonne conscience, à se croire premier, en s'arrogeant les places d'honneur ? — et pourquoi le Maître du repas du Royaume pourrait juger qu'il s'agit de ranger les convives autrement.

*

On peut saisir ainsi que se mettre à la première place consiste, en usant de critères soi-disant religieux — ou autres —, à établir des catégories prioritaires, et s'y placer soi-même, sur la base d'une bonne conscience qui revient à être… enflé. Maladie à guérir d'urgence !

Enflé, éventuellement — ô comble — et c'est le risque que Jésus décèle chez ses interlocuteurs, à la mesure de ce recueil de « principes pour être en règle avec Dieu » que l'on a fait de la Bible. Voilà qu'on se fait fort de constater qu'on accomplit la plupart des rites qu'elle prescrit — ce qui est certes bel et bon — à commencer par un des plus importants — il est tout de même dans les dix commandements — le shabbat, ce signe de la gratuité de la grâce de Dieu. Or la Bible n'est pas un manuel de savoir-vivre religieux : son but n'est pas de nous faire penser que nous sommes en règle avec Dieu. Car quiconque se pense en règle avec Dieu, se mettra d'une façon ou d'une autre dans les meilleurs fauteuils, comme les convives de la parabole, carrément dans les premiers.

Voilà qui est à guérir d'urgence !… Avant que Dieu ne bouleverse un ordre indu : « quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé ».

Alors Jésus appelle celui qui l'invitait, à inviter — plutôt que les convives qui lui ressemblent, ses proches ou ceux qui lui sont proches par leur perfection morale, ceux honorent sa table de leur richesse ou de leur — réelle — honorabilité, et qui peut-être, l’inviteront en retour à leurs tables de choix — ; Jésus l'appelle à inviter ceux que l'on a l'habitude de mépriser. Avec en outre le motif qu'ils ne pourront pas rembourser, qu'ils ne pourront pas rendre l'invitation… N'ayant donc pas de quoi être enflés !

Le piège de l’orgueil, puisque c'est de cela qu'il s’agit, la prétention d'être irréprochable, à s'arroger la bonne place, se dévoile ici dans toute sa splendeur : prétention d'être d'une pureté telle qu'on pourrait la déployer, agissant entre bons par pure gratuité ! Agir par pure gratuité serait certes bel et bon si nous étions d'une telle perfection, celle d'être entre bons qui se rendent leur bonté, perfection surhumaine, perfection inhumaine.

Où l'on retrouve à son comble l'illusion d'être en règle : dans la prétention d'aimer de façon gratuite. Jésus barre cette issue illusoire par un défi : « invite donc ceux qui ne pourront pas te rendre ». Des « débiteurs » qui ne peuvent pas rembourser ! Inaptes à la réciproque. Jésus met ici en question jusqu’à la vérité de la bonne intention : jusqu’à quel point un acte « gratuit » est-il gratuit ? C'est une véritable « dette de gratuité » qui est ainsi dévoilée via cette mise en honneur de ceux qui ne peuvent pas rembourser : tu n'as pas les moyens de tes prétentions d'être à la hauteur des exigences qui fonderaient une communauté de bons, en règle, aptes à donner. Toi le premier es un invité au festin céleste, au seul bénéfice de la grâce gratuite — don de résurrection, comme cela apparaîtra « à la résurrection des justes ».

Où chacun de nous devient le débiteur insolvable, invité au festin d'un Royaume dont il n'est évidemment pas à même d'en mériter ou d'en rembourser quoique ce soit. C'est ainsi que s'ouvre un cercle qui va bien au-delà des supposés bons entre eux, mais qui s'élargit à celles et ceux qui nous ressemblent comme débiteurs insolvables, bien obligés dès lors à faire de même que le maître invitant !

*

Ainsi, il est un autre regard de Dieu, celui du Christ qui honore le méprisé, que nous sommes tous à bien y regarder, un regard qui mène quiconque a perçu qu'il se pose sur lui sur elle, à savoir qu'on ne saurait être soi-disant apte à aimer, en règle avec Dieu, que par inconscience. Ce regard dévoile à qui a perçu que Dieu le pose sur lui, sur elle, que c'est là le regard qui seul fait vivre. C'est ce regard du Christ qui suscite l'attitude que Dieu agrée, et qui consiste à s'attendre à lui seul, et à ne pas se fier à toutes nos prétendues mises en règle, jusqu'à s'imaginer comme Dieu, aptes au don gratuit. C'est par la foi seule, qu'il s'agit de vivre devant Dieu, Dieu qui a seul le pouvoir de faire naître en nous, et à l'égard de nos prochains, les comportements qu'il attend de nous.


RP, Rouillé, 28/08/22
Prédication (format imprimable)


dimanche 21 août 2022

Porte étroite




Ésaïe 66, 18-21 ; Psaume 117 ; Hébreux 12, 5-13 ; Luc 13, 22-30

Luc 13, 22-30
22 Il passait par villes et villages, enseignant et faisant route vers Jérusalem.
23 Quelqu’un lui dit : "Seigneur, n’y aura-t-il que peu de gens qui seront sauvés ?" Il leur dit alors :
24 "Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne le pourront pas.
25 "Après que le maître de maison se sera levé et aura fermé la porte, quand, restés dehors, vous commencerez à frapper à la porte en disant : Seigneur, ouvre-nous, et qu’il vous répondra : Vous, je ne sais d’où vous êtes,
26 "alors vous vous mettrez à dire : Nous avons mangé et bu devant toi, et c’est sur nos places que tu as enseigné ;
27 et il vous dira : Je ne sais d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui faites ce qui est injuste.
28 "Il y aura les pleurs et les grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que tous les prophètes dans le Royaume de Dieu, et vous jetés dehors.
29 Alors il en viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, pour prendre place au festin dans le Royaume de Dieu.
30 "Et ainsi, il y a des derniers qui seront premiers et il y a des premiers qui seront derniers."

*

Voilà une parole terrible, donnée comme inaugurant le jour du Royaume de Dieu et de sa porte — étroite, et désormais fermée !… Opposée à la porte large, selon Matthieu (Mt 7, 13).

Parole donnée en « vous ». Adressée donc au lecteur de l’Évangile, à chacune et chacun de nous qui lisons, donc, en réponse à la question « Seigneur, n’y aura-t-il que peu de gens qui seront sauvés ? »

Une parole annoncée comme devant entrer dans l’histoire. Quand ? Lors d’une des dates terribles dont est constellée l’histoire ? Et pourquoi pas une date apparemment anodine ? Les événements du Nouveau Testament ont alors totalement échappé à la « grande Histoire », aux « grands médias » — : la date de la porte fermée aurait tout d'une date anodine, comme une date qui signe pourtant la disparition des témoins de la parole de la grâce, par exemple. Quand les témoins se raréfient autant que la fréquentation régulière des temples… temples où sont censés se trouver les témoins — non ?

Face à la porte étroite dont parle Jésus — on a, selon Mt 7, 13, la porte large : large est la porte, spacieuse est la voie qui mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là. Quelques citations des Évangiles et de Jésus pour illustrer le propos :

Une grande ‭foule‭ suivait Jésus, parce qu’elle voyait les signes qu’il opérait.‭ (Jn 6, 2)

Plus loin : ‭Jésus leur répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés.‭ (Jn 6, 26)

Quel signe fais-tu donc, lui dirent-ils, afin que nous le voyions, et que nous croyions en toi ?‭ (Jn 6, 30)

Plusieurs crurent en son nom, voyant les signes qu'il faisait. Mais Jésus ne se fiait point à eux, parce qu'il les connaissait tous, et parce qu'il n'avait pas besoin qu'on lui rendît témoignage d'aucun homme ; car il savait lui-même ce qui était dans l'homme. (Jn 2, 23-25)

‭Comme le peuple s’amassait en ‭foule‭, il se mit à dire : Cette engeance est méchante ; elle demande un signe ; il ne lui sera donné d’autre signe que celui de Jonas.‭ (Lc 11, 29) — Jonas qui n’ayant accompli aucun signe, a été lui-même le signe, que les Ninivites ont su voir, comme Jésus lui-même sera lui-même le signe.

Rien de spectaculaire à voir, rien qui fascine les foules, qui déçues de cette absence de spectaculaire, crieront crucifie. Jésus ne se fiait point à eux, car il savait lui-même ce qui est dans l'homme.

*

Retrouvons notre question : « Y a-t-il que peu de gens qui seront sauvés ? » demandait-on à Jésus — qui n’a pas répondu à cette question… « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne le pourront pas. » Voilà sa réponse ! « Après que le maître de maison se sera levé et aura fermé la porte, quand, restés dehors, vous commencerez à frapper à la porte en disant : Seigneur, ouvre-nous, et qu’il vous répondra : Vous, je ne sais d’où vous êtes »

*

« On ne s’attroupe qu’autour des vendeurs d’illusions, en philosophie comme en tout. Le vide se fait toujours autour de celui qui ne s’abaisse pas à proposer. » (Cioran, Cahiers, p. 276)

Et voilà que l'Église cherche à proposer choses et autres — ce que Jésus n’a pas fait. Elle n'a qu'un sens : lui.

L'Église oublieuse de ce qu’elle est, cherche à imiter les assembleurs de foules. Oubliant le fond de sa réalité, de l'appel de celui qui s’est méfié des foules. Imitation de “ce qui marche” (ou qui est censé “marcher”) jamais vraiment couronnée de succès, ou alors bien provisoirement (sachant qu'il y a aussi des temps Gédéon, où il s’agit de diminuer le nombre des témoins — Juges 7, 2). Oubliant que l'original du succès sera finalement préféré à la copie (cf. pub Mini 1975). Je pense à ces Églises à grand succès qui ont un temps attiré les foules avant de se fourvoyer de promesses de miracles en théologies de l’abondance ou de la prospérité — puis actuellement de commencer à décliner (selon les études sérieuses menées aux USA), quelques décennies après le début du déclin des Églises historiques, qui ont tenté contre cela d’imiter à la fois les modes de la société ambiante, et les méthodes, la forme, des Églises-spectacle.

Or ce n’est pas cela que l'Église est appelée à rechercher ou à faire rechercher.

L'Église n'a pas de scène. Sur scène, il y a du spectacle. Le spectacle est parfaitement légitime, mais ce n’est pas la vocation et le rôle de l'Église.
L'Église n'a pas de spectacle, elle a un culte ;
dans le spectacle il y a une exposition, dans le culte il y a une reddition.
L'Église n'a pas de stars, elle a des serviteurs :
les stars éblouissent, les serviteurs obéissent.
L'Église n'a pas de fans, elle a des disciples ;
les fans applaudissent et flattent, les disciples apprennent et continuent.
L'Église n'a pas d'artistes, elle a des ministres (i.e. serviteurs et servantes),
les artistes se mettent en scène, les ministres servent.
L'Église n'a pas de public, elle a des adorateurs ;
nous sommes l'Église et nous ne donnons pas un spectacle,
nous offrons un culte à Dieu ;
le public assiste et réagit, les adorateurs se prosternent et se donnent.
Que le Christ Jésus soit au-dessus et en tous.

Quand l'Église oublie ce qu’elle est, la porte s’ouvre à tous les dévoiements, tout particulièrement aux dévoiements au nom de Dieu. Actualité : tentative d’assassinat d’un écrivain au nom de Dieu… (certes pas au nom du Dieu dont témoigne l'Église ! Mais…)

Dernières décennies du XXe siècle :

Le juge a demandé à l'homme qui a tenté d'assassiner le défunt écrivain égyptien Naguib Mahfouz :
« Pourquoi avez-vous poignardé Naguib Mahfouz ? »
Le terroriste a déclaré : « À cause de son roman - Les enfants de notre quartier ».
Le juge lui a demandé : « Avez-vous lu ce roman ? »
Le criminel a dit : « Non ! »

Quelques années avant, un autre juge demandait au tueur de l'ancien président égyptien Anouar Sadate :
« Pourquoi avez-vous tué le président Sadate ? »
Réponse : « Parce qu'il était laïque ! »
Le juge a alors demandé : « Que signifie laïque ? »
Et le tueur a dit : « Je ne sais pas ! »

Un autre juge a demandé, environ dix ans après, à l’homme qui a tué l'écrivain égyptien Faraj Fouda :
« Pourquoi avez-vous assassiné Faraj Fouda ? »
— « Parce que c'est un infidèle ! »
Le juge lui a demandé : « Comment saviez-vous qu'il était infidèle ? »
— « D'après les livres qu'il a écrits ».
Le juge a dit : « Lequel de ses livres vous laissait croire qu’il était infidèle ? »
Le terroriste : « Je n'ai pas lu ses livres ! »
Le juge : « Comment ? »
Le terroriste : « Je ne sais ni lire ni écrire ! »

On pense bien sûr aujourd’hui à la tentative d’assassinat de l’écrivain Salman Rushdie, envoyé aux gémonies par tant de ceux qui n’ont pas lu son œuvre. Ironie de l’histoire : c'est grâce à la fatwa contre lui que, comme tant d’autres, je me suis procuré le roman incriminé… Effet imprévu de la sentence. Ironie mordante : après la récente tentative d’assassinat de l’auteur les ventes de son livre s’envolent à nouveau.

La haine ne se propage jamais par la connaissance. Elle se propage toujours par ignorance. Il s’agit de cesser de juger et condamner autrui, la foi d’autrui, sa spiritualité, ses œuvres ou que sais-je d’autre, sur la base de préjugés qui nous empêchent de vraiment entendre — et cela vaut en premier lieu pour le message de l’Évangile.

Or c'est cela le débouché de la porte large : ressentiment face au manque de succès, de pouvoir, d'éloges, et autres choses de cet acabit. Jésus avait prévenu : Les rois des nations les maîtrisent, et ceux qui les dominent sont appelés bienfaiteurs. Qu'il n'en soit pas de même pour vous. (Luc 22, 25-26)

C’est cela la porte étroite…

Et aujourd’hui ? La nuit s'est épaissie. Une porte fermée : « Éloignez-vous de moi, vous tous qui faites ce qui est injuste. » — « Vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que tous les prophètes dans le Royaume de Dieu, et vous jetés dehors. Alors il en viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, pour prendre place au festin dans le Royaume de Dieu. Et ainsi, il y a des derniers qui seront premiers et il y a des premiers qui seront derniers. »

Voilà Dieu qui seul peut faire ce que ne n’avons pas su faire. Voilà un salut à une tout autre mesure, et qui laisse pourtant le goût amer de toutes nos poursuites de succès ou de pouvoir, et d’imitation de ceux qui semblent en avoir, puis de tous nos échecs et nos injustices, pour laisser place au seul roc de la promesse : « il en viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, pour prendre place au festin dans le Royaume de Dieu. » La promesse de Dieu, par la foi seule : telle est ainsi la porte étroite où il nous faut passer, par laquelle seule le salut est possible. La foi seule. Cette porte qui s'ouvre encore aujourd'hui. Car c'est aujourd'hui le jour du salut…


RP, Poitiers, 21.08.22
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dimanche 10 juillet 2022

Tous en dette vis-à-vis d’autrui




Deutéronome 30, 10-14 ; Psaume 69, 14-37 ; Colossiens 1, 15-20 ; Luc 10, 25-37

Luc 10, 25-37
25 Voici qu’un légiste se leva et lui dit, pour le mettre à l’épreuve : "Maître, que dois-je faire pour recevoir en partage la vie éternelle ?"
26 Jésus lui dit : "Dans la Loi qu’est-il écrit ? Comment lis-tu ?"
27 Il lui répondit : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même."
28 Jésus lui dit : "Tu as bien répondu. Fais cela et tu auras la vie."
29 Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : "Et qui est mon prochain ?"
30 Jésus reprit : "Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l’ayant dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort.
31 Il se trouva qu’un prêtre descendait par ce chemin ; il vit l’homme et passa à bonne distance.
32 Un lévite de même arriva en ce lieu ; il vit l’homme et passa à bonne distance.
33 Mais un Samaritain qui était en voyage arriva près de l’homme : il le vit et fut pris de compassion.
34 Il s’approcha, banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin, le chargea sur sa propre monture, le conduisit à une auberge et prit soin de lui.
35 Le lendemain, tirant deux pièces d’argent, il les donna à l’aubergiste et lui dit : Prends soin de lui, et si tu dépenses quelque chose de plus, c’est moi qui te le rembourserai quand je repasserai.
36 Lequel des trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme qui était tombé sur les bandits ?"
37 Le légiste répondit : "C’est celui qui a fait preuve de bonté envers lui." Jésus lui dit : "Va et, toi aussi, fais de même."

*

Nous sommes tous en dette les uns envers les autres. C’est le sens de la formule bantoue « umuntu ngumuntu ngabantu », qui signifie : « je suis ce que je suis parce que tu es ce que tu es ». Desmond Tutu l'a mise au cœur de sa théologie : « Quelqu'un d'ubuntu est ouvert et disponible pour les autres, dévoué aux autres, ne se sent pas menacé parce que les autres sont capables et bons car il ou elle possède sa propre estime de soi — qui vient de la connaissance qu'il ou elle a d'appartenir à quelque chose de plus grand — et qu'il ou elle est diminué quand les autres sont diminués ou humiliés, quand les autres sont torturés ou opprimés. »

Un Samaritain. Ce texte de l’Évangile de Luc vient au terme de plusieurs chapitres ayant en arrière plan le cycle d’Élie, prophète de l’ancien royaume du Nord d’Israël — correspondant à la future Samarie —, Élie qui n’en est pas moins témoin du Dieu dont le temple est au Sud, en Judée, à Jérusalem. Comme le prophète Ésaïe, les prophètes Élie et Élisée espèrent en la promesse de la réconciliation des deux royaumes autour du Messie de Judée. Les Évangiles s'accordent pour voir ce Messie en Jésus. En regard d’Ésaïe pour Matthieu (ch. 1-3), en regard d’Élie et Élisée pour Luc, depuis la veuve de Naïn voyant son fils ressuscité (Lc 7) comme pour la veuve de Sarepta accueillant Élie (1 Rois 17), Élie qui apparaît lors de la transfiguration, Élie sous-jacent quand Jésus dit la radicalité de la vocation (Lc 10, 1 sq) reprenant celle d’Élisée à la suite d’Élie (Élisée qui annoncera la multiplication des pains – 2 Rois 4 / Lc 9). En tout cela, une conviction : la réconciliation est proche autour du Dieu dont la présence est signifiée au temple de Jérusalem — voir aussi en Jean le dialogue avec la Samaritaine —, ce temple qui n'est pas celui du Samaritain de notre parabole. Mais l’heure vient où c’est en Esprit et en vérité (cf. Jn 4) que l’on adore le Dieu dont la présence est symbolisée au temple de Jérusalem, cette présence donnée dans le « fais de même » final de Jésus, qui fait de chacun de nous le débiteur d’autrui, fût-il Samaritain.

Ce mot final de Jésus, « fais de même » n’est-il pas troublant, à bien y regarder ? Que vient de faire le Samaritain ? À travers son acte admirable, il vient de se faire un débiteur — qui ne pourra pas rembourser. Le Samaritain n'est même plus là pour le blessé qui lui doit la vie puisse au moins lui dire « merci » !

Être endetté est un problème. Ne compensons-nous pas notre dette pour un repas en apportant… des fleurs, un gâteau, ou autre ?… Dans notre histoire, on n'en est pas à une simple invitation à dîner… Le blessé doit sa vie à son bienfaiteur.

Quand Jésus conclut en disant de faire comme le Samaritain, cela revient au fond à dire : fais-toi des débiteurs — qui, en plus, ne pourront rien rembourser ! C'est ce qui nous échappe souvent dans ce texte, nous imaginant naïvement que nous pourrions vivre dans la gratuité, sans dette, sans même un merci…

*

Mais voyons d'abord le début du dialogue entre Jésus et le connaisseur de la Bible qui le questionne. Comme il est coutume dans les évangiles, il veut mettre Jésus à l'épreuve, c'est-à-dire savoir s'il connaît bien la Bible. « Maître », lui demande-t-il donc, « que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » Question à laquelle Jésus répond par une autre question — comment lis-tu ce que dit la Bible ? L’homme, bon connaisseur des Écritures, donne en réponse le résumé de ce qu'elles commandent, aimer Dieu (Dt 6, 5) et son prochain (Lv 19, 18).

C'est la réponse de Jésus qui, du coup, interroge : « fais cela et tu auras la vie ». Réponse évidemment correcte pour l’homme, mais… Qui prétendrait être à la hauteur ? Aimer les siens comme soi-même, oui à la limite, mais quiconque ? C'est ce qui mène l'homme à poser sa seconde question, pour se justifier, dit le texte, ce qui sous-entend bien : « qui, à commencer par moi, prétendra être à la hauteur ? »

Seconde question, donc : allons plus loin… « et qui est mon prochain ? » — car « si vous aimez seulement ceux qui vous aiment »… (Luc 6, 32). Alors Jésus raconte l’histoire du Samaritain, qui illustre sa lecture du texte d'où est extrait « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18). Aux versets 17 et 18 de ce passage de Lévitique 19, on trouve trois termes différents, dans cet ordre : le frère au sens familial, né de mêmes parents ; puis le compatriote ; et enfin autrui, sachant que la fin du chapitre précise : « tu aimeras l’étranger comme toi-même » (Lv 19, 34). En cela, Jésus et le bibliste sont certainement d‘accord.

*

Reprenons l’histoire que propose Jésus : cinq personnages : le blessé, deux serviteurs du temple de Jérusalem, un Samaritain (c'est-à-dire rattaché à un autre temple), et l'hôtelier. Tous sont juifs (comme Jésus et son interlocuteur) ; un seul ne l'est pas, le Samaritain, en voyage. C'est, comme dans le Lévitique, un étranger.

Passant près du blessé après les deux serviteurs du temple de Jérusalem, arrive le Samaritain. À côté du blessé, un pauvre total, dépouillé, roué de coups, laissé « à moitié mort » par les bandits, voilà un homme avec une monture et assez d'argent pour que le blessé puisse arriver à l'auberge et y rester autant qu'il le faudra. Cela pour traduire une vraie richesse intérieure, cette richesse d’âme qui le conduit à son attitude envers un blessé qu'il ne connaît pas, dont il prend soin comme si c'était un de ses proches — se montrant ainsi son prochain au sens du livre du Lévitique : souvenez-vous : frère, compatriote, autrui, étranger.

Pauvreté totale d'un blessé d'un côté, richesse indubitable du bienfaiteur de l'autre. Voilà qui va faire du blessé le tenant d'une dette — il doit la vie au Samaritain — qu'il ne pourra pas rembourser : d'autant que son bienfaiteur est parti sans laisser d'adresse ! Et Jésus de conclure par : « fais de même » !

Ayant répondu par son histoire à la seconde question : « qui est mon prochain ? » — c'est celui dont tu fais ton prochain, que tu considères ainsi, même s'il n'est pas des tiens, même si tu ne le connais pas —, Jésus est revenu à la première question, sur la vie éternelle, en reprenant à la fin la même réponse, en l’ayant précisée par sa petite histoire : « fais cela ». La question « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » est la même que celle de l'homme riche un peu plus loin (Luc 18, 18-27), et là aussi la réponse que donne Jésus interroge de la même façon…

Sa réponse ne semble-t-elle pas rendre impossible l’accès à la vie éternelle pour les pauvres humains que nous sommes ?, incapables comme le chameau de passer par le trou de l'aiguille dans le cas de l'homme riche, se demandant : est-ce que j’ai fait cela dans l'autre cas ?… Ai-je tant donné, à faire des endettés qui ne peuvent rien rendre… avec une dette qui ne pourra pas être remboursée. Et Jésus qui conclut : « Toi aussi fais de même » ! L'auditeur attentif a de quoi être troublé ! Et c’est vraisemblablement ce que cherche Jésus…

*

Une réflexion sérieuse sur la dette nous conduit à sortir de la naïveté qui verrait Jésus inviter à on ne sait quelle gratuité qui serait censée nous libérer de la logique de la dette — où l'on bute à nouveau sur l'impossibilité de passer par le trou d'une aiguille : on sait que l'aide aux pays endettés, dépouillés par les bandits, aide comme don supposé gratuit, ne fait que renforcer leur dépendance et les priver de leur dignité ! Y a-t-il cela au bout de la parabole du bon Samaritain ?

À moins d’admettre que cette dette, celle d'un débiteur ne pouvant pas rembourser, soit la nôtre. À moins donc qu'on entende l'enseignement de Jésus d'une autre façon… Et si c'était moi le blessé ? Avec cette question : quelle est ma dette ? Alors une voie s'ouvre, qui fait de chacune et chacun de nous un blessé, et par là un autre possible Samaritain attentionné parce qu'un blessé sachant l’être, chargé d'une dette immense, non remboursable, un blessé soigné par un Samaritain absenté… Faisant, dans une chaîne, de chacune et chacun de nous des débiteurs inaptes à rembourser et dès lors appelés à faire à leur tour autant de débiteurs propres à faire à leur tour de même, puisque sachant que leur propre dette n'est pas remboursable (voir à l’inverse la parabole du débiteur impitoyable — Matthieu 18, 23-35).

*

Alors s'ouvre le cœur de la bonne nouvelle au cœur de l’enseignement de la Bible : aime sans autre raison que de savoir que tu as été aimé, d'une façon que tu ne peux rembourser (dette infinie au Dieu sauveur : 1er commandement, qui se traduit, comme gratitude, en imitation de Dieu : 2e commandement, semblable au 1er). Comment entrer dans la vie ? En entrant dans le double commandement comme porte de la vie d'éternité, selon l'enseignement de Jésus au Notre Père peu après : « remets-nous nos dettes/péchés comme nous remettons à nos débiteurs » (Lc 11, 1-4).

Nous voilà comme des blessés au bord de la route, quand tel le Samaritain de la parabole, Jésus est venu à notre secours. Nous avons à son égard une dette que nous ne pourrons pas lui rendre — que nous ne pourrons que traduire en reconnaissance, en l’imitant à notre façon, sans s’imaginer orgueilleusement que nous sommes capables comme Dieu de don gratuit : nous sommes bien des débiteurs qui n’ayant pas les moyens de rembourser, pouvons déjà nous essayer à faire de même à notre tour et à notre mesure. « Umuntu ngumuntu ngabantu ». Étant tous en dette les uns aux autres, faire comme le Samaritain est juste une modeste façon de dire merci.


RP, Châtellerault / Jaunay-Marigny, culte d’été, 10.07.22
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dimanche 3 juillet 2022

Un Samaritain absenté




Luc 10, 25-37
25 Voici qu’un légiste se leva et lui dit, pour le mettre à l’épreuve : "Maître, que dois-je faire pour recevoir en partage la vie éternelle ?"
26 Jésus lui dit : "Dans la Loi qu’est-il écrit ? Comment lis-tu ?"
27 Il lui répondit : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même."
28 Jésus lui dit : "Tu as bien répondu. Fais cela et tu auras la vie."
29 Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : "Et qui est mon prochain ?"
30 Jésus reprit : "Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l’ayant dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort.
31 Il se trouva qu’un prêtre descendait par ce chemin ; il vit l’homme et passa à bonne distance.
32 Un lévite de même arriva en ce lieu ; il vit l’homme et passa à bonne distance.
33 Mais un Samaritain qui était en voyage arriva près de l’homme : il le vit et fut pris de compassion.
34 Il s’approcha, banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin, le chargea sur sa propre monture, le conduisit à une auberge et prit soin de lui.
35 Le lendemain, tirant deux pièces d’argent, il les donna à l’aubergiste et lui dit : Prends soin de lui, et si tu dépenses quelque chose de plus, c’est moi qui te le rembourserai quand je repasserai.
36 Lequel des trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme qui était tombé sur les bandits ?"
37 Le légiste répondit : "C’est celui qui a fait preuve de bonté envers lui." Jésus lui dit : "Va et, toi aussi, fais de même."

*

Résumons l’histoire que propose Jésus : cinq personnages : le blessé, deux responsables du temple de Jérusalem, un Samaritain (c'est-à-dire rattaché à un autre temple), et l'hôtelier. Tous sont juifs (comme Jésus et son interlocuteur) ; un seul ne l'est pas, le Samaritain, en voyage.

Un blessé au bord d’un chemin en pente raide descendante (900 m de dénivelé sur 27 km), dangereux, propice aux embuscades. Puis trois hommes passent. Après les deux responsables du temple de Jérusalem, arrive le Samaritain. À côté du blessé, un pauvre total, dépouillé, roué de coups, laissé « à moitié mort » par les bandits, voilà un homme avec une monture et assez d'argent pour que le blessé puisse arriver à l'auberge et y rester autant qu'il le faudra. Cela pour dire une vraie richesse intérieure, cette richesse d’âme qui le conduit à son attitude envers un blessé qu'il ne connaît pas, dont il prend soin comme si c'était un de ses proches.

Pauvreté totale d'un blessé d'un côté, richesse indubitable du bienfaiteur de l'autre. Voilà qui va faire du blessé le tenant d'une dette — il doit la vie au Samaritain — qu'il ne pourra pas rembourser : d'autant que son bienfaiteur est parti sans laisser d'adresse ! Et Jésus de conclure par : « fais de même » ! N’est-ce pas un peu troublant ? Que vient de faire le Samaritain ? À travers son acte admirable, il vient de faire un endetté — qui sera dans l'impossibilité de rembourser : le Samaritain n'est même plus là pour recevoir ne serait-ce qu'un « merci » d'un blessé qui lui doit la vie !

Être endetté est un problème. Ne compensons-nous pas notre dette pour un repas en apportant… des fleurs, un gâteau, ou autre ?… Dans notre histoire, on n'en est pas à une simple invitation à dîner… Le blessé doit sa vie à son bienfaiteur.

Quand Jésus conclut en disant de faire comme le Samaritain, cela revient au fond à dire : fais des endettés — qui, en plus, ne pourront rien rembourser ! C'est ce qui nous échappe souvent dans ce texte, nous imaginant naïvement que nous pourrions vivre dans la gratuité, sans dette, sans même un merci…

*

Mais voyons d'abord le début du dialogue entre Jésus et le connaisseur de la Bible qui le questionne. Comme il est coutume dans les évangiles, il veut mettre Jésus à l'épreuve, c'est-à-dire savoir s'il connaît bien la Bible. « Maître », lui demande-t-il donc, « que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » Question à laquelle Jésus répond par une autre question — comment lis-tu ce que dit la Bible ? L’homme, bon connaisseur des Écritures, donne en réponse le résumé de ce qu'elles commandent, aimer Dieu (Dt 6, 5) et son prochain (Lv 19, 18).

C'est la réponse de Jésus qui, du coup, interroge : « fais cela et tu auras la vie ». Réponse évidemment correcte pour l’homme, mais… Qui prétendrait être à la hauteur ? Aimer les siens comme soi-même, oui à la limite, mais quiconque ? C'est ce qui le mène à poser sa seconde question, pour se justifier, dit le texte, ce qui sous-entend bien : « qui, à commencer par moi, prétendra être à la hauteur ? »

Seconde question, donc : « allons plus loin… et qui est mon prochain ? » — car « si vous aimez seulement ceux qui vous aiment »… (Luc 6, 32) que faites vous d'extraordinaire ? selon ce que dit Jésus lui-même. Alors Jésus raconte l’histoire du Samaritain, qui illustre le texte d'où est extrait « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18). En cela, Jésus et le bibliste ne peuvent qu'être d‘accord.

*

Mais, ayant répondu par son histoire à la seconde question : « qui est mon prochain ? » — c'est celui dont tu fais ton prochain, que tu considères ainsi, même s'il n'est pas des tiens, même si tu ne le connais pas —, Jésus est revenu à la première question, sur la vie éternelle, en reprenant à la fin la même réponse, en l’ayant précisée par sa petite histoire : « fais cela ».

Cela ne rend-il pas impossible l’accès à la vie éternelle pour les pauvres humains que nous sommes ? Est-ce que j’ai fait cela ?… Ai-je tant donné, à faire des endettés qui ne peuvent rien rendre… avec une dette qui ne pourra pas être remboursée ? Et Jésus qui conclut : « Toi aussi fais de même » ! L'auditeur attentif a de quoi être troublé ! Et c’est sans doute ce que cherche Jésus…

*

Telle est la réalité de la dette : on ne vit pas dans la gratuité, sans dette ni « merci ». Ainsi l'aide aux pays endettés, dépouillés par les bandits, que l’on croirait gratuite, ne fait que renforcer leur dépendance et les priver de leur dignité ! Y a-t-il cela au bout de la parabole du bon Samaritain ?

À moins d’admettre que cette dette qui ne pourra pas être remboursée soit la nôtre. À moins donc qu'on entende l'enseignement de Jésus d'une autre façon… Et si c'était moi le blessé ? Avec cette question : quelle est ma dette ? Alors une voie s'ouvre, qui fait de chacune et chacun de nous un blessé, et par là un autre possible Samaritain parce qu'un blessé qui sait l’être, chargé d'une dette immense, non remboursable, un blessé soigné par un Samaritain absenté… Faisant, dans une chaîne, de chacune et chacun de nous des endettés inaptes à rembourser et dès lors appelés à faire à leur tour autant d’endettés propres à faire à leur tour de même, puisque sachant que leur propre dette n'est pas remboursable.

*

Alors s'ouvre la bonne nouvelle au cœur de l’enseignement de la Bible : aime sans autre raison que de savoir que tu as été aimé, d'une façon que tu ne peux rembourser (dette infinie au Dieu sauveur : 1er commandement, qui se traduit, comme gratitude, en imitation de Dieu : 2e commandement, semblable au 1er). Comment entrer dans la vie ? En entrant dans le double commandement comme porte de la vie d'éternité, selon l'enseignement de Jésus au Notre Père peu après : « remets-nous nos dettes/péchés comme nous remettons à ceux qui nous doivent » (Luc 11, 1-4).

Nous voilà comme des blessés au bord de la route, quand tel le Samaritain de la parabole, Jésus est venu à notre secours. Nous avons à son égard une dette que nous ne pourrons pas lui rendre — que nous ne pourrons que traduire en reconnaissance, en l’imitant à notre façon, sans s’imaginer orgueilleusement que nous sommes capables comme Dieu de don gratuit : nous sommes bien des endettés qui n’ayant pas les moyens de rembourser, pouvons déjà nous essayer à faire de même à notre tour et à notre mesure. Faire de même devient juste une modeste façon de dire merci.


RP, Poitiers, confirmations, 3.07.22
Déroulé du culte :: :: Prédication


dimanche 19 juin 2022

Jusqu'à ce qu'il vienne




Genèse 14, 18-20 ; Psaume 110 ; 1 Co 11, 23-26 ; Luc 9, 11-17

1 Corinthiens 11, 23-26
23 Voici ce que moi j'ai reçu du Seigneur, et ce que je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain,
24 et après avoir rendu grâce, il le rompit et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous, faites cela en mémoire de moi. »
25 Il fit de même pour la coupe, après le repas, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang ; faites cela, toutes les fois que vous en boirez, en mémoire de moi. »
26 Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne.

*

Voilà un texte qui demande une lecture complète du passage où il s’insère. Avant d’y venir, commençons par ce propos que nous venons de lire : « Toutes les fois que vous mangez de ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne ». On fait peu attention à la signification de ces mots, qui est peu enthousiasmante : on espérerait annoncer le Royaume, on rappelle une crucifixion…

La sainte Cène, célébrée alors au cours d'un repas, lieu de partage, résumée ensuite au pain et au vin seuls — les remarques de Paul dans notre passage n'y sont pas étrangères — ; la Cène vaut comme remise en question, à la fois quant aux divisions dans l’Église et quant à la vie sociale…

Qu'est-ce en effet que ce rite égalitaire, la Cène, qui n’efface ni les animosités ecclésiales, ni les écarts sociaux, qui hélas demeurent jusqu'au jour du royaume (« que ton règne vienne », prions-nous selon l'enseignement de Jésus) ? Le royaume, le règne de Dieu, est au milieu de nous, mais nous en sommes loin ! Et en attendant, jusqu’à la venue du Seigneur, c’est sa mort que nous annonçons… De cela, de ce que le règne de Dieu est différé, Paul donne un signe criant : dans l’Église où le royaume du Ressuscité est proclamé, on continue à être sujet à l’infirmité, à la maladie, et même à mourir (1 Co 11, 30) !

Face à cela, qu’offre l’Église ?… Des divisions — par référents identitaires, par groupuscules concurrents, par écarts sociaux… Alors Paul appelle à reconnaître à la sainte Cène la présence du Christ — à « discerner le corps du Seigneur » (1 Co 11, 29) —, sa mort, rappelée ainsi jusqu'à sa venue dans son règne… Car ce règne, règne d’unité et de paix, ne se voit pas !

« Moi, je suis de Paul ! moi, d’Apollos ! moi, de Céphas ! moi, de Christ !‭ Christ est-il divisé ? ‭» (1 Co 1, 12-13.) Attitude corinthienne que déplore l’Apôtre dès le début de l'Épître. Divisions par groupuscules, divisions par identités d’origine : dans un monde, la cité grecque au temps de Paul, gérée selon un polythéisme qui atteint tous les domaines de la vie, jusqu'aux plus quotidiens, comme la question alimentaire, quel repas partager quand la viande qui se consomme provient des sacrifices aux divinités grecques ? Dans ce contexte Paul essaye d’expliquer ce qu’il en est de l'usage de la liberté en regard des égards que l'on doit à autrui. « Vous avez été appelés à être libres. Seulement ne faites pas de cette liberté un prétexte pour vivre selon les désirs de votre propre nature. Au contraire, laissez-vous guider par l’amour pour vous mettre au service les uns des autres. Car toute loi se résume dans ce seul commandement : tu aimeras ton prochain comme toi-même », a-t-il dit dans ce sens aux Galates (Ga 5, 13-14).

Ces fameux désirs de notre propre nature (littéralement désirs de la chair), Paul en énumère les effets (Ga 5, 19-21), parmi lesquels, outre « l'idolâtrie » ambiante, « ‭les inimitiés, les querelles, les jalousies, les animosités, les disputes, les divisions, les scissions ».

* * * * * * *

Cela ne concerne donc pas seulement la vie d’une communauté ecclésiale dans une cité païenne (puisque dans la liste des « œuvres de la chair », on trouve aussi « l'idolâtrie »), mais, énumérant « ‭les inimitiés, les querelles, les jalousies, les animosités, les disputes, les divisions, les scissions », voilà qui est toujours à l'ordre du jour, quand l’Église n'a plus aucune pratique alimentaire particulière (les chrétiens mangeant de nos jours la même chose que tout le monde) qui la mettrait en porte à faux avec la cité laïque.

… Notre cité contemporaine, où apparaissent cependant des pratiques alimentaires spécifiques dans d'autres cultes, posant la question de l'attitude à adopter. L’Église aurait peut-être ici une réflexion à partager, en regard de l'enseignement de Paul. Rappelons juste que, quant à l'attitude des chrétiens de Corinthe du Ier siècle par rapport aux viandes issues de rites sacrificiels, question religieuse, Paul développe, sur la base de la décision d’Actes 15, 19-21 (« s'abstenir des idoles »), son raisonnement (1 Co 8 à 10) en faveur du maintien de la pratique classique de la Synagogue : on s'abstient des viandes consacrées aux idoles (1 Co 8, 13), concrètement on mange casher, c’est-à-dire consacré au Dieu unique ! Si le raisonnement de Paul semble complexe, c’est qu’il lui faut convaincre les disciples d'origine païenne de s’abstenir de viandes sacrificielles de la cité d’alors sans pour autant réintroduire la croyance qu’il y aurait des idoles à craindre : s’abstenir de manger la viande sacrificielle du monde ambiant tout en sachant qu'il n’y a rien à craindre ni à croire derrière les idoles !

En tout cela, le mot clé est : égards — pour les plus faibles en la foi en premier lieu, l’espérance d’une Église fidèle relevant de la foi. Mais attention à ce point à ne pas se laisser piéger par la mauvaise foi de ceux qui se déclarent eux-mêmes choqués par ce qui ne correspond pas à leurs convictions propres. Calvin fournit, en un temps qui n'était plus celui de Paul, des indications qui actualisent pour son temps ce qu’écrit l’Apôtre. Dans les pages de l’Institution de la religion chrétienne consacrées aux scandales, c'est-à-dire ce qui peut faire chuter autrui de la foi, c’est-à-dire ce dont parle Paul demandant tous les égards envers ceux qu'il appelle les faibles, Calvin écrit (trad. H. Évrard), III, xix, 11 sq. :

« J'approuve la distinction courante entre le scandale qui se cause et le scandale qui se prend. …

La première sorte de scandale n'affecte que les faibles ; la seconde est le fait d'une aigreur [méchante contre une action innocente]. … Nous userons de notre liberté chrétienne en la pliant à l'ignorance de nos frères qui sont faibles, mais non à l'irritable arrogance des [hypocrites]. … Notre liberté ne nous est pas donnée pour nous opposer à nos frères qui sont faibles, puisque [l’amour] nous met à leur service en tout et partout. Elle nous est donnée pour que, notre conscience ayant la paix avec Dieu, nous vivions aussi en paix avec les hommes. Et quant à la susceptibilité des [hypocrites], la parole de notre Seigneur nous montre quel cas nous devons en faire : laissez-les. Ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles. …

… Tout ce que nous venons de dire au sujet des scandales concerne les choses indifférentes, celles qui ne sont ni bonnes ni mauvaises en elles-mêmes. … »


* * * * * * *

Ayant fait ce détour, lisons à présent le texte en entier, qui nous permet de mieux saisir ce dont il est question…

1 Corinthiens 11, 17-31
17 Vos réunions, loin de vous faire progresser, vous font du mal.
18 Tout d'abord, lorsque vous vous réunissez en assemblée, il y a parmi vous des divisions, me dit-on, et je le crois en partie :
19 il faut même qu'il y ait des scissions parmi vous afin qu'on voie ceux d'entre vous qui résistent à cette épreuve.
20 Mais quand vous vous réunissez en commun, ce n'est pas le repas du Seigneur que vous prenez.
21 Car vos repas partagés n’abolissent en rien vos écarts sociaux, qui font que l'un a faim, tandis que l'autre est rassasié à en être ivre.
22 N'avez-vous donc pas de maisons pour manger et pour boire ? Ou bien méprisez-vous l'Église de Dieu et voulez-vous faire affront à ceux qui n'ont rien ? Que vous dire ? Faut-il vous louer ? Non, sur ce point je ne vous loue pas.
23 En effet, voici ce que moi j'ai reçu du Seigneur, et ce que je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain,
24 et après avoir rendu grâce, il le rompit et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous, faites cela en mémoire de moi. »
25 Il fit de même pour la coupe, après le repas, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang ; faites cela, toutes les fois que vous en boirez, en mémoire de moi. »
26 Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne.
27 C’est pourquoi qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement, sera coupable envers le corps et le sang du Seigneur.
28 Que chacun donc s’éprouve soi-même, et qu’ainsi il mange du pain et boive de la coupe ;
29 car qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur, mange et boit un jugement contre lui-même.
30 C’est pour cela qu’il y a parmi vous beaucoup d’infirmes et de malades, et qu’un grand nombre sont morts.
31 Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés. […]

*

Dans un monde divisé, quelle signification a ce signe du Royaume qu’est la sainte Cène, si les inimitiés continuent jusque dans l’Église ? Car le problème derrière ce texte, on l’a entendu, est donc bien les divisions — concrètement : en fixations identitaires, en groupuscules opposés, en écarts sociaux. Cela en contradiction avec la vocation qui est celle de l'Église.

Souvenons-nous : « ‭L’Esprit du Seigneur est sur moi, Parce qu’il m’a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres ; Il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé,‭ Pour proclamer aux captifs la délivrance, Et aux aveugles le recouvrement de la vue, Pour renvoyer libres les opprimés », lit-on en Luc 4, 18, relatant la première prédication de Jésus.

Lu par Jésus dans la synagogue de Nazareth comme inauguration de son ministère, ce texte cite le livre du prophète Ésaïe annonçant le règne de Dieu (És 61, 1). Commentaire de Jésus : « Aujourd’hui cette parole de l’Écriture, que vous venez d’entendre, est accomplie ». Reprise de ce même texte d’Ésaïe, on lit un peu plus loin (Luc 7, 22) : « Allez rapporter […] ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, ‭les‭ ‭morts‭ ‭ressuscitent‭, la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres.‭ » Annonce du règne de Dieu, où la misère, la maladie et la mort-même sont vaincues !

Or qu'en est-il depuis, en Église y compris ? Non seulement la souffrance et la maladie n'ont pas disparu (« il y a parmi vous des infirmes et des malades, et un grand nombre sont morts » – v. 30), non seulement, donc, on meurt : nul n'y échappe ; mais même ce minimum en signe du règne de Dieu qu'est l'établissement de la justice sociale demeure à venir, comme comble du désamour — dont les divisions en groupuscules et référents identitaires sont le symptôme.

Alors Paul ramène le signe de la Cène à ce qu'il est : non plus un repas comme celui auquel le Christ participera avec nous au jour de sa venue dans son règne, mais le signe, qui se limite donc au pain et au vin, de son corps rompu et de son sang répandu — jusque là lors de repas partagés… À présent mangez chez vous, puisque vos repas partagés n’abolissent en rien les écarts sociaux qui demeurent en l’état !… Et qui demeurent en l’état dans l'Église comme ailleurs en ce monde si plein de déséquilibres, où « les uns sont rassasiés jusqu’à en être ivres, tandis que les autres ont faim » (v. 21) ; cela contre l’espérance du règne de Dieu où les querelles d’egos sont enfin reconnues vaines, où tous sont un et où les abîmes des disparités de ce monde sont comblés — « ou bien (v. 22) méprisez-vous l'Église de Dieu et voulez-vous faire affront à ceux qui n'ont rien ? » (Cf. Ac 5, 1-10 !)

Autant de raisons pour lesquelles nous sommes invités à nous savoir indignes en nous-mêmes — lui seul est notre dignité : jugez-vous vous-mêmes, et ainsi, vous sachant indignes en vous-même, à la différence du monde qui a la manie de se croire digne et qui est incapable de discerner la souffrance que partage le Christ — que chacun se juge, et « qu'ainsi il mange et boive », en participation à la coupe amère du Christ (v. 28) : « vous annoncez sa mort » !, cela dans l'espérance de son règne.

Nous voilà bien en chemin d’Exode en un temps de dépendance de Dieu pour le pain, un pain d’aujourd’hui pour lequel nous prions Dieu de pourvoir, un pain d’aujourd’hui qui est désormais, en signe, celui de demain… Avec une seule exigence : ne pas perdre de vue la visée qui demeure notre flambeau dans le désert : « vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne. » Ce qui inclut de viser l’unité — au-delà de toute scission (1 Co 11, 18-19) —, unité et justice.


RP, Poitiers, 19.06.22
Diaporama :: :: Prédication


dimanche 12 juin 2022

Esprit de vérité




Proverbes 8, 22-31 ; Psaume 8 ; Romains 5, 1-5 ; Jean 16, 12-15

Proverbes 8, 22-31
22 Le SEIGNEUR m’a engendrée, prémisse de son activité,
prélude à ses œuvres anciennes.
23 J'ai été sacrée depuis toujours,
dès les origines, dès les premiers temps de la terre.
24 Quand les abîmes n’étaient pas, j’ai été enfantée,
quand n’étaient pas les sources profondes des eaux.
25 Avant que n’aient surgi les montagnes,
avant les collines, j’ai été enfantée,
26 alors qu’Il n’avait pas encore fait la terre et les espaces
ni le premier grain de la poussière du monde.
27 Quand Il affermit les cieux, moi, j’étais là,
quand Il grava un cercle face à l’abîme,
28 quand Il condensa les masses nuageuses en haut
et quand les sources de l’abîme montraient leur violence ;
29 quand Il assigna son décret à la mer – et les eaux n’y contreviennent pas –,
quand Il traça les fondements de la terre. 30 Je fus maître d’œuvre à son côté,
objet de ses délices chaque jour, jouant en sa présence en tout temps,
31 jouant dans son univers terrestre ;
et je trouve mes délices parmi les hommes.

Jean 16, 12-15
12 J’ai encore bien des choses à vous dire mais vous ne pouvez les porter maintenant ;
13 lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. Car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu’il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir.
14 Il me glorifiera car il recevra de ce qui est à moi, et il vous le communiquera.
15 Tout ce que possède mon Père est à moi ; c’est pourquoi j’ai dit qu’il vous communiquera ce qu’il reçoit de moi.

*

SEIGNEUR, notre Seigneur,
Que ton nom est magnifique par toute la terre !
Mieux que les cieux, elle chante ta splendeur !
Par la bouche des tout-petits et des nourrissons,
tu as fondé une forteresse contre tes adversaires.
(Psaume 8, 2-3)

Les tout-petits… Si la vérité est tout proche de nous, nous sommes loin d’elle : elle relève de ce que Dieu a « caché aux sages, et a révélé aux tout-petits » (Matthieu 11, 25). « L’Esprit de vérité vous fera accéder à la vérité tout entière », promet alors Jésus, au jour de son départ. Adressée à ses Apôtres, c'est une parole qui concerne aussi ceux qui suivront, recevant la parole des Apôtres — c’est-à-dire nous.

« L’Esprit de vérité vous fera accéder à la vérité tout entière ». Cela, bien sûr, ne préjuge en rien de ce qu’il en est de notre participation effective à cet accès à la vérité : celui qui aime en paroles et non en action et en vérité n’a pas connu Dieu, et ment en prétendant l’avoir connu, de même que ment celui qui prétend n'avoir pas de péché (1 Jean 2, 4 ; 3, 18). Celui qui pèche n’a pas connu Dieu et celui qui prétend n’avoir pas de péché ne l’a pas connu non plus et n'est pas dans la vérité (1 Jean 1, 8). Le don de la vérité est appelé à se déployer.

*

Au jour où Jésus s’adresse à ses disciples dans ce texte de Jean 16, la croix s’approche, chose cachée aux sages, chose incompréhensible à toutes nos sagesses. Celui qui est annoncé comme le Bien-aimé de Dieu, le maître du Royaume, peut-il mourir de la sorte ? Voilà qui est incompréhensible et qui pourtant est le don de la vérité, qui se dévoilera comme telle au matin du dimanche de Pâques, sans qu’alors tout le sens n’en ait été saisi par les disciples.

C’est l’Esprit saint, l’Esprit du Père qui vit en Jésus qui leur dévoilera la signification de la croix du Ressuscité : qui le glorifiera ! Le glorifiera ! Rappelons que sous ce terme l’évangile de Jean désigne la croix ! (Cf. Jean 12, 23 & 32-33.) Or cela, au jour où Jésus parle, les disciples ne peuvent le saisir. Et même le simple événement du dimanche de Pâques, comme événement, n’est que la première ouverture vers un dévoilement dans lequel l’Esprit saint va conduire les disciples, et avec eux, nous tous. Ce qui doit venir, à commencer par la croix au jour où Jésus parle, va être dévoilé.

Un dévoilement qui dit cette vérité entière inaccessible comme telle à nos intelligences, cachée aux sages et aux intelligents. La vérité de Dieu se donne dans l’humilité du Fils, une révélation qui vaut pour toute la vie humaine de Jésus, de Pâques à la Croix et à Noël, ce premier moment d’humilité du Fils de Dieu rendu infiniment proche de nous par une vérité dont nous sommes très loin mais qui porte pour nous toute consolation et à laquelle seul l’Esprit consolateur peut nous conduire.

Une vérité pleinement révélée aux Apôtres dans le Nouveau Testament, et par eux, à nous, mais qui devra être reçue et vécue par chacun dans la suite des temps et jusqu’à nous. Cela commence par le don de l’Esprit qui conduit les plus sages dans l’humilité de la vérité. Hors cela, la Croix est incompréhensible, tout comme la venue en chair de la Parole éternelle — choses cachées aux sages et aux intelligents, mais révélées à l’humilité, ce don des plus petits.

*

Autant de choses incompréhensibles à commencer par la Croix et à continuer par Noël et par toute la vie du Christ, que l’Esprit saint fait découvrir comme sagesse plus sage que le monde. Une vérité inaccessible comme telle aux plus hautes intelligences tant l’humilité de Dieu est au-delà de toute attente, comme il était incompréhensible que Jésus mourût.

Au jour où Jésus prononce ces paroles annonçant l’Esprit de vérité à ses disciples, à la veille de sa mort, ils ne pourront pas comprendre avant que l’Esprit ne les y guide, ne leur fasse découvrir que Dieu se donne où on ne l’attend pas : dans ce qui est humble.

Alors, la vérité, dont nous sommes loin, s’est approchée, très proche de nous, venue parmi nous et en nous par l’Esprit de vérité, pour nous ouvrir à sa consolation : notre faiblesse, celle de notre intelligence qui ne peut saisir tous les paramètres de ce qui fonde nos êtres, celle de nos maigres vertus, est la faiblesse dans laquelle s’accomplit la puissance de Dieu.

Car sa puissance s’accomplit dans la faiblesse, pour que nous recherchions dans ce qui est humble cette sagesse cachée dans l’humilité de notre prochain, dévoilée à nous en Jésus humble et mourant, lui parole éternelle glorifiée de la sorte, de sorte que tout genou fléchisse devant le Crucifié !

Or, c’est Dieu même qui est manifesté ici. Ce dimanche est traditionnellement appelé dimanche de la Trinité. Notre texte de Jean, proposé à notre méditation en ce dimanche, nous dit ce qu’il est en de cette manifestation de Dieu, ce que veut dire ce terme de Trinité : l’Esprit nous conduit dans la vérité entière, qui est que Dieu, Père d’éternité, se dévoile pleinement dans l’humilité, vécue jusqu’en son cœur par son Fils.

Dans le terme Trinité, et c’est pour cela qu’on en dit qu’il est un mystère, Dieu se manifeste comme celui que l’on attendrait en aucun cas de cette façon : donné dans celui qui a pris forme d’esclave, nous rejoignant jusqu’à la mort pour être déployé en nous par l’Esprit dans tout ce qui doit venir. Il nous précède dans tous nos lendemains et nous y ouvre la vérité entière.


RP, Châtellerault, Trinité, 12/06/22
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dimanche 5 juin 2022

Pentecôte, ou : “Il nous a aimés le premier”




Actes 2, 1-11 ; Psaume 104 ; Romains 8, 8-17 ; Jean 14, 15-26

<b>Psaume 104, 1-3</b> <blockquote><i>Mon âme, bénis l&#8217;Éternel&nbsp;! Éternel, mon Dieu, tu es infiniment grand&nbsp;! Tu es revêtu d&#8217;éclat et de magnificence&nbsp;!&#8237;<br> &#8237;Il s&#8217;enveloppe de lumière comme d&#8217;un manteau&nbsp;; Il étend les cieux comme un pavillon.&#8237;<br> &#8237;Il forme avec les eaux le faîte de sa demeure&nbsp;; Il prend les nuées pour son char, Il s&#8217;avance sur les ailes du vent.&#8237;</i></blockquote> <br /> <b>Actes 2, 1-6</b> <blockquote><i>1 Lorsque arriva le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble en un même lieu.<br> 2 Tout à coup, il vint du ciel un bruit comme celui d'un fort coup de vent, qui remplit toute la maison où ils étaient assis.<br> 3 Des langues leur apparurent, qui semblaient de feu et qui se séparaient les unes des autres&nbsp;; il s'en posa sur chacun d'eux.<br> 4 Ils furent tous remplis d'Esprit saint et se mirent à parler en d'autres langues, selon ce que l'Esprit leur donnait d'énoncer.<br> 5 Or des juifs pieux de toutes les nations qui sont sous le ciel habitaient Jérusalem.<br> 6 Au bruit qui se produisit, la multitude accourut et fut bouleversée, parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue.</i></blockquote> <br /> <b>Romains 8, 14-16</b> <blockquote><i>14 [&#8230;] ceux-là sont enfants de Dieu qui sont conduits par l&#8217;Esprit de Dieu&nbsp;: <br> 15 vous n&#8217;avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des enfants adoptifs et par lequel nous crions&nbsp;: Abba, Père. <br> 16 Cet Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.</i></blockquote> <br /> Jean 14.15-26
15 Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements,
16 et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Consolateur qui soit éternellement avec vous
17 l’Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit point et ne le connaît point ; mais vous, vous le connaissez, car il demeure avec vous, et il est en vous.
18 Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous.
19 Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus ; mais vous, vous me verrez, car je vis, et vous vivrez aussi.
20 En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et que je suis en vous.
21 Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui qui m’aime. Celui qui m’aime sera aimé de mon Père, moi aussi je l’aimerai et je me manifesterai à lui.
22 Jude, non pas l’Iscariot, lui dit : Seigneur, d’où vient que tu te feras connaître à nous, et non au monde ?
23 Jésus lui répondit : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui.
24 Celui qui ne m’aime pas ne garde point mes paroles. Et la parole que vous entendez n’est pas de moi, mais du Père qui m’a envoyé.
25 Je vous ai dit ces choses pendant que je demeure avec vous.
26 Mais le consolateur, l’Esprit saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit.

*

« Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus ; mais vous, vous me verrez, car je vis, et vous vivrez aussi.
« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui.
« Le consolateur, l’Esprit saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. »


C’est ce qu’un célèbre chrétien indien du XXe siècle, le Sadhou Sundar Singh, perçoit et dit de façon imagée : « je vis un être inondé de clarté se tenir devant moi, revêtu de lumière et de beauté. […] Des rayons d’amour répandant la vie à flot sortaient de lui, avec une telle force qu’ils pénétrèrent mon âme jusqu’à la remplir. »

Il poursuit, parlant de « paroles si magnifiques que même si j’écrivais plusieurs livres, je ne pourrais tout raconter. Car ces réalités célestes ne pourraient être expliquées qu’en langage céleste… »

Qu’est-ce donc là d’autre que ce qu’évoque Paul écrivant que nous n’avons pas les mots, pas même pour prier : « l’Esprit saint vient en aide à notre faiblesse, car nous ne savons pas comment prier » (Ro 8, 26) ; l’Esprit qui « fait de nous des enfants de Dieu et qui nous permet de crier à Dieu : "Abba, Père !" » (Ro 8, 15) — le Notre Père.

*

Ayant évoqué le Sadhou Sundar Singh, je lui emprunterai, pour illustrer cette présence de Dieu dans l’Esprit saint de façon indicible, au-delà des mots, et au-delà de nos forces, de nos faiblesses, de nos âges, cette petite histoire qu’il relate :

« Un porteur d’eau avait deux grandes jarres, suspendues aux deux extrémités d’une pièce de bois qui épousait la forme de ses épaules. L’une des jarres avait une brèche, et, alors que l’autre jarre conservait parfaitement toute son eau de source jusqu’à la maison du maître, la première jarre en perdait presque la moitié en cours de route.

Cela dura deux ans, pendant lesquels, chaque jour, le porteur d’eau ne livrait qu’une jarre et demi d’eau à chacun de ses voyages. Bien sûr, la jarre parfaite était fière d’elle, puisqu’elle parvenait à remplir sa fonction du début à la fin sans faille. Mais la jarre abîmée avait honte de son imperfection et se sentait déprimée parce qu’elle ne parvenait à accomplir que la moitié de ce dont elle était censée être capable.

Au bout de deux ans de ce qu’elle considérait comme un échec permanent, la jarre endommagée s’adressa au porteur d’eau, au moment où celui-ci la remplissait à la source.

— "Je me sens coupable, et je te prie de m’excuser."

— "Pourquoi ?" demanda le porteur d’eau. "De quoi as-tu honte ?"

— "Je n’ai réussi qu’à porter la moitié de ma cargaison d’eau à notre maître, pendant ces deux ans, à cause de cette faille qui fait fuir l’eau. Par ma faute, tu fais tous ces efforts, et, à la fin, tu ne livres à notre maître que la moitié de l’eau. Tu n’obtiens pas la reconnaissance complète de tes efforts", lui dit la jarre abîmée.

Le porteur d’eau fut touché par cette confession, et répondit :

— "Pendant que nous retournons à la maison du maître, je veux que tu regardes les fleurs magnifiques qu’il y a au bord du chemin".

Au fur et à mesure de leur montée sur le chemin, au long de la colline, la vieille jarre vit de magnifiques fleurs baignées de soleil sur les bords du chemin, et cela lui mit du baume au cœur. Mais à la fin du parcours, elle se sentait toujours aussi mal parce qu’elle avait encore perdu la moitié de son eau. Le porteur d’eau dit à la jarre :

— "T’es-tu rendue compte qu’il n’y avait de belles fleurs que de ton côté, et presque aucune du côté de la jarre parfaite ? C’est parce que j’ai toujours su que tu perdais de l’eau, et j’en ai tiré parti. J’ai planté des semences de fleurs de ton côté du chemin, et, chaque jour, tu les as arrosées tout au long du chemin. Pendant deux ans, j’ai pu grâce à toi cueillir de magnifiques fleurs qui ont décoré la table du maître. Sans toi, jamais je n’aurais pu trouver ces fleurs. »


Nous avons des failles, des brèches, des blessures, des défauts ? Nous sommes des jarres abîmées ? Certains d’entre nous sont diminués par la vieillesse, d’autres ne brillent pas par leur intelligence, d’autres sont diminués physiquement comme la jarre, d’autres sont encore trop petits pour comprendre… mais ce sont les faiblesses, et même les défauts en nous qui rendent nos vies riches pour Dieu — quand elles sont placées dans la présence de l’Esprit Saint.

Nous sommes appelés à ne pas craindre de reconnaître nos fautes, nos attitudes indues, nos égoïsmes, pour, étant ce que nous sommes, vivre enfin par le Christ, en nouveauté de vie, dans la puissance de l’Esprit saint.

*

« Jean a baptisé d’eau, mais vous, dans peu de jours, vous serez baptisés du Saint-Esprit », promettait Jésus quelques jours avant Pentecôte (Actes 1, 5).

… En écho à ce que lorsque Jean baptisait, il annonçait : « Moi, je vous baptise d’eau ; mais il vient, celui qui est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de ses souliers. Lui, il vous baptisera du Saint-Esprit et de feu » (Luc 3, 16) ; dix jours avant Pentecôte, Jésus reprend : « dans peu de jours, vous serez baptisés du Saint-Esprit » —, le jour est à présent venu…

Comme Jean, nous ne pouvons baptiser qu’avec de l’eau, cette eau qui coule de la jarre fêlée. L’Esprit saint est donné par un autre. Pentecôte nous rappelle cela. Pentecôte — Shavouoth, en hébreu. Fête des premières récoltes, ce jour est aussi celui du souvenir du don de la Torah, Traité de l’Alliance. Célébration du don de la Torah — dont les Prophètes annonçaient qu’elle est appelée à s’inscrire dans le cœur des croyants par le don de l'Esprit — « celui qui a mes commandements et qui les garde », en dit Jésus (Jean 14, 21) promettant l'Esprit saint.

Dans la promesse de la fidélité de Dieu, l’Esprit nous précède, précède même notre naissance… Et il précède notre baptême. Comme Jean, nous baptisons d'eau ; si le signe est différent : Jean baptise pour le repentir, nous baptisons en Christ, — le moyen est aussi l'eau, et l'Esprit annoncé par Jean est la vérité de ce que nous signifions par l'eau.

Dieu nous précède, son Esprit qui scelle en nous la promesse nous précède. Dieu est fidèle à Israël du fait de sa promesse aux pères, dit Paul (Ro 11, 28-29). Pour nous de même, « si nous sommes infidèles, lui demeure fidèle car il ne peut se renier lui-même » (2 Ti 2, 13). Depuis Abraham, Isaac et Jacob, et quelle que soit l’infidélité des enfants, notre infidélité, Dieu demeure fidèle et n'abroge jamais rien de ce qu'il a dit et promis.

En outre, c'est ce que dit le miracle des langues lors de cette Pentecôte, cela s'étend à toutes les nations… En Jésus Christ ressuscité, inaugurant le Royaume promis, le Royaume qui commence par la Résurrection, Dieu nous dévoile cette précédence de l’amour de Dieu… Comme le dit notre liturgie : « Nous croyons que cela est vrai pour nos enfants, même s’ils ne le savent pas encore. En effet, “nous aimons Dieu parce qu’Il nous a aimés le premier” (1 Jean 4, 19) ».


RP, Poitiers, Pentecôte, 5/06/22
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